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Décisions | Chambre civile

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C/13388/2022

ACJC/263/2024 du 27.02.2024 sur ORTPI/1036/2023 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13388/2022 ACJC/263/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 27 FEVRIER 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée c/o M. B______, ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par la 4ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 22 septembre 2023, représentée par Me Guillaume RUFF, avocat, Etude Ruff SA, chemin du Pré de la Blonde 15, 1253 Vandoeuvres,

et

Maître C______, domicilié ______ [GE], intimé.

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance du 22 septembre 2023, expédiée pour notification aux parties le 25 septembre 2023, le Tribunal de première instance a déclaré irrecevable l'écriture intitulée "allégués complémentaires" reçue le 5 mai 2023 de la part de A______ (ch. 1), rejeté la requête de jonction des causes (ch. 2), limité la procédure à la question de la recevabilité (ch. 3), et fixé des délais à A______ pour se déterminer (sous forme de réplique limitée à la question de la recevabilité) et à C______ pour répondre (duplique) (ch. 4 et 5).

Il a retenu, s'agissant du chiffre 1 du dispositif de la décision, que l'écriture "allégués complémentaires" déposée spontanément ne consistait pas en une réplique, non encore ordonnée, ni ne valait exercice du droit à la réplique, de sorte qu'elle n'était pas recevable.

B.            Par acte du 6 octobre 2023, A______ a formé recours contre le chiffre 1 du dispositif de l'ordonnance susmentionnée. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait à ce que ses allégués 111 à 119 formulés dans son écriture du 4 mai 2023 ainsi que les pièces y relatives soient admis à la procédure.

C______ a conclu à titre principal à ce que l'acte de recours ne soit pas pris en considération en application de l'art. 132 al. 1 CPC, "car prolixe et inconvenant", et subsidiairement à ce que le recours soit rejeté, avec suite de frais judiciaires et dépens. Sa réponse comporte trois pages.

Par avis du 4 décembre 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants :

a. Le 16 décembre 2022, A______ a saisi le Tribunal d'une demande par laquelle elle a conclu à la condamnation de C______ à lui verser 510'974 fr. 15 avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 10 juin 2021, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Elle a, notamment et en substance, allégué, en fait, que C______ (commissaire au sursis nommé par le Tribunal dans une procédure de sursis concordataire initiée par son mari D______) s'était vu remettre, en mai 2021, par un notaire, des fonds provenant de la vente de la propriété des époux A______/D______ (à laquelle elle avait consenti, selon elle à certaines conditions, le 8 janvier 2020), que la faillite de D______ avait été prononcée par le Tribunal le 31 mai 2021, et (allégué 62) que le 10 juin 2023, elle avait "fait porter" par son avocat un courrier comportant une déclaration d'invalidation de son accord du 8 janvier 2020 et une demande de retour immédiat des fonds reçus et détenus pour son compte.

En droit, elle a, notamment et en substance, soutenu que C______ avait obtenu du Tribunal l'autorisation de recevoir l'intégralité du produit de la vente de la maison en qualité de tiers séquestre, soit un engagement relevant de la stipulation pour autrui, qui fondait une responsabilité contractuelle personnelle du précité.

b. C______, au bénéfice d'un report de son délai pour répondre, a conclu à ce qu'il soit constaté que A______ ne disposait pas de la qualité pour agir contre lui, et que lui-même n'avait pas qualité pour défendre, et à ce que la demande soit déclarée irrecevable, sous suite de frais et dépens. Il a requis qu'un délai de réponse lui soit accordé s'il n'était pas autorisé à avoir limité sa réponse à la recevabilité de la demande.

Il s'est prévalu de l'art. 5 LP pour soutenir que le lésé ne pouvait attaquer le commissaire au sursis, ce qui privait les deux parties respectivement de la qualité pour agir et de la qualité pour défendre, ainsi que du caractère de droit public de la désignation d'un commissaire au sursis pour écarter tout lien de droit privé entre les parties.

c. Par ordonnance du 6 avril 2023, le Tribunal a ordonné des débats d'instruction, lesquels seraient suivi de l'ouverture des débats principaux et des premières plaidoiries. Il a notamment retenu que les parties devraient, à l'audience, être en mesure de se déterminer sur les allégués de leur partie adverse dans la mesure où elles ne l'auraient pas encore fait.

Le 4 mai 2023, A______ a adressé au Tribunal un courrier dans lequel elle a notamment observé que la détermination de C______ ne comportait pas de réponse à ses propres allégués et procédait à une "nouvelle description des faits", de sorte qu'elle déposait en annexe une détermination sur ces faits, ainsi que des "écritures complémentaires", soit des "allégués complémentaires" (numérotés 111 à 119), un bordereau de titres et un bordereau de preuves mis à jour.

Les "allégués complémentaires" susmentionnés étaient rendus nécessaires, selon elle, par le fait que C______ ne s'était pas déterminé sur son allégué 62 et par le fait que, dans le cadre d'une "procédure parallèle engagée" contre la masse en faillite de D______ et d'une "cause parallèle" dirigée contre l'ETAT DE GENEVE, la première avait pris position sur ledit allégué. Dans cette prise de position, la masse en faillite de D______ avait relevé que la date à laquelle C______ avait reçu le courrier daté du 10 juin 2023 était ignorée, tandis que l'ETAT DE GENEVE avait admis que ce courrier avait été porté à l'étude de C______, lequel était absent et n'en avait eu connaissance qu'ultérieurement.

Les allégués 111 à 118 précités portent sur le port du pli susmentionné le 10 juin 2023, la réception du pli par la secrétaire de C______, et le transfert des fonds par ce dernier après avoir pris connaissance du pli. L'allégué 119 porte sur la levée du secret professionnel d'un avocat tiers.

d. A l'audience du Tribunal du 10 mai 2023 (intitulée selon le procès-verbal "audience de débats d'instruction, de débats principaux et de premières plaidoiries"), A______ a notamment observé considérer pouvoir formuler des allégués complémentaires et produire des titres complémentaires jusqu'à l'ouverture des débats principaux. Elle a requis la jonction de la cause avec la procédure C/1______/2022 dirigée contre la masse en faillite de D______ et contre l'ETAT DE GENEVE. C______ a, notamment, requis de pouvoir se déterminer par écrit sur la question de la jonction.

A l'issue de l'audience du 10 mai 2023, le Tribunal a notamment fixé un délai à C______ pour répondre sur les allégués de la demande, et a réservé la question de la recevabilité de l'écriture "allégués complémentaires".

e. Après deux prolongations de délai C______ a déposé sa réponse; il a persisté dans ses conclusions. Au sujet de l'allégué 62 formulé par A______, il a admis qu'un courrier avait été porté à son étude le 10 juin 2021, qu'il était absent, et qu'il avait pris connaissance du courrier "plus tard".

f. Sur quoi, l'ordonnance attaquée a été rendue.

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel
et l'organisation matérielle de l'instance (JEANDIN, CR-CPC, 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; FREIBURGHAUS/AFHELDT, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, n. 11 ad art. 319 CPC).

1.2 Dans le cadre de la décision querellée, le Tribunal a écarté des allégués. Il a ainsi rendu une ordonnance d'instruction, par laquelle il a statué sur le déroulement et la conduite de la procédure. Ladite ordonnance peut faire l'objet d'un recours conformément à l'art. 319 let. b CPC.

Introduit dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1, 145 al. 1 let. b et 321 CPC), le recours est recevable de ces points de vue.

2. Les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées, il reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1458/2022 du 3 novembre 2022 consid. 2.1; JEANDIN, CR-CPC, n. 22 ad art. 319 CPC).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement, puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (JEANDIN, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC). En principe, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (JEANDIN, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (SPÜHLER, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 7 ad art. 319 CPC). De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable (COLOMBINI, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JT 2013 III 131 ss, 155). Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (parmi plusieurs : ACJC/220/2023 du 13 février 2023 consid. 2.1; ACJC/943/2015 du 28 août 2015 consid. 2.2; ACJC/35/2014 du 10 janvier 2014 consid. 1.2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (BRUNNER, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 13 ad art. 319 CPC).

2.2 Chacune des parties peut en principe s'exprimer (sur les faits) sans limites à deux reprises, dans le cadre soit d'un double échange d'écritures, soit d'un échange d'écritures simple suivi de débats d'instruction, soit d'un échange d'écritures simple et des premières plaidoiries aux débats principaux (ATF 140 III 312 consid. 6.3.2.3).

2.3 En l'espèce, la recourante ne conteste pas la décision du Tribunal de limiter la procédure à la question de la recevabilité de sa demande.

Dans son recours, elle observe à raison que, lorsque le moyen de l'irrecevabilité soulevé par l'intimé aura été tranché, à supposer qu'il soit rejeté, il s'agira d'aborder le fond.

En revanche, contrairement à ce qu'elle soutient, à savoir que, dans cette hypothèse, le Tribunal rendrait une ordonnance de preuve en fonction des allégués, il apparaît bien plutôt qu'avant toute autre mesure, il serait ordonné un deuxième échange d'écritures dans lequel les parties auraient l'occasion de s'exprimer et formuler des allégués complémentaires sur le fond. La procédure de première instance se trouve encore au stade antérieur à l'ouverture des débats principaux, de sorte que rien ne s'oppose à ce second échange d'écritures.

La recourante ne soutient pour le surplus pas que les allégués écartés par le Tribunal dans son ordonnance du 22 septembre 2023 seraient pertinents dans le cadre de la question de la recevabilité, seule pertinente en l'occurrence.

Il s'ensuit qu'il n'existe pas de préjudice difficilement réparable, de sorte que le recours n'est pas recevable.

Ce qui précède dispense la Cour d'examiner plus avant si les passages du recours (consacrés à des commentaires des allégués écartés à ce stade) que l'intimé qualifie d'inconvenants, relèvent ou non de l'art. 132 CPC, étant précisé que l'acte ne revêt pas de caractère prolixe, contrairement à ce qui est soutenu dans la réponse au recours.

3. La recourante, qui succombe, supportera les frais de son recours (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 800 fr. (art. 41 RFTMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Il ne se justifie pas d'octroyer des dépens à l'intimé, qui comparaît en personne et n'a déposé qu'une brève réponse au recours, sans faire valoir de circonstances particulières en lien avec les démarches effectuées (art. 95 al. 3 let. c CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours formé par A______ contre le chiffre 1 du dispositif de l'ordonnance ORTPI/1036/2023 rendue le 22 septembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/13388/2022.

Arrête les frais judiciaires du recours à 800 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'ETAT DE GENEVE.

Les met à la charge de A______.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.