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Décisions | Chambre civile

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C/24303/2022

ACJC/788/2024 du 18.06.2024 sur OTPI/98/2024 ( SDF ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24303/2022 ACJC/788/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 18 JUIN 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante et intimée d'un jugement rendu par la 7ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 5 février 2024, représentée par Me Stéphanie FRANCISOZ GUIMARAES, avocate, BRS Berger Recordon & de Saugy, Boulevard des Philosophes 9, 1205 Genève,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé et appelant, représenté par
Me Stéphane REY, avocat, Rue Michel-Chauvet 3, Case postale 477, 1211 Genève 12.



 

EN FAIT

A. Par ordonnance du 5 février 2024, notifiée aux parties le 12 février suivant, statuant sur mesures provisionnelles, le Tribunal de première instance a condamné A______ à verser à B______, à titre de contribution d'entretien, par mois et d'avance, le montant de 700 fr, dès le 1er septembre 2023 (ch. 1 du dispositif), réservé la décision finale du Tribunal quant au sort des frais judiciaires (ch. 2), dit qu’il n’était pas alloué de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Par actes expédiés, respectivement déposés, le 22 février 2024, A______ et B______ appellent tous deux de ce jugement, dont ils sollicitent l’annulation.

A______ conclut au déboutement de son époux de toutes ses conclusions, avec suite de frais d’appel et compensation des dépens.

Préalablement, elle demande en sus à ce qu’il soit ordonné à son époux de produire les documents suivants : les preuves de ses revenus réalisés depuis 2022, un extrait de son compte individuel AVS, les justificatifs de toutes les sociétés ouvertes par lui, les justificatifs des cotisations sociales versées par les sociétés pour lesquelles il a été salarié et dont il doit fournir le nom, les justificatifs des honoraires de consulting perçus pour les cinq dernières années, les preuves de ses biens immobiliers en Suisse et à l’étranger, des attestations de subsides d’assurance-maladie et d'avoirs de prévoyance professionnelle, notamment de la Caisse centrale pour les avoirs de prévoyance.

B______ conclut, quant à lui, à ce que son épouse soit condamnée à lui verser, par mois et d’avance, une contribution d’entretien de 3'300 fr. dès le 23 août 2023 et à ce que le sort des frais et des dépens soit renvoyé à la décision finale. Il produit une pièce nouvelle, soit des échanges de courriels avec l’Hospice général des 12 et 14 décembre 2023.

b. Dans leurs réponses respectives du 8 avril 2024, les parties ont conclu au déboutement de leur adverse partie et persisté dans leurs conclusions, B______ demandant toutefois que les frais de justice de l’appel de son épouse soient partagés entre les époux.

c. Dans le cadre de l’appel interjeté par A______, les parties ont encore répliqué et dupliqué, maintenant leurs positions respectives.

d. Par courriers du 13 mai 2024, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.


 

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. A______, née le ______ 1967, originaire de E______ (Lucerne), et B______, né le ______ 1956, de nationalité algérienne, se sont mariés le ______ 1994 à F______ (Genève).

b. Les époux ont conclu un contrat de séparation de biens le 12 février 1997.

c. Ils sont les parents de deux enfants aujourd’hui majeurs, C______ et D______, nés respectivement le ______ 1994 et le ______ 1998.

d. Le 7 décembre 2022, A______ a déposé par-devant le Tribunal de première instance une demande unilatérale en divorce, assortie de mesures provisionnelles.

e. Par ordonnance OTPI/288/2023 sur mesures provisionnelles du 2 mai 2023, le Tribunal de première instance a notamment autorisé les parties à vivre séparées, attribué la jouissance exclusive du domicile à A______ dès le 1er juin 2023 et imparti un délai à B______ au 31 mai 2023 pour évacuer le domicile conjugal.

f. Par arrêt ACJC/979/2023 du 19 juillet 2023, la Cour de justice a confirmé cette ordonnance et imparti un nouveau délai de 30 jours dès notification dudit arrêt à B______ pour évacuer le domicile conjugal.

