Skip to main content

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/21506/2023

ACJC/46/2024 du 08.01.2024 ( IUS ) , ADMIS

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21506/2023 ACJC/46/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 8 JANVIER 2024

 

Entre

A______ SARL, sise ______, requérante sur requête de mesures provisionnelles, représentée par Me Alexandre BÖHLER, avocat, Kaiser Böhler, rue des Battoirs 7, case postale 284, 1211 Genève 4,

et

B______ SA, sise ______, citée.


Attendu, EN FAIT, que A______ Sàrl est une société à responsabilité limitée inscrite au Registre du commerce genevois, dont le but est la prestation de services dans le domaine de l'internet, la création, l'application et le développement de sites internet, ainsi que les services marketing y relatifs;

Qu'elle exploite un site web au nom de domaine C______.ch, site d'annonces érotiques, faisant, selon ses allégués, l'objet actuellement de consultations de plus de 2'400'000 "visiteurs" par mois, disposant de plus de 46'000 membres inscrits et de plus de 1'600 annonces;

Qu'elle est titulaire de la marque C______ enregistrée en Suisse le ______ 2020 pour les produits ou services relevant des classes n° 10, 16, 35, 38, 40 à 42, 44 et 45 de la classification internationale des produits et des services (Classification de Nice), soit notamment les "services de rencontres amoureuses sur internet" et les "services d'escorte";

Que B______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, dont l'administrateur est D______;

Qu'elle a pour but social l'exploitation d'une agence de mannequins, hôtesses et gardes du corps notamment;

Qu'elle exploite le site web au nom de domaine E______.com, site d'annonces érotiques, à la fréquentation ne dépassant pas 5'000 "visiteurs" par trimestre, ainsi que les sites web d'annonces érotiques E______.com, F______.com, G______.com, H______.com, I______.ch, J______.ch, K______.ch;

Que le nom de domaine C______.ch a été acquis par elle-même ou par son administrateur;

Que A______ Sàrl allègue avoir, le 2 mai 2022, consulté les sites E______.com, F______.com, G______.com, H______.com, J______.ch et avoir constaté que se trouvaient affichés sur ceux-ci notamment un "site partenaire", soit C______.ch, lequel renvoyait à E______.com;

Qu'après cette consultation, elle a requis, et obtenu, de B______ SA qu'elle supprime l'indication précitée de ce site;

Que par lettre de son avocat du 30 juin 2022, elle a mis en demeure B______ SA de supprimer à nouveau cette redirection, dont elle avait constaté qu'elle était à nouveau active;

Que le 27 avril 2023, elle a porté plainte au Ministère public du chef de violation du droit à la marque et de violation de la LCD, en raison d'une réactivation du site C______.ch avec redirection du trafic vers le site E______.com;

Que, les 2 mai, 17 juillet et 22 septembre 2023, elle s'est adressée à B______ SA dans les mêmes termes qu'en juin 2022, après avoir à nouveau et à chaque reprise, constaté la réactivation de la redirection susévoquée;

Que, le 20 octobre 2023, elle a saisi la Cour d'une requête de mesures provisionnelles dirigée contre B______ SA sur la base des dispositions du droit de la propriété intellectuelle;

Qu'elle a conclu principalement à ce qu'il soit ordonné à M______, case postale, 1______ Zurich, de bloquer avec effet immédiat le nom de domaine C______.ch ainsi que la redirection du trafic depuis ce nom de domaine sur un quelqu'autre site web, subsidiairement à ce qu'il soit interdit à B______ SA d'utiliser le nom de domaine internet C______.ch et d'effectuer toute promotion de ce site sous quelque forme que ce soit sous la menace de la peine d'amende prévue par l'art. 292 CP et à ce qu'il soit dit que faute d'exécution dans les trois jours dès l'entrée en force de la décision B______ SA serait condamnée, sur sa requête, à une amende d'ordre de 1'000 fr. pour chaque jour d'inexécution, à être dispensée de fournir des sûretés et à se voir octroyer un délai de soixante jours pour ouvrir action au fond, avec suite de frais et dépens;

Qu'elle a pris à titre superprovisionnel les mêmes conclusions que celles articulées subsidiairement à titre provisionnel;

Que, par ordonnance du 20 octobre 2023, la Cour a rejeté les conclusions prises à titre superprovisionnel par A______ Sàrl, dit qu'il serait statué sur les frais de la décision dans l'ordonnance rendue sur mesures provisionnelles et imparti à B______ SA un délai de dix jours dès notification pour répondre à la requête;

Que, dans sa réponse, B______ SA n'a pas pris de conclusions expresses;

Qu'elle a contesté toute violation de la LPM et de la LCD, a allégué qu'elle n'utilisait plus "le nom de domaine litigieux" déjà avant le dépôt de la requête, de sorte que celle-ci lui apparaissait sans objet;

Qu'elle s'est engagée à ne plus l'utiliser "dans ce secteur d'activité", tout en considérant rester autorisée à "utiliser [s]on nom de domaine – qui [lui] appart[enait] dans tout autre secteur d'activité, ce qui ne saurait constituer de la concurrence déloyale";

Que, par détermination du 9 novembre 2023, A______ Sàrl a conclu à ce qu'il soit donné acte à B______ SA de sa renonciation à l'utilisation du nom de domaine internet C______.ch et d'effectuer toute promotion de ce site sous quelque forme que ce soit, à ce qu'il soit dit que non-respect de l'engagement par B______ SA entraînerait le prononcé d'une peine d'amende prévue par l'art. 292 CP, à ce qu'elle soit dispensée de fournir des sûretés, à ce qu'un délai de soixante jours lui soit accordé pour ouvrir une action au fond, avec suite de frais et dépens;

Que B______ SA a conclu au déboutement de A______ Sàrl des fins de ses conclusions, avec suite de frais et dépens;

Qu'elle a produit une pièce de "L______" [service gratuit d'analyse d'audience d'un site internet] dont ne résulterait selon elle aucune redirection active de C______.ch sur un site exploité par elle-même;

Qu'elle a allégué que seule A______ Sàrl aurait utilisé le lien "tous les jours plusieurs fois par jour", que les redirections constatées provenaient d'une erreur de son technicien, lequel avait procédé à tort à des redirections "en bloc", alors qu'elle l'avait pourtant instruit de mettre fin à celles-ci;

Que, par avis du 20 décembre 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger;

Que, par pli du 21 décembre 2023, A______ Sàrl a déposé copie d'une ordonnance pénale non définitive, rendue par le Ministère public le 12 décembre 2023, à l'encontre de D______, déclarant notamment celui-ci coupable d'infraction aux art. 61 al. 1 let. a et b LPM, de concurrence déloyale au sens des art. 3 al. 1 let d et 23 LCD et le condamnant à une peine pécuniaire et une amende, et a ordonné la révocation du nom de domaine C______.ch une fois l'ordonnance entrée en force;

Considérant, EN DROIT, que la requérante a fondé sa requête sur la loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM), ainsi que sur la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD);

Que, selon les art. 5 al. 1 let. a, c et d CPC et 120 al. 1 let. a LOJ, la Chambre civile de la Cour de justice connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, de ceux portant sur l'usage d'une raison de commerce et, lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr., de ceux relevant de la LCD;

Que cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC);

Qu'au vu des conclusions prises par la requérante, il sera admis que la Cour de céans est compétente à raison de la matière, étant relevé que la valeur litigieuse des prétentions relevant de la LCD peut demeurer indécise;

Que, compte tenu de l'issue de la présente procédure, la question de la recevabilité de la pièce déposée par la requérante après que la cause a été gardée à juger peut demeurer indécise;

Qu'aux termes de ses dernières conclusions, tenant compte de ce que la citée s'est engagée à ne plus utiliser le nom de domaine C______.ch, la requérante a renoncé à sa conclusion principale pour se limiter à conclure qu'il soit pris acte de cet engagement, avec mesure d'exécution, qu’elle soit dispensée de fournir des sûretés et que lui soit fixé un délai pour agir au fond;

Qu'en application de l'art. 261 al. 1 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b);

Que l'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite;

Qu'à teneur de l'art. 55 al. 1 let. a et b LPM, la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit à la marque peut demander au juge civil de l'interdire si elle est imminente ou de la faire cesser si elle dure encore, y compris par la voie provisionnelle (art. 59 let. d LPM);

Que l'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au Code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961);

Que la vraisemblance requise doit en outre porter sur un préjudice difficilement réparable, qui peut être patrimonial ou immatériel (Huber, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 2ème éd. 2013, n° 20 ad art. 261). Que cette condition vise à protéger le requérant du dommage qu'il pourrait subir s'il devait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue au fond (ATF 139 III 86 consid. 5; 116 Ia 446 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_901/2011 du 4 avril 2012 consid. 5; 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4);

Qu'en droit des marques ou en matière de concurrence déloyale, il est admis qu'un risque de confusion est en règle générale de nature à engendrer une perturbation du marché, ainsi que d'autres dommages de nature immatérielle. Que la condition de menace d'un dommage difficile à réparer est dès lors en règle générale considérée comme remplie (Schlosser, Les conditions d'octroi des mesures provisionnelles en matière de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale, in sic! 2005 p. 349; ACJC/1291/2017 du 6 octobre 2017 consid. 3.4; ACJC/335/2015 du 26 mars 2015 consid. 4.1);

Que la condition de l'urgence doit être considérée comme remplie lorsque sans mesures provisionnelles, le requérant risquerait de subir un dommage difficile à réparer au point que l'efficacité du jugement rendu à l'issue de la procédure ordinaire au fond en serait compromise (arrêt du Tribunal fédéral 5A_629/2009 du 25 février 2010 consid. 4.2). Qu'en d'autres termes, l'urgence n'est donnée que s'il apparaît que la procédure provisionnelle sera terminée avant le moment où le procès ordinaire, introduit en temps utile, aurait pris fin (Schlosser, op. cit., p. 354 ss);

Que le tribunal qui a ordonné les mesures provisionnelles prend également les dispositions d'exécution qui s'imposent (art. 267 CPC);

Qu'en l'occurrence, la citée a partiellement acquiescé à la requête, dans le sens qu'elle s'est engagée à ne pas utiliser le nom de domaine C______.ch;

Qu'il lui en sera ainsi donné acte, conformément aux dernières conclusions de la requérante, étant retenu que la précision figurant dans celles-ci ("effectuer toute promotion de ce site sous quelque forme que ce soit") sera considérée comme entrant dans le champ de l'utilisation du nom de domaine précité;

Que la citée sera condamnée en tant que de besoin à respecter son engagement;

Que, dans la mesure où il ne peut être exclu que, en fonction des errements techniques allégués par la citée qui ont eu lieu à plusieurs reprises avant l'introduction de la présente procédure, une nouvelle activation de redirection ne se produise, il sera fait droit aux conclusions en exécution de la requérante;

Qu'en application de l'art. 343 al. 1 let. a CPC, la décision sera assortie de la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, laquelle s'adressera à l'administrateur de la citée, la contravention n'étant réalisable que par une personne physique (cf art. 102 CP);

Que, comme la requérante le sollicite, un délai de soixante jours dès l'entrée en force de la présente décision lui sera imparti pour le dépôt de sa demande (art. 263 CPC), à défaut de quoi les mesures provisionnelles tomberont;

Que l'art. 106 al. 1 CPC prévoit que les frais sont mis à la charge de la partie succombante, laquelle est le défendeur en cas d'acquiescement;

Que les frais judiciaires seront arrêtés à 2'500 fr. (art. 26 RTFMC), compensés avec l'avance opérée;

Que la requérante, qui a succombé dans ses conclusions superprovisionnelles, supportera les frais judiciaires à raison de 500 fr., le solde étant mis à la charge de la citée, qui en remboursera la requérante;

Que la citée versera en outre à la requérante 1'500 fr. à titre de dépens (art. 84, 85, 88 RTFMC), au vu notamment de l'activité déployée dans la procédure, à savoir le dépôt d'une requête d'une complexité relative, dont une partie consacrée à des mesures superprovisionnelles qui n'ont pas été accordées, et d'une brève détermination à la suite de la réponse de la citée.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Statuant sur mesures provisionnelles:

Donne acte à B______ SA de son engagement de ne pas utiliser le nom de domaine C______.ch.

La condamne en tant que de besoin à respecter son engagement, et assortit cette décision, à l'attention de l'administrateur de B______ SA, D______, de menace de la peine prévue par l'art. 292 CP, laquelle punit d'une amende quiconque ne se conforme pas à une décision à lui signifiée.

Impartit à A______ Sàrl un délai de soixante jours dès l'entrée en force du présent arrêt pour le dépôt de sa demande.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 2'500 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______ Sàrl à raison de 500 fr. et à celle de B______ SA à raison de 2'000 fr.

Condamne B______ SA à verser à A______ Sàrl 2'000 fr.

Condamne B______ SA à verser à A______ Sàrl 1'500 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Pauline ERARD, Monsieur
Cédric-Laurent MICHEL, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 


 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.