Décisions | Chambre civile
ACJC/1399/2024 du 11.11.2024 ( IUS ) , REJETE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/25983/2024 ACJC/1399/2024 ORDONNANCE DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU LUNDI 11 NOVEMBRE 2024 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], requérant, comparant par Me Giorgio CAMPA, avocat, avenue Pictet-de-Rochemont 7, 1207 Genève,
et
1) Monsieur B______, domicilié c/o C______ SA, ______ [GE], cité,
2) C______ SA, sise ______ [GE], autre citée, comparant par Me Isabelle MOESCHLER, avocate, chemin Prapion 12, case postale 549, 2520 La Neuveville,
3) D______ SARL, sise ______ [VD], autre citée.
Vu, en fait, la requête déposée le 8 novembre 2024 par A______ contre C______ SA, B______ et D______ Sàrl tendant à ce qu'il soit fait interdiction à ceux-ci de divulguer, publier, mettre en vente, ou promouvoir sous quelque forme que ce soit, directement ou par mandataires interposés, le livre "E______", ainsi que d'organiser, respectivement ordonner d'annuler tout événement sous quelque forme que ce soit en lien avec la promotion dudit livre, en particulier le "vernissage" prévu le ______ novembre 2024, sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP,
Attendu qu'il formule ces conclusions à titre provisionnel ainsi que superprovisionnel, sous suite de frais et dépens,
Qu'il a, le 20 mars 2022, adressé un courriel à B______, administrateur président (au bénéfice d'une signature individuelle jusqu'en mars 2024) de C______ SA, laquelle a pour but l'exploitation de bureaux d'ingénieurs et de designers en construction de bois, d'expertise, d'ingénieurs civils, d'ingénieurs sécurité incendie et direction générale de travaux, ainsi que la promotion de constructions en harmonie avec les préceptes du développement durable;
Qu'il y évoque notamment "notre projet de livre" et propose "un forfait de 30'000 francs […] ainsi que 50% des ventes entre toi et moi";
Que, par mail du 25 mars 2022, B______ lui a répondu notamment en ces termes: "Quelle joie cela va être que d'œuvrer ensemble sur ce beau projet", et "je te confirme ta proposition de forfait pour un total de 30'000.- […]. C'est mon bureau d'ingénieurs C______ qui te réglera les honoraires selon tes demandes de situations. D'accord sur un partage de 50% des droits d'auteurs sur les ventes. Demeure réservées les ventes effectuées lors de conférences que je pourrais être amené à donner dans le futur";
Que, le 1er novembre 2022, A______ et B______ ont signé un document intitulé "Contrat entre A______, journaliste, écrivain […]" et "C______", libellé ainsi: "B______ et A______ conviennent de réaliser un livre d'entretiens qui paraîtra à l'occasion des 33 ans de la société C______ au mois d'août 2023. B______ paiera un forfait de 30.000 francs pour le livre dont le montant des ventes en librairies sera partagé en deux parts égales, 50-50, entre les deux signataires. La totalité du produit des ventes de livres intervenues lors d'événements associatifs ou privés, animés ou organisés par B______ lui reviendront intégralement";
Que A______ a émis une facture de 15'000 fr. en date du 26 octobre 2022, dont il allègue qu'elle a été payée;
Qu'il allègue avoir, entre mars et décembre 2022, eu des entretiens hebdomadaires d'une durée de deux heures à deux heures et demie chacun, pour un total d'une centaine d'heures, avec B______, et transcrit, après chaque entrevue, l'intégralité des discussions avec ce dernier, avant de procéder à une synthèse et de "réécrire ces réponses en leur donnant un caractère plus élaboré tout en conservant le ton de la discussion",
Que, les 26 décembre 2022 et 13 janvier 2023, il a envoyé des textes à B______, ce dernier ayant répondu, le 14 janvier 2023": "merci cher ami, je suis tellement joyeux de la belle aventure que nous partageons ensemble";
Qu'il allègue que dès le printemps 2023, les entretiens se sont espacés, bien qu'il soit resté en contact avec B______;
Qu'il avait lui-même été hospitalisé en novembre 2023, janvier et février 2024, ce dont il affirme avoir fait part à B______;
Que, par courrier du 8 février 2024, C______ SA, se référant à l'entretien téléphonique du 2 février 2024 entre B______ et A______, a déclaré résilier le contrat du 1er novembre 2022, motif pris de ce que les documents transmis en décembre 2022 et janvier 2023 ne correspondaient pas à ses attentes, ce qui avait "compromis et ralenti" le déroulement du projet;
Que, par courrier de son avocat du 23 février 2024, A______ a répondu qu'il était lié par un contrat de commande d'une œuvre, qu'il prenait acte de la résiliation, laquelle rendait exigible le paiement du solde du forfait dû par 15'000 fr., et qu'il faisait défense d'user de son œuvre sans son accord, les droits d'auteur n'ayant pas été cédés et vu les clauses particulières de répartition du produit des ventes en librairie;
Que, le 7 mai 2024, C______ SA a saisi le Tribunal de première instance d'une demande dirigée contre A______ notamment en remise des enregistrements d'entretiens, formulée au fond et par voie de mesures provisionnelles, enregistrée sous n° C/1______/2024;
Qu'elle y a notamment allégué avoir mandaté A______ "pour la rédaction d'un livre d'entretiens sur 40 ans de la vie de B______", avoir partagé avec celui-ci environ 75 heures d'entretien dont les retranscriptions enregistrées avaient été régulièrement transmises "dans un premier temps", puis avoir constaté qu'aucun travail de rédaction n'avait été fourni de sorte que B______ avait commencé à rédiger lui-même le livre;
Que, par ordonnance OTPI/485/24 du 6 août 2024, le Tribunal, statuant sur mesures provisionnelles, a rejeté la requête de C______ SA;
Que celle-ci a, le 6 septembre 2024, après avoir reçu une autorisation de procéder introduit au Tribunal sa demande au fond (C/2______/2024);
Qu'elle y a notamment allégué qu'avec un groupe de travail, elle avait décidé "d'abandonner les entretiens et de donner une autre forme au livre", B______ ayant repris "intégralement la rédaction du livre, qui certes relat[ait] les mêmes expériences de vie que le précédent, mais dont la forme [était] toute autre, la parution en librairie étant prévue pour le ______ novembre 2024, sans contenir de textes de A______;
Qu'elle a offert en preuves de son allégué notamment des extraits du livre à paraître et des extraits des textes de A______;
Que ce dernier fait valoir qu'il a appris, à réception de cette demande le 30 octobre 2024, que la publication et la mise en vente du livre (sous le titre de "E______") était assurée par D______ Sàrl, sise à F______ (VD);
Qu'il avait pu prendre connaissance des pièces produites par C______ SA, dont un chapitre du livre à paraître, qu'il avait comparé à son propre texte, et constaté qu'il y avait des similitudes flagrantes;
Que par ailleurs lui était parvenu un courrier daté du 1er novembre 2024 annonçant un vernissage de " E______ " le ______ novembre 2024 à G______ à H______ [GE], avec présentation du livre et séances de dédicaces;
Considérant, EN DROIT, que le requérant fonde son action sur la loi sur le droit d'auteur ainsi que sur la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD);
Que selon les art. 5 al. 1 let. a et d CPC et 120 al. 1 let. a LOJ, la Chambre civile de la Cour de justice connaît en instance unique des litiges, portant sur des droits de propriété intellectuelle et, lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr., relevant de la LCD;
Que cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC);
Que l'art. 15 al. 1 CPC prévoit que lorsque l'action est intentée contre plusieurs consorts, le tribunal compétent à l'égard d'un défendeur l'est à l'égard de tous les autres à moins que sa compétence ne repose sur une élection de for;
Qu'au vu des conclusions prises par la requérante, il sera admis que la Cour est compétente à raison de la matière et du lieu, étant relevé que la valeur litigieuse des prétentions relevant de la LCD peut à ce stade demeurer indécise, de même que, vu ce qui va suivre, celle de la légitimation passive de B______ ainsi que de la société à responsabilité limitée éditrice;
Que l'art. 62 al. 1 LDA prévoit que la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit d'auteur peut demander au juge de l'interdire, si elle est imminente, ou de la faire cesser, si elle dure encore (art. 62 al. 1 let. a et b LDA);
Qu'elle peut aussi requérir du juge qu'il ordonne les mesures provisionnelles destinées à assurer à titre provisoire la prévention ou la cessation du trouble (art. 65 let. d LDA);
Que l'art. 2 LCD vise notamment les comportement ou pratique commerciale trompeurs ou qui contreviennent aux règles de la bonne foi et influent sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients;
Que l'art. 5 let. a LCD prohibe l'exploitation de façon indue du résultat d'un travail confié;
Que celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général ou celui qui en est menacé, peut demander au juge de l’interdire, si elle est imminente; de la faire cesser, si elle dure encore; d’en constater le caractère illicite, si le trouble qu’elle a créé subsiste (art. 9 al. 1 LCD);
Qu'en application de l'art. 261 al. 1 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b);
Que l'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite;
Que l'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil du 28 juin 2006 relatif au Code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961);
Que la vraisemblance requise doit en outre porter sur un préjudice difficilement réparable, qui peut être patrimonial ou immatériel (Huber, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 2ème éd. 2013, n° 20 ad art. 261 CPC). Que cette condition vise à protéger le requérant du dommage qu'il pourrait subir s'il devait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue au fond (ATF 139 III 86 consid. 5; 116 Ia 446 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_901/2011 du 4 avril 2012 consid. 5; 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4);
Que la condition de l'urgence doit être considérée comme remplie lorsque sans mesures provisionnelles, le requérant risquerait de subir un dommage difficile à réparer au point que l'efficacité du jugement rendu à l'issue de la procédure ordinaire au fond en serait compromise (arrêt du Tribunal fédéral 5A_629/2009 du 25 février 2010 consid. 4.2);
Qu'en cas d'urgence particulière, notamment s'il y a un risque d'entrave à leur exécution, le tribunal peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre la partie adverse (art. 265 al. 1 CPC);
Qu'une urgence particulière suppose que le but recherché ne pourrait pas être atteint s'il fallait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur mesures provisionnelles;
Que la mesure doit être proportionnée au risque d'atteinte (arrêt du Tribunal fédéral 4_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1);
Qu'en l'espèce, il est rendu vraisemblable par la production du contrat du 1er novembre 2022 et des actes des procédures C/1______/2024 et C/2______/2024 du Tribunal que le requérant et la société anonyme citée se sont liés en vue d'un livre d'entretiens, moyennant règlement par la seconde au premier de prestations financières sous forme d'une part d'un forfait, d'autre part d'un partage du produit des ventes dudit livre à la rédaction duquel ils ont concouru;
Qu'en revanche, il n'est pas allégué ni rendu vraisemblable qu'il aurait été convenu que la mention du nom et celle cas échéant du travail du requérant ressortiraient d'une quelconque façon dans le livre à paraître;
Qu'à supposer que la condition de l'atteinte au droit d'auteur du requérant, ou l'exploitation d'un résultat de façon indue au regard de la LCD, soit considérée comme rendue vraisemblable, il n'apparaît en tout état pas que le précité serait susceptible de subir un dommage difficile à réparer au point que l'efficacité du jugement rendu à l'issue de la procédure ordinaire au fond en serait compromise;
Qu'en effet, les prétentions du requérant, à teneur du contrat sur lequel celui-ci se fonde, semblent de nature pécuniaire;
Que le requérant n'expose pas en quoi sa situation à cet égard serait rendue plus difficile après l'événement agendé au ______ novembre 2024 ou après la parution, la promotion et la vente du livre dès le ______ novembre 2024, au demeurant supposés accroître toute éventuelle expectative de gains supposément partagés par moitié, mais avant que les citées aient pu se déterminer sur mesures provisionnelles;
Que dès lors, la condition de l'urgence particulière alléguée à l'appui des conclusions prises avant audition des parties, à savoir en particulier la divulgation, la publication, la mise en vente et la promotion du livre le ______ novembre 2024 n'apparaît pas réalisée;
Qu'au vu de ce qui précède, il ne sera pas fait droit, ex parte, aux conclusions du requérant, de sorte que la requête formée à titre superprovisionnel sera rejetée;
Qu'il sera statué sur les frais de la présente décision dans la décision à rendre sur mesures provisionnelles;
Qu'un délai sera accordé aux citées pour répondre par écrit (art. 265 al. 2 CPC);
Qu'aucun recours n'est ouvert contre la présente ordonnance (ATF 139 III 86 consid. 1.1.1; 137 III 417; arrêts du Tribunal fédéral 5A_369/2019 du 28 mai 2019 consid. 3; 5A_253/2017 du 4 avril 2017 consid. 2; 5A_554/2014 du 21 octobre 2014 consid. 3.2).
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La Chambre civile :
Statuant sur mesures superprovisionnelles :
Rejette la requête de A______.
Dit qu'il sera statué sur les frais liés à la présente décision dans l'ordonnance rendue sur mesures provisionnelles.
Impartit à C______ SA, B______ et D______ Sàrl un délai de dix jours dès la notification de la présente ordonnance pour répondre par écrit à la requête de mesures provisionnelles formée par A______.
Siégeant :
Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.
Indication des voies de recours :
S'agissant de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 417 consid. 1.3.)