Décisions | Chambre civile
ACJC/942/2025 du 08.07.2025 sur JTPI/13841/2024 ( OO ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/22254/2022 ACJC/942/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 8 JUILLET 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par la 2ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 5 novembre 2024, représenté par Me Thomas BARTH, avocat, Barth Avocats, boulevard Helvétique 6, case postale, 1211 Genève 12,
et
ASSOCIATION DES MEDECINS DU CANTON DE GENEVE, sise rue Micheli-du-Crest 12, 1205 Genève, intimée, représentée par Me Philippe DUCOR, avocat, Ducor-Law Health & Technology, route du Creux-de-Genthod 17, case postale 265, 1290 Versoix.
A. Par jugement du 5 novembre 2024, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure ordinaire, a débouté A______ de toutes ses conclusions (ch. 1 du dispositif), mis à la charge de ce dernier les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr. (ch. 2), l'a condamné à verser à l'ASSOCIATION DES MEDECINS DU CANTON DE GENÈVE une somme de 2'500 fr. TTC au titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).
B. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 9 décembre 2024, A______ a formé appel contre ce jugement. Il a conclu, avec suite de frais, à son annulation et, cela fait, à l'annulation de la décision de l'ASSOCIATION DES MEDECINS DU CANTON DE GENÈVE prononcée à son encontre le 8 octobre 2020, confirmée par la décision de la Commission de déontologie de la FMH du
6 octobre 2022.
b. L'ASSOCIATION DES MEDECINS DU CANTON DE GENÈVE a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions et à la confirmation du jugement du 5 novembre 2024, avec suite de frais.
c. Les parties se sont encore déterminées les 25 mars, 23 avril et 7 mai 2025, persistant dans leurs conclusions.
A______ a produit une pièce nouvelle.
d. Le 20 mai 2025, les parties ont été informées par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.
a. A______ détient un titre de médecin praticien ainsi qu'un certificat de compétence de médecin-conseil. Il a exploité, depuis le 1er octobre 2009 et sous forme d'activité indépendante, un cabinet médical (n° 1______) sis no. ______, route 2______, [code postal] Genève.
b. L'Association des médecins du Canton de Genève (ci-après : "AMGe") constitue la société cantonale de médecine du canton de Genève au sens des statuts de la Fédération des médecins suisses (FMH), qui est l'association faîtière des sociétés cantonales de médecine.
b.a A teneur de ses statuts, l'AMGe a pour fonction d'assurer la représentation du corps médical genevois vis-à-vis de la FMH, de la population, des autorités et des autres institutions.
b.b L'AMGe a mis en place une Commission de déontologie et conciliation ("CDC") chargée de veiller à ce que ses membres respectent le Code de déontologie de la FMH, conformément à l'article 43 al. 2 du Code de déontologie de la FMH et aux articles 24 et 25 de ses statuts.
La CDC est en particulier chargée de recevoir et d'instruire les plaintes relatives au respect du Code de déontologie de la FMH et de prononcer les sanctions appropriées, lesquelles sont susceptibles de recours devant la Commission de déontologie de la FMH (art. 25 des Statuts de l'AMGe).
b.c L'article 25 alinéa 1 du règlement de la CDC prévoit que cette dernière peut prononcer différentes sanctions à l’égard d’un médecin membre de l’AMGe, à savoir le blâme (let. a), l’amende pouvant aller jusqu’à 50'000 fr. (let. b), la suspension de la qualité de membre pour une période déterminée (let. c), l’exclusion de l’AMGe et de la FMH (let. d), la publication dans l’organe de l’AMGe ou de la FMH (let. e), la dénonciation de l’affaire à la Direction générale de la santé ou aux organes d’assurance-maladie concernés (let. f) et la supervision (let. g). Ces sanctions peuvent être cumulées (al. 2).
L'article 47 du Code de déontologie de la FMH prévoit des sanctions similaires en cas d'infraction audit Code.
b.d L'appartenance à l'AMGe et à la FMH n'est pas une condition de l'exercice de la profession de médecin à Genève, y compris à charge de l'assurance obligatoire des soins (AOS) selon la Loi fédérale sur l'assurance-maladie (LAMal).
