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Décisions | Chambre civile

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C/2378/2022

ACJC/1311/2023 du 03.10.2023 sur JTPI/13324/2022 ( OS ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2378/2022 ACJC/1311/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 3 OCTOBRE 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée c/o Foyer B______, ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 21ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 11 novembre 2022, représentée par Me Manuel BOLIVAR, avocat, BOLIVAR BATOU & BOBILLIER, rue des Pâquis 35, 1201 Genève,

et

Monsieur C______, domicilié ______, France, intimé, représenté par
Me Ana KRISAFI REXHA, avocate, Avocats Associés, boulevard des Tranchées 36, 1206 Genève.

 


EN FAIT

A. a. Par jugement JTPI/13324/2022 du 11 novembre 2022, notifié aux parties le 16 novembre suivant, le Tribunal de première instance a dit que les tribunaux genevois n’étaient pas compétents pour connaître des conclusions prises par A______ à l’encontre de C______, sur mesures provisionnelles et sur le fond, en fixation d’une contribution à l’entretien de la mineure D______ et des relations personnelles sur celle-ci, dans sa requête du 8 février 2022 (ch. 1 du dispositif), qu’il a en conséquence déclaré irrecevable (ch. 2). Il a communiqué le jugement au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ch. 3) et réparti les frais judiciaires, arrêtés à 2'020 fr., à raison de la moitié pour chacune des parties, la part de A______ étant laissée provisoirement à la charge de l'Etat de Genève et C______ étant condamné à verser le montant de 1'010 fr. à l'Etat de Genève (ch. 4). Aucun dépens n’a été alloué (ch. 5) et les parties ont été déboutées de toutes autres conclusions (ch. 6).

En substance, le Tribunal a retenu que le déplacement en Suisse de l’enfant, qui avait sa résidence habituelle en France jusqu’en décembre 2021, était illicite, et que la mineure ne s’était pas constituée de nouvelle résidence en Suisse au moment du dépôt de la demande. Les tribunaux genevois n’étaient donc pas compétents pour en connaître.

b. Par acte expédié le 16 décembre 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ a formé appel contre les chiffres 1 à 4 et 6 du dispositif de ce jugement, concluant à son annulation et, cela fait, à l’attribution de la garde de l’enfant en sa faveur, à la fixation du domicile légal de l’enfant chez elle, à la fixation des relations personnelles entre l’enfant et son père, à la condamnation de celui-ci au paiement d’une contribution alimentaire, allocations familiales en sus, à l’attribution en sa faveur du bonus éducatif et à la compensation des dépens. Subsidiairement, elle a demandé le renvoi de la cause au Tribunal pour statuer sur ces conclusions. Elle a repris en outre les conclusions formées sur mesures provisionnelles dans sa requête du 8 février 2022.

c. Dans sa réponse du 9 février 2023, C______ a conclu au rejet de l’appel, les tribunaux genevois étant incompétents.

d. Les parties ont répliqué et dupliqué les 15 mars et 12 avril 2023, chacune persistant dans ses conclusions respectives.

e. A l’appui de leurs diverses écritures, elles ont produit des pièces nouvelles.

f. Par courriers du 8 mai 2023, elles ont été informées que la cause était gardée à juger.

B. Les éléments pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour:

a. A______, née le ______ 1993, de nationalité péruvienne, et C______, né le ______ 1991, originaire de E______ (Vaud), se sont rencontrés en 2012 au Pérou.

b. Le 31 juillet 2019, C______ a quitté son domicile à F______ (VD) pour s'installer à G______ (France), place 1______ no. ______. Il travaille comme chef cuisinier à H______ (VD).

c. A______ l'a rejoint en France en septembre 2019, au bénéfice d'un visa de tourisme de trois mois. Elle s'est installée chez lui, à G______.

d. Le ______ novembre 2020, A______ a donné naissance, à I______ (France), à l'enfant D______, issue de sa relation avec C______.

