Skip to main content

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/28528/2024

ACJC/1583/2024 du 10.12.2024 ( IUS ) , ADMIS

Normes : LCD.2; LCD.5.leta; CPC.261; CPC.5.letc
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/28528/2024 ACJC/1583/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 10 DECEMBRE 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], requérante, représentée par
Me Bénédict FONTANET, avocat, Fontanet & Associés, Grand-Rue 25, case
postale 3200, 1211 Genève 3,

et

Madame B______, domiciliée ______, France, citée.

 


Considérant, EN FAIT, que A______ SA est une société inscrite au Registre du commerce de Genève dont le but est la sélection et la mise à disposition du personnel fixe et temporaire;

Que B______ a été engagée par A______ SA en qualité de consultante RH dès le 1er juillet 2024, pour une durée indéterminée;

Que ses tâches principales consistaient en le développement commercial et le suivi des prestations de services en matière de placement et délégation de personnel fixe et temporaire dans le secteur de l'industrie et de la technique (art. 1 du contrat de travail);

Que le contrat de travail relève que l'attention de la collaboratrice a été attirée sur son obligation tant en vertu de la loi que du contrat à faire preuve d'une absolue discrétion à l'égard des tiers, notamment en ce qui concerne les méthodes de travail et les affaires actuelles ou futures de son employeur, cette obligation subsistant après la cessation du contrat de travail (art. 11);

Que le contrat de travail prévoit également une clause de non concurrence selon laquelle pendant la durée du contrat et durant une année après la fin des rapports de travail, il était interdit à l'employée de faire concurrence à son employeur, de quelque manière que ce soit; que cette interdiction était valable pour le placement et la délégation de personnel fixe et temporaire, dans le canton de Genève (art. 12);

Que la charte informatique signée par B______ le 1er juillet 2024 prévoit en outre que l'accès aux informations et documents conservés sur les systèmes et réseaux informatiques est limité à ceux qui leur sont propres ainsi qu'à ceux qui sont publics ou partagés (art. 4.2);

Que l'utilisateur s'engage par ailleurs à ne pas synchroniser les fichiers du bureau sur un appareil privé (art. 4.4);

Que selon les certificats médicaux produits, B______ a été en arrêt de travail pour cause de maladie du 4 novembre au 14 novembre 2024, puis du 15 novembre 2024 au 8 décembre 2024;

Que le 18 novembre 2024, B______ a téléchargé depuis son ordinateur professionnel un document intitulé "A______ – Liste clients par segment 2021-2024 A______" comprenant la liste des clients facturés entre 2021 et 2024; qu'elle a également téléchargé la base de données relative aux 1'574 clients de A______ SA contenant toutes les informations relatives à chaque client ainsi qu'un document intitulé "Calculateur marges 2025";

Que le 2 décembre 2024, B______ a déclaré mettre fin au contrat de travail la liant à A______ SA pour le 2 janvier 2025;

Que le 3 décembre 2024, A______ SA a découvert que B______ avait procédé aux téléchargements précités;

Que le 5 décembre 2024, B______ s'est présentée dans les bureaux de A______ SA afin de restituer son matériel informatique;

Qu'à cette occasion, A______ SA l'a interrogée sur ce qu'elle avait découvert concernant le téléchargement de la base de clients du logiciel C______, du document intitulé "Liste de clients par segment 2021-2024 A______" et le fichier "Calculateur de salaire horaire et de marges"; que selon le procès-verbal de la séance qui s'est tenue, signé par B______, cette dernière a expliqué qu'elle avait effectivement téléchargé des données relatives à des clients qu'elle avait apportés et qu'elle avait fourni le fichier de calcul de marge, qu'elle avait donc récupéré; que si elle avait téléchargé des documents et données, il s'agissait d'une erreur; qu'elle a également indiqué qu'elle avait envoyé ces documents sur son compte de messagerie Gmail; qu'elle n'avait aucune raison d'utiliser ou de divulguer des informations relatives à A______ SA et qu'elle travaillerait prochainement dans un autre domaine d'activité, soit dans un centre de formation pour du placement fixe en lien avec le marketing; qu'elle a accepté d'apporter son ordinateur personnel pour qu'il soit analysé;

Que lors de cette réunion, B______ s'est engagée à ne pas copier, transférer, exploiter, communiquer ou utiliser de quelque manière que ce soit les données téléchargées de A______ SA et à ne pas prendre contact avec les clients de cette dernière et à restituer les fichiers en sa possession;

Qu'à l'issue de cet entretien, A______ SA a mis fin aux rapports de travail avec effet immédiat;

Que A______ SA indique encore qu'après restitution de son ordinateur portable par B______, elle avait découvert que les documents "Postes fixes Pôle tertiaire" et "Prospection secteur tertiaire 2024" avaient été consultés et téléchargés par la précitée;

Que le 6 décembre 2024, A______ SA a formé devant la Cour de justice une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles tendant à ce qu'il soit interdit à B______ de consulter, copier, transférer, exploiter, communiquer ou utiliser de quelque manière que les documents "Accès personnel – Liste clients par segments 2021-2024 A______", "Postes fixes Pôle tertiaire" et "Prospection secteur tertiaire 2024" et les données qu'ils contiennent, ainsi que les données relatives aux clients de A______ SA extraites du logiciel C______; qu'elle a également conclu à ce que soit fait interdiction à B______ de prendre contact de quelque manière que ce soit avec la clientèle de A______ SA, le tout sous la menace de la peine de l'art. 292 CP et avec suite de frais;

Que A______ SA soutient que B______ a téléchargé des documents et données et ce alors qu'elle avait indiqué avoir trouvé un nouvel emploi dans un centre de formation pour du placement fixe dans le domaine du marketing; qu'elle pourrait donc les transmettre à son nouvel employeur, lequel se trouverait en concurrence directe avec elle, ce qui serait susceptible de lui causer une dommage d'au minimum 100'000 fr. au vu du risque de perte de clientèle;

Considérant, EN DROIT, qu'il doit être admis à ce stade que la Cour de justice est compétente ratione materiae (art. 5 al. 1 let. d et al. 2 CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ) ainsi que ratione loci (art. 1 al. 1 LDIP, art. 5 al. 3 et 31 CL, art. 10 LDIP, art. 13 et 36 CPC);

Qu'aux termes de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b);

Que l'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite;

Que l'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable – qui peut être patrimonial ou immatériel –, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au CPC, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; arrêts du Tribunal fédéral 5A_931/2014 du 1er mai 2015 consid. 4 et 5A_791/2008 du 10 juin 2009 consid. 3.1; Bohnet, Commentaire romand CPC, 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC);

Que la mesure ordonnée doit respecter le principe de la proportionnalité, par quoi on entend qu'elle doit être adaptée aux circonstances de l'espèce et ne pas aller au-delà de ce qu'exige le but poursuivi; que les mesures les moins incisives doivent avoir la préférence; que la mesure doit également se révéler nécessaire, soit indispensable pour atteindre le but recherché, toute autre mesure ou action judiciaire ne permettant pas de sauvegarder les droits du requérant (Message du Conseil fédéral, FF 2006 p. 6962);

Que dans le cadre des mesures provisionnelles, le juge peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles; que la preuve est (simplement) vraisemblable lorsque le juge, en se fondant sur des éléments objectifs, a l'impression que les faits pertinents se sont produits, sans pour autant qu'il doive exclure la possibilité que les faits aient pu se dérouler autrement (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3; 130 III 321 consid. 3.3, in JdT 2005 I 618);

Qu'en cas d'urgence particulière, notamment s'il y a risque d'entrave à leur exécution, le juge peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre les parties (art. 265 al. 1 CPC);

Que selon l'art. 9 al. 1 LCD, celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général ou celui qui en est menacé, peut demander au juge de l'interdire, si elle est imminente (let. a), de la faire cesser, si elle dure encore (let. b) d'en constater le caractère illicite, si le trouble qu'elle a créé subsiste (let. c);

Que l'art. 2 LCD prévoit qu'est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commerciale qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients;

Que celui qui acquiert la connaissance d'un secret de manière licite dans un rapport de travail et l'exploite ou le divulgue en violation de garder le secret ou en violation d'une clause de non-concurrence après la fin des rapports de travail peut tomber sous le coup de l'art. 2 LCD (Pichonnaz, Commentaire romand LCD, 2017, n. 123 ad art. 2 LCD; Fischer/Richa, Commentaire romand LCD, 2017, n. 28 ad art. 6 LCD);

Qu'agit en particulier de façon déloyale celui qui exploite de façon indue le résultat d’un travail qui lui a été confié, par exemple des offres, des calculs ou des plans (art. 5 let. a LCD) ou reprend grâce à des procédés techniques de reproduction et sans sacrifice correspondant le résultat de travail d'un tiers prêt à être mis sur le marché et l'exploite comme tel (art. 5 let. c LCD);

Que des listes de clients ou des bases de données peuvent constituer le résultat d'un travail, pour autant qu'elles soient exploitables (Pedrazzini/Pedrazzini, Unlauterer Wettbewerb, 2002, n. 9.07); qu'une liste de clients mauvais payeurs peut faire partie d'une collection de données de clients et constituer comme celle-ci le résultat d'un travail selon l'art. 5 let. a LCD (arrêt du Tribunal fédéral 6B_298/2013 du 16 janvier 2014 consid. 3.2.2);

Que par ailleurs, le produit prêt à être mis sur le marché au sens de l'art. 5 let. c LCD est tout produit qui peut sans plus être exploité de manière industrielle ou commerciale, mais il n'est pas nécessaire qu'il puisse l'être tout seul (ATF 131 III 384 consid. 4.2); qu'il n'est pas requis qu'il puisse être immédiatement mis en vente ou commercialisable tel quel : peuvent également constituer des produits prêts à être mis sur le marché des modes d'emploi, des produits intermédiaires ou même des produits qui ne sont pas destinés aux consommateurs, mais à l'usage propre du reprenant, comme des bases de données ou encore des programmes informatiques; ce qui est déterminant n'est pas tant le degré d'avancement du travail, mais l'existence d'un marché sur lequel des rapports de concurrence peuvent potentiellement naître (Nussbaumer, Commentaire romand LCD, 2017, n. 102 ss ad art. 5 LCD);

Qu'en l'espèce, il ressort des explications de la requérante et des pièces produites que la citée a téléchargé différents documents et données informatiques de son employeur; qu'elle a été en mesure de procéder auxdits téléchargements grâce à sa qualité d'employée de la requérante, mais sans que ceux-ci soient en lien avec l'accomplissement de ses tâches pour la requérante puisque la citée était en arrêt de travail à la date des téléchargements;

Que la citée a déclaré que le téléchargement des données litigieuses résultait d'une erreur et qu'elle n'avait pas de motifs de les divulguer à des tiers; qu'elle a toutefois également indiqué, selon le procès-verbal de la séance du 5 décembre 2024, que ces documents et données concerneraient de ses clients et des documents qu'elle aurait fournis, ce qui pourrait permettre de penser qu'elle s'estime en droit d'en disposer; que la citée s'est engagée à ne pas copier, transférer, exploiter, communiquer ou utiliser de quelque manière que ce soit les données téléchargées de la requérante et à ne pas prendre contact avec les clients de cette dernière; que les mesures requises ne sont donc vraisemblablement pas de nature à causer un préjudice difficilement réparable à la citée;

Qu'une utilisation ou une divulgation des données litigieuses serait en revanche vraisemblablement susceptibles de causer à la requérante un dommage qui serait difficilement réparable puisqu'une divulgation en particulier serait irréversible;

Qu'il y a urgence à statuer dans la mesure où les agissements visés par les mesures requises sont susceptibles d'intervenir à tout moment et où il est vraisemblable qu'ils causeraient un dommage à la requérante susceptible d'augmenter avec le temps;

Que la requête de mesures superprovisionnelles doit dès lors être admise;

Qu'un délai de dix jours dès la notification de la présente ordonnance sera imparti à la citée pour répondre à la requête de mesures provisionnelles (art. 265 al. 2 CPC);

Que la suite de la procédure sera réservée;

Que le sort des frais sera renvoyé à la décision sur mesures provisionnelles (art. 104 al. 3 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur mesures superprovisionnelles:

Fait interdiction à B______ de consulter, copier, transférer, exploiter, communiquer ou utiliser de quelque manière que ce soit :

-     le document "A______ – Liste clients par segments 2021-2024 A______" et les données qu'il contient;

-     les données relatives aux clients de A______ SA extraites du logiciel C______;

-     le document "Postes fixes pôle tertiaire_" et les données qu'il contient;

-     le document "Prospection secteur tertiaire 2024" et les données qu'il contient;

Fait interdiction à B______ de prendre contact de quelque manière que ce soit avec la clientèle de A______ SA.

Prononce les injonctions précitées sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 du Code pénal, lequel prévoit ce qui suit : "Quiconque ne se conforme pas à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents est puni d’une amende".

Impartit à B______ un délai de dix jours dès la notification du présent arrêt pour répondre par écrit à la requête de mesures provisionnelles formée par A______ SA.

Dit qu'il sera statué sur les frais de la présente décision avec la décision sur mesures provisionnelles.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER-GHAVAMI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S'agissant de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 417 consid. 1.3).