g. Le 17 août 2023, B______ a formé une requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles, concluant à ce que le Tribunal condamne A______ à lui verser une contribution d'entretien de 3'300 fr. par mois dès le 23 août 2023, pour pouvoir notamment se reloger. Il a allégué que son budget présentaitt un déficit de 3'291 fr. Son épouse disposait d’un solde mensuel de 3'947 fr. 40, de sorte qu’elle pouvait contribuer à son entretien à hauteur de 3'300 fr. par mois.

h. Par ordonnance du 18 août 2023, le Tribunal a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles formée par B______.

i. Le 23 août 2023, B______ s'est conformé à l'arrêt de la Cour de justice et a quitté le domicile conjugal.

j. Le Tribunal a gardé la cause à juger sur mesures provisionnelles à l'issue de l'audience du 19 décembre 2023.

D. a. B______ est à la retraite et perçoit une rente AVS mensuelle de 1'167 fr.

Lors de l’audience de comparution personnelle du 21 mars 2023, il a indiqué ne percevoir que sa rente AVS comme revenu. Il a ensuite dit être délégué commercial de sa société avant de préciser que ce n'était pas sa société. Il a ajouté avoir travaillé durant vingt-cinq ans en tant que salarié et n'avoir jamais cotisé au 2ème pilier. Il percevait alors 5'800 fr. par mois, hors bonus et 13ème salaire. Il a finalement affirmé être à la retraite depuis une année et demie et s'est engagé à produire une attestation de la Caisse centrale concernant ses avoirs de prévoyance professionnelle.

Dans son mémoire réponse à la demande en divorce du 4 octobre 2023, il a déclaré qu’il avait toujours travaillé en qualité d'indépendant, que A______ avait toujours été la principale source des revenus de la famille et que c'était surtout grâce à elle que la famille avait pu subvenir à tous ses besoins et avoir un train de vie confortable.

Lors de l'audience du 10 octobre 2023, il a affirmé que durant la vie commune il gagnait 7'000 fr. par mois et que c'était lui qui payait tout. Il avait eu pendant vingt ans quatorze bars et restaurants et il était en plus consultant commercial. Il avait été engagé par ses sociétés pendant vingt ans en tant qu'employé. Comme il était actionnaire des sociétés et qu'il n'y avait pas assez d'argent, il n'avait pas cotisé au 2ème pilier. L’époux s’est engagé à produire son relevé AVS, ainsi que les déclarations fiscales 2021 et 2022.

B______ allègue ne percevoir aucune rente du 2ème pilier.

A l’appui des revenus allégués, il a versé à la procédure divers documents, dont notamment les taxations fiscales du couple pour les années 2010 à 2022, une attestation de rente de l’Office cantonal des assurances sociales du 22 juin 2023 et les relevés détaillés de son compte ouvert auprès de [la banque] G______ pour la période allant du 1er janvier 2022 au 30 septembre 2023. Ces documents font état de revenus de l’époux relativement modestes. En 2022, les parties ont déclarés à l’administration fiscale que l’époux n’avait perçu que sa rente AVS.

b. Devant le Tribunal, l’époux a indiqué rechercher un logement et a requis qu'il soit tenu compte dans son budget d'un loyer hypothétique de 2'000 fr. par mois.

En septembre 2023, il s’est inscrit auprès de la Fondation H______ en vue de trouver un logement de deux ou trois pièces.

Dans ses écritures du 21 novembre 2023, A______ a soutenu que B______ vivait à I______ [GE] chez son frère.

Lors de l'audience de plaidoiries finales du 19 décembre 2023, B______ a expliqué qu'il était hébergé gracieusement chez des personnes dont il ne pouvait pas citer les noms, celles-ci souhaitant rester discrètes.

c. Sa prime mensuelle d’assurance-maladie obligatoire s’élève à 591 fr. 30, après déduction d’un subside de 40 fr.

d. A______ rembourse 1'200 fr. par mois à titre d’arriérés d’impôts accumulés durant la vie commune, ceux-ci ayant été mis, après scission, à sa charge à hauteur de 51'680 fr. 85 et à la charge de B______ à hauteur de 11'779 fr. 95.

E. Dans la décision querellée, le Tribunal a retenu que les charges mensuelles incompressibles de B______ se montaient à 1'840 fr. et se composaient du montant de base OP (1'200 fr.), de la prime d’assurance maladie obligatoire (591 fr. 30) et de frais de transport (45 fr.). Il n’était pas tenu compte de frais de logement, B______ indiquant être logé gracieusement, sans vouloir fournir davantage d'explication. Compte tenu de sa rente AVS de 1'167 fr. par mois, son déficit mensuel était de 670 fr.

Les charges mensuelles incompressibles de A______ s’élevaient à 6'370 fr. et incluaient le montant de base OP (1'200 fr.), le loyer (2'922 fr.), J______ [service de cautionnement] (35 fr. 90), la prime d’assurance responsabilité civile et ménage (38 fr. 10), les primes d’assurance-maladie (prime LaMal de 510 fr. 75 + prime LCA de 109 fr. 60), des frais médicaux non-remboursés (36 fr.), des frais de téléphonie et internet (200 fr.), des frais de transports publics (70 fr.) et les impôts courants (1'250 fr.). Après paiement de ses charges, l’épouse disposait d’un solde mensuel de 1'830 fr. (8'200 fr. de salaire – 6'370 fr. de charges). Elle était ainsi en mesure de combler le déficit de B______ à hauteur de 700 fr. par mois. Le Tribunal n’a pas réparti le solde de la quotité disponible (en 1'130 fr.) entre les parties. Il a précisé que ce solde serait laissé à A______ afin qu'elle puisse s'acquitter des arriérés d'impôts qu'elle remboursait à hauteur de 1'200 fr. par mois.

EN DROIT

1. 1.1 Les appels contre l'ordonnance entreprise sont recevables pour avoir été interjetés auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC) et dans le délai utile de 10 jours (art. 248 let. d et 314 al. 1 CPC), à l'encontre d'une décision sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC).

Dirigés contre la même ordonnance et comportant des liens étroits, il se justifie de les joindre et de les traiter dans un seul arrêt.

Par simplification, l'épouse sera désignée en qualité d'appelante et l'époux en qualité d'intimé.

1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d, 271 let. a et 276 al. 1 CPC), l'autorité peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_916/2019 du 12 mars 2020 consid. 3.4).

1.3 La fixation de la contribution d'entretien due entre époux est soumise aux maximes inquisitoire (art. 272 CPC) et de disposition (art. 58 CPC; ATF
129 III 417 consid. 2.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_592/2018 du 13 février 2019 consid. 2.1). Le juge ne peut donc accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse (ne eat iudex ultra petita partium) (arrêt du Tribunal fédéral 5A_204/2018 du 15 juin 2018 consid. 4.1).

2. L’intimé produit pour la première fois en appel des échanges de courriels avec l’Hospice général des 12 et 14 décembre 2023.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

2.2 En l’espèce, les échanges de courriels des 12 et 14 décembre 2023 seront écartés de la procédure, dès lors qu'ils auraient dû être produits en première instance déjà.

3. Bien qu’elle n’y conclut pas formellement, l’appelante se prévaut du fait que la requête en mesures provisionnelles du 17 août 2023 serait irrecevable, en raison de l’autorité de chose jugée. L’intimé avait omis de demander une contribution à son entretien lors de la première procédure de mesures provisionnelles du 7 décembre 2022, de sorte qu’il était actuellement forclos à former une telle requête, faute de faits nouveaux.

3.1 Saisi d'une demande en divorce (art. 274 CPC), le Tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires, en appliquant par analogie les dispositions régissant la protection de l'union conjugale (art. 276 al. 1 CPC).

Selon l'art. 176 al. 1 CC, sur requête d’un époux et si la suspension de la vie commune est fondée, le juge fixe la contribution d'entretien à verser aux enfant et à l’époux (ch. 1), prend les mesures en ce qui concerne le logement et le mobilier de ménage (ch. 2) et ordonne la séparation de biens si les circonstances le justifient (ch. 3). Le juge des mesures protectrices de l’union conjugale - ou des mesures provisionnelles de divorce - agit sur requête d’un des conjoints et la portée de sa décision est limitée par les conclusions prises par les parties - sauf en ce qui concerne le sort des enfants mineurs - (Rieben, CR CC I, 2ème édition, 2023 n. 3 ad art. 276 CC).