C______ a reconnu l'enfant le ______ 2020.

e. Les relations entre les parents se sont dégradées après la naissance de leur fille. Entre septembre et novembre 2021, C______ a progressivement quitté l'appartement commun en raison des tensions avec A______.

f. Chacun des parents s'est plaint de violences conjugales auprès des services de police français.

Le 21 novembre 2021, C______ a porté plainte à l’encontre de A______ pour violences physiques.

Le 8 décembre 2021, A______ a porté plainte, à son tour, contre C______ pour violences perpétuées à son encontre. Elle a notamment déclaré que celui-ci avait quitté le domicile depuis un mois, qu'il était parti en Suisse sans lui laisser de quoi vivre, qu'il était revenu plusieurs fois au domicile sans prévenir et avait adopté un comportement menaçant envers elle. Elle a admis qu'il payait le loyer du domicile.

g. Le 23 novembre 2021, C______ a par ailleurs saisi le Juge des enfants auprès du Tribunal judiciaire de J______ (France) d'une requête en protection de sa fille, laquelle n’a, selon ses déclarations, pas abouti.

h. D’après A______, C______ avait quitté G______ pour venir s’installer en Suisse.

C______ a en revanche soutenu avoir été hébergé, entre septembre et décembre 2021, par sa mère dans le canton de Vaud et divers amis à G______ et ailleurs en France.

D’après une attestation écrite d’une dénommée K______, domiciliée à L______ (France), cette dernière l’avait hébergé du 22 novembre 2021 jusqu’à fin décembre 2021.

i. Fin décembre 2021, A______ a quitté la France pour s'installer à Genève avec l'enfant.

Après avoir été logées chez un dénommé M______, puis au Centre d'hébergement N______, A______ vit avec sa fille au Foyer B______ depuis fin juillet 2022. Elle bénéficie de l'aide de l'Hospice général. Elle a sollicité un permis de séjour en Suisse en janvier 2022.

Elle soutient avoir quitté la France et s'être installée en Suisse en raison du dénuement dans lequel C______ les avait laissées, elle-même et sa fille, lorsqu'il avait abandonné le domicile familial. A l'appui de ses explications, elle invoque des copies de messages qu'elle lui avait envoyés les 22, 27 et 28 décembre 2021 afin qu'il lui fournisse des aliments et effets de première nécessité.

C______ affirme qu'il continuait à venir voir l'enfant tous les jours, depuis septembre 2021, et qu'il apportait notamment de la nourriture. Il se prévaut de photographies de courses déposées au domicile familial, ainsi que d’attestations écrites par des dénommées K______ et O______, selon lesquelles ces dernières l'avaient, à plusieurs reprises, accompagné au domicile familial lorsqu'il allait rendre visite à sa fille ou apporter des courses.

j. Le 24 décembre 2021, C______ a déposé une main courante auprès de la police à G______ pour « abandon de domicile familial », évoquant le départ de A______ avec leur fille pour une destination qui lui était inconnue.

k. Depuis lors, C______ a résilié le bail de l'appartement familial.

Il vit actuellement avec sa nouvelle compagne et l'enfant de celle-ci à la route 2______ no. ______, à G______.

l. Le 15 avril 2022, C______ et sa nouvelle compagne ont rencontré A______ et l'enfant D______ à G______.

Une altercation a eu lieu. Les services de police ont placé A______ en garde à vue pour violences conjugales. C______ est rentré chez lui avec l’enfant.

D______ a vécu avec son père du 15 avril au 17 juin 2022.

m. Le 17 juin 2022, A______ a récupéré l’enfant au domicile de C______.

Les 18 et 20 juin 2022, C______ et sa nouvelle compagne ont été entendus par la gendarmerie française. Ils ont indiqué que A______ et l'un de ses amis avaient illicitement pénétré dans leur appartement. La première avait violemment pris l'enfant D______ des mains de la compagne pendant que le second avait retenu cette dernière en usant de contrainte.

