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Décisions | Chambre civile

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C/16676/2021

ACJC/83/2024 du 23.01.2024 sur JTPI/15012/2022 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16676/2021 ACJC/83/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 23 JANVIER 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 14ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 15 décembre 2022, représentée par Me Manuel BOLIVAR, avocat, BOLIVAR BATOU & BOBILLIER, rue des Pâquis 35, 1201 Genève,

et

Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par Me Sonia RYSER, avocate, Locca Pion & Ryser, promenade du Pin 1, case postale, 1211 Genève 3.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement incident JTPI/15012/2022 du 15 décembre 2022, reçu le 19 décembre 2022 par B______, le Tribunal de première instance (ci-après le Tribunal) a, statuant par voie de procédure ordinaire, constaté que la demande en divorce déposée le 31 août 2021 par B______ l'avait été alors que les conjoints vivaient séparés depuis plus de deux ans (chiffre 1 du dispositif) et était en conséquence recevable (ch. 2). Il a réparti par moitié entre les parties les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr. et compensés à due concurrence avec l'avance versée par B______, et condamné en conséquence A______ à verser 500 fr. à B______ (ch. 3). Il n'a pas alloué de dépens (ch. 4) et réservé la suite de la procédure (ch. 5).

B. a. Par acte expédié le 27 janvier 2023 à la Cour de justice (ci-après la Cour), A______ a formé appel de ce jugement. Elle a conclu, dépens compensés et frais judiciaires partagés, à l'annulation des chiffres 1, 2, 3 et 5 du dispositif du jugement précité et, cela fait, à ce que la Cour constate que les conditions du délai légal de l'art. 114 CC n'étaient pas remplies, rejette la demande en divorce du 31 août 2021, confirme le jugement pour le surplus et déboute B______ de toutes autres conclusions.

Subsidiairement, elle a conclu, dépens compensés et frais judiciaires partagés, à l'annulation des chiffres 1, 2, 3 et 5 du dispositif du jugement précité, au renvoi de la cause au premier juge pour nouvelle décision, confirmation du jugement pour le surplus et déboutement de B______ de toutes autres conclusions.

b. Dans sa réponse du 24 mars 2023, B______ a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de frais d'appel à la charge de A______.

c. Dans leurs réplique et duplique des 12 mai et 6 juin 2023 les parties ont persisté dans leurs conclusions.

d. Par avis du greffe de la Cour du 13 juin 2023, les parties ont été informées ce de que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. A______, née A______ [nom de jeune fille] le ______ 1977, originaire de C______ (Fribourg), D______ (Fribourg) et Genève, et B______, né le ______ 1973, originaire de Genève, ont contracté mariage le ______ 2005 à E______ [GE].

b. Un enfant est issu de cette union, G______, né le ______ 2007 à F______ [GE].

c. A______ et B______ sont également les parents d'accueil de l'enfant H______, né le ______ 2013, qu'ils ont accueilli lorsqu'il avait huit mois.

d. A______ a formé une requête de mesures protectrices de l'union conjugale en date du 19 juin 2019. Elle a conclu notamment à l'attribution en sa faveur du domicile conjugal.

Il ressort de sa requête qu'elle avait compris que les divergences entre les époux n'étaient plus conciliables et pris la décision de ne plus vivre avec son époux. La vie commune apparaissait impossible.

e. Dans ses plaidoiries finales du 28 mai 2020, B______ a allégué que les époux faisaient chambre à part et s'étaient séparés depuis le mois de mai 2019.

Dans ses déterminations du 8 juin 2020, A______ s'est prononcée sur différents aspects des plaidoiries finales de B______, sans contester le fait qu'ils faisaient chambre à part ou que leur séparation remontait au mois de mai 2019.

f. Il ressort du rapport d'évaluation sociale du Service d'évaluation et d'accompagnement de la séparation parentale (ci-après le SEASP) du 3 février 2020, que depuis l'annonce de la séparation, A______ et B______ avaient pu mettre en pratique diverses modalités d'organisation des relations personnelles avec les enfants, passant de la garde alternée à des visites élargies. Au moment de l'établissement du rapport, ils alternaient un week-end sur deux et s'organisaient le reste du temps d'entente entre eux puisqu'ils vivaient sous le même toit. Ils avaient déclaré au SEASP que la cohabitation sous un même toit péjorait la relation parentale. La psychologue de G______ avait expliqué que l'enfant s'était ouvert sur la séparation de ses parents et avait exprimé que sa mère lui manquait quand il passait moins de temps avec elle. La psychologue relevait également que le père était plus présent et s'impliquait davantage depuis la séparation.

g. Par jugement JTPI/9276/2020 du 24 juillet 2020, le Tribunal a notamment autorisé les époux à vivre séparés, attribué la jouissance du domicile conjugal à A______ et imparti un délai à B______ au 30 septembre 2020 pour quitter ledit logement (chiffre 6 du dispositif du jugement).

Il ressort en particulier de ce jugement que les époux se sont séparés au mois de mai 2019 bien que vivant toujours ensemble au domicile conjugal.

h. Statuant sur appel de B______ par arrêt ACJC/1628/2020 du 20 novembre 2020, la Cour de justice a notamment annulé le chiffre 6 du dispositif du jugement précité et imparti à B______ un délai au 31 janvier 2021 pour quitter le domicile conjugal.

Il ressort également de cet arrêt que les époux se sont séparés durant le mois de mai 2019, tout en continuant à vivre sous le même toit.

i. B______ a quitté le domicile conjugal dans le délai imparti par la Cour.

j. Par requête déposée au greffe du Tribunal de première instance le 31 août 2021, B______ a formé une demande unilatérale en divorce.

k. Lors de l'audience de comparution personnelle du 2 mars 2022, il a persisté dans ses conclusions.

A______ s'est opposée au prononcé du divorce au motif qu'il ne s'était pas écoulé plus de deux ans depuis la suspension de la vie commune au moment de la litispendance. Selon elle, la séparation des époux remontait au 1er février 2021.

Le Tribunal a limité l'instruction de la cause, en application de l'article 125 let. a CPC, à la réalisation du motif de divorce visé par l'article 114 CC.

l. Par conclusions du 2 mai 2022, B______ a conclu à ce qu'il soit constaté que le principe du divorce était bien-fondé, et, par conséquent, que la demande en divorce formée le 31 août 2021 était bien-fondée, et à la condamnation de A______ en tous les frais judiciaires et dépens liés au traitement de la question du bien-fondé du principe du divorce.

Il a fait valoir, offrant de prouver ses allégués par les pièces mentionnées ci-après entre parenthèses, dont le contenu est résumé aux paragraphes suivants, que les difficultés conjugales ayant conduit à la séparation du couple remontaient à l'été 2018 et avaient atteint leur paroxysme au printemps 2019, date à laquelle les époux avaient décidé de se séparer. Leurs relations étaient devenues extrêmement tendues et ils avaient de plus en plus de mal à communiquer (pces 34 et 35 dem.). Après des vacances communes au mois de février 2019, durant lesquelles les époux n'avaient pas partagé d'activités, ni même leur chambre d'hôtel, A______ avait fait part à B______ de sa volonté de se séparer au mois de mars 2019 (pces 36 et 37 dem.). L'annonce de la séparation aux enfants avait eu lieu au mois de mai 2019 (pce 42 dem.). Depuis, bien que vivant sous le même toit, les époux avaient mis en place l'organisation de la séparation, s'occupant à tour de rôle des couchers, des levers, des repas de midi, etc., puis un système s'apparentant à une garde alternée. Il a fait valoir en outre que la séparation était connue de tous, qu'ils ne se rendaient plus ensemble aux fêtes familiales, ni aux dîners entre amis, ne fêtaient plus conjointement les anniversaires des enfants, ni ne partaient en vacances ensemble. A titre d'exemple, il avait passé les vacances d'été 2019 avec les enfants en Espagne alors que A______ les avait passées avec les enfants à I______ [VS] (pce 49 dem.). Les époux faisaient par ailleurs chambre à part (pces 40 all. 5 et 47 dem.). Il avait intégré le sous-sol du domicile, lequel disposait d'une entrée indépendante. Si les époux avaient continué à vivre sous le même toit c'était uniquement en raison du fait qu'aucun d'eux ne souhaitait quitter le domicile conjugal car chacun d'entre eux en sollicitait l'attribution en sa faveur.

