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Décisions | Chambre civile

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C/15777/2017

ACJC/413/2024 du 26.03.2024 sur OTPI/251/2023 ( OO ) , RENVOYE

Descripteurs : SÛRETÉS;DÉLAI;RETARD;ABUS DE DROIT;CALCUL;DÉCISION DE RENVOI
Normes : CPC.99.al1.leta; CPC.99.al1.letb; CPC.99.al1.letd; CPC.100; CPC.52; CC.2
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15777/2017 ACJC/413/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 26 MARS 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, Monaco, recourant contre une ordonnance rendue par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance du canton de Genève le 13 avril 2023, représenté par Me Aba NEEMAN, avocat, rue de l'Eglise 2, case
postale 1224, 1870 Monthey 2,

et

B______ & CIE SA, sise ______ [GE], intimée, représenté par
Me Christian GROSJEAN, avocat, PBM AVOCATS SA, avenue de Champel 29, case postale, 1211 Genève 12.


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/251/2023 du 13 avril 2023, notifiée aux parties le lendemain, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant sur requête de sûretés en garantie des dépens, a condamné A______ à fournir, soit en espèces, soit sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse, des sûretés en garantie des dépens d'un montant de 182'500 fr. (ch. 1 du dispositif), fixé un délai au 4 mai 2023 à A______ pour déposer lesdites sûretés, soit en espèces auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire, soit sous forme de garantie auprès de la chambre du Tribunal (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 1'000 fr., compensés avec l'avance de frais fournie (ch. 3) et mis à la charge de A______ (ch. 4) et condamné ce dernier à payer à B______ & CIE SA la somme de 1'000 fr. à titre de dépens (ch. 5).

B. a. Par acte expédié le 24 avril 2023 à la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ a recouru contre cette ordonnance, dont il a sollicité l'annulation.

Il a conclu, avec suite de frais judiciaires et dépens, au rejet de la requête de sûretés en garantie des dépens déposée le 1er mars 2022 par B______ & CIE SA et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision sur le fond.

Préalablement, il a requis la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance entreprise, requête qui a été rejetée par la Cour par arrêt ACJC/595/2023 du 9 mai 2023.

b. Par réponse du 5 mai 2023, B______ & CIE SA a conclu au rejet du recours, avec suite de frais judiciaires et dépens.

Elle a produit une pièce à l'appui de son écriture, soit l'ordonnance OTPI/253/2023 rendue le 13 avril 2023 dans le cadre de la présente procédure et rejetant la requête de sûretés en garantie des dépens déposée le 8 novembre 2022 par A______.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué les 25 mai et 5 juin 2023. A cette occasion, A______ a relevé l'irrecevabilité de la pièce produite par B______ & CIE SA précitée. Les parties ont, pour le surplus, persisté dans leurs explications et conclusions respectives.

d. Les parties ont été informées par la Cour de ce que la cause était gardée à juger par courriers du 18 juillet 2023.


 

C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Par actes déposés les 7 juillet 2017 et 9 novembre 2018 au Tribunal, C______ SA, D______ SA et E______ SA ont chacune déposé deux actions en libération de dette à l'encontre de B______ & CIE SA, qui ont toutes été jointes sous le numéro de cause C/15777/2017.

b. Par actes des 8 janvier 2018 et 28 juin 2019, B______ & CIE SA y a répondu et déposé des demandes reconventionnelles.

c. Les parties ont eu l'occasion de répliquer et dupliquer.

d. La valeur litigieuse en capital de l'ensemble des actions introduites par D______ SA, ainsi que des demandes reconventionnelles de B______ & CIE SA s'élève au total à 21'689'712 fr. 65.

e. Sur requêtes de faillite sans poursuite préalable déposées le 14 juin 2019 par B______ & CIE SA à l'encontre de C______ SA, D______ SA et E______ SA, les trois sociétés ont été déclarées en faillite et placées en liquidation par jugement du 28 août 2019 du Tribunal du district de F______ (Valais), confirmé le 18 juin 2020 par le Tribunal fédéral.

Le juge de la faillite a ordonné la liquidation des faillites en la forme sommaire.

f. Au vu de ce qui précède, le Tribunal a prononcé la suspension de la présente procédure le 1er novembre 2019.

g. Les masses en faillite desdites sociétés ont renoncé à poursuivre le procès, eu égard aux risques qu'il représentait et aux frais de justice élevés, offrant ainsi la cession de leurs droits aux créanciers.

h. Par courrier électronique du 10 décembre 2021, l'Office des faillites de F______ [VS] a indiqué à B______ & CIE SA avoir cédé à A______, domicilié à Monaco, les droits d'agir dans la présente procédure pour le compte de D______ SA.

En contrepartie de la cession de l'action de D______ SA contre B______ & CIE SA, A______ a été astreint à déposer en mains de l'Office des faillites une somme de 150'000 fr., qu'il a réglée, contestant toutefois cette astreinte par la voie de la plainte, dont l'instruction est actuellement pendante devant le Tribunal cantonal du Valais.

B______ & CIE SA a été informée de cette cession par courrier électronique de l'Office des faillites du même jour.

i. Dans le cadre des faillites de E______ SA et C______ SA, A______ a également requis les cessions des droits de la masse contre B______ & CIE SA, lesquelles ont à nouveau été subordonnées au dépôt par A______ d'une avance de frais de 150'000 fr. pour chacune des demandes de cession.

Contre ces demandes d'avance de frais, A______ a déposé plainte selon les art. 22 et 130 LP auprès du Tribunal de F______ [VS], lequel a suspendu les procédures en attente de la décision du Tribunal cantonal.

j. Dans la mesure où seule la cession des droits de D______ SA en faveur de A______, à l'exclusion de celles de E______ SA et C______ SA, était effective, le Tribunal a ordonné, par décision du 18 août 2022, la substitution de D______ SA par A______, la reprise de la procédure s'agissant de A______ contre B______ & CIE SA et la division de la cause C/15777/2017, dont le volet concernant les sociétés C______ SA et E______ SA a été disjoint sous le numéro de cause C/1______/2022, procédure qui a été suspendue en l'absence de créancier repreneur en l'état.

k. Parallèlement, B______ & CIE SA a, par requête déposée le 1er mars 2022 au Tribunal, sollicité la fourniture de sûretés en garantie des dépens à l'encontre de D______ SA, C______ SA, E______ SA et A______.

Elle a fondé sa requête sur le fait que la condition d'insolvabilité de l'art. 99 al. 1 let. b CPC était remplie à l'égard des sociétés et celle de l'art. 99 al. 1 let. a CPC l'était à l'égard de A______, celui-ci allant succéder aux sociétés dans la procédure et étant domicilié à Monaco.

l. Par réponse à cette requête du 11 octobre 2022, A______ a conclu à son rejet. Il a, à cette occasion, fait valoir, pièce à l'appui, que, bien que non domicilié en Suisse, il y possédait de nombreux biens, notamment immobiliers.

m. Par répliques et dupliques des 24 octobre, 8 novembre et 1er décembre 2022, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

n. Aux termes de l'ordonnance entreprise, le Tribunal a retenu que la société D______ SA, à l'instar des sociétés E______ SA et C______ SA, n'avait pas d'actif disponible pour couvrir les dettes de la masse, dont les frais de procès et dépens faisaient partie intégrante, si bien qu'elle remplissait la condition d'insolvabilité de l'art. 99 al. 1 let. b CPC. A______, qui avait succédé à D______ SA dans la présente procédure, sans substitution de partie, était domicilié à Monaco. De plus, alors qu'il requérait la cession des droits de la masse des trois sociétés faillies, il contestait et refusait de payer les avances de frais y relatives, ce qui laissait supposer qu'il ne serait pas en mesure de faire face à des dettes exigibles ou qu'il ne disposerait pas d'un crédit lui permettant de se procurer les moyens nécessaires pour y faire face. Au vu de son domicile hors de Suisse et des indices de difficultés financières du cessionnaire, les conditions de l'art. 99 al. 1 let. a et let. d CPC étaient réalisées le concernant.

En l'absence de délai de déchéance fixé par le CPC, la requête de sûretés formée le 1er mars 2022 par B______ & CIE SA ne pouvait être considérée comme tardive ou abusive.

Le premier juge a fixé le montant des sûretés à 182'487 fr. 40, calculé sur la base du barème de l'art. 85 RTFMC et de la valeur litigieuse en capital de 21'689'712 fr. 65, soit un défraiement de 164'848 fr. 60, augmenté de 3% de débours et de 7.7 % de TVA, considérant par ailleurs que la cause apparaissait a priori relativement complexe et qu'une expertise judiciaire avait été demandée.

EN DROIT

1. 1.1 Conformément à l'art. 103 CPC, les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours.

Ces décisions ayant nature d'ordonnance d'instruction, le délai de recours est de dix jours en application de l'art. 321 al. 2 CPC (Tappy, CR-CPC, 2019, n. 4 et 11 ad art. 103 CPC; Suter/Von Holzen, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 2016, n. 14 ad art. 99 CPC et n. 8 ad art. 103 CPC).

Interjeté dans le délai et selon la forme prescrits par la loi (art. 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable.

1.2 Sont également recevables la réponse de l'intimée, déposée dans le délai légal (art. 321 al. 2 cum 322 al. 2 CPC), ainsi que les réplique et duplique respectives, conformément au droit de réplique (ATF 146 III 97 consid. 3.4.1 et 142 III 48 consid. 4.1.1).

1.3 La cognition de la Cour est limitée à la constatation manifestement inexacte des faits et à la violation du droit (art. 320 CPC).

La requête de sûretés est soumise à la procédure sommaire (ACJC/1092/2023 du 29 août 2023 consid. 1.2 et l'arrêt cité; Tappy, op. cit., n. 4 et 11 ad art. 103 CPC; Rüegg/Rüegg, Basler Kommentar ZPO, 2017, n. 4 ad art. 100 CPC). Le juge se fonde, par conséquent, essentiellement sur les allégations et preuves des parties (ACJC/1092/2023 précité, ibidem et l'arrêt cité). Il statue sous l'angle de la vraisemblance, sans préjuger du fond (ACJC/818/2015 du 8  juillet 2015 consid. 2.5.1).

1.4 L'intimée a produit une pièce à l'appui de sa réponse, à savoir l'ordonnance OTPI/253/2023 rendue le 13 avril 2023 dans le cadre de la procédure, que le recourant considère comme étant nouvelle et, partant, irrecevable.

1.4.1 Dans le cadre du recours, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

1.4.2 In casu, l'ordonnance ayant été rendue entre les parties dans le cadre de la présente procédure, il ne s'agit pas d'une pièce nouvelle, mais d'une pièce faisant partie du dossier de procédure de première instance. Elle n'est, en tout état, pas déterminante pour l'issue du litige.

2. Selon l'art. 197 al. 1 LP, tous les biens saisissables du failli au moment de l'ouverture de la faillite forment une seule masse, quel que soit le lieu où ils se trouvent, et sont affectés au paiement des créanciers.

La masse peut décider de continuer le procès auquel le failli était demandeur à la place de celui-ci. Elle prend alors la place du failli comme demanderesse. La masse, représentée par l'administration de la faillite, a alors seule la qualité pour agir. Elle succède au failli dans l'instance, sans substitution de partie (sous réserve cependant d'une rectification de la désignation de la partie). Il en va de même lorsque la masse cède à un créancier cessionnaire au sens de l'art. 260 LP la qualité pour faire valoir en justice, en son propre nom, le droit du failli; là également, le créancier cessionnaire succède au failli sans substitution de partie (Romy, CR-LP, n. 19 ad art. 207 LP).

3. Le recourant remet en cause tant le principe de sa condamnation en fourniture de sûretés que le montant arrêté par le Tribunal.

3.1 Il reproche, en premier lieu, au Tribunal une constatation inexacte des faits et une violation de l'art. 99 CPC, en ayant retenu de manière infondée des indices de difficultés financières à son égard. Selon lui, le premier juge a omis de prendre en considération le fait qu'il détient des biens immobiliers en Suisse, que, bien qu'ayant contesté les trois demandes d'avances de frais relatives aux cessions des droits de la masse requises, cela ne témoignait pas d'une impossibilité de s'en acquitter, mais du fait qu'il considérait la condition posée à ces cessions comme étant contraire au droit et qu'il s'était bien acquitté de l'avance concernant la cession des droits de la masse pour la présente procédure, ce dernier élément tendant à démontrer qu'il était tout à fait en mesure de faire face à ses dettes exigibles ou qu'il disposait d'un crédit suffisant pour se procurer les moyens nécessaires pour y faire face. Il soutient que le motif de sûretés de l'art. 99 al. 1 let. d CPC n'est pas réalisé.

3.1.1 Selon l'art. 99 al. 1 CPC, le demandeur doit, sur requête du défendeur, fournir des sûretés en garantie du paiement des dépens, notamment, lorsqu'il n'a pas de domicile ou de siège en Suisse (let. a), qu'il paraît insolvable, notamment en raison d'une mise en faillite, d'une procédure concordataire en cours ou de la délivrance d'actes de défaut de biens (let. b) ou pour d'autres raisons qui font apparaître un risque considérable que les dépens ne soient pas versés (let. d).

L'obligation de verser des sûretés repose sur l'idée que le demandeur décide de l'ouverture de la procédure et a ainsi le loisir de soupeser les perspectives de succès par rapport au risque de ne pas obtenir le remboursement de ses frais de procès, même en cas de succès. Le défendeur, en revanche, supporte en général involontairement les risques liés aux coûts du procès. Il doit dès lors être protégé du danger que ses dépens restent à sa charge malgré le gain du procès, parce que ceux-ci ne pourraient être recouvrés. Ce risque est particulièrement présent lorsque le demandeur a son domicile à l'étranger, car les décisions de tribunaux suisses concernant les dépens ne peuvent pas y être aisément exécutées. En conséquence, l'obligation de verser des sûretés résulte uniquement du domicile du demandeur à l'étranger, indépendamment de sa nationalité (ATF 121 I 108 consid. 2, in JT 1996 I 86 et SJ 1996 p. 129). La loi présume, dans ce cas, de manière irréfragable qu'il existe un risque considérable pour le défendeur de ne pouvoir recouvrer les dépens. Il ne résulte ni du texte de la loi, ni des travaux préparatoires ou de la doctrine qu'il faudrait réserver quelques situations que ce soit où en l'absence de domicile ou de siège en Suisse, il n'y aurait pas lieu d'admettre l'existence d'un risque (ATF 141 III 155 consid. 4.3). Le fait que le demandeur sans domicile en Suisse y ait des biens est sans incidence (Tappy, op. cit., n. 17 ad art. 99 CPC).

Selon la clause générale de l'art. 99 al. 1 let. d CPC, le demandeur doit par ailleurs fournir des sûretés en garantie des dépens lorsque d'autres raisons que celles figurant sous lettres a à c font apparaître un risque considérable que les dépens ne soient pas versés, notamment lorsque les indices de difficultés financières sont insuffisants pour que le demandeur apparaisse insolvable au sens de l'art. 99 al. 1 let. b CPC. Tel peut par exemple être le cas si une partie fait l'objet de multiples commandements de payer pour des causes diverses, si elle a eu besoin d'un sursis ou d'une remise concernant les frais d'une autre procédure ou si elle fait l'objet de saisies de salaire en cours. On peut songer aussi à une société qui serait en liquidation. Le risque de non versement des dépens pourrait aussi résulter des déclarations de la partie elle-même (Tappy, op. cit., n. 32 et 39 ad art. 99 CPC).

3.1.2 En l'espèce, si le recourant soutient que le motif de sûretés de l'art. 99 al. 1 let d CPC n'est pas réalisé, il ne se prononce pas sur la réalisation de celui de l'art. 99 al. 1 let. a CPC.

Or, à l'instar du premier juge, il convient de retenir que les conditions du motif de sûretés de l'art. 99 al. 1 let. a CPC sont remplies du fait du domicile à l'étranger du recourant, peu important le fait que celui-ci dispose de biens, notamment immobiliers, en Suisse.

De ce fait, la question de savoir s'il se justifiait de prononcer la mesure de sûretés également sur la base de l'art. 99 al. 1 let. d CPC peut rester ouverte.

3.2 Le recourant invoque, en deuxième lieu, la tardiveté de la requête et une violation de l'interdiction de l'abus de droit.

Il relève que l'intimée a requis la fourniture de sûretés le 1er mars 2022, bien après le dépôt de ses écritures de réponse et alors qu'elle connaissait l'insolvabilité des sociétés déjà lors des requêtes de faillite du 14 juin 2019. Elle avait ainsi procédé au fond à plusieurs reprises sans requérir de sûretés, y ayant renoncé, à tout le moins par actes concluants. Par sa requête intervenue après que le recourant avait pris la place de la société faillie en procédure et après qu'il avait effectué l'avance de 150'000 fr. pour ce faire, elle avait adopté un comportement contradictoire, voire avait détourné l'institution des sûretés en garantie des dépens de son but, invoquant la réalisation de l'art. 99 al. 1 let. a CPC comme un prétexte pour le mettre en difficulté. Ainsi, selon lui, la requête serait tardive, subsidiairement constitutive d'un abus de droit.

L'intimée relève qu'elle était légitimée à solliciter des sûretés à l'endroit du recourant dès sa participation à la procédure et qu'elle avait même pris des conclusions en ce sens par anticipation le 1er mars 2022.

Le recourant invoque, enfin, une violation de l'art. 100 CPC. Il fait valoir qu'au moment où le Tribunal a rendu la décision litigieuse, l'échange d'écritures était terminé et qu'il aurait, en tout état de cause, dû tenir compte de l'état d'avancement de la procédure pour estimer les dépens futurs, afin de réduire drastiquement le montant des sûretés.

3.2.1 Le CPC n'indique pas le moment auquel les sûretés doivent être requises, à la différence de certains codes de procédure civile cantonaux antérieurs qui instituaient un délai de déchéance à l'égard d'une partie ayant procédé au fond sans solliciter de sûretés (Tappy, op. cit., n. 13 et 14 ad art. 99 CP).

En principe, la nature de l'institution nécessite que la requête soit formulée le plus vite possible, avant que le défendeur ait déjà exposé des frais en procédant. C'est donc le plus souvent à réception de la demande ou de la requête visée par l'art. 101 al. 3 CPC, et en tout cas dans le délai de réponse, qui sera le cas échéant prolongé jusqu'à droit connu sur lesdites sûretés, qu'elle sera présentée. En l'absence d'une règle prévoyant une déchéance ou une présomption de renonciation à l'égard d'une partie ayant procédé au fond sans réclamer l'assurance du droit, que connaissaient certaines procédures cantonales, rien n'empêche cependant une requête plus tardive, soit parce que le défendeur n'aurait pas songé auparavant à la présenter, soit parce que son exposition à des frais susceptibles de justifier des dépens importants s'est modifiée, soit encore parce qu'une modification dans la situation du demandeur l'a rendue possible alors qu'elle ne l'était pas auparavant (p. ex. à la suite d'un déménagement) (Tappy, op. cit., n. 14 ad art. 99 CPC).

Bien que non titulaire de la prétention matérielle, le créancier cessionnaire de la masse en faillite est formellement partie au procès. A ce titre, il supporte personnellement le risque des frais et des dépens, y compris ceux précédant son intervention, ce même lorsque le débiteur failli bénéficiait de l'assistance judiciaire. Pour le dépôt d'une cautio, ce sont ses qualités personnelles qui sont prises en compte. Le droit procédural devrait donc logiquement permettre de soulever l'incident de cautio judicatum solvi à l'endroit du créancier cessionnaire, une fois qu'il prend part à la procédure (Jeanneret/Carron, CR-LP, 2005, n. 42 ad art. 260 LP).

Le simple fait que la requête de sûretés aurait pu être déposée plus tôt pendant le délai de réponse en cours ne permet pas de conclure à un comportement abusif (arrêts du Tribunal fédéral 4A_45/2023 du 21 mars 2023 consid. 4 et 4A_487/2021 du 14 décembre 2021 consid. 6.4).

3.2.2 Dans la procédure devant le Tribunal fédéral, des sûretés ne peuvent être requises que pour les dépens futurs, c'est-à-dire pour les frais qui n'ont pas déjà été occasionnés. Selon la doctrine largement majoritaire, ceci s'appliquerait aussi aux requêtes de sûretés dans une procédure cantonale, fondées sur l'art. 99 CPC; le Tribunal fédéral n'a toutefois pas encore tranché la question (arrêt du Tribunal fédéral 4A_46/2015 du 27 mars 2015 consid. 3, non publié in ATF 141 III 155).

Selon Suter/Von Holzen, si le motif de sûretés n'apparaît qu'en cours de procès, la requête doit être déposée sans retard dès connaissance de ce motif. En ce cas, les sûretés peuvent comprendre les frais déjà engagés (op. cit., n. 10 ad art. 100 CPC).

3.2.3 Les sûretés doivent couvrir en principe les dépens présumés que le demandeur aurait à verser au défendeur en cas de perte totale du procès. Pour fixer le montant des sûretés, le juge mènera donc de façon anticipée le raisonnement qu'il opérerait à l'issue de la procédure au moment de fixer les dépens, définis à l'art. 95 al. 3 CPC (ATF 147 III 529 consid. 4.3.2).

Ces dépens doivent être estimés sur la base du tarif cantonal (art. 96 CPC) et de l'expérience du juge, y compris pour d'éventuels débours selon l'art. 95 al. 3 let. a CPC (Tappy, op. cit., n. 7 ad art. 100 CPC).

3.2.4 L'art. 52 CPC impose aux plaideurs de se conformer aux règles de la bonne foi. Dans le domaine de la procédure civile, la portée de cette règle est identique à celle qu'avait auparavant l'art. 2 al. 1 et 2 CC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_485/2012 du 8 janvier 2013 consid. 6).

Constitue notamment un abus de droit l'attitude contradictoire d'une partie. Lorsqu'une partie adopte une certaine position, elle ne peut pas ensuite soutenir la position contraire, car cela revient à tromper l'attente fondée qu'elle a créée chez sa partie adverse; si elle le fait, c'est un venire contra factum proprium, qui constitue un abus de droit (arrêt du Tribunal fédéral 4A_590/2016 du 26 janvier 2017 consid. 2.1 et les réf. cit.). Il peut aussi consister à détourner une institution juridique de son but, pour servir des intérêts qu'elle n'a pas vocation à protéger. (ATF 138 III 401 consid. 2.4.1; 120 II 341 consid. 4b; arrêt précité 4A_573/2016 consid. 5.3). La prétention de cette partie ne mérite alors pas la protection du droit (arrêt du Tribunal fédéral 4A_590/2016 précité).

Il n'y a cependant pas de principe selon lequel l'on serait lié par ses propres actes. Si une personne contredit son comportement précédent, il ne faut y voir une violation du principe de la bonne foi que lorsque le comportement précédent a fondé une confiance digne de protection, qui serait déçue par les nouveaux actes (ATF 140 III 481 consid. 2.3.2, in JT 2015 II 298). Celui qui a fait confiance doit avoir pris des dispositions, en raison de la confiance créée, qui s'avèrent désormais préjudiciables pour lui (ATF 125 III 257 consid. 2a, in JT 1999 II 163 et SJ 2000 I 33; arrêt du Tribunal fédéral 4A_443/2017 du 30 avril 2018 consid. 4.5.2).

La question d'un abus de droit doit se résoudre au regard des circonstances concrètes de chaque cas. L'art. 2 CC est un remède destiné à éviter que l'application de la loi conduise dans un cas particulier à une injustice flagrante. L'emploi dans le texte légal du qualificatif "manifeste" démontre que l'abus de droit doit être admis restrictivement (ATF 143 III 666 consid. 4.2; 143 III 279 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_552/2020 du 12 mars 2021 consid. 3.2).

3.2.5 En l'espèce, le CPC ne prévoit pas de délai de déchéance pour requérir la fourniture de sûretés en garantie des dépens, de sorte que le requérant peut agir en ce sens à tout moment sans limite de temps. S'il lui est recommandé d'agir dès que possible, c'est afin de lui permettre d'obtenir la meilleure couverture des dépens au moyen des sûretés et de ne pas risquer de se voir octroyer des sûretés insuffisantes à couvrir l'ensemble des dépens dus depuis le début de la procédure.

Par conséquent, c'est à raison que le Tribunal a considéré que la requête de l'intimée, déposée en cours de procédure le 1er mars 2022, n'était, sur le principe, ni tardive ni abusive.

3.2.6 S'agissant, en revanche, du montant des sûretés arrêté par le premier juge, le recourant relève à raison que l'intimée n'a agi que le 1er mars 2022, alors qu'elle connaissait la situation d'insolvabilité de la société faillie depuis à tout le moins le 14 juin 2019 lorsqu'elle a requis la faillite sans poursuite préalable de celle-ci. Ce faisant, l'intimée n'a pas agi sans retard dès la découverte du motif de sûretés et la Cour considère qu'elle ne pouvait, dès lors, prétendre, de la part de la société en faillite, qu'à des sûretés en garantie pour les dépens futurs et non depuis le début de la procédure.

Si le créancier cessionnaire de la masse en faillite supporte certes personnellement le risque des dépens, y compris ceux précédant son intervention, la cession ne saurait toutefois avoir pour conséquence de placer la requérante en fourniture de sûretés en garantie des dépens dans une meilleure situation que celle qui prévalait avant la cession des droits de la masse en faillite et de lui permettre de bénéficier de sûretés supérieures à ce qu'elle aurait pu prétendre à défaut de cession.

Partant, c'est à tort que le Tribunal a arrêté le montant des sûretés sur la base d'une estimation de l'entier des dépens depuis le début de la procédure, l'intimée n'étant en droit d'obtenir des sûretés que pour les dépens dès la date de dépôt de sa requête.

L'état de la procédure n'étant pas précisément connu par la Cour, il convient de renvoyer la cause au premier juge afin qu'il fixe à nouveau le montant des sûretés conformément à ce qui précède, ainsi qu'un nouveau délai pour les fournir.

Seront ainsi annulés les chiffres 1 et 2 du dispositif de l'ordonnance entreprise en tant qu'ils fixent le montant des sûretés en garantie des dépens, ainsi que le délai dans lequel elles doivent être fournies, et la cause renvoyée en première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

4. Les frais judiciaires du recours seront fixés à 1'000 fr. (art. 96 et 104 al. 1 et 2, 105 al. 1 CPC; art. 19 LaCC; art. 21 et 41 RTFMC) - comprenant les frais judiciaires relatifs à l'arrêt ACJC/595/2023 rendu le 9 mai 2023 -, entièrement couverts avec l'avance de frais de même montant versée par le recourant, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Compte tenu du fait que l'intimée obtient gain de cause sur le principe et que le recourant a été débouté de sa requête en suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance entreprise, les frais seront répartis à parts égales entre les parties, à savoir à hauteur de 500 fr. pour le recourant et de 500 fr. pour l'intimée (art. 106 al. 1 CPC) et compensés.

Par conséquent, l'intimée sera condamnée à verser au recourant la somme de 500 fr. à titre de remboursement des frais judiciaires de recours.

Pour les mêmes motifs, chaque partie supportera ses propres dépens de recours (art. 106 al. 1 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 24 avril 2023 par A______ contre l'ordonnance OTPI/251/2023 rendue le 13 avril 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15777/2017.

Au fond :

Annule les chiffres 1 et 2 du dispositif de l'ordonnance entreprise en tant qu'ils fixent le montant des sûretés en garantie des dépens, ainsi que le délai dans lequel elles doivent être déposées.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Confirme l'ordonnance attaquée pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'000 fr. et les met à la charge des parties par moitié chacune.

Dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance fournie par A______, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ & CIE SA à verser à A______ la somme de 500 fr. à titre de remboursement des frais judiciaires de recours.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Nathalie RAPP, Monsieur
Jean REYMOND, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, dans la mesure de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, les moyens étant limités en application de l'art. 98 LTF (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_757/2010 du 20 avril 2011 consid. 1.2 et 1.3).

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.