La FMH consacre d'ailleurs une page de son site internet à l'attention des médecins non-membres de l'association, en les renseignant de manière détaillée sur les modalités d'admission à pratiquer la médecine à charge l'AOS sans être membre de la FMH, notamment en adhérant à cet effet à la convention-cadre suisse, ce qui permet d'établir des factures qui soient prises en charge par l’assurance-maladie de base (LAMal), indépendamment du statut de membre de
la FMH.
b.e A______ est membre de l'AMGe depuis novembre 2009.
c. En 2017, A______ a été contacté par la Fondation B______. Cette Fondation, sise à C______ (GE), accueille des personnes en situation de handicap avec déficience intellectuelle.
La Fondation lui a proposé de prendre en charge des patients résidant au sein de son institution. Cette collaboration, acceptée par le médecin, prévoyait d'une part des visites régulières de A______ de ses patients à la Fondation, et d'autre part une activité du praticien, qui restait à la disposition de la Fondation, depuis son cabinet.
L'activité déployée par A______, rémunérée selon le tarif TARMED, faisait l'objet d'une saisie informatique dans le système MediOnline, la plateforme de gestion de cabinet en ligne de la Caisse des Médecins, avec la précision que les consultations de patients à la Fondation B______ étaient également suivies sur place d'un bref compte-rendu inscrit dans le système informatique de la Fondation.
d. En avril 2018, la Fondation B______ a proposé à A______ de suivre de nouveaux patients, dont D______, née le ______ 1988.
Cette dernière présentait plusieurs affections, soit une psychose infantile de type autisme, avec retard du développement mental, doublée d'un syndrome épileptique général.
E______ et F______, parents de D______, sont ses curateurs de portée générale.
e. Le 19 juin 2018, cette patiente a été victime d'un grave accident, puisqu'elle a fait une chute du 4ème étage à la Fondation B______. Souffrant d'un polytraumatisme et de multiples fractures, elle a été hospitalisée aux Hôpitaux Universitaires Genevois (HUG), où elle a subi plusieurs interventions chirurgicales.
Elle y a séjourné jusqu'au 7 janvier 2019, date à laquelle elle a quitté les HUG pour retourner au B______.
f. Durant son hospitalisation, A______ explique être allé à plusieurs reprises trouver la patiente, sans rien facturer toutefois. A sa sortie d'hôpital, le dossier médical de D______ lui a été transféré.
g. Entre avril 2018 et mai 2019, l'activité déployée par A______ pour cette patiente a fait l'objet de 20 factures d'honoraires, pour un montant total de 5'050 fr. 40.
A réception des factures de A______, les parents – et curateurs – de D______ ont manifesté leur surprise quant au nombre de factures établies par le médecin.
h. Peu convaincus par les explications données par A______, F______ et E______ ont formé une plainte auprès de l'AMGe le 27 mai 2019. Ils reprochent en substance au médecin d'avoir facturé des prestations qu'il n'avait pas réellement effectuées auprès de leur fille et de refuser de fournir les copies des factures TARMED correspondantes.
Ils mentionnent en particulier les factures hebdomadaires d'un montant de 200 fr. environ, alors que leur fille, selon les informations obtenues, ne recevait pas la visite de A______.
i. Par décision du 8 octobre 2020, la CDC a prononcé à l'encontre de A______ une suspension de la qualité de membre de l'AMGe pour une durée de trois ans ainsi qu'une amende 5'000 fr.
La Commission a retenu, en substance, d'une part, que le médecin avait facturé des prestations TARMED qu'il n'avait en réalité pas effectuées, dans le seul but d'obtenir un enrichissement personnel et, d'autre part, de l'avoir fait au détriment d'une patiente qui n'était pas en mesure de réaliser ses agissements et de se défendre, violant ainsi les articles 3, 4, 14 et 18 du Code de déontologie
FMH ("CoD").
j. A______ a recouru contre cette décision auprès de la Commission de déontologie de la FMH, à Berne.
k. Dans sa décision CD 2020-3______ du 6 octobre 2022, la Commission de déontologie de la FMH a partiellement admis le recours dans la mesure où il concernait la condamnation de A______ pour violation des art. 4 et 18 CoD et annulé en conséquence la décision du 8 octobre 2020 sur ces points au motif qu'il ne pouvait être retenu que A______, quand bien même D______ se trouvât en situation de handicap, ait spécifiquement cherché à profiter de cette vulnérabilité pour facturer des prestations fictives, dans la mesure où cette patiente faisait l'objet d'une mesure de curatelle, ce que le praticien savait.
La Commission de déontologie de la FMH a, pour le surplus, rejeté le recours et confirmé la condamnation de A______ pour violation des art. 3 et
14 CoD (relatif, respectivement, à l'exercice diligent de la profession de médecin et à la facturation des honoraires) ainsi que les sanctions prononcées. Elle a considéré qu'en refusant de remettre les factures détaillées au représentant légal de la patiente et en facturant de manière systématique des visites fictives dans le but de compenser des prestations et démarches qu'il n'était pas autorisé à facturer, A______ avait gravement violé l'article 14 CoD relatif aux honoraires médicaux et, par là même, enfreint son devoir général d'intégrité découlant de l'article 3 CoD. Dans ce contexte, la suspension provisoire en qualité de membre de l'AMG durant cinq ans [recte : trois ans] ainsi qu'une amende représentant un dixième du montant maximal possible constituaient des sanctions minimales auxquelles on pouvait s'attendre et qui ne pouvaient en aucun cas être qualifiées de disproportionnées. Dans la mesure où l'établissement délibéré de fausses factures n'était pas seulement contraire à la déontologie, mais également à la loi, une communication de la décision à la direction de la santé publique ou à l'assurance-maladie concernée aurait légitimement pu être justifiée. La sanction infligée était certes partiellement motivée par l'exploitation de l'état de dépendance de la patiente, mais il ne se justifiait pas de réduire la sanction prononcée.
Aucune voie de contestation interne n'est possible contre la décision CD 2020-3______ du 6 octobre 2022.
l. Le 7 novembre 2022, A______ a saisi le Tribunal de première instance d'une requête de conciliation tendant à l'annulation d'une décision de l'association, assortie d'une requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles.
Tant sur mesures superprovisionnelles que provisionnelles, A______ a conclu, sous suite de frais, à ce qu'il soit fait interdiction à l'AMGe de l'exclure avant l'entrée en force de la décision sur demande au fond, sous la menace de la peine prévue à l'article 292 CP.
A l'appui de sa requête, il a fait valoir que la décision de la Commission FMH du 6 octobre 2022, qui avait confirmé celle du 8 octobre 2020 de la Commission AMGe, le plaçait devant deux choix : ne plus pratiquer pendant trois ans ou devoir exercer dans un autre canton, l'AMGe étant la seule association des médecins du canton de Genève affiliée à la FMH. Sa situation financière délicate, qu'il était en passe de régler, deviendrait absolument inextricable. Une exclusion constituait en outre une ultima ratio, disproportionnée eu égard aux faits qui lui étaient reprochés. Enfin, son exclusion de l'AMGe le forçait à arrêter de pratiquer son métier, de sorte qu'elle portait directement atteinte à sa liberté économique au sens de l'article 27 Cst.
m.a Par ordonnance du 9 novembre 2022, le Tribunal a fait droit à la requête sur mesures superprovisionnelles, sans assortir l'interdiction prononcée de la menace de la peine prévue à l'article 292 CP.
m.b Statuant après audition des parties par ordonnance du 16 janvier 2023, le Tribunal a rejeté la requête et révoqué l'ordonnance du 9 novembre 2022, considérant que A______ avait échoué à rendre vraisemblable le bien-fondé de sa prétention au fond.
En effet, dans la mesure où tant les statuts de l'AMGe que ceux de la FMH prévoyaient notamment la suspension de la qualité de membre comme sanction, il ne pouvait être retenu que la décision litigieuse avait été prise en violation des statuts de l'AMGe. Le Tribunal a par ailleurs souligné que A______ ne pouvait pas se prévaloir d'une violation de sa liberté économique puisqu'il découlait des dispositions de la LPMéd et de la LAMal que l'appartenance à une association cantonale de médecins, respectivement à la FMH, n'était ni une condition à l'exercice de la profession libérale de médecin, ni même à l'admission de cette pratique à charge de l'assurance obligatoire des soins. Ainsi, A______ n'était pas empêché d'exercer son activité pendant la durée de sa suspension de l'AMGe et de la FMH.
n. Sur le fond, la cause, non conciliée, a fait l'objet d'une autorisation de procéder le 1er juin 2023 et a été portée le 11 octobre 2023 devant le Tribunal.
A______ a conclu, principalement, à ce que le Tribunal, sous suite de frais et dépens, annule la décision de l'AMGe du 8 octobre 2020, confirmée par la décision de la Commission de déontologie de la FMH du 6 octobre 2022. A titre subsidiaire, il conclut à ce que la nullité de ladite décision soit constatée.
Il a fait valoir que la décision contestée portait atteinte à sa liberté économique et constituait une sanction disproportionnée pour un médecin dont l'activité professionnelle n'avait jamais fait l'objet de critiques. Il relève d'autre part l'attitude agressive adoptée d'entrée de cause par les parents et curateurs de D______.
o. Dans ses écritures responsives du 30 janvier 2024, l'AMGe a conclu au déboutement de A______.
Elle a souligné notamment que, dans la mesure où le fait de ne pas être affilié à l'AMGe ne l'empêchait pas d'exercer sa profession, A______ ne subissait aucune atteinte à sa liberté économique du fait de son exclusion de cette association. Les sanctions prises par décision du 8 octobre 2020 n'étaient par ailleurs aucunement disproportionnées. Enfin, le fait qu'aucune erreur médicale ne puisse être reprochée à A______ était sans pertinence, puisque la décision d'exclusion de 3 ans ne reposait pas sur un tel reproche.
p. Lors de l'audience du 3 juin 2024, A______ a confirmé que chacune des factures qu'il avait émises en lien avec D______ correspondait bien à des prestations effectuées, même si certaines activités avaient été déployées hors présence de la patiente (comme remplir des formulaires ou préparer des ordonnances). Il était néanmoins possible que certaines factures ne présentent pas le bon code TARMED, à savoir que la prestation facturée mentionne, à tort, une visite sur place, alors qu'en réalité il avait déployé une activité depuis son cabinet. A______ a souligné à cet égard que le système TARMED posait différentes limitations s'agissant des prestations pouvant être facturées en l'absence du patient.
G______, pour l'AMGe, a confirmé sur ce point que la tarification selon le TARMED n'était pas "à bien plaire", mais devait respecter les critères de la loi y relative. S'en écarter constituait une violation de la loi et était illicite. Ainsi, le fait de facturer une visite sur place pour un patient qu'on n'était en réalité pas allé voir, ni à son domicile, ni au cabinet, ni à la Fondation B______, était illicite. A______ avait d'ailleurs indiqué à l'AMGe qu'il avait utilisé le code "visite" parce que le code de la prestation "en l'absence du patient" ne pouvait être utilisé que 30 fois par patient durant une période de trois mois: le système de facturation de la caisse des médecins bloquait ensuite automatiquement si ce code avait été utilisé plus de 30 fois par patient. Lorsque l'AMGe avait fait remarquer à A______ qu'il avait facturé des visites qu'il n'avait pas effectuées en réalité, ce dernier avait répondu que "tout travail mérite salaire".
A______ a contesté avoir menti. Il a toutefois admis que, vu le nombre de sollicitations qui lui étaient faites par la Fondation B______ pour des prestations "en l'absence du patient", il n'avait pas eu le choix d'utiliser un code différent, puisque le système MediOnline bloquait si le code "en l'absence du patient" était trop utilisé. En revanche, il n'avait jamais facturé quoi que ce soit sans n'avoir déployé d'activité du tout : il avait peut-être utilisé un code qui ne correspondait pas exactement à la prestation, mais pour les raisons déjà expliquées.
G______ a rappelé à cet égard que la limitation à 30 utilisations du code "prestation en l'absence du patient" pour trois mois avait précisément pour but d'éviter la surfacturation de la part des médecins.
A l'issue de l'audience, l'instruction de la cause a été déclarée close. Les parties ont renoncé à plaider oralement, de sorte qu'un délai leur a été fixé pour les plaidoiries finales écrites.
q. Dans ses plaidoiries finales du 12 septembre 2024, A______ a persisté dans les termes de sa demande. Il a souligné en particulier que, compte tenu des nombreuses sollicitations de la part de la Fondation B______, il s'était vu dans l'obligation d'utiliser un code de facturation ne correspondant pas nécessairement à la prestation fournie afin que le système MediOnline ne se bloque pas et qu'il puisse consigner et facturer les prestations fournies.
Dans ses plaidoiries finales du 16 septembre 2024, l'AMGe a également persisté dans les termes de sa réponse.
r. Les parties ont encore adressé des déterminations spontanées au Tribunal en date des 27 septembre 2024 pour l'AMGe, et du 3 octobre 2024 pour A______.
s. La cause a été gardée à juger à l'issue d'un délai de 10 jours suivant la transmission par le greffe des dernières écritures des parties.
t. Dans son jugement du 5 novembre 2024, le Tribunal a commencé par rappeler que le pouvoir de cognition du juge saisi sur la base de l'article 75 CC était restreint chaque fois que la loi ou les statuts réservaient un pouvoir d'appréciation à l'association, ou encore lorsqu'il s'agissait d'interpréter une notion juridique indéterminée, ce qui était le cas en l'espèce.
Il a ensuite relevé que A______ ne contestait pas les faits qui lui étaient principalement reprochés, à savoir le fait d'avoir facturé, via la plateforme MediOnline et selon le système de facturation TARMED, des prestations qui n'avaient pas réellement été exécutées. Le fait de devoir répondre à de nombreuses sollicitations de la Fondation B______ sans pouvoir, selon lui, intégralement les facturer ne l'autorisait toutefois pas à contourner – en toute connaissance de cause – le système de tarification de la FMH. D'autres solutions auraient pu s'offrir à lui, comme par exemple rediscuter de l'étendue de sa collaboration avec la Fondation, voire refuser tout ou partie d'une patientèle dont il estimait la prise en charge excessivement chronophage ou abandonner le mandat confié par la Fondation B______. Dans ce contexte, la suspension provisoire en qualité de membre de l'AMG durant trois ans ainsi qu'une amende représentant un dixième du montant maximal possible constituaient des sanctions minimales qui ne pouvaient en aucun cas être qualifiées de disproportionnées. Les sanctions prises ne pouvaient donc pas, en tant que telles, être considérées comme violant une disposition légale ou statutaire au sens de l'article 75 CC. A______ ne pouvait être suivi lorsqu'il soutenait que la suspension de l'AMGe de trois ans était disproportionnée en ce qu'elle portait une atteinte sévère à sa liberté économique, alors même qu'il s'agissait d'un droit protégé au niveau constitutionnel, selon l'article 27 Cst., puisqu'un médecin pouvait pratiquer sans être membre de la FMH, soit pour elle son association cantonale l'AMGe.
1. 1.1 Le jugement entrepris est une décision finale (art. 308 al. 1 let. a CPC) prise dans un litige portant sur l’annulation d’une décision d’une association.
L’action en annulation d’une décision d’une association est une action formatrice au sens de l’art. 87 CPC (Scherrer/Brägger, Basler Kommentar, ZGB I,
7ème éd., 2022, n. 28 ad art. 75 CC). Celle-ci doit être qualifiée de non pécuniaire, même si elle poursuit, du moins indirectement, de nombreux intérêts pécuniaires (Scherrer/Brägger, op. cit., n. 33 ad art. 75 CC; ATF 108 II 6 consid. 1;
arrêt du Tribunal fédéral 5A_10/2009 du 1er septembre 2009 consid. 1.1).
La voie de l'appel est donc ouverte (art. 308 al. 2 CPC a contrario).
1.2 L’appel a été interjeté dans le délai de trente jours et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CP), de sorte qu'il est recevable.
1.3 L'appelant a produit avec sa réplique un courrier daté du 14 février 2025.
1.3.1 Les parties ne peuvent présenter des faits et moyens nouveaux en appel que si les conditions strictes de l'art. 317 al. 1 CPC sont réunies (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1; 143 III 42 consid. 4.1). Cette disposition prévoit que les faits et moyens de preuve nouveaux sont admissibles en appel pour autant qu'ils soient invoqués ou produits sans retard (let. a) et qu'ils n'aient pas pu l'être en première instance, bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Ces conditions sont cumulatives.
1.3.2 En l'espèce, la pièce nouvelle a été produite par l'appelant sans retard, de sorte qu'elle est recevable. Cela étant, elle n'est pas déterminante pour l'issue du litige.
2. L'appelant soutient que le système TARMED ne lui permettait de facturer que
120 minutes par année pour effectuer toutes les "prestations en l'absence de patient", ce qui était insuffisant dans le cas de D______, de sorte qu'il avait été obligé d'utiliser le code "visite" pour éviter que le système MediOnline ne se bloque et ainsi lui permettre de facturer les prestations fournies. Il ne cherchait dès lors pas à contourner le système, mais à être payé pour le travail qu'il avait fourni. Il n'avait jamais facturé de prestation qu'il n'avait pas fournie. Le montant des prestations fournies, compris entre 121 fr. et 479 fr., d'un montant total de 5'050 fr., était par ailleurs raisonnable au vu des questions médicales à traiter. Il n'avait dès lors pas violé l'art. 14 du code de déontologie de la FMH. Il avait toujours agi avec soin et diligence envers ses patients. L'intimée se servait de ce cas pour mettre un terme à sa carrière. Aucune violation de l'art. 3 du code de déontologie ne pouvait ainsi être retenue.
2.1
2.1.1 A teneur de l'art. 75 CC, tout sociétaire est autorisé de par la loi à attaquer en justice, dans le mois à compter du jour où il en a eu connaissance, les décisions auxquelles il n'a pas adhéré et qui violent des dispositions légales ou statutaires.
L’action de l’art. 75 CC est soumise à la réalisation des conditions matérielles suivantes (Foëx/Benoit, Commentaire romand, CC I, 2ème éd., 2023, n. 10
ad art. 75 CC) :
- l’existence d’une décision de l’association;
- cette décision doit être définitive;
- cette décision doit consacrer une violation de la loi ou des statuts.
Lorsque le demandeur allègue que la décision entreprise consacre une violation des statuts, la règle statutaire sera interprétée selon le principe de la confiance (Foëx/Benoit, op. cit., n. 22 ad art. 75 CC).
Lorsque la loi ou les statuts attribuent à l’association un pouvoir d’appréciation dans la prise de décision, il n’y a violation de la loi ou des statuts qu'en cas d’erreur d’appréciation (abus du pouvoir d’appréciation, excès ou diminution du pouvoir d’appréciation), et non pas en cas d’inopportunité. Le pouvoir d’examen du juge est également limité lorsque des notions juridiques indéterminées sont interprétées par des organes de l’association (Scherrer/Brägger, op.cit., n. 12 ad art. 75 CC). Le sens et la limite de cette restriction sont toujours le maintien de l'autonomie des associations (Jakob, KUKO ZGB, 2ème éd., 2018, n. 3
ad art. 75 CC).
Le fardeau de la preuve d'une telle violation incombe au demandeur (art. 8CC; Foëx/Benoit, op. cit., n. 19 ad art. 75 CC).
Ni le délai prévu à l'art. 75 CC, ni le dépôt d'une requête en annulation d'une décision de l'association n'ont d'effet suspensif à l'égard de cette décision
(ATF 51 II 239; Scherrer/Brägger, op. cit., n. 31b ad art. 75 CC; Sprecher, Die Anfechtung von Vereinsbeschlüssen, 2015, p. 169). Le jugement admettant la demande produit un effet rétroactif, avec cette nuance toutefois que les effets produits dans l’intervalle par la décision associative sont maintenus (Foëx/Benoit, op. cit., n. 32 ad art. 75 CC).
2.1.2 Selon l'article 3 al. 1 du Code de déontologie de la FMH, le médecin exerce sa profession avec diligence et au plus près de sa conscience. Il se montre digne de la confiance de la personne qui le consulte et de la société. Pour ce faire, il répond à des exigences d’intégrité personnelle et de compétence professionnelle.
Les prétentions du médecin en matière d’honoraires doivent être raisonnables. Les tarifs officiels servent de base de calcul. Dans la mesure où ceux-ci l’y autorisent, le médecin peut prendre en considération les circonstances particulières du cas d’espèce, notamment la difficulté de l’acte médical, le temps consacré ou la situation économique du débiteur des honoraires. Les patients ont droit à une note d’honoraires clairement établie (art. 14 Code de déontologie FMH).
2.2 En l’espèce, seule est litigieuse la réalisation de la troisième condition d’application de l’art. 75 CC, à savoir celle de la violation de la loi ou des statuts par la décision contestée.
L'appelant admet qu'il a volontairement facturé des prestations en utilisant un code de facturation qui est inexact. Il justifie sa manière de procéder par le fait que le temps nécessaire octroyé par le tarif pour réaliser des "prestations en l'absence du patient" était insuffisant. Cela étant, l'appelant ne peut adapter à sa guise le tarif applicable, qu'il considère inapproprié car ne lui procurant pas une rémunération "convenable", selon lui, et facturer des prestations que ledit tarif ne l'autorisait pas à facturer, compte tenu d'une limite sciemment introduite dans le tarif. Il soutient que des prestations étaient requises de sa part qu'il ne pouvait pas facturer, ce qui est possible mais pas déterminant, étant par ailleurs relevé qu'il il n'a pas allégué qu'il en aurait informé la Fondation B______ ou qu'il n'aurait pas eu la possibilité de se conformer au tarif dont il ne conteste pas qu'il lui était applicable.
L'appelant ne peut par ailleurs se prévaloir du fait qu'il n'a facturé que des prestations effectivement fournies, que les montants facturés n'étaient pas excessifs, qu'il a toujours fait preuve de professionnalisme ou qu'il n'a commis aucune erreur médicale puisqu'il ne lui est pas reproché que tel ne serait pas le cas.
Enfin, l'affirmation de l'appelant selon laquelle l'intimée aurait "clairement une volonté non dissimulée" de mettre un terme à sa carrière n'est étayée d'aucune manière.
En définitive, compte tenu de l'importance de la question de la facturation des prestations médicales et des coûts de la santé, l'appréciation de la Commission de déontologie qui a considéré que, par son comportement, l'appelant avait violé les art. 14 et 3 du Code de déontologie de la FMH et l'a sanctionné par une suspension de la qualité de membre de l'intimée pour une durée de trois ans ainsi qu'une amende 5'000 fr. ne consacre aucun abus du pouvoir d'appréciation dont disposait la Commission précitée. La décision du 6 octobre 2022 ne consacre aucune violation de la loi ou des statuts sur les points sur lesquels elle confirme la décision du 8 octobre 2020 et elle ne saurait donc être annulée pour ce motif.
3. L’appelant soutient que l'art. 27 Cst a été violé puisque son exclusion de la FMH l'entravait dans l'exercice de sa profession à divers égards. Il ne pouvait bénéficier des divers prestations offertes résultant de la qualité de membre de la FMH et le fait de ne pas pouvoir utiliser le logo de cette dernière créait une perte de crédibilité vis-à-vis de la patientèle et des assurances. Sa suspension mettait en péril la pérennité de son cabinet.
3.1 Selon l'art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du
18 avril 1999 (RS 101), la liberté économique est garantie (al. 1); elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2).
L'application – sinon immédiate, du moins indirecte – des règles constitutionnelles aux relations entre les particuliers n'est pas exclue, s'agissant notamment de l'interprétation des clauses générales et des notions juridiques indéterminées du droit privé (ATF 111 II 245 consid. 4b et les références). La reconnaissance de cet effet "horizontal" des droits fondamentaux n'empêche cependant pas que les rapports entre particuliers relèvent directement des seules lois civiles et pénales. C'est donc par celles-ci que l'individu est protégé contre les atteintes que d'autres sujets de droit privé pourraient porter à ses droits constitutionnels (ATF 143 I 217 consid. 5.2).
3.2 Le recourant ne saurait dès lors se prévaloir directement, dans une cause relevant du droit des associations, de la garantie constitutionnelle de la liberté économique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5D_172/2016 du 4 avril 2017,
consid. 5.2 et les références citées). En tout état de cause, l'appelant ne conteste pas le jugement attaqué en tant qu'il a retenu qu'un médecin peut pratiquer sans être membre de la FMH, soit pour elle son association cantonale. Il se plaint par ailleurs de ne plus pouvoir bénéficier de divers avantages et prestations découlant de la qualité de membre de la FMH qu'il mentionne, mais il n'explique pas pourquoi le fait de ne pas pouvoir en bénéficier constituerait une entrave inadmissible à l'exercice de sa profession.
4. Au vu de l’issue du litige, l'appelant, qui succombe, sera condamné aux frais de la procédure d'appel (art. 106 al. 1 CPC).
Les frais judicaires seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 18 et 35 RTFMC) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'État de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
L'appelant sera par ailleurs condamné à verser à l'intimée un montant de 1'800 fr. à titre de dépens d'appel, débours et TVA compris (art. 20, 23, 25 et 26 LaCC;
art. 84, 86 et 90 RTFMC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/13841/2024 rendu le 5 novembre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22254/2022.
Au fond :
Confirme ce jugement.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.
Condamne A______ à verser 1'800 fr. à l'ASSOCIATION DES MEDECINS DU CANTON DE GENEVE à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.
Le président : Laurent RIEBEN |
| La greffière : Sandra CARRIER |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.