Décisions | Chambre civile
ACJC/520/2025 du 15.04.2025 sur JTPI/10308/2022 ( OO )
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/1740/2018 ACJC/520/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 15 AVRIL 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par la 12ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 5 septembre 2022, représenté par Me Nicolas GENOUD, avocat, Budin & Associés, rue De-Candolle 17, case postale 166, 1211 Genève 12,
et
Monsieur B______, domicilié ______, Grande-Bretagne, intimé, représenté par
Me Nicolas BEGUIN, avocat, Aegis Partners Sàrl, rue du Général-Dufour 20, case postale, 1211 Genève 4.
A. Par jugement JTPI/10308/2022 du 5 septembre 2022, reçu par A______ le 9 du même mois, le Tribunal de première instance a condamné le précité, qui plaidait au bénéfice de l'assistance judiciaire, à verser à B______ les sommes de 1'680'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 15 juillet 2017 (ch. 1 du dispositif) et 2'266'675.75 EUR avec intérêts à 5% dès le 24 novembre 2017 (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 65'200 fr., les a compensés avec l'avance fournie par B______ et les a mis à la charge de A______, qui a été condamné en conséquence à verser ce montant à B______ (ch. 3), condamné A______ à verser à B______ un montant de 68'000 fr. à titre de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 5).
B. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 10 octobre 2022, A______ a formé appel contre ce jugement, dont il sollicite l'annulation.
Préalablement, il a demandé la suspension de la procédure dans l'attente de la décision finale dans la procédure arbitrale intentée devant le C______ Arbitration Centre (n° 1______/2022). Au fond, il a conclu, en substance, avec suite de frais et dépens, à l'annulation du jugement attaqué et au renvoi de la cause au Tribunal pour qu'il reprenne la procédure et procède à l'instruction de l'entier des faits de la cause, y compris des faits dont il s'était prévalu en soulevant une objection de compensation pour contester l'existence des créances invoquées par B______ à l'appui de sa demande.
Subsidiairement, il a requis le renvoi de la cause en première instance, afin que le Tribunal suspende la procédure dans l'attente de l'issue de la procédure arbitrale ou fasse dépendre la force exécutoire de son jugement de la décision finale qui sera rendue dans la procédure d'arbitrage pendante entre les parties.
b. La requête de A______ tendant à l'obtention de l'assistance judiciaire pour la procédure d'appel susvisée a été rejetée, par décision du 4 octobre 2022 de la vice-présidente du Tribunal de première instance, confirmée par décision de la vice-présidence de la Cour du 6 janvier 2023.
A______ ayant contesté cette décision devant le Tribunal fédéral, la procédure au fond a été suspendue dans l'attente de l'issue de ce recours.
Par arrêt 4A_86/2023 du 20 février 2024, le Tribunal fédéral a annulé la décision susvisée du 6 janvier 2023 et mis A______ au bénéfice de l'assistance judiciaire pour la présente procédure d'appel.
c. Dans sa réponse à l'appel au fond, B______ a conclu à l'irrecevabilité des allégués n° 1 à 97 figurant aux pages 5 à 20 de l'acte d'appel, des pièces n° 62 et 63 produites en seconde instance et des conclusions subsidiaires prises par A______ dans son appel en vue du renvoi de la cause en première instance pour suspension de la procédure ou suspension de la force exécutoire du jugement dans l'attente de la décision qui sera rendue dans la procédure d'arbitrage.
B______ a par ailleurs notamment conclu au rejet de la requête de suspension de la procédure, au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement attaqué, avec suite de frais et dépens. Subsidiairement, sur les frais, il a conclu à ce que l'Etat de Genève soit condamné aux frais judiciaires qui n'étaient pas imputables à lui-même ou sa partie adverse, en application de l'art. 107 al. 2 CPC.
Dans ses écritures, il a notamment soulevé une exception de litispendance, vu la procédure arbitrale initiée par sa partie adverse en ce qui concerne les créances invoquées en compensation.
Par arrêt du 31 mai 2024, la Cour a rejeté la requête de B______ tendant au retrait de l'effet suspensif à l'appel formé par A______ contre les chiffres 1 et 2 du dispositif du jugement attaqué et à ce que soit autorisée l'exécution anticipée desdits chiffres. Il a été dit qu'il serait statué sur les frais liés à cette décision dans l'arrêt rendu sur le fond.
d. Par acte du 16 mai 2024, A______ a requis la limitation de la présente procédure à la question de la suspension en attente d'une décision arbitrale. Il a demandé qu'un délai d'un mois lui soit imparti pour se prononcer sur cette question et que son délai pour répliquer sur les autres questions soit reporté sine die.
B______ a conclu au rejet de cette requête.
e. Par acte du 12 juin 2024, A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions d'appel.
f. B______ a dupliqué, persistant dans ses conclusions. Il a relevé que la requête de sa partie adverse visant à la limitation de la présente procédure à la question d'une éventuelle suspension était sans objet, puisqu'elle avait d'ores et déjà répliqué sur l'ensemble des questions litigieuses.
g. Les parties se sont encore déterminées spontanément par acte du 2 septembre de A______ et par acte du 9 septembre 2024 de B______.
h. Les parties ont toutes deux déposé des pièces nouvelles à l'appui de leurs écritures de seconde instance.
i. Par avis du greffe de la Cour expédié le 26 septembre 2024, les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger.
j. Dans une dernière détermination du 27 septembre 2024, A______, a fait valoir des éléments nouveaux relatifs à la procédure d'arbitrage (cf. let. D. e ci-dessous).
B______ n'a pas réagi à cette missive.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. D______ SA en liquidation, dont la raison sociale était E______ SA jusqu'au 31 mars 2010, puis F______ SA jusqu'au 14 mai 2010 (ci-après D______ SA) avait pour but la fourniture de services et conseils financiers.
b. A______ et B______ étaient actionnaires de D______ SA. Ils ont conclu le 7 novembre 2007 une convention d'actionnaires comportant notamment une clause relative à l'engagement de chaque associé de prendre à sa charge une part proportionnelle au financement nécessaire à la société.
La convention comportait une clause compromissoire dont la teneur était la suivante :
"La présente convention est soumise au droit suisse.
Tout litige survenant au sujet du présent contrat ou en rapport avec lui sera tranché définitivement par un arbitre unique selon le règlement d'arbitrage de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Genève. L'arbitre aura compétence pour ordonner des mesures provisionnelles ainsi qu'en cas d'urgence, toutes mesures permettant d'assurer le respect de la présente convention. En cas de blocage de décisions sociales l'arbitre pourra par voie provisionnelle prendre toutes mesures permettant d'assurer la continuation des affaires, telles que nomination d'un administrateur spécial chargé de mener les affaires courantes."
c. Dans le courant du mois de juin 2016, A______ a demandé à B______ d'émettre une garantie bancaire en sa faveur destinée à couvrir ses engagements vis-à-vis de [la banque] G______.
B______ a accepté.
d. Le 30 juin 2016, [la banque] H______, auprès de laquelle B______ avait un compte, a émis une garantie indépendante à première demande en faveur de G______ pour un montant maximum de 2'500'000 EUR couvrant les engagements de A______ vis-à-vis de G______.
H______ disposait d'une créance récursoire contre B______ qui était garantie par les avoirs en compte de ce dernier dans l'hypothèse d'un appel de garantie par G______.
e. Le 7 décembre 2016, B______ et A______ ont conclu un contrat de prêt aux termes duquel B______ accordait à A______ un crédit d'un montant de 2'750'000 fr., montant qui a été versé à celui-ci le même jour. Le prêt devait être remboursé le 31 janvier 2017.
f. Selon un avenant du 6 février 2017, A______ devait rembourser une première tranche de 1'070'000 fr. le 15 février 2017 et une seconde tranche de 1'680'000 fr. le 15 juillet 2017. L'intéressé a acquitté la première tranche le 13 février 2017, mais n'a jamais versé la seconde tranche.
g. Le 22 juin 2017, G______ a fait appel à la garantie émise par H______ à concurrence de 2'266'675.75 EUR, A______ n'ayant pas honoré ses obligations envers la banque.
h. Le 27 juin 2017, A______ a informé B______ que la garantie bancaire avait été appelée par G______ et lui a assuré que le montant de la garantie lui serait remboursé au 7 juillet 2017.
i. Le 28 juin 2017 H______ a débité le compte de B______ de 2'266'675.75 EUR.
j. Par courriers du 24 novembre 2017 et du 13 décembre 2017, le conseil de B______ a mis en demeure A______ de s'acquitter du remboursement de la garantie appelée, à savoir 2'266'675.75 EUR et du remboursement de la deuxième tranche du prêt de 1'680'000 fr., avec suite d'intérêts.
k. Par courrier du 11 janvier 2018, A______ a contesté les prétentions de B______ et s'est prévalu de leur compensation avec des dettes de celui-ci envers lui-même au titre de sa participation aux charges de D______ SA.
l. Par demande du 15 janvier 2018, déclarée non conciliée le 11 juin 2018 et introduite devant le Tribunal le 1er octobre 2018, B______ a conclu à ce que A______ soit condamné à lui payer 2'266'675.75 EUR avec intérêts à 5% dès le 29 juin 2017 et 1'680'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 7 décembre 2016.
Il a notamment allégué que les parties avaient convenu que, dans l'éventualité où la garantie bancaire serait appelée, A______ rembourserait immédiatement les frais occasionnés à B______. Il a offert, à titre de preuve, l'interrogatoire des parties.
Il a également allégué que le 27 juin 2017, A______ avait assuré à B______ que le montant de la garantie lui serait remboursé le 7 juillet 2017 ("La somme te sera remboursée en date d'opération du 7 juillet sur ton compte H______ Londres").
m. Par mémoire de réponse et demande reconventionnelle du 15 février 2019, A______ a conclu sur le fond à ce que B______ soit débouté de toutes ses conclusions et condamné à lui payer 1'603'936 fr. 69 avec intérêts à 5% depuis le 1er mars 2019 au titre d'une participation aux charges de D______ SA.
A______ a admis la mise en place et l'exécution de la garantie bancaire; il a contesté l'allégué de la demande selon lequel les parties avaient convenu d'un remboursement dans l'hypothèse où la garantie était appelée. En revanche, il a admis la teneur de son courriel du 27 juin 2017. Il a de son côté allégué que la garantie avait été mise en place par B______ "à raison de ses propres engagements envers [A______]".
Il a également admis la conclusion du contrat de prêt du 7 décembre 2017 et de l'avenant du 6 février 2017, ainsi que le remboursement intervenu le 13 février 2017. Il a allégué que les parties avaient convenu de renoncer au remboursement du prêt "dans la mesure où [B______] était débiteur de [A______]" et que les documents contractuels avaient été établis à des fins de documentation pour la banque de B______.
Enfin, A______ a allégué que les avances de B______ avaient été compensées par ses dettes envers lui.
n. Par mémoire du 18 avril 2019, B______ a excipé de l'incompétence du Tribunal pour statuer sur la demande reconventionnelle, celle-ci étant soumise à la compétence d'un Tribunal arbitral en vertu de la clause contenue dans la convention d'actionnaires du 7 novembre 2007. Il a en outre demandé que la procédure soit limitée à cette question.
o. Dans ses observations du 3 juin 2019 A______ a indiqué que même si le Tribunal devait arriver à la conclusion que la demande reconventionnelle devrait être soumise à l'arbitrage, la procédure allait devoir porter sur l'existence et le montant de la dette de B______ envers A______ en tout cas à hauteur du montant invoqué de sa propre créance.
p. Par ordonnance du 18 juin 2019, le Tribunal a limité la procédure à la question de sa compétence pour statuer sur la demande reconventionnelle.
q. Dans sa réponse limitée à la question de l'exception d'arbitrage du 20 août 2019, B______ a notamment conclu à ce que A______ soit débouté de toutes les conclusions prises dans sa demande reconventionnelle du 15 février 2019.
r. Dans sa réponse limitée à la question de l'arbitrabilité des prétentions reconventionnelles du 14 octobre 2019, A______ a admis que "les prétentions reconventionnelles et la compétence pour en juger soient soumises à un tribunal arbitral nommé selon la convention d'actionnaires."
s. À l'audience de débats d'instruction tenue devant le Tribunal le 13 décembre 2019, B______ a indiqué que le retrait de la demande reconventionnelle du fait de la clause arbitrale emportait pour lui le retrait de tous les allégués concernant la compensation figurant dans la réponse du 15 février 2019, de sorte que le litige portait uniquement sur les créances qu'il faisait lui-même valoir. Pour sa part, A______ a indiqué qu'il faisait valoir des montants en compensation des créances réclamées par B______ et que ce n'était que pour les montants excédant la compensation qu'il lui appartenait de saisir un tribunal arbitral. Sur ce, B______ a requis du Tribunal un nouvel échange d'écritures pour se déterminer sur les allégués de la réponse du 15 février 2019 dans l'hypothèse où le Tribunal examinerait la compensation.
t. À la suite d'une audience de débats d'instruction du 28 août 2020, le Tribunal a gardé la cause à juger sur la question de sa compétence pour connaître de la créance opposée en compensation par A______.
u. Par jugement JTPI/15542/2020 du 14 décembre 2020, le Tribunal a condamné A______ à verser à B______ les sommes de 2'266'675.75 EUR et de 1'680'000 fr., intérêts en sus.
Le Tribunal a retenu que A______ avait admis être le débiteur de B______ à hauteur de 2'266'675.75 EUR, au titre du remboursement de la garantie bancaire appelée par G______, et de 1'680'000 fr. au titre du remboursement de la seconde tranche du prêt. Il a notamment déclaré l'objection de compensation irrecevable, car la créance invoquée en compensation par le défendeur devait être soumise à un tribunal arbitral.
v. Statuant par arrêt ACJC/1184/2021 du 14 septembre 2021 sur l'appel formé par A______, la Cour a annulé ce jugement et renvoyé la cause au Tribunal. En substance, elle a retenu une violation du droit d'être entendu des parties, dans la mesure où le Tribunal avait rendu un jugement sur l'ensemble des prétentions alors qu'il n'avait gardé la cause à juger que sur la question de sa compétence pour connaître de la créance opposée en compensation et où les parties n'avaient renoncé ni à la tenue de débats concernant les prétentions du demandeur ni à l'administration des preuves.
La Cour a notamment retenu qu'il ne se justifiait pas de s'écarter de la jurisprudence fédérale selon laquelle le tribunal saisi de l'action principale ne pouvait pas statuer sur une prétention invoquée en compensation par le défendeur si celle-ci était soumise à une clause compromissoire. Le cas échéant, le tribunal devait soit suspendre la procédure jusqu'à ce qu'un tribunal ait statué sur la créance compensante, soit suspendre jusqu'à ce moment le caractère exécutoire de son jugement. La Cour a précisé que dans la mesure où la cause était renvoyée au Tribunal, il n'y avait pas lieu de s'interroger, à ce stade, sur une éventuelle suspension de la procédure ou une suspension du caractère exécutoire du jugement, aucune procédure d'arbitrage n'étant alors pendante.
Le recours formé au Tribunal fédéral par A______ contre cet arrêt a été déclaré irrecevable, dans la mesure où celui-ci ne constituait pas une décision finale (arrêt du Tribunal fédéral 4A_550/2021 du 7 janvier 2022).
D. a. A réception de l'arrêt de renvoi, le Tribunal a repris la procédure.
b. Le Tribunal a tenu une audience de débats d'instruction le 8 avril 2022 et a entendu les parties lors de l'audience du 3 juin 2022.
Au début de l'audience du 3 juin 2022, A______ a informé le Tribunal qu'il avait introduit une procédure d'arbitrage la veille. Il a produit à cet égard un document attestant de l'introduction, le 2 juin 2022, d'une "notification d'arbitrage" auprès du C______ Arbitration Centre en lien avec les prétentions qu'il faisait valoir sur la base de la convention d'actionnaires du 7 novembre 2007. Il a dès lors demandé au Tribunal de suspendre la procédure.
Les parties ont ensuite été interrogées sur les circonstances entourant le contrat de prêt du 7 décembre 2016 et l'appel de G______ à la garantie émise par H______ à concurrence de 2'266'675.75 EUR.
Au terme de l'audience du 3 juin 2022, le Tribunal a écarté des questions du conseil de A______ portant sur des tableaux d'allocations des profits concernant la société D______ SA, dans la mesure où il n'avait pas la compétence pour statuer sur les litiges en lien avec la convention d'actionnaires du 7 novembre 2007, que ce soit pour examiner une demande reconventionnelle de A______, une éventuelle exception de compensation ou l'existence du principe d'une dette de B______ en faveur de A______ au titre de ladite convention d'actionnaires. Considérant ensuite qu'il avait désormais instruit la cause conformément à l'arrêt de renvoi de la Cour du 14 septembre 2021, le Tribunal a ordonné la clôture des débats principaux et agendé une audience de plaidoiries finales.
c. Lors de l'audience du 24 juin 2022, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives. La cause a ensuite été gardée à juger.
d. Aux termes du jugement entrepris, le Tribunal a retenu que, comme cela avait été confirmé par l'arrêt de renvoi de la Cour, il ne pouvait pas entrer en matière sur les prétentions de A______ découlant de la convention d'actionnaires, dans la mesure où celles-ci étaient soumises à la compétence du tribunal arbitral. À titre subsidiaire, le premier juge a ajouté que, même prima facie, l'argumentation de A______ n'était "pas crédible", dans la mesure (1) où la convention d'actionnaires ne fixait pas de règle sur le partage des charges de la société D______ SA entre les associés, (2) où aucune pièce n'attestait que le précité avait, aux moments du versement du prêt et de l'appel à la garantie, fourni des avances à B______ à hauteur de 2'750'000 fr. ou de 2'266'675.75 EUR, et (3) où aucun document de la procédure n'attestait que A______ était redevable envers B______ du montant dont il avait prétendu s'être acquitté en raison de la répartition des charges de la société D______ SA.
Pour terminer, le Tribunal a estimé qu'il n'y avait pas lieu de suspendre la procédure en raison de la procédure arbitrale en cours, car cela s'opposait clairement au principe général de célérité de la procédure et que A______ pouvait faire valoir l'entier de ses prétentions fondées sur la convention d'actionnaires dans la procédure arbitrale, de sorte qu'il n'était pas prétérité dans ses droits.
E. a. Dans la procédure d'arbitrage menée devant le C______ Arbitration Centre parallèlement à la procédure instruite devant le Tribunal, A______ a fait valoir des prétentions contre B______ sur la base de la convention d'actionnaires du 7 novembre 2007 et des accords subséquents (affaire n° 1______/2022).
Dans sa demande d'arbitrage, A______ a notamment conclu à ce que le Tribunal arbitral constate les créances dont il dispose à l'encontre de B______ à titre de participation aux charges de D______ SA pour les années 2009 à 2020, constate qu'une partie de ces créances pouvait être compensée, respectivement avait été réglée ou compensée avec les prétentions en remboursement formulées par B______ à titre de remboursement du solde du prêt du 7 décembre 2016 (1'680'000 fr.) et en remboursement de l'appel de garantie du 29 juin 2017 (2'434'869 fr., contrevaleur de 2'226'675 EUR au taux de 1 EUR = 1.0935 CHF), constate que B______ n'avait pas de créance en paiement des montants précités envers lui puisqu'elles étaient éteintes depuis le 31 décembre 2014, respectivement le 29 décembre 2015, et constate que les prétentions de B______ résultant du jugement JTPI/10308/2022 du 5 septembre 2022 avaient été intégralement compensées. Cela fait, il a conclu à ce que le Tribunal arbitral condamne B______ à lui verser la somme totale de 3'603'034 fr. avec intérêts, pour les exercices 2016 à 2020.
b. Dans sa réponse déposée le 24 février 2023 devant le Tribunal arbitral, B______ a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions. Sur demande reconventionnelle, il a conclu à ce que A______ soit condamné à lui payer 3'149'608 fr. plus intérêts à titre de remboursement de deux prêts accordés sous forme de cessions de créances en compte courant effectuées en sa faveur en rapport avec les exercices statutaires 2014 et 2015
c. Il résulte d'une ordonnance de procédure du 9 novembre 2022 que les écritures, communications, sentences, ordonnances ainsi que tous documents soumis par les parties dans le cadre de la procédure arbitrale sont en principe confidentiels. Cela étant, il a été prévu que les parties étaient autorisées à "mentionner l'existence de la [procédure arbitrale] et faire état de son objet et de son avancement dans d'autres procédures judiciaires lorsque cela est nécessaire à préserver leurs droits (litispendance, objections ou exceptions, demande d'autorisation de contacter un témoin, etc.) et produire des documents propres à faire la démonstration de l'existence de cette procédure".
d. Par souci d'efficacité et de célérité, l'arbitre unique et les parties ont décidé, le 21 novembre 2023, de scinder la procédure en deux phases (bifurcation), afin que certaines questions de principes soient tranchées à titre préalable.
L'arbitre unique allait dès lors se prononcer en premier lieu sur le principe des questions litigieuses (concernant tant la demande principale, que la demande reconventionnelle et le principe d'une éventuelle compensation). Suivant l'issue de cette première phase, l'arbitre se prononcerait sur les aspects quantitatifs.
Il était précisé que les décisions qui seraient prises par l'arbitre à l'issue de la première phase ne seraient exécutoires qu'au moment où cela serait expressément décidé par lui, avec pour conséquence qu'aucune utilisation du dispositif de sa sentence rendue à ce moment-là ne pourrait être faite par les parties à un titre quelconque, hormis dans la mesure nécessaire à préserver leurs droits, notamment en vue de soutenir la suspension d'autres procédures dont le résultat ou l'évolution dépendrait de la procédure arbitrale. Le cas échéant, les parties avaient l'obligation de mentionner sans ambiguïté que la sentence n'était pas exécutoire.
e. Selon les allégués de A______, l'arbitre aurait rendu une sentence partielle le 20 septembre 2024, portant sur le principe de la responsabilité de B______ envers lui. Au vu des règles de confidentialité régissant ladite procédure arbitrale, il n'avait cependant pas été en mesure de produire une copie de cette décision, qui était au demeurant non exécutoire, dans la mesure où elle précédait une seconde phase d'arbitrage, qui devait porter sur la quotité de ses prétentions à l'égard de B______.
1. 1.1 Interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 ainsi que 311 al. 1 CPC) à l'encontre d'une décision finale de première instance, qui statue sur des conclusions pécuniaires dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est supérieure à 10'000 fr. (art. 91 ss et 308 al. 2 CPC), l'appel est recevable.
Sont par ailleurs recevables les réponses (art. 314 al. 1 CPC) ainsi que les écritures subséquentes et spontanées des parties, déposées conformément au droit inconditionnel de réplique (ATF 146 III 97 consid. 3.4.1).
1.2 La Cour dispose d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC), dans la limite des griefs qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4 et les références citées).
2. Les parties ont déposé des pièces nouvelles et invoqué des faits nouveaux.
2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).
A partir du début des délibérations, les parties ne peuvent plus introduire de nova, même si les conditions de l'art. 317 al. 1 CPC sont réunies. La phase des délibérations débute dès la clôture des débats, s'il y en a eu, respectivement dès que l'autorité d'appel a communiqué aux parties que la cause a été gardée à juger (ATF 142 III 413 consid. 2.2.3 à 2.2.6; arrêts du Tribunal fédéral 5A_524/2017 du 9 octobre 2017 consid. 4.1 et 5A_456/2016 du 28 octobre 2016 consid. 4.1.2).
2.2 En l'espèce, les pièces n° 62 et 63 produites par l'appelant ne sont pas nouvelles, puisqu'elles figurent d'ores et déjà au dossier de première instance.
Les autres documents versés à la procédure par les parties sont recevables, de même que les faits qui s'y rapportent, puisqu'ils sont postérieurs à la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger.
Les faits résultants des écritures de l'appelant du 27 septembre 2024 sont également recevables, puisqu'ils ont été apportés au procès avant que le précité ait, selon toute vraisemblance, reçu la communication selon laquelle la cause était gardée à juger par la Cour.
3. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir refusé de traiter son objection de compensation. Il fait valoir que lorsqu'un tribunal étatique est saisi d'une telle objection, il doit examiner les créances compensantes invoquées, quand bien même elles sont visées par une clause compromissoire. L'appelant fait également grief au premier juge d'avoir considéré qu'il n'y avait pas lieu de suspendre la procédure dans l'attente de l'issue de la procédure arbitrale.
3.1.1 Il est généralement admis que l'autorité inférieure à laquelle la cause est renvoyée se trouve liée par les considérants de droit émis par l'autorité supérieure. Ce principe, qui découle logiquement de la hiérarchie des juridictions, s'applique en cas de renvoi prononcé sur appel ou sur recours (ATF 140 III 466 consid. 4.2). Cela signifie que l'autorité inférieure doit limiter son examen aux points sur lesquels sa première décision a été annulée et que, pour autant que cela implique qu'elle revienne sur d'autres points, elle doit se conformer au raisonnement juridique de l'arrêt de renvoi (ATF 143 IV 214 consid. 5.2.1; 135 III 334 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_279/2018 du 8 mars 2019 consid. 3).
La cognition du juge se voit ainsi limitée par les motifs de l'arrêt de renvoi, en ce sens qu'il est lié par ce qui a été tranché définitivement par l'autorité supérieure (ATF 133 III 201 consid. 4.2 et 131 III 91 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_94/2018 du 16 juillet 2018 consid. 2.2).
De même, lorsqu'un recours - ou un appel - est interjeté contre une décision rendue à la suite d'un arrêt de renvoi, l'autorité de recours ne revoit pas les questions de droit qu'elle a elle-même définitivement tranchées dans l'arrêt de renvoi. Ce principe découle de la constatation que la juridiction supérieure n'est pas une autorité de recours de ses propres décisions (ATF 140 III 466 consid. 4.2.1; 125 III 443 consid. 3a; 125 III 421 consid. 2a).
3.1.2 En l'espèce, dans les considérants en droit de son arrêt de renvoi du 14 septembre 2021, la Cour a retenu – au terme notamment d'une interprétation systématique et historique des dispositions topiques applicables – qu'il n'y avait pas lieu de s'écarter de la jurisprudence selon laquelle le tribunal saisi de l'action principale ne pouvait pas statuer sur une prétention invoquée en compensation par le défendeur si celle-ci était soumise à une clause compromissoire. La Cour a précisé que, "le cas échéant, le tribunal [devait] soit suspendre la procédure jusqu'à ce qu'un tribunal ait statué sur la créance compensante, soit suspendre jusqu'à ce moment le caractère exécutoire de son jugement" (cf. consid. 3.1 in fine de l'arrêt de la Cour du 14 septembre 2021).
Au regard de la motivation précitée, le Tribunal, qui était lié sur ce point, a retenu à juste titre que l'objection de compensation formée par l'appelant était irrecevable du fait que les prétentions invoquées en compensation étaient soumises à une clause arbitrale.
Malgré cela, le premier juge a néanmoins consacré de longs développements à une analyse prima facie des éléments avancés par l'appelant à l'appui des prétentions précitées, pour conclure que celles-ci n'apparaissaient pas crédibles. Or, le Tribunal n'était pas autorisé à se prononcer, à titre subsidiaire, sur le bien-fondé de la créance compensante, qui ne relevait pas de sa compétence, comme retenu dans l'arrêt de renvoi.
Dans la mesure où le Tribunal a été informé du fait qu'une procédure arbitrale avait été initiée par l'appelant pour faire valoir la créance opposée en compensation dans la présente procédure, cette autorité aurait dû suspendre la présente procédure dans l'attente de la sentence arbitrale, conformément aux développements figurant au consid. 3.1 de l'arrêt de renvoi.
Une suspension de la présente procédure dans l'attente de l'issue de la procédure arbitrale se justifie d'autant plus que, même dans la situation où une objection de compensation ne peut pas être formellement prise en compte dans un procès (par exemple parce qu'elle n'aurait pas été introduite à temps), une simple déclaration de compensation – telle que formulée par l'appelant avant le procès (cf. partie EN FAIT, let. C.k) – peut néanmoins conduire à l’extinction de la créance, conformément à l'art. 124 al. 2 CO (Jeandin/Hulliger, op. cit., n. 5c ad art. 124 CO). Pour le surplus, l'appelant a également invoqué la compensation d'une partie des créances qu'il a invoquées devant le tribunal arbitral avec celles de l'intimé qui font l'objet du jugement présentement querellé.
A noter que d'après la jurisprudence, l’exception de compensation n’est pas frappée par la litispendance de l'art. 62 CPC, avec pour conséquence notamment qu’une même créance compensante peut être invoquée simultanément dans deux procès (ATF 142 III 626 consid. 8.4; Jeandin/Hulliger, CR CO I, n. 5a ad art. 124 CO). Le Tribunal fédéral considère cependant que pour des raisons d’économie de procédure et afin d’éviter que plusieurs tribunaux ne se prononcent sur la validité de la compensation, il faut coordonner les différentes procédures en recourant par exemple à une suspension de procédure (art. 126 al. 1 CPC; Tercier/Pichonnaz, Le droit des obligations, 7e éd., 2024, p. 406).
Au regard de ce qui précède, l'intérêt à éviter des décisions contradictoires l'emporte sur l'exigence de célérité, étant relevé que rien ne permet de retenir que la procédure d'arbitrage ne sera pas terminée dans un délai raisonnable.
Par conséquent, il y a lieu de suspendre la présente procédure d'appel jusqu'à droit connu sur les prétentions formulées par l'appelant devant le C______ Arbitration Centre (cause n° 1______/2022).
4. Les frais de la présente décision seront renvoyés à la décision au fond (art. 104 al. 3 CPC).
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La Chambre civile :
Ordonne la suspension de la procédure C/1740/2018.
Dit qu'elle sera reprise à la requête de la partie la plus diligente, une fois qu'une sentence arbitrale finale aura été rendue dans la cause n° 1______/2022 en cours devant le C______ Arbitration Centre.
Dit que les frais de la présente décision sont renvoyés à la décision au fond.
Siégeant :
Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Sophie MARTINEZ, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.