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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1323/2009

ATA/530/2009 du 27.10.2009 ( ICC ) , REJETE

Descripteurs : ; IMPÔT ; SUCCESSION ; LACUNE(LÉGISLATION)
Normes : LCP.88 ; LCP.90
Résumé : Ancien droit. Une contribuable, ayant hérité d'un montant correspondant à la valeur de la commandite de son mari, suite au décès de ce dernier et, ayant déjà acquitté les droits de succession y relatifs, recourt à l'encontre de la taxation de ce même montant au titre d'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation, de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises. Au vu des travaux préparatoires, cette hypothèse n'a pas été prévue par le législateur qui n'a envisagé que l'hypothèse de la continuation de l'entreprise par les héritiers et sa liquidation subséquente. Comblement de la lacune en se référent par analogie à la solution adoptée en matière d'impôt spécial sur les bénéfices immobiliers prévoyant l'exonération des héritiers en cas d'acquisition des immeubles par voie successorale.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1323/2009-ICC ATA/530/2009

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 27 octobre 2009

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE ADMINISTRATIVE

et

Madame S______
représentée par Me Gion Clopath, avocat

 



EN FAIT

1. La société en commandite S______ (ci-après : la société) a été inscrite au registre du commerce le 19 septembre 1972. Actuellement, sa raison sociale est Y______.

Le but de la société consiste en l'administration et la gestion de patrimoine d'individus ou de sociétés, la tenue de comptabilités, l'étude et le conseil en matière fiscale, l'achat et la vente de titres et valeurs et la gestion de sociétés.

Selon le registre du commerce, Monsieur S______ en était l'un des associés commanditaires dès 1991. Il est devenu associé indéfiniment responsable à partir de 1993.

2. L'article 24 des statuts de la société du 1er décembre 1999 prévoyait qu'en cas de décès de l'un des associés, les associés survivants poursuivraient de l'activité sociale dans la forme qu'ils décideraient. Les héritiers et autres ayants droit d'un associé défunt étaient expressément exclus de la société. Ils avaient droit à sa part d'apport, à sa commandite, ainsi qu'à toute autre créance présente ou future qu'aurait pu faire valoir l'associé défunt s'il avait quitté la société de son propre chef (al. 1 à 3).

Sous forme de stipulation pour autrui, rédigée séparément, il était prévu exclusivement en faveur des familiers immédiats du défunt (époux survivant, concubin, enfants, petits-enfants, à l'exclusion de toute autre personne), une rente d'entretien équivalente à 20 % du revenu brut provenant des portefeuilles demeurant sous gestion auprès de la société et que le défunt gérait avant son décès. La rente d'entretien serait versée à son ou ses bénéficiaires pendant cinq ans dès le décès de l'associé (al. 5 et 6).

Ces clauses reprenaient une stipulation pour autrui identique, datée du 29 avril 1998, prévoyant qu'en cas de mort de M. S______, les autres associés indéfiniment responsables reconnaissaient un droit de créance à sa veuve ou, à son défaut, à ses enfants ou, à leur défaut, par souche, à leurs petits-enfants.

3. M. S______ est décédé le 20 mai 2000.

4. Le 14 décembre 2000, les associés survivants ont proposé à Madame S______ (ci-après : la contribuable), veuve du défunt, une indemnité forfaitaire en capital de CHF 2'400'000.-, en application de la stipulation pour autrui prévue dans les statuts sociaux, censée compenser la part de liquidation que le défunt aurait reçue s'il avait quitté la société de son vivant. Cette indemnité devait être versée en cinq annuités, la première payable en février 2001 et la dernière en février 2006.

La contribuable a accepté la proposition le jour même.

5. Donnant suite à une demande de renseignements de l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC), la contribuable a exposé par pli du 5 mai 2003 que le montant relatif à la part dans la société avait été mentionné dans la déclaration de succession. Le montant de celle-là avait été estimé à CHF 2'400'000.-, payable jusqu'en 2006. Les placements ayant subi des dévaluations considérables, cette part avait été réduite à CHF 1'500'000.-.