L'enfant vit à nouveau avec sa mère à Genève depuis lors.

n. A______ s'est rendue au Service de pédiatrie de [l'hôpital] P______ le 18 juin 2022 en vue de faire établir un constat de coups et blessures sur sa fille. Selon le rapport établi par le Service de pédiatrie de [l'hôpital] P______, la mineure présentait des blessures sur le dos, le pavillon de l'oreille droit et le bord interne du pied droit, susceptibles d'avoir été infligées par un tiers.

o. Le Service de protection des mineurs de Genève a établi un rapport à l'intention du Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant le 25 août 2022. Ce service a relevé n'avoir pas d'inquiétude sur la prise en charge actuelle de l'enfant par sa mère, qui collaborait avec le réseau et mettait en place les suivis préconisés, mais être inquiet quant au conflit parental aigu ayant un impact direct sur le développement de l'enfant. L'adoption de mesures de protection ne se justifiait pas en l'état, en l'absence de danger pour la mineure.

p. Entretemps, le 1er février 2022, C______ a déposé une requête par devant le Juge aux affaires familiales auprès du Tribunal judiciaire de J______ (France) tendant à être autorisé à assigner A______ à bref délai. Le 11 février 2022, il a saisi les autorités judiciaires françaises d'une requête en fixation des modalités d'exercice de l'autorité parentale, qu'il a retirée le 13 septembre 2022.

q. Le 26 août 2022, C______ a effectué les démarches en vue du retour de l'enfant auprès de l'autorité centrale de France.

Le 7 octobre 2022, il a également saisi la Cour de justice de Genève d'une requête dirigée contre A______ en vue du retour de sa fille.

r. Dans l’intervalle, par acte déposé en conciliation le 8 février 2022 et introduit devant le Tribunal de première instance de Genève le 11 mai 2022, A______, agissant pour sa fille, a formé l’action alimentaire et en fixation des relations personnelles, objet de la présente procédure, assortie d’une requête en mesures provisionnelles.

Elle a conclu, sur mesures provisionnelles, au retour de l’enfant auprès d’elle, à l’attribution de la garde de D______ en sa faveur, un droit de visite en faveur du père devant être réservé, et à l’attribution d’une contribution à l’entretien de l’enfant. Sur le fond, elle a notamment demandé que le Tribunal condamne C______ à payer une contribution à l'entretien de l'enfant échelonnée entre 2'780 fr. et 900 fr. par mois, allocations familiales en sus, que le domicile de l’enfant soit fixé chez elle, que sa garde lui soit attribuée et que les relations personnelles de l'enfant avec son père soient fixées de manière progressive.

C______ a contesté la compétence des autorités suisses pour statuer au sujet de sa fille. Il a soutenu que la résidence habituelle de l'enfant avait été et était toujours à G______ en France, qu'il y avait eu un déplacement illicite de celle-ci en décembre 2021 puis à nouveau en juin 2022.

Selon A______, le Tribunal était compétent dans la mesure où, lorsqu'elle s'était installée en Suisse en décembre 2021, le père les avait abandonnées depuis le mois de septembre 2021 et vivait alors lui-même en Suisse. Elle se trouvait avec sa fille dans une grande précarité et une grande détresse. Le père lui avait confié la garde de l'enfant - ce que celui-ci a contesté -, de sorte qu’elle était en droit de déplacer la résidence de celle-ci.

s. Après avoir reçu le jugement attaqué, C______ a déposé une nouvelle requête, le 28 novembre 2022, auprès du Juge aux affaires familiales du Tribunal judiciaire de J______.

Par jugement du 31 janvier 2023, ce Tribunal s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande formée par le père de l'enfant tendant à l'attribution de l'autorité parentale exclusive et de la garde de l’enfant en sa faveur, un droit de visite en faveur de la mère étant réservé, et à la fixation d’une contribution à l’entretien de l’enfant. Il a ordonné une enquête sociale et fixé, à titre provisoire, dans l'attente du rapport d'expertise, la résidence habituelle au domicile de la mère et un droit de visite en faveur du père.

C______ a fait appel contre ce jugement. L’issue de cette procédure n’est pas connue.

t. Le 13 février 2023, la Cour de justice a admis la requête formée par C______ le 7 octobre 2022 et ordonné le retour de l’enfant auprès de son père. La Cour a retenu que le déplacement de la mineure de la France en Suisse était illicite, dans la mesure où il avait été effectué sans l'accord du père, également détenteur de l'autorité parentale, qui comprenait le droit de décider du lieu de résidence de l'enfant en vertu du droit français applicable au regard du domicile français de l'enfant depuis sa naissance jusqu'à son déplacement en Suisse. Aucune exception prévue par l'art. 13 de Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (CLaH80) n'était par ailleurs réalisée. Le retour de la mineure en France ne la plaçait pas dans une situation intolérable, dès lors que le père était en mesure d'accueillir sa fille et que la mère, qui s'était installée en Suisse plus par confort que par nécessité, n'était pas dans l'impossibilité de retourner en France. Le retour de l'enfant D______ en France devait ainsi être ordonné en application de l'art. 12 al. 1 CLaH80.

u. Le 20 février 2023, A______ a requis la modification, subsidiairement la révision de cet arrêt, se prévalant du jugement rendu le 31 janvier 2023 par le Tribunal judiciaire de J______ (France).

Par arrêt du 25 avril 2023, la Cour de justice a rejeté la requête et fixé un nouveau délai de 30 jours pour exécuter le retour de la mineure en France.

Par arrêt 3______/2023 du 13 juillet 2023, le Tribunal fédéral a annulé l’arrêt du 25 avril 2023, au motif que le tribunal français, dont la compétence pour statuer sur les prérogatives parentales n'était pas contestée, avait, dans sa décision du 31 janvier 2023, privilégié expressément le maintien de l'enfant en Suisse avec le parent ravisseur à son retour dans son État d'origine. Il avait ainsi renoncé explicitement à la nécessité de la présence de la mineure sur son territoire dans l'attente de la décision à rendre au fond, objectif auquel tendait en définitive la CLaH 80. Au regard de la décision rendue par le Tribunal judiciaire de J______ le 31 janvier 2023, l'ordre de retour de l'enfant devait donc être annulé.

EN DROIT

1. 1.1. L'appel interjeté le 16 décembre 2022 est irrecevable en tant qu’il est dirigé contre le refus du Tribunal d’entrer en matière sur les mesures provisionnelles requises le 8 février 2022 par la mère de l’enfant, dans la mesure où il est tardif, le délai pour former appel contre une telle décision étant de dix jours (art. 314 al. 1 CPC).

Pour le surplus, l’appel dirigé contre les chiffres 1 à 4 et 6 du dispositif du jugement du 11 novembre 2022 est recevable pour avoir été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC) et dans le délai utile de 30 jours (art. 311 al. 1 CPC), à l'encontre d'une décision finale (art. 308 al. 1 let. a CPC) rendue dans une affaire non pécuniaire dans son ensemble, puisque portant notamment sur les modalités de prise en charge au sens large d'un mineur (cf. notamment arrêts du Tribunal fédéral 5A_842/2020 du 14 octobre 2021 consid. 1 et les références citées et 5A_983/2019 du 13 novembre 2020 consid. 1).

1.2. S'agissant d'une action qui n'est pas liée à une procédure matrimoniale, la procédure simplifiée s'applique (art. 295 CPC).

La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

La cause est soumise aux maximes d'office et inquisitoire illimitée en tant qu'elle concerne un enfant mineur (art. 296 al. 1 et 3 CPC). La Cour n'est liée ni par les conclusions des parties, ni par l'interdiction de la reformatio in pejus (ATF
129 III 417 consid. 2.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_560/2009 du 18 janvier 2010 consid. 3.1).

1.3. Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

Lorsque la cause concerne des enfants mineurs et que le procès est soumis à la maxime inquisitoire illimitée, les parties peuvent présenter des nova en appel même si les conditions de l'art. 317 al. 1 CPC ne sont pas réunies (ATF
147 III 301 consid. 2.2).

Par conséquent, les pièces et faits nouveaux invoqués par les parