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Décisions | Chambre civile

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C/29143/2024

ACJC/1616/2024 du 16.12.2024 ( IUS ) , REJETE

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/29143/2024 ACJC/1616/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 16 DECEMBRE 2024

 

Entre

A______ SÀRL, sise ______ [GE], requérante sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles du 12 décembre 2024, représentée par Me Alain ALBERINI, avocat, Walder Wyss SA, rue du Rhône 14, case postale, 1211 Genève 3,

et

1) Madame B______, domiciliée ______, France, citée,

2) Madame C______, domiciliée ______, France, autre citée,

3) D______ SÀRL, sise c/o E______ SA, ______ [GE], autre citée.

 


Considérant, EN FAIT, que A______ SÀRL est une société inscrite au Registre du commerce de Genève dont le but est d'offrir tous types de services et prestations en matière de courtage en assurance et des conseils dans les domaines de la prévoyance sociale et de la planification financière, notamment;

Que C______ et B______ ont été engagées par A______ SÀRL en qualité de téléphoniste/call center pour la première, réceptionniste pour la seconde, en août 2022. Le contrat de la première a été résilié pour le 30 juin 2024, la seconde a quitté l'entreprise à la même date;

Que D______ SÀRL est une société sise à Genève, inscrite au Registre du commerce le ______ 2024, dont le but social est le conseil notamment dans les domaines fiscal et social, ainsi que tous services y relatifs à destination des entreprises et des particuliers; le conseil dans le domaine patrimonial, notamment;

Que C______ en est l'associée gérante;

Que le contrat de travail comporte une disposition intitulée "secret professionnel" selon laquelle l'employée est tenue d'observer l'entière discrétion sur les faits dont elle aura connaissance dans l'exercice de ses fonctions, cet engagement subsistant même après la fin des rapports de travail (art.7);

Que le contrat de travail ne prévoit aucune clause de non concurrence;

Que le 12 décembre 2024, A______ SÀRL a formé devant la Cour de justice une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles tendant à ce qu'il soit interdit à C______, B______ et D______ SÀRL de conserver, reproduire, trahir (sic), révéler, divulguer, utiliser/ exploiter, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers, tout secret d'affaire, information confidentielle et document confidentiel appartenant à et/ou révélé à elle dans le cadre de son activité pour la requérante, respectivement appartenant à la requérante, en particulier le script et le speech détaillé des discours et réponses à apporter au prospect; à ce qu'il soit ordonné aux citées de détruire le matériel et documents confidentiels en leur possession; et à ce qu'il leur soit fait interdiction d'exploiter tout résultat d'un travail qui lui a été confié par la demanderesse, respectivement réalisé par elle et confié par un tiers, en particulier le script, le speech et le SMS de confirmation du rendez-vous avec le prospect, le tout sous la menace de la peine de l'art. 292 CP et avec suite de frais;

Que A______ SÀRL soutient, en substance sur mesure d'urgence, que les citées se seraient emparées d'informations confidentielles lui appartenant et ayant été mises au point par elle de manière à les utiliser ou les faire utiliser indûment dans une activité propre ayant le même but, ce qui serait constitutif de concurrence déloyale;

Que par ailleurs, elle expose subir de ces faits un dommage difficilement réparable qu'elle chiffre en centaines de milliers de francs, que seul le prononcé de mesure requise serait susceptible de faire cesser;

Considérant, EN DROIT, qu'il doit être admis à ce stade que la Cour de justice est compétente ratione materiae (art. 5 al. 1 let. d et al. 2 CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ) ainsi que ratione loci (art. 1 al. 1 LDIP, art. 5 al. 3 et 31 CL, art. 10 LDIP, art. 13 et 36 CPC);

Qu'aux termes de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b);

Que l'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite;

Que l'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable – qui peut être patrimonial ou immatériel –, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au CPC, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; arrêts du Tribunal fédéral 5A_931/2014 du 1er mai 2015 consid. 4 et 5A_791/2008 du 10 juin 2009 consid. 3.1; Bohnet, Commentaire romand CPC, 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC);

Que la mesure ordonnée doit respecter le principe de la proportionnalité, par quoi on entend qu'elle doit être adaptée aux circonstances de l'espèce et ne pas aller au-delà de ce qu'exige le but poursuivi; que les mesures les moins incisives doivent avoir la préférence; que la mesure doit également se révéler nécessaire, soit indispensable pour atteindre le but recherché, toute autre mesure ou action judiciaire ne permettant pas de sauvegarder les droits du requérant (Message du Conseil fédéral, FF 2006 p. 6962);

Que dans le cadre des mesures provisionnelles, le juge peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles; que la preuve est (simplement) vraisemblable lorsque le juge, en se fondant sur des éléments objectifs, a l'impression que les faits pertinents se sont produits, sans pour autant qu'il doive exclure la possibilité que les faits aient pu se dérouler autrement (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3; 130 III 321 consid. 3.3, in JdT 2005 I 618);

Qu'en cas d'urgence particulière, notamment s'il y a risque d'entrave à leur exécution, le juge peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre les parties (art. 265 al. 1 CPC);

Que selon l'art. 9 al. 1 LCD, celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général ou celui qui en est menacé, peut demander au juge de l'interdire, si elle est imminente (let. a), de la faire cesser, si elle dure encore (let. b) d'en constater le caractère illicite, si le trouble qu'elle a créé subsiste (let. c);

Que l'art. 2 LCD prévoit qu'est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commerciale qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients;

Que celui qui acquiert la connaissance d'un secret de manière licite dans un rapport de travail et l'exploite ou le divulgue en violation de l'obligation de garder le secret ou en violation d'une clause de non-concurrence après la fin des rapports de travail peut tomber sous le coup de l'art. 2 LCD (Pichonnaz, Commentaire romand LCD, 2017, n. 123 ad art. 2 LCD; Fischer/Richa, Commentaire romand LCD, 2017, n. 28 ad art. 6 LCD);

Qu'agit en particulier de façon déloyale celui qui exploite de façon indue le résultat d’un travail qui lui a été confié, par exemple des offres, des calculs ou des plans (art. 5 let. a LCD) ou reprend grâce à des procédés techniques de reproduction et sans sacrifice correspondant le résultat de travail d'un tiers prêt à être mis sur le marché et l'exploite comme tel (art. 5 let. c LCD);

Que des listes de clients ou des bases de données peuvent constituer le résultat d'un travail, pour autant qu'elles soient exploitables (Pedrazzini/Pedrazzini, Unlauterer Wettbewerb, 2002, n. 9.07); qu'une liste de clients mauvais payeurs peut faire partie d'une collection de données de clients et constituer comme celle-ci le résultat d'un travail selon l'art. 5 let. a LCD (arrêt du Tribunal fédéral 6B_298/2013 du 16 janvier 2014 consid. 3.2.2);

Que par ailleurs, le produit prêt à être mis sur le marché au sens de l'art. 5 let. c LCD est tout produit qui peut sans plus être exploité de manière industrielle ou commerciale, mais il n'est pas nécessaire qu'il puisse l'être tout seul (ATF 131 III 384 consid. 4.2); qu'il n'est pas requis qu'il puisse être immédiatement mis en vente ou commercialisable tel quel: peuvent également constituer des produits prêts à être mis sur le marché des modes d'emploi, des produits intermédiaires ou même des produits qui ne sont pas destinés aux consommateurs, mais à l'usage propre du reprenant, comme des bases de données ou encore des programmes informatiques; ce qui est déterminant n'est pas tant le degré d'avancement du travail, mais l'existence d'un marché sur lequel des rapports de concurrence peuvent potentiellement naître (Nussbaumer, Commentaire romand LCD, 2017, n. 102 ss ad art. 5 LCD);

Qu'en l'espèce, il ressort de la demande de la requérante et des pièces produites que les citées personnes physiques qui étaient ses employées jusqu'au 30 juin 2024 ont constitué, pour l'une d'elle à tout le moins une société, troisième citée, dont le but social est partiellement similaire à celui de la requérante;

Que la requérante rend vraisemblable que les citées utilisent un canevas de conversation, visant l'appât par téléphone de potentiels clients, similaire au sien;

Que cependant, il n'y pas lieu de prononcer de mesures d'extrême urgence pour les motifs ci-après :

Qu'en effet, indépendamment de la qualification de la documentation à laquelle se réfère la requérante, à laquelle il sera procédé dans la décision après instruction et audition des parties, il n'est pas rendu vraisemblable que l'activité de la société concurrente ait produit un dommage à la requérante, ou que la poursuite de son activité continuerait à en engendrer un;

Que d'une part, le seul graphique produit ne saurait suffire à rendre vraisemblable le dommage allégué et futur éventuel;

Que par ailleurs il n'est pas apte non plus à rendre vraisemblable qu'un dommage, même effectif, soit susceptible de perdurer, respectivement soit en relation avec les faits allégués;

Qu'enfin à ce stade la requérante admet elle-même que ses deux anciennes employées citées l'ont quittée à la même date, sans exposer qu'elles auraient été immédiatement remplacées, de sorte que la baisse d'activité qui découle du graphique produit pourrait aussi bien résulter de la simple absence des deux employées, et de la diminution qui en découle du nombre de contacts durant les semaines qui suivent;

Que ceci est corroboré par le fait que quelques semaines plus tard, le chiffre d'affaire réalisé a retrouvé le niveau antérieur;

Que par conséquent, il n'y a pas d'urgence à statuer en l'état;

Que la requête de mesures superprovisionnelles doit dès lors être rejetée, sous suite de frais fixés à 500 fr.;

Qu'un délai de dix jours dès la notification de la présente ordonnance sera imparti aux citées pour répondre à la requête de mesures provisionnelles (art. 265 al. 2 CPC);

Que la suite de la procédure sera réservée.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Statuant sur mesures superprovisionnelles :

Rejette la requête de mesures superprovisionnelles formée par A______ SÀRL à l'encontre de B______, C______ et D______ SÀRL le 12 décembre 2024.

Impartit à B______, C______ et D______ SÀRL un délai de 10 jours dès réception de la présente ordonnance pour répondre par écrit à la requête de mesures provisionnelles et produire leurs pièces.

Réserve la suite de la procédure.

Sur les frais :

Arrête les frais sur mesures superprovisionnelles à 500 fr., les met à la charge de A______ SÀRL et la condamne à les payer à l’Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président ; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S'agissant de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au
Tribunal fédéral (ATF
137 III 417 consid. 1.3).