La contribuable avait mentionné la somme de CHF 2'400'000.- dans sa déclaration fiscale personnelle. Elle n'avait pas encore perçu l'entier de ce montant, attendu qu'il avait été calculé sur le potentiel des clients du défunt et qu'il avait été réduit.

6. Le 9 décembre 2005, l'AFC a notifié à la contribuable un bordereau de taxation d'office d'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises à titre d'impôt cantonal et communal (ICC). L'impôt dû s'élevait à CHF 504'200.- et comprenait une amende de CHF 200.-. Il avait été calculé sur un gain imposable de CHF 2'400'000.-.

7. Par acte du 3 janvier 2006, la contribuable a élevé réclamation à l'encontre du susdit bordereau. Il n'y avait pas eu de remise de commerce, mais à la suite du décès de son époux, elle avait reçu la valeur de la commandite. Le montant reçu constituait un élément de fortune, s'agissant d'une liquidation post-mortem d'une commandite. Il pourrait s'agir d'une rente, mais non d'un bénéfice. Cette somme avait été mentionnée tant au service des successions que dans la déclaration fiscale personnelle de la contribuable.

8. Au cours de l'instruction de la réclamation, la contribuable a exposé le 27 avril 2006 qu'elle avait reçu de la part de la société la somme de CHF 1'557'664,65 au titre de bénéfice de liquidation. Ce montant n'étant connu de manière certaine que depuis le 8 mars 2006, c'était ce dernier qui devait être soumis à l'impôt spécial. Certes, l'inventaire au décès faisait état d'une somme de CHF 2'400'000.- qu'elle était censée recevoir des associés de feu son mari. Il s'agissait d'une estimation raisonnable du capital, à verser sous forme de rente durant cinq ans, variant en fonction des revenus bruts provenant des portefeuilles sous gestion auprès de la société et que le défunt gérait avant son décès. Compte tenu des baisses des revenus bruts de ces portefeuilles, la somme qui lui avait été allouée s'était révélée inférieure au montant prévu.

C'était ce montant, soit CHF 1'557'664,65, qui devait faire l'objet de la taxation et non l'estimation faite aux seules fins des droits de succession. La contribuable demandait à l'AFC de déterminer s'il était conforme à la loi d'imposer la somme qui lui avait été versée tant au titre d'impôt sur les droits de succession qu'à celui d'impôt spécial sur les bénéfices de liquidation. Elle n'avait pas contesté le bordereau des droits de succession. Par mesure d'équité, les droits prélevés à l'époque, soit quelques CHF 120'000.-, devaient être en tout cas imputés sur l'impôt spécial.

9. Par décision du 21 décembre 2006, l'AFC a partiellement admis la réclamation en ramenant le gain imposable à CHF 1'557'665.- et en annulant l'amende. L'impôt dû s'en est trouvé réduit à CHF 327'109,65.

Le fait que l'indemnité ait été prise en compte lors de la détermination des droits de succession ne constituait pas un cas de double imposition prohibé par la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). L'impôt sur les successions et l'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation, de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises n'étaient pas des impôt similaires et assimilables.

10. Par acte du 16 janvier 2007, la contribuable a interjeté recours à l'encontre de cette décision auprès de la commission cantonale de recours en matière d'impôts, dont les compétences ont été reprises depuis le 1er janvier 2009 par la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : CCRA). Elle contestait le principe même de la taxation, le montant qui lui avait été alloué ne pouvant être taxé à deux titres. Il y avait double imposition, ce qui était contraire à la Cst.

Ayant complété ses écritures par pli du 22 février 2007, elle a conclu à l'annulation de la décision entreprise et à ce que les droits de succession déjà acquittés soient imputés sur l'impôt spécial de CHF 327'109,65.

