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Décisions | Chambre civile

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C/3981/2022

ACJC/389/2024 du 20.03.2024 sur ORTPI/1069/2023 ( OO ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 26.04.2024, rendu le 30.05.2024, IRRECEVABLE, 4A_240/2024
Normes : CPC.319.letb
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3981/2022 ACJC/389/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 20 MARS 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par la 6ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 2 octobre 2023, représentée par Me François ROULLET, avocat, ROULLET & ASSOCIÉS, rue Ferdinand-Hodler 11, 1207 Genève,

et

B______ SARL, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me C______, avocat,

 

 


EN FAIT

A.           a. A______ SA a procédé à la réalisation de deux immeubles à D______ (GE) en qualité d'entreprise générale au cours des années 2019 et 2020.

Dans ce cadre, elle a adjugé les travaux de peinture intérieure et de plâtrerie à B______ SARL.

b. A______ SA a contesté les factures finales présentées par B______ SARL, au motif qu'il y aurait eu des malfaçons.

c. Par acte déposé le 15 juillet 2022 auprès du Tribunal de première instance
(ci-après : le Tribunal), B______ SARL a assigné A______ SA en paiement de la somme totale de 212'295 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le
18 avril 2021 au titre de factures impayées.

d. Par réponse du 24 janvier 2023, A______ SA a conclu au déboutement de B______ SARL et reconventionnellement à ce que cette dernière soit condamnée à lui verser 11'587 fr. 41.

Dans son écriture, elle a offert la preuve "par témoins" à l'appui de plusieurs allégués, sans indiquer leurs noms ni adresses.

e. Un second échange d'écritures a été ordonné.

f. Lors de l'audience de débats d'instruction du 25 septembre 2023, A______ SA a déposé sa liste de témoins, comprenant le nom de ses neuf témoins, à savoir E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______ et M______, ainsi que leurs adresses.

B______ SARL s'est opposée à la production de cette liste.

B.            Par ordonnance de preuve ORTPI/1068/2023 du 2 octobre 2023, reçue le lendemain par les parties, le Tribunal a admis, à titre de moyens de preuve pour A______ SA, l'interrogatoire des parties et l'expertise judiciaire (ch. 3 du dispositif).

Il a écarté la preuve par témoignage offerte par A______ SA au motif qu'elle s'était contentée de proposer de manière générale la preuve "par témoins" à l'appui de ses allégations de fait dans ses écritures, sans indiquer le nom et l'adresse des différents témoins qu'elle voulait faire entendre, et que la production de la liste de témoins avec leurs noms et adresses lors de l'audience du 25 septembre 2023 était tardive.

C.           a. Par acte expédié le 12 octobre 2023 au greffe de la Cour de justice, A______ SA recourt contre le chiffre 3 du dispositif de cette ordonnance, dont elle sollicite l'annulation.

Cela fait, elle conclut à ce que la Cour admette l'audition des témoins E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______ et M______, avec suite de frais et dépens.

b. Dans sa réponse du 6 novembre 2023, B______ SARL conclut, à la forme, à l'irrecevabilité du recours et, au fond, au déboutement de A______ SA de toutes ses conclusions, avec suite de frais et dépens.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué les 9, respectivement 20 novembre 2023, persistant dans leurs conclusions.

d. A______ SA s'est encore déterminée le 27 novembre 2023, persistant dans ses conclusions.

e. Par avis du 18 décembre 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 Le recours est recevable contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement
réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; Freiburghaus/Afheldt, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2016, n. 11
ad art. 319 CPC).

1.2 Dans le cadre de la décision querellée, le Tribunal a notamment écarté des moyens de preuve. Il a ainsi rendu une ordonnance d'instruction, par laquelle il a statué sur le déroulement et la conduite de la procédure. Ladite ordonnance peut faire l'objet d'un recours conformément à l'art. 319 let. b CPC.

Introduit dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1, 143 al. 1 et 321 CPC), le recours est recevable de ces points de vue.

2.             Les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées, il reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1609/2023 du 5 décembre 2023 consid. 2.1; ACJC/1458/2022 du 3 novembre 2022 consid. 2.1; Jeandin, op. cit., n. 22
ad art. 319 CPC).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement, puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit., n. 22a ad art. 319 CPC).

Selon la jurisprudence, la décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause pas de préjudice difficilement réparable - sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC) - puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (ATF 141 III 80 consid. 1.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_289/2022 du 8 juillet 2022 consid. 1.1). En soi, l'éventuelle altération de la mémoire des témoins par le simple écoulement du temps n'est pas suffisante pour retenir un préjudice difficilement réparable, dès lors qu'il s'agit d'une circonstance inhérente à toute procédure (ACJC/1609/2023 précité consid. 2.1; ACJC/580/2017 du 19 mai 2017 consid. 2.2 et la référence citée).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 142 III 798 consid. 2.2; 133 III 629 consid. 2.3.1).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (ACJC/1609/2023 précité consid. 2.1; ACJC/580/2017 du
19 mai 2017 consid. 1.2; Message du Conseil fédéral relatif au CPC,
FF 2006 6841, p. 6984; Brunner, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 13
ad art. 319 CPC).

2.2 En l'espèce, la recourante fait valoir que la décision entreprise risquerait de lui causer un préjudice difficilement réparable, dès lors que les faits de la cause remontent à l'année 2020, que la procédure ne fait que commencer et que les témoignages envisagés seraient ainsi mis en danger par l'écoulement du temps. A cet égard, elle soutient que d'ici à ce que la Cour statue sur l'ordonnance litigieuse dans le cadre d'un appel sur la décision au fond, nombre des témoins ne seront plus joignables, auront déménagé à des distances éloignées voire à l'étranger, pourraient avoir changé d'adresse ou tout simplement avoir oublié une partie des faits de la procédure, d'autres – professionnels actifs dans la construction – pourraient s'être réorientés vers une autre carrière ou être injoignables, sans compter qu'il n'est pas exclu que certains témoins décèdent dans l'intervalle ou ne soient plus en état de témoigner.

Ce faisant, la recourante ne fait qu'exposer des risques hypothétiques dont la réalisation n'a aucunement été rendue vraisemblable.

Elle n'expose en tout état pas en quoi le déménagement de certains témoins empêcherait de les auditionner, cas échéant par voie de commissions rogatoires, ni pour quelle raison certains d'entre eux ne pourraient plus être joignables à l'avenir.

Elle n'allègue par ailleurs pas que certains de ces témoins seraient particulièrement âgés ou malades. Il n'y a ainsi pas lieu de penser qu'ils pourraient décéder à brève échéance ou ne plus être en état de témoigner le moment venu, ni qu'ils pourraient avoir oublié une partie des faits de la procédure, étant rappelé que l'éventuelle altération de la mémoire des témoins par le simple écoulement du temps n'est en soi pas suffisante pour retenir un préjudice difficilement réparable, dès lors qu'il s'agit d'une circonstance inhérente à toute procédure.

Enfin, soulevant que certains témoins seraient des professionnels actifs dans la construction, la recourante n'expose pas pour quelle raison ils ne seraient plus en mesure de témoigner sur les faits de la cause s'ils devaient se réorienter vers une autre carrière, étant précisé qu'elle n'a pas sollicité l'audition de ceux-ci en qualité de témoins-experts.

La recourante n'a ainsi pas valablement démontré qu'elle risquait de subir un préjudice difficilement réparable du fait de l'ordonnance entreprise. Le recours sera par conséquent déclaré irrecevable.

3.             Les frais judicaires du recours seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 41 RTFMC) et mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais du même montant fournie par celle-ci, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

La recourante sera en outre condamnée aux dépens de sa partie adverse, lesquels seront arrêtés à 2'000 fr., TVA et débours compris, au regard de l'activité déployée par le conseil de l'intimée (art. 105 al. 2 et 106 al. 1 CPC; art. 20, 23, 25 et 26
al. 1 LaCC; art. 25 al. 1 LTVA; art. 84, 85 al. 1, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours interjeté par A______ SA contre l'ordonnance ORTPI/1069/2023 rendue le 2 octobre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/3981/2022.

Arrête les frais de la procédure de recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance de même montant fournie par elle, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser 2'000 fr. à B______ SARL à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX,
Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.