Il ressort notamment des pièces produites par B______ que dans un écrit du mois de septembre 2018, A______ affirmait que les époux devaient changer pour que leur couple ait une possibilité de perdurer, à défaut de quoi ils devraient prendre des chemins différents (pce 34 dem.). Dans une lettre du 30 mars 2019 à son épouse, B______ situait la "crise et [la] décision de rompre/séparation" de A______ en 2019 (pce 36 dem.). Dans un courriel du 5 janvier 2020 à son épouse, B______ relevait la volonté de séparation manifestée par celle-là "dès le mois d'avril et surtout mai 2019" (pce 37 dem.). Enfin, une lettre manuscrite de A______ à B______ datée du 22 mai 2019 mentionnait que l'annonce de la séparation du couple aux enfants avait eu lieu (pce 42 dem.).

m. Dans son mémoire de réponse du 15 juillet 2022, A______ a conclu à ce qu'il soit constaté que les conditions du délai légal de l'art. 114 CC n'étaient pas remplies, de sorte que le principe du divorce était mal-fondé, de même que la demande en divorce, les frais judiciaires devant être partagés et qu'il ne devait pas être alloué de dépens.

Elle a allégué que les époux avaient continué de vivre ensemble jusqu'au 31 janvier 2021, date à laquelle B______ s'était constitué un domicile séparé. Ils avaient jusque-là partagé de nombreuses pièces de la maison, notamment le salon, la cuisine, la salle à manger et le dressing, en famille, ayant des échanges entre époux et avec les enfants comme une famille normale.

Ils formaient ainsi une communauté domestique, puisqu'elle se chargeait des courses de la famille, de même que B______, quoique dans une moindre mesure, et préparait les repas. Ils regardaient des films tous ensemble et faisaient des jeux de sociétés avec les enfants. En outre, ils prenaient très régulièrement leurs repas ensemble, en particulier le petit-déjeuner et le repas du soir (pces 2 à 9 déf.). Les époux se rendaient par ailleurs de nombreux services : ils se prêtaient leurs voitures respectives, A______ nettoyait parfois la voiture de B______, ce dernier se rendait chez le garagiste pour les deux véhicules et ils s'occupaient tous deux du jardin de la maison. Ils ne disposaient pas de finances séparées; B______ assumait l'ensemble des frais de la famille, y compris les frais du véhicule de A______, à l'exception des primes d'assurance-maladie de celle-ci.

Ils avaient aussi vécu le confinement du printemps 2020 ensemble. Ils prenaient leur repas ensemble, jouaient à des jeux de société et faisaient des puzzles, regardaient des films ensemble et s'occupaient ensemble du travail scolaire des enfants.

Ainsi, jusqu'au départ de B______ du domicile conjugal, A______ et B______ formaient une communauté physique (repas commun, vie commune, ménage commun, lessive, etc.), spirituelle (moments partagés ensemble, loisirs partagés) et économique (charges de la famille assumées par l'époux).

n. Lors de l'audience du 6 septembre 2022, A______ a déclaré qu'elle n'avait plus eu de relations intimes avec B______ depuis le dépôt de la requête de mesures protectrices. Il n'y avait plus eu non plus de relations de type amoureux ou des échanges affectueux, mais uniquement une complicité liée à leur passé amoureux. Cette complicité devait pouvoir perdurer malgré des domiciles distincts.

S'agissant des repas, B______ a exposé que celui qui était à la maison cuisinait, soit généralement lui. Les repas étaient pris tous ensemble à raison de la moitié du temps. Les époux avaient essayé plusieurs systèmes de garde alternée, soit un jour sur deux, une semaine sur deux ou un week-end sur deux et avaient défini les responsabilités de chacun. Concernant les courses, il y avait eu plusieurs systèmes : au début, A______ les faisait et il la remboursait; puis, à compter de l'été 2019, il s'en était chargé. Il a confirmé qu'il leur était arrivé de regarder des films en famille. S'agissant du ménage, A______ s'occupait du nettoyage des pièces communes, à l'exception du week-end de garde B______ où ce dernier se chargeait de tout, y compris de la lessive.

A______ a contesté le moment à partir duquel B______ se serait chargé lui-même des courses. Il s'agissait selon elle des trois mois précédant son départ du domicile conjugal.

o. A l'issue de l'audience, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions. La cause a été gardée à juger sur la réalisation des conditions du divorce.

D. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a en substance retenu que la séparation des conjoints était intervenue en mai 2019, date à partir de laquelle il n'y avait plus eu de communauté affective, intellectuelle, morale ou spirituelle entre eux. B______ avait intégré le sous-sol de la villa, lequel bénéficiait d'une entrée séparée et les conjoints faisaient chambre à part; seuls la cuisine et le salon étaient encore utilisés par les deux époux. Il n'y avait plus eu de relation de type amoureux ou affectueux entre eux. A______ avait clairement affirmé sa volonté de mettre un terme à la vie commune au printemps 2019, laquelle s'était concrétisée par l'annonce faite aux enfants au mois de mai 2019 et le dépôt de la requête de mesures protectrices de l'union conjugale le 19 juin 2019 qui exprimait sa volonté de ne plus vivre avec son époux. Le rapport du SEASP du 3 février 2020 mentionnait les diverses modalités de prise en charge des enfants mises sur pied par les conjoints après leur avoir annoncé leur séparation. Tant le Tribunal que la Cour avaient d'ailleurs constaté dans leurs décisions sur mesures protectrices de l'union conjugale que la séparation était intervenue en mai 2019, sans provoquer de réaction de la part de A______. Les modalités d'organisation de la vie dans la villa entre mai 2019 et janvier 2021 – notamment le fait que les parties s'étaient rendu des services mutuels en matière de cuisine, de courses et de ménage, que des moments avaient été partagés en famille lors de repas, de visionnements de films ainsi que lors de séances de jeux et qu'une caisse commune avait été instaurée – ne permettaient pas de remettre en cause ce constat, ne s'agissant que de mesures d'organisation à l'image de ce que feraient des colocataires et ne constituant que des résidus de solidarité conjugale imposés par la vie sous un même toit, notamment pendant la période de confinement décrétée lors de la crise sanitaire du COVID-19. L'absence d'indépendance économique de A______ était à mettre en lien avec la durée de la procédure du fait qu'aucun des conjoints ne souhaitait quitter l'ancien domicile conjugal, dont chacun réclamait la jouissance, et non pas la persistance d'une communauté conjugale.

EN DROIT

1.             1.1 Interjeté contre une décision incidente de première instance (art. 237 al. 1 et 308 al. 1 let. a CPC), auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), dans une cause non patrimoniale ou dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure est supérieure à 10'000 fr. (art. 91 al. 1, 92 al. 1, 308 al. 2 CPC), dans le délai utile de trente jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1, 145 al. 1 let. c, art. 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) dans la limite des griefs qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2014 consid. 5.3.2). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3).

1.3 La maxime inquisitoire atténuée et la maxime de disposition sont applicables en ce qui concerne le principe du divorce (art. 55 al. 2, 58 al. 1 et 277 al. 3 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_322/2022 du 5 octobre 2023 consid. 3.1.2; Tappy, Commentaire Romand, CPC, 2019, n° 5 ad art. 277 CPC).

1.4 La procédure ordinaire est applicable par analogie (art. 219 ss CPC), avec les exigences de la procédure de divorce (art. 219 et 274 ss CPC; ATF 144 III 54 consid. 4.1.2; arrêt précité 5A_322/2022; Tappy, op. cit., n° 22 ad art. 291 CPC).

2. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir constaté et apprécié de manière inexacte les faits et violé le droit dans l'application de l'art. 114 CC, en retenant une acception trop extensive de la notion de séparation des conjoints.

L'appelante n'articule toutefois aucune critique contre le jugement dans l'établissement des faits pertinents à l'application de l'art. 114 CC. Elle reproche uniquement au Tribunal d'avoir retenu une date de séparation erronée dans l'application de cette norme. Ce faisant, le grief d'établissement inexact des faits se confond avec le grief de violation du droit, de sorte qu'ils seront examinés uniquement sous l'angle de la violation du droit dans l'application de l'art. 114 CC.

3. 3.1 En vertu de l'art. 114 CC, un époux peut demander le divorce lorsque, au début de la litispendance ou au jour du remplacement de la requête par une demande unilatérale, les conjoints ont vécu séparé pendant deux ans au moins.

La notion de séparation au sens de cette disposition n'est pas définie. Elle implique que les époux ne forment plus une communauté physique, intellectuelle, morale et économique. La preuve de la vie séparée comportera un aspect objectif - une vie organisée de manière séparée - et un aspect subjectif - la fin de la communauté domestique découlant de la volonté de l'un des conjoints au moins. S'agissant de l'élément objectif, la fin de la communauté domestique s'exprime en principe par la prise de logements séparés (fin de la communauté physique) et une vie gérée de manière séparée (fin de la communauté économique). Elle n'est toutefois pas forcément incompatible avec un logement commun. En effet, les époux peuvent vivre sous le même toit et néanmoins être séparés au sens de l'art. 114 CC dans la mesure où ils ne forment pas un ménage commun au sens précité. Des rencontres ponctuelles (à la buanderie ou à la cave, voire l'usage en alternance de la cuisine), de même que quelques menus travaux menés dans l'intérêt commun (cuisiner ponctuellement pour l'autre conjoint, ranger le logement, s'occuper de petites réparations) ne mettent pas fin à la séparation exigée par l'art. 114 CC. Quant à l'élément subjectif, une séparation de fait ne réalise pas à elle seule la suspension de la vie commune; il faut que celle-ci soit l'expression de la volonté d'au moins l'un des conjoints de mettre fin à la vie en communauté domestique (fin de la communauté intellectuelle et morale). Une telle volonté doit être claire et reconnaissable, même si elle n'a pas nécessairement été reconnue comme telle par l'autre conjoint. Ainsi, la définition de la vie séparée doit s'orienter sur la conception que les époux avaient de la vie commune. Les époux sont considérés comme séparés lorsque l'organisation actuelle de leur vie diffère, dans une large mesure, de la conception qu'ils se faisaient de la vie commune (arrêts du Tribunal fédéral 5A_322/2022 du 5 octobre 2023 consid. 4.1; 5A_242/2015 du 17 juin 2015 consid. 3.2 et 3.3; 5P.26/2007 du 25 juin 2007 consid. 3.3).

3.2.1 Se fondant essentiellement sur des auteurs de doctrine et de la jurisprudence cantonale (Leuba, Meier, Papaux van Delden, droit du divorce, p. 28; Sandoz, Commentaire Romand, CC, n° 4 ad art. 114 CC; Rumo-Jungo, PJA 1999, p. 1532; Sutter, Freiburghaus, Kommentar zum neuen Scheidungsrecht, n° 10 ad art. 114 CC; Kreis Gericht Thun, FamPra.ch 2001 551 N 56; Kantons Gericht St-Gallen, du 20.2.2001, RJB 2002 54 ss), l'appelante considère en substance que le Tribunal ne pouvait admettre une séparation de conjoints vivant encore sous le même toit, ou alors à des conditions très restrictives, non réalisées en l'occurrence. Ainsi, le seul fait d'utiliser régulièrement en commun une pièce d'un même logement, ou de se fournir des services réciproques était suffisant à exclure toute vie séparée.

Or, une conception aussi étroite de la notion de séparation ne découle pas de la jurisprudence du Tribunal fédéral exposée ci-dessus, qui, au contraire, dans le cadre de l'arrêt précité 5A_322/2022 du 5 octobre 2023, a admis la séparation de conjoints dans une situation très similaire au cas d'espèce, voire moins évidente puisque les conjoints faisaient encore chambre commune, mais dormaient dans des lits séparés.

3.2.2 L'appelante reproche également au Tribunal d'avoir retenu que les époux fonctionnaient comme des colocataires car l'organisation des repas n'avait notamment pas fondamentalement changé avant et après mai 2019. En outre, les relations des époux dépassaient les rencontres inévitables en cas de vie sous un même toit et dénotaient la persistance de la communauté domestique (services rendus en matière de cuisine, courses et ménage; moments passés en famille tels que repas, visionnement de film et jeux; caisse commune).

Dans l'arrêt précité, le Tribunal fédéral a admis que la survivance de contacts au sein du couple, liés à la vie sous un même toit, n'excluait pas la séparation, dans la mesure où il avait été mis fin de manière reconnaissable à la communauté physique, intellectuelle, morale et économique qui les unissait. Il suffit que l'organisation de leur vie postérieurement à la séparation diffère, dans une large mesure, de la conception qu'ils se faisaient de la vie commune antérieurement.

En l'occurrence, le Tribunal a retenu, sans que cela soit contesté en appel, que l'appelante avait clairement affirmé sa volonté de mettre un terme à la vie commune au printemps 2019, laquelle s'était concrétisée par l'annonce faite aux enfants au mois de mai 2019 et le dépôt de la requête de mesures protectrices de l'union conjugale le 19 juin 2019. Le rapport du SEASP du 3 février 2020 mentionnait les diverses modalités de prise en charge des enfants mises sur pied par les conjoints après leur avoir annoncé leur séparation. Ces éléments sont suffisants à considérer que les conjoints avaient réorganisé leur vie dans l'optique de concrétiser une séparation, tout en demeurant sous le même toit, reconnaissable par des tiers. Avec le Tribunal, la Cour retiendra que la survivance d'activités communes ou d'actes d'entraides entre les conjoints n'étant que la conséquence de la coexistence dans une même villa, sans qu'il ne faille plus y voir de volonté de vivre en communauté conjugale. Notamment le fait que la famille a continué à partager de nombreux repas est contrebalancé par le fait que les conjoints ont, pour le reste, organisé la prise en charge séparée des enfants dès mai 2019, ce que le SEASP a constaté. Ils n'ont également plus passé de vacances en commun avec les enfants. Quant à la prise en charge par l'intimé de l'intégralité des frais de la famille, elle découlait de son obligation d'entretien.

3.2.3 L'appelante relève encore les termes utilisés par la Cour dans son arrêt du 20 novembre 2020 sur mesures protectrices de l'union conjugale, laissant penser que cette juridiction aurait admis que les conjoints n'avaient pas mis fin à la vie commune entre mai 2019 et janvier 2021. Elle cite notamment les passages suivants : consid. 5.2.5 : "… la Cour partant du principe que [B______] continuera d'assumer l'essentiel des charges de la famille tant qu'il fera ménage commun avec [A______] mais au plus tard dès le 1er février 2021"; consid. 3.2 : "la séparation ne deviendra réellement effective et concrète pour leur enfant commun qu'à partir du moment où chaque époux aura son propre logement" et "la séparation effective des époux provoquera un bouleversement dans la vie de G______, dont il est difficile de prévoir les réactions"; consid. 4.2.1 : "l'intérêt des deux mineurs à ne pas se voir imposer un changement d'environnement, au moment où les parties se séparent, l'emporte sur tous les autres critères".

Si l'emploi des termes "ménage commun" au consid. 5.2.5 était peut-être ambigu, ceux utilisés au consid. 3.2 ne laissent planer aucun doute sur le fait que la Cour distinguait clairement la vie séparée sous un même toit et la séparation "effective et concrète" des époux qui devait débuter lorsque l'un d'entre eux aurait quitté le domicile conjugal et s'en serait constitué un nouveau. Quant à l'allusion à la séparation au consid. 4.2.1, elle doit être comprise avec la même nuance que celle apportée au consid. 3.2. En tout état, ces termes doivent être replacés dans leur contexte, à savoir une décision qui retient, dans son état de fait incontesté, que les époux se sont séparés en mai 2019. Ainsi, lu dans son ensemble l'arrêt de la Cour du 20 novembre 2020 ne saurait constituer un indice probant de la persistance d'une communauté conjugale entre les parties au-delà du mois de mai 2019.

3.3 Partant, il y a lieu d'admettre que les époux vivent séparés depuis le mois de mai 2019, de sorte que la demande en divorce déposée par le demandeur le 31 août 2021 l'a été plus de deux ans après la séparation des parties. Les conditions de l'art. 114 CC étant par conséquent réalisées, le jugement entrepris sera confirmé.

4. Les frais judiciaires d’appel seront fixés à 1'000 fr. (art. 96 et 104 al. 1 et 2, 105 al. 1 CPC; art. 19 LaCC; art. 36 RTFMC), mis à la charge de l'appelante qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l’avance de frais de même montant qu'elle a versée, laquelle reste acquise à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

De même, les dépens d'appel seront mis à la charge de l'appelante et arrêtés à 1'000 fr., débours et TVA inclus (art. 95 al. 1 let. b et al. 3, 104 al. 1 et 2, 105 al. 2 et 106 al. 1 CPC; art. 20, 23 et 25 LaCC; art. 84 ss RTFMC).

* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 27 janvier 2023 par A______ contre le jugement JTPI/15012/2022 rendu le 15 décembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/16676/2021.

Au fond :

Confirme ledit jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance de frais de même montant, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ 1'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Jean REYMOND, juges; Mme Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 


Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indéterminée.