La même prestation ne devait pas faire l'objet tant des droits de succession que d'un impôt sur le revenu, même spécial. Dès lors que l'AFC avait prélevé des droits de succession, il ne pouvait y avoir un impôt concurrent. Dans ce cas, il y aurait double imposition sur un plan intra-cantonal.

L'imposition de la contribuable telle qu'elle avait été pratiquée par l'AFC était excessive puisqu'elle conduisait à un prélèvement total de 41,7 % :

Droits de succession (CHF 2'400'000.- au taux de 6 %)

CHF 144'000.-

Impôt spécial (CHF 1'557'665.- au taux de 21 %)

CHF 327'110.-

Impôt fédéral direct (CHF 1'557'665 au taux de 11,5 %)

CHF 179'124.-

Total

CHF 650'234.-

Pourcentage sur CHF 1'557'665.-

41,7 %

 

11. Dans sa réponse du 31 janvier 2008, l'AFC a conclu au rejet du recours.

La somme qui avait été versée à la contribuable à la suite du décès de son mari avait fait l'objet des bordereaux suivants :

bordereau d'impôt de succession ;

bordereau d'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation, de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises (ICC) ;

bordereau d'impôt sur le bénéfice en capital (IFD) ;

Le bordereau de succession n'avait pas été contesté et était entré en force. Les deux autres bordereaux avaient fait l'objet de réclamations, admises partiellement puisque dans les deux taxations, l'assiette fiscale avait été réduite de CHF 2'400'000.- à CHF 1'557'664.- Par ailleurs, la contribuable avait admis dans son recours le caractère imposable des bénéfices que lui avait versés la société en commandite. Il était manifeste qu'il ne s'agissait pas d'un cas de double imposition.

12. Par lettre du 8 février 2008, la contribuable a confirmé qu'elle maintenait son recours.

13. Par décision du 10 mars 2009, communiquée aux parties par pli du 16 mars 2009, la CCRA a admis le recours.

L'impôt sur les successions et l'impôt sur le revenu ou le bénéfice devaient être coordonnés afin d'éviter une surimposition qui pourrait revêtir un effet confiscatoire. Selon certains auteurs, c'était la loi sur l'impôt sur les successions en tant que loi spéciale qui primait sur la loi sur l'impôt sur le revenu. Pour d'autres, c'était l'impôt sur les successions qui devait céder le pas à l'impôt ordinaire sur le revenu, le Tribunal fédéral ayant adopté cette dernière position.

Dans le cas d'espèce, la même somme était frappée tant par l'impôt sur les bénéfices d'aliénation que par celui sur les droits de succession, ce qui conduisait à une surimposition du patrimoine de la contribuable. La taxation revêtait ainsi un caractère confiscatoire. En conséquence, le bordereau d'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation, de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises devait être annulé.

14. Par acte du 14 avril 2009, l'AFC a interjeté recours auprès du Tribunal administratif à l'encontre de la décision précitée, en concluant à son annulation.

En réalité, la CCRA n'avait pas démontré en quoi l'imposition revêtait un caractère confiscatoire. En examinant la situation financière de la recourante, l'AFC constatait que l'imposition totale représentait moins de 9 % de la fortune imposable moyenne de la contribuable pour les années fiscales 2001 à 2007. De plus, en annulant le bordereau de l'impôt spécial, la CCRA avait statué ultra petita, la recourante n'ayant conclu qu'à la diminution de ce dernier impôt, les droits de succession déjà acquittés devant être déduits de ce dernier.

L'argumentation de la CCRA selon laquelle l'impôt spécial ne pouvait s'ajouter aux droits de succession prélevés antérieurement car il aboutissait à une double imposition économique devait être rejetée. En effet, le raisonnement de la CCRA se fondait sur des jurisprudences portant sur la double imposition intercantonale qui n'étaient pas applicables dans le cas d'espèce. De surcroît, ces jurisprudences avaient consacré le principe de la prééminence de l'impôt sur le revenu sur l'impôt sur les successions alors que la CCRA avait fait primer l'impôt sur les successions, déjà entré en force.

15. Dans sa réponse du 30 avril 2009, la contribuable a conclu principalement au rejet du recours et subsidiairement à ce que le tribunal de céans sursoie à statuer dans l'attente d'une décision de la CCRA sur le recours pendant par devers elle en matière d’impôt fédéral direct (ci-après : IFD).

In casu, il ne s'agissait pas d'un cas classique de double imposition intercantonale mais bien d'un cumul d'imposition prohibé tant par l'art. 10 let. c de la loi sur l'imposition des personnes physiques - Impôt sur le revenu (revenu imposable) du 22 septembre 2000 (LIPP-IV - D 3 14) que par l'art. 24 let. a de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), peu importait le montant de la charge fiscale.

Faisant référence à l'analyse juridique effectuée par le curateur de l'enfant mineur de la contribuable, il fallait considérer la somme de CHF 1'557'665.- comme un élément tombant dans la succession à partager entre tous les héritiers. C'était en conséquence à juste titre qu'elle avait été soumise à l'impôt sur les successions. En revanche, elle ne devait pas être soumise à l'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises.

16. Par pli du 24 avril 2009, transmis au tribunal de céans le 4 mai 2009, la CCRA a indiqué qu'elle n'avait pas fait usage de la faculté de joindre les causes ayant trait à l'IFD et à l'impôt cantonal et communal qui lui était conférée par la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Elle statuerait sur le recours en matière d'impôt fédéral direct une fois la procédure en impôt cantonal et communal définitivement terminée.

17. Dans un courrier du 13 mai 2009, l'AFC a persisté dans ses conclusions.

18. Le tribunal de céans a informé les parties par pli du 14 mai 2009 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a LPA).

2. A titre liminaire, la recourante fait valoir que la CCRA a statué ultra petita en admettant le recours de la contribuable.

Cette manière de voir ne saurait être suivie. En effet devant cette instance la contribuable a clairement contesté le principe même de la taxation en invoquant le fait que le montant qui lui avait été alloué ne pouvait être taxé à deux titres. Elle a conclu à l'annulation de la décision entreprise. Dans ce contexte, la conclusion selon laquelle les droits de succession déjà acquittés devaient être, à tout le moins, imputés sur l'impôt spécial dans l'hypothèse où celui-ci serait dû, apparaît comme une conclusion subsidiaire.

3. Le présent litige porte uniquement sur l'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises prévu par le droit cantonal genevois (ICC).

4. a. Plusieurs lois fiscales sur l'imposition des personnes physiques ont été adoptées à Genève en application de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes, du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). Ces lois sont entrées en vigueur le 1er janvier 2001 (LIPP-I à V). Elles ont abrogé, à partir de cette date, la plupart des dispositions de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05). Les dispositions en question demeurent cependant applicables, notamment quant à l'imposition des personnes physiques, pour les périodes fiscales antérieures à l'année 2001. L'adaptation de la législation fiscale genevoise aux exigences de la LHID est en effet dépourvue d'effet rétroactif, comme l'a relevé le Tribunal administratif (art. 6 al. 1er de la loi sur l'imposition dans le temps des personnes physiques du 31 août 2000 - LIPP-II - D 3 12 ; ATA/614/2008 du 9 décembre 2008 ; ATA/607/2008 du 2 décembre 2008 ; ATA/43/2003 du 21 janvier 2003).

b. En vertu du principe de la non-rétroactivité, le nouveau droit ne s'applique pas aux faits antérieurs à sa mise en vigueur (P. MOOR, Droit administratif, 2e édition, vol. 1, Berne 1994, p. 170 ; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e édition, Bâle 1991, p. 116). Le droit nouveau ne peut avoir un effet rétroactif que si, notamment, la rétroactivité est prévue par la loi (B. KNAPP, op. cit., p. 118).