Les mesures protectrices de l'union conjugale ou les mesures provisionnelles de divorce jouissent d'une autorité de la chose jugée relative (ATF 142 III 193 consid. 5.3 in fine). Elles ne peuvent ainsi être modifiées (pour l'avenir) ou révoquées selon l'art. 179 al. 1 CC (applicable aux mesures provisionnelles de divorce par renvoi de l'art. 276 al. 1 CPC) qu’en cas de changement essentiel et durable des circonstances de fait survenu postérieurement à leur prononcé (arrêt du Tribunal fédéral 5A_42/2019 du 18 avril 2019 consid. 3.2).

3.2 En l’espèce, la procédure introduite par l’appelante le 7 décembre 2022 portait exclusivement sur l’attribution du logement conjugal, de sorte que l’intimé était fondé à requérir la fixation d’une contribution d’entretien en sa faveur même après la clôture de celle-ci. Une mesure ne peut en effet jouir de l’autorité de chose jugée relative que si elle a fait l’objet d’une demande soumise au Tribunal. Les époux peuvent requérir des mesures portant sur des objets différents de manière séparée. Contrairement à ce que soutient l’appelante, il n’existe pas, dans ce domaine, un principe similaire à celui de l'unité du jugement de divorce consacré à l’art. 283 CPC.

Par conséquent, c’est à juste titre que le Tribunal est entré en matière sur la requête formée par l’intimé le 17 août 2023.

4. L’appelante demande préalablement la production de toute une série de documents en vue de prouver la capacité contributive de son époux.

4.1 Conformément à l'art. 316 al. 3 CPC, l'instance d'appel peut librement décider d'administrer des preuves. Le juge peut, par une appréciation anticipée des preuves déjà disponibles, refuser d'administrer une preuve supplémentaire offerte par une partie s'il considère que celle-ci serait impropre à ébranler sa conviction (ATF 141 I 60 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_82/2022 du 26 avril 2022 consid. 5.1 et les références citées).

L'autorité jouit d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 142 III 413 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_37/2017 du 10 juillet 2017 consid. 3.1.2).

4.2 En l'espèce, le dossier contient les taxations fiscales du couple pour les années 2010 à 2022, une attestation de rente AVS du conjoint de l’Office cantonal des assurances sociales du 22 juin 2023 et les relevés détaillés du compte ouvert par l’époux auprès de G______ pour la période allant du 1er janvier 2022 au 30 septembre 2023, de sorte que la Cour s’estime suffisamment renseignée sur les revenus réalisés par l’intimé depuis qu’il a atteint l’âge de la retraite, le 4 septembre 2021.

En outre, l’appelante demande la production de pièces pour établir un revenu caché réalisé par l’intimé, en se prévalant des déclarations contradictoires de celui-ci au sujet des activités exercées par le passé. Elle ne fournit néanmoins aucun autre indice en vue de rendre vraisemblable l’existence de revenus autres que sa rente AVS, alors que ces derniers auraient, selon ses explications, été réalisés également du temps de la vie commune. L’époux nie l’existence de revenus cachés et partant celle des documents réclamés par l’appelante. Dans ces conditions, la non-production – prévisible – de ces derniers ne permettrait en l’état pas de modifier significativement l'appréciation qui sera faite par la Cour de la situation financière de l'intimé (cf. consid. 6.2.1 ci-dessous).

Enfin, la cause est soumise à la procédure sommaire dont le but est de favoriser un règlement rapide des litiges.

Les conclusions préalables de l'appelante seront donc rejetées, la cause étant en état d'être jugée.

5. L’appelante fait grief au premier juge d’avoir violé son droit d’être entendue, dans la mesure où il n’a pas examiné la question de l’imputation d’un revenu hypothétique à l’intimé, malgré les déclarations contradictoires que ce dernier avait faites à ce sujet tout au long de la procédure.

5.1 Le droit d'être entendu implique également l'obligation, pour l'autorité, de motiver sa décision, afin que son destinataire puisse la comprendre et l'attaquer utilement s'il y a lieu. Le juge n'a, en revanche, pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties. Il suffit qu'il mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 129 I 232 consid. 3.2, in JdT 2004 I 588; arrêt du Tribunal fédéral 5A_598/2012 du 4 décembre 2012 consid. 3.1).

Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2015 du 20 octobre 2015 consid. 3.1).

5.2 En l’espèce, le jugement entrepris indique, dans la partie « En Fait », les déclarations confuses faites par l’intimé au sujet de ses revenus. Après avoir rappelé les principes généraux applicables à la fixation de la contribution due à l’entretien d’un conjoint, et notamment la possibilité de retenir un revenu hypothétique à son encontre, le Tribunal a considéré que les revenus de l’intimé se composaient de sa seule rente AVS. Ce faisant, le Tribunal a implicitement estimé que les déclarations dont se prévalait l’appelante ne justifiaient pas de retenir un revenu hypothétique à l’encontre de son conjoint. Le jugement, suffisamment motivé, ne consacre par conséquent aucune violation de son droit d’être entendue.

6. Les parties contestent la contribution d'entretien allouée par le Tribunal à l’intimé.

L’appelante conclut à ce qu’aucune contribution ne soit allouée à son époux, le premier juge ayant omis d’imputer à ce dernier un revenu réel, voire hypothétique de 7'000 fr. par mois. Par ailleurs, l’intimé aurait délibérément provoqué sa situation de nécessité en ne cotisant pas à la prévoyance professionnelle pendant de nombreuses années, de sorte qu’en vertu de l’art. 125 al. 3 CC, il serait en tout état de cause déchu du droit de demander une contribution à son entretien.

L’intimé sollicite, quant à lui, que la contribution à son entretien soit fixée à 3'300 fr. par mois. Un loyer hypothétique de 2'500 fr. par mois devait être inclus dans son budget, de sorte que ses charges mensuelles s’élevaient à 4'340 fr. (1'840 fr. + 2'500 fr.). Son déficit se chiffrait ainsi à 3'173 fr. par mois (1'167 fr. de rente AVS – 4'340 fr.). Par ailleurs, les charges mensuelles admissibles de son épouse se composaient uniquement du montant de base OP (1'200 fr.), de son loyer (2'922 fr.), de sa prime d’assurance-maladie obligatoire (510 fr. 75) et de ses frais de transport (70 fr.), totalisant 4'702 fr. 75. Si l’époux ne nie pas l’existence des autres charges retenues par le Tribunal dans le budget de l’appelante, il estime que celles-ci ne constituent pas des charges incompressibles. Le disponible mensuel de l’appelante se chiffrait donc à 3'497 fr. 25 (8'200 fr – 4'702 fr. 75).

6.1.1 Le principe et le montant de la contribution d'entretien due selon l'art. 176 al. 1 ch. 1 CC se déterminent en fonction des facultés économiques et des besoins respectifs des époux. Même lorsqu'on ne peut plus sérieusement compter sur une reprise de la vie commune, l'art. 163 CC demeure la cause de l'obligation d'entretien réciproque des époux (ATF 145 III 169 consid. 3.6; 140 III 337 consid. 4.2.1; 138 III 97 consid. 2.2). Le train de vie mené durant la vie commune constitue le point de départ pour déterminer l'entretien convenable de chacun des époux, auquel ceux-ci ont droit en présence de moyens financiers suffisants. Quand il n'est pas possible de conserver ce standard, les conjoints ont droit à un train de vie semblable (ATF 147 III 293 consid. 4.4; 140 III 337 consid. 4.2.1; 137 III 102 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_255/2022 du 6 juillet 2023 consid. 3.1).

6.1.2 Dans trois arrêts publiés (ATF 147 III 265, in SJ 2021 I 316; 147 III 293; 147 III 301), le Tribunal fédéral a posé, pour toute la Suisse, une méthode de calcul uniforme des contributions d'entretien du droit de la famille - soit la méthode du minimum vital avec répartition de l'excédent (dite en deux étapes). Selon cette méthode, on examine les ressources et besoins des personnes intéressées, puis les ressources sont réparties entre les membres de la famille concernés de manière à couvrir, dans un certain ordre, le minimum vital du droit des poursuites ou, si les ressources sont suffisantes, le minimum vital élargi du droit de la famille, puis l'excédent éventuel (ATF 147 III 265 consid. 7).

Le juge jouit d'un large pouvoir d'appréciation et applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC; ATF 140 III 337 consid. 4.2.2; 134 III 577 consid. 4;
128 III 411 consid. 3.2.2).

6.1.3 En principe, un débiteur d'aliments ne peut pas être contraint de poursuivre son activité professionnelle au-delà de l'âge ordinaire de la retraite. Cependant tant qu'une telle activité est exercée, il est tenu compte des revenus qui en sont retirés pour déterminer la capacité contributive du débirentier. Par ailleurs, selon les circonstances, notamment en l'absence de problèmes de santé ou d'un autre obstacle objectif, le seul fait d'avoir atteint l'âge de la retraite ne permet pas de faire automatiquement échec à l'imputation d'un revenu hypothétique, notamment afin de financer l'entretien d'un enfant mineur (arrêt du Tribunal fédéral 5A_684/2023 du 6 mars 2024 consid. 5.4 ; 5A_372/2023 du 26 octobre 2023 consid 3.2.2). Lorsque l'entretien d'un enfant mineur est en jeu et que l'on est en présence de situations financières modestes, les exigences à l'égard des père et mère sont en effet particulièrement élevées (arrêt du Tribunal fédéral 5A_806/2016 du 22 février 2017 consid. 4.2 ; 5A_461/2019 du 6 mars 2020 consid. 3.1).

6.1.4 Les besoins sont calculés en prenant pour point de départ les lignes directrices pour le calcul du minimum vital du droit des poursuites selon l'art. 93 LP, en y dérogeant s'agissant du loyer (participation de l'enfant au logement du parent gardien). Lorsque les moyens financiers le permettent, l'entretien convenable doit être étendu au minimum vital du droit de la famille. Les postes suivants entrent généralement dans l'entretien convenable (minimum vital du droit de la famille) : les impôts, les forfaits de télécommunication, les assurances, les frais de formation continue indispensable, les frais de logement correspondant à la situation (plutôt que fondés sur le minimum d'existence), les frais d'exercice du droit de visite, un montant adapté pour l'amortissement des dettes, et, en cas de circonstances favorables, les primes d'assurance-maladie complémentaires, ainsi que les dépenses de prévoyance privée des travailleurs indépendants. L'éventuel excédent est ensuite réparti en fonction de la situation concrète, en tenant compte de toutes les circonstances (ATF 147 III 265 précité consid. 7.1).

Seules les charges effectives, à savoir celles qui sont réellement acquittées, peuvent être prises en compte pour le calcul de la contribution d'entretien (ATF 121 III 20 consid. 3a et les références; arrêts du Tribunal fédéral 5A_889/2018 du 15 mai 2019 consid. 3.2.1; 5A_771/2018 du 28 mars 2019 consid. 3.2). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il n'est pas arbitraire de tenir compte d'un loyer hypothétique pour une durée transitoire, le temps que la partie concernée trouve un logement. Hormis cette exception, seuls les frais de logement effectifs ou raisonnables doivent être pris en compte et, en l'absence de telles charges, il appartient à la personne concernée de faire valoir ses frais de logement effectifs dès la conclusion d'un contrat de bail (arrêts du Tribunal fédéral 5A_405/2019 du 24 février 2020 consid. 5.3; 5A_461/2017 du 25 juillet 2017 consid. 3.3 et les références citées).

Une dette peut être prise en considération dans le calcul du minimum vital du droit de la famille pour autant que des paiements pour l'amortir aient été effectués régulièrement avant la fin de la vie commune et qu'elle ait été contractée pour le bénéfice de la famille, décidée en commun ou que les époux en sont débiteurs solidaires (ATF 127 III 289 consid. 2a/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_979/2021 du 2 août 2022 consid. 4.2.1).

6.2.1 En l’espèce, il est vrai que l’intimé a tenu des propos contradictoires sur la situation financière des parties durant la vie commune, soutenant tantôt qu’il payait tout au moyen d’un salaire de 7'000 fr. par mois, tantôt que son épouse avait toujours été la principale source de revenu de la famille. Ses affirmations sur son ancien statut d’indépendant ou de salarié sont également confuses, et il a en sus indiqué être délégué commercial avant de dire qu’il était à la retraite depuis fin 2021. Les déclarations de l’époux n’ont toutefois jamais varié en ce qui concerne ses revenus actuels. Il a en effet toujours soutenu ne disposer que de sa rente AVS, ce qui est conforme à la taxation fiscale du couple pour l’année 2022. L’appelante ne fournit aucun indice en vue de rendre vraisemblable qu’il continuerait à percevoir des revenus supplémentaires, réalisés déjà du temps de la vie commune. Dans ces circonstances, les propos peu clairs de l’intimé sur les activités exercées avant l’âge de la retraite n’apparaissent pas déterminants pour retenir qu’il dispose actuellement de revenus cachés. C’est ainsi à juste titre que la Tribunal a admis que les ressources de l’époux se constituent de sa seule rente AVS en 1'167 fr. par mois.

Aucun élément au dossier ne permet en outre de s’écarter du principe selon lequel un conjoint ne peut pas être contraint de poursuivre son activité professionnelle au-delà de l'âge ordinaire de la retraite. Les revenus perçus par l’intimé à sa retraite découlent du mode de vie convenu entre les parties du temps de la vie commune, de sorte qu’en vertu du principe de la solidarité entre époux, on ne saurait, à ce stade, retenir un revenu hypothétique à son encontre ou faire application de l’art. 125 al. 3 CC, qui permet au juge de n’allouer aucune contribution post divorce à l’époux qui aurait délibérément provoqué la situation de nécessité dans laquelle il se trouve.

6.2.2 S’agissant des charges de l’intimé, ce dernier a quitté le logement familial le 23 août 2023. Depuis la fin de l’année 2023, il est logé gracieusement chez des tiers. L’époux ne fournit aucune information sur ceux-ci, ni sur ses conditions de logement. Il ne donne notamment aucun indice en vue de rendre vraisemblable qu’il s’agirait d’une solution temporaire qui ne saurait perdurer. Son inscription auprès de la Fondation H______ en septembre 2023 ne suffit pas à rendre vraisemblable qu’il aurait continué à chercher activement une autre solution de logement. C’est ainsi à juste titre que le Tribunal n’a pas retenu de loyer hypothétique parmi ses charges mensuelles. Celles-ci se chiffrent donc à 1'840 fr., dont 1'200 fr. de montant de base OP, 591 fr. 30 de prime d’assurance-maladie obligatoire et 45 fr. de frais de transport.

Le budget de l’intimé connaît donc un déficit de 673 fr. par mois.

6.2.3 L’appelante perçoit un salaire mensuel net de 8'200 fr.

Ses charges mensuelles non contestées s’élèvent à 4'702 fr. 75 (montant de base OP de 1'200 fr. + loyer de 2'922 fr. + assurance LaMal de 510 fr. 75 + frais de transport de 70 fr.). Il y a en sus lieu d’admettre ses frais médicaux non remboursés (36 fr.) et le montant dû chaque mois à J______ (35 fr. 90), dès lors que ces frais constituent des charges incompressibles. La situation favorable des parties justifie en outre qu’il soit tenu compte de son assurance maladie complémentaire (109 fr. 60), de ses frais de téléphonie et d’internet (200 fr.) et de ses frais courants d’impôts (1'250 fr.), dont les montants et le paiement effectif ne sont pas contestés. Sa prime d’assurance responsabilité civile et ménage (38 fr. 10) sera en revanche écartée, par égalité de traitement entre époux, puisque l’intimé doit pouvoir bénéficier d’une assurance comparable même après la séparation des parties et que le montant de celle-ci est en l’état inconnu. Les charges mensuelles admissibles de l’épouse totalisent par conséquent 6’334 fr.

Après le paiement de ses charges et des charges non couvertes de l'intimé, l'appelante bénéficie d'un excédent de 1’193 fr. par mois (8’200 fr. de revenus de l'appelante – 6’334 fr. de besoins de l'appelante – 673 fr. de déficit de l'intimée).

Le premier juge n’a pas procédé à une répartition de la quotité disponible entre les parties, considérant que cette dernière devait être laissée à l’épouse pour qu’elle puisse continuer à s’acquitter de la dette d’impôts qu’elle rembourse à hauteur de 1'200 fr. par mois. Cette solution paraît adéquate et appropriée à la situation financière des époux, dans la mesure où il n’est pas contesté que l’épouse s’acquitte régulièrement desdits arriérés d’impôts et que ceux-ci constituent une dette contractée pendant la vie commune pour le bénéfice de la famille. L’intimé ne formule au demeurant aucun grief précis contre le refus du premier juge de lui allouer une partie du disponible. Dans sa requête du 17 août 2023, il n’a d’ailleurs sollicité qu’une contribution lui permettant de couvrir son entretien courant, qu’il estimait à 3'291 fr. par mois, renonçant ainsi implicitement à une participation à l’excédent de la famille, qu’il chiffrait à 647 fr. (3'947 fr. – 3'300 fr.).

Partant, il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise en tant qu’elle accorde à l’intimé une contribution à son entretien de 700 fr. par mois.

6.3 Cette solution ne tient pas compte des contestations faites par l’appelante, pour la première fois dans sa réponse à l’appel de l’époux, au sujet de son propre revenu, qu’elle estime à 8'034 fr, et de la prise en considération dans son budget de frais de véhicule en 555 fr. par mois et d’une prime de prévoyance privée en 560 fr. par mois. Il n’y a en effet pas lieu d’examiner ces éléments, car même s’ils étaient admis, l’issue de l’appel interjeté par l’époux resterait échangée. Au demeurant, il sera relevé qu’un salaire de 8'034 fr. par mois ne modifierait pas l’issue de l’appel de l’épouse non plus. Celle-ci ne donne au surplus aucun indice pour rendre vraisemblable la nécessité de se déplacer en voiture et sa prime de prévoyance privée ne relève pas de l’entretien courant, mais de l’épargne, de sorte que ces charges seraient en tout état de cause écartées.

6.4 L’intimé demande encore que le dies a quo du versement de la contribution d’entretien soit fixé au 23 août 2023, date de son départ du domicile familial. Dès lors qu’il ne fait valoir aucune charge précise dont il n’aurait pas été à même de s’acquitter durant cette brève période, il ne se justifie pas d’avancer le dies a quo fixé par le Tribunal d’une semaine, étant relevé que de nombreux frais d’entretien courant, tels que les primes d’assurance-maladie, sont en principe réglés au début du mois.

6.5 En conclusion, les appels sont rejetés et l’ordonnance entreprise confirmée.

7. 7.1 S'agissant des frais judiciaires des appels interjetés par les parties, il sera fait masse de ceux-ci, qui seront fixés à 1’800 fr. (art. 31 et 37 RTFMC). Eu égard à la nature du litige et à son issue, lesdits frais seront répartis à parts égales entre les parties et entièrement compensés avec l’avance de frais de 800 fr. fournie par l’épouse, qui reste acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC).

L'intimé plaidant au bénéfice de l'assistance judiciaire, sa part sera provisoirement supportée par l'Etat de Genève, qui pourra en réclamer le remboursement ultérieurement aux conditions fixées par la loi (art. 123 al. 1 CPC et 19 RAJ). L'appelante sera quant à elle condamnée à verser 100 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

7.2 Compte tenu de la nature familiale du litige, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel (art. 107 al. 1 let. c CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevables les appels interjetés le 22 février 2024 par A______, respectivement B______ contre l’ordonnance OTPI/98/2024 rendue le 5 février 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/24303/2022.

Au fond :

Confirme l’ordonnance entreprise.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires des appels à 1’800 fr. et les met à la charge des parties par moitié chacune.

Dit que la part de B______ est provisoirement supportée par l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser 100 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Emilie FRANCOIS, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Emilie FRANCOIS

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.