Les nouvelles dispositions du droit fiscal genevois ne prévoient pas un effet rétroactif. Au contraire, l'art. 6 de la nouvelle LIPP-II prévoit même expressément que la détermination de la période de taxation (art. 2 al. 1 LIPP-II remplaçant l'art. 17 aLCP) n'est régie par le nouveau droit qu'à partir de l'exercice 2001 (ATA/563/2008 du 4 octobre 2008 ; ATA/418/2001 du 26 juin 2001).

Le recours sera dès lors jugé selon le droit applicable à l'époque des faits allégués.

5. Un revenu est considéré comme versé et donc comme réalisé lorsque le contribuable peut effectivement en disposer, c'est-à-dire lorsqu'il reçoit la prestation ou acquiert une prétention ferme à l'obtenir. Pour qu'il y ait réalisation, il faut un acte juridique conclu qui peut consister en l'acquisition d'une prétention ou en l'acquisition de la propriété. L'acquisition d'une prétention est en général préalable à l'acquisition de la prestation en argent. En cas de réalisation en deux étapes, la créance fiscale prend naissance soit lors de l'acquisition de la prétention, soit lors de l'acquisition de la propriété. Dans de tels cas, l'imposition a en principe lieu lors de l'acquisition de la prétention. La pratique fiscale ne s'écarte de ce principe qu'exceptionnellement ; c'est uniquement lorsque l'exécution de la prétention - la prestation - doit être considérée comme incertaine que l'imposition est différée jusqu'à son exécution (RDAF 2004 II 288, p 294 et les réf. citées ; cf. également X. OBERSON, Droit fiscal suisse, 3e édition, Bâle, 2007, p. 83).

M. S______ est décédé le 20 mai 2000. La somme qui a été versée à la contribuable suite à ce décès, en vertu de l'article 24 des statuts de la société, a été déterminée le 14 décembre 2000. Le montant a été accepté par la contribuable le même jour ainsi que les modalités de versement, en cinq annuités. Certes, cette somme a été réduite par la suite, mais cela ne change rien au fait que l'exécution de la prestation n'était ni incertaine, ni conditionnelle.

Au vu de ce qui précède, la contribuable a acquis une prétention ferme au versement de la somme convenue le 14 décembre 2000. Le droit applicable est donc la LCP dans sa teneur en vigueur en décembre 2000 (ci-après : aLCP) et non l'art. 10 let. c LIPP-IV, qui n'est entré en vigueur que le 1er janvier 2001.

L'argument de la contribuable selon lequel c'était l'art. 10 let. c LIPP-IV, exonérant expressément de l'impôt sur le revenu les dévolutions de fortune résultant d'une succession, qui était applicable au présent litige, doit ainsi être rejeté.

6. Reste à examiner si au regard du droit applicable en décembre 2000, le montant litigieux pouvait être imposé tant au titre de droit des successions qu'au titre d'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises.

7. Aux termes de l'art. 88 al. 1 aLCP, l'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation, de remise ou de liquidation totale ou partielle d'une entreprise située dans le canton, exploitée soit par une personne physique, soit par une des sociétés ou autres personnes visées à l'art. 8 (les sociétés simples, les sociétés en nom collectif et en commandite et autres sociétés n'ayant pas la personnalité morale), a pour objet le bénéfice net provenant de l'aliénation, de la remise ou de la liquidation totale ou partielle d'une entreprise quelconque, notamment d'un fonds de commerce, d'une industrie, d'un bureau, y compris les éléments incorporels qui s'y rattachent.

Selon l'al. 2 de la même disposition, est également considérée comme aliénation tout transfert d'éléments actifs de la fortune commerciale dans la fortune privée du propriétaire de l'entreprise.

L'art. 90 aLCP prévoit un taux d'impôt dégressif calculé sur le montant global du bénéfice net. Il est inversement proportionnel à la durée d'exploitation de l'entreprise par la personne qui aliène. Ainsi, le taux d'impôt est de 30 % lorsque la personne qui aliène ou liquide son entreprise l'a exploitée pendant deux ans mais moins de quatre ans. Il diminue jusqu'à un taux de 6 % lorsque la durée d'exploitation est de douze ans au moins mais reste inférieure à quinze. A partir de quinze ans d'exploitation, l'impôt n'est pas perçu (al.2).

8. Au cours des débats qui ont présidé à l'adoption de ces dispositions, les parlementaires se sont avisés du fait que le projet de loi ne prévoyait rien en cas d'aliénation par voie successorale. Ils n'ont alors envisagé que le cas où les héritiers du défunt reprenaient le commerce de ce dernier et étaient obligés de le céder après peu d'années d'exploitation. Il était inéquitable de les imposer en prenant comme point d'acquisition le jour du décès du de cujus, le taux de l'impôt étant élevé, alors que c'était en fait une seule et même exploitation qui s'était continuée (MGC 1966 II p. 1777, 1795, 1807). Suite à ce débat, le législateur a adopté la solution de l'art. 90 al. 3 let. a aLCP prévoyant qu'en cas d'aliénation par l'héritier de l'exploitant précédent, le temps d'exploitation de ce dernier serait ajouté à celui de cet héritier pour calculer le taux de l'impôt (MGC 1966 II p. 1795 ; MGC 1966 IV p. 3193, p. 3194). Dans ce cadre, faisant référence à la modification ainsi introduite, les parlementaires ont encore relevé qu'il était impossible de recenser les cas particuliers et qu'en conséquence, il faudrait admettre largement la remise d'impôt de l'art. 350 aLCP (MGC 1966 IV p. 3193 ; p. 3194).

Ainsi, en matière de succession, la loi n'envisage que le cas où les héritiers reprennent l'exploitation du de cujus et qu'ils l'aliènent par la suite après l'avoir exploitée à leur tour pendant une période plus ou moins longue.

L'hypothèse du cas d'espèce, soit, en cas de décès d'un associé, le versement à ses héritiers, d'un montant équivalent à la part de liquidation que le défunt aurait reçue s'il avait quitté la société de son vivant, n'a pas été envisagée au cours des débats ayant présidé à l'adoption de la loi.

9. Il ressort des travaux préparatoires que l'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation, de remise ou de liquidation de certaines entreprises, constitue le parallèle de celui institué par la loi du 13 mai 1961 créant l'impôt spécial sur certains bénéfices immobiliers régi par les art. 80 à 87 aLCP (MGC 1966 II p. 1765). Dans le cas de l'impôt spécial sur les bénéfices immobiliers, l'art. 81 al. 3 let. c aLCP stipule que l'impôt n'est pas perçu en cas de succession ou de partage successoral.

Au cours des débats qui ont présidé à l'adoption des articles instituant l'impôt spécial sur le bénéfice d'aliénation des entreprises, les parlementaires ont relevé que ce dernier frappait des plus-values qui étaient, pour l'essentiel, le produit du travail de ceux qui les obtenaient, tandis que les plus-values en matière immobilière étaient dues essentiellement au hasard des circonstances, soulignant le caractère plus spéculatif de ce dernier bénéfice (MGC 1966 II p. 1777). Ils étaient ainsi conscients de taxer le fruit du labeur des entrepreneurs qui, en montant leur affaire, assumaient des risques par opposition aux bénéfices en matière immobilière qui nécessitaient peu d'investissement personnel.

10. a. Le principe de la légalité en matière de contributions publiques exige non seulement que le cercle des contribuables, mais également que les exceptions à l'assujettissement soient définis dans une loi au sens formel (ATF 122 I 305, p. 318 et les réf. citées).

b. De manière générale, la doctrine distingue les lacunes proprement dites et improprement dites de la loi. Les premières sont les silences non voulus par le législateur, qui rendent la loi inapplicable ou qui engendrent des résultats contraires à sa systématique ou à ses objectifs. Les secondes sont les silences de la loi sur des points qui en rendent l'application insatisfaisante. Ces dernières ne permettent pas au juge de se substituer au législateur (ATF 131 II 567 consid. 3.5 ; 128 I 34 consid. 3b p. 42 ; P. MOOR, Droit administratif, vol. I, 2ème éd., 1994, pp. 154-155).

c. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu d’après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 129 V 258 consid. 5.1 p. 263/264 et les réf. citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 125 II 206 consid. 4a p. 208/209). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Cst. (ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités).

d. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le juge est, en principe, lié par un texte légal clair et sans équivoque. Ce principe n’est cependant pas absolu. En effet, il est possible que la lettre d’une norme ne corresponde pas à son sens véritable. Ainsi, l’autorité qui applique le droit ne peut s’en écarter que s’il existe des motifs sérieux de penser que le texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée. De tels motifs peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa relation avec d’autres dispositions (ATF 124 II 265 consid. 3 p. 268 ; 121 III 460 consid. 4a/bb p. 465 et les arrêts cités). En dehors du cadre ainsi défini, des considérations fondées sur le droit désirable ne permettent pas de s’écarter du texte clair de la loi surtout si elle est récente (ATF 118 II 333 consid. 3e p. 342, 117 II 523 consid. 1c p. 525).

Au vu de ce qui précède, il résulte des travaux préparatoires qu'en matière de succession, le législateur n'a réglementé que le cas dans lequel les héritiers reprennent l'entreprise du de cujus. Il ne s'est pas prononcé en revanche sur l'hypothèse où l'entreprise dans laquelle le de cujus était associé, poursuit son activité, et qu'une somme égale à la part de liquidation qu'il aurait perçue s'il avait quitté l'entreprise de son vivant, est versée à ses héritiers. Les débats parlementaires révèlent la ressemblance entre l'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation de certaines entreprises et l'impôt sur les bénéfices et gains immobiliers. Il ressort de ces discussions également que les parlementaires étaient conscients du fait que les bénéfices immobiliers avaient une origine plus spéculative que ceux occasionnés par l'aliénation d'une entreprise de personnes. En conséquence, le fait de réglementer de manière plus avantageuse les bénéfices générés par l'aliénation des immeubles en exonérant les cas de successions est contraire au sens et au but de la loi. Il convient ainsi d'admettre qu'en omettant de régler les cas de successions tels que celui qui fait l'objet du présent litige, la loi présente une lacune proprement dite qu'il convient de combler.

Afin de respecter la volonté du législateur de ne pas traiter de manière plus défavorable les héritiers d'associés d'entreprises de personnes, il convient d'admettre que le montant qui leur est versé suite au décès de ce dernier doit être exonéré de l'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation de certaines entreprises.

11. A cet égard, il sied de souligner que cette solution est celle qui a été retenue par l'art. 7 al. 4 let. c LHID, qui exonère de l'impôt sur le revenu les dévolutions de fortune ensuite de succession et qui est consacrée également par l'art. 10 let. c LIPP-IV entré en vigueur le 1er janvier 2001. Ainsi, les dispositions précitées empêchent désormais la double imposition des dévolutions successorales ou des donations, une fois par l'impôt cantonal sur les successions et donations et une seconde fois par l'impôt sur le revenu, l'un étant exclusif de l'autre.

12. Entièrement mal fondé, le recours est rejeté. La décision de la CCRA est confirmée par substitution de motifs. Une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à l'intimée, à charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 avril 2009 par l'administration fiscale cantonale contre la décision du 10 mars 2009 de la commission cantonale de recours en matière administrative ;

au fond :

le rejette ;

alloue une indemnité de CHF 2'000.- à Madame S______ à charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à Me Gion Clopath, avocat de Madame S______ ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière administrative.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mmes Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges, M. Hottelier, juge suppléant.

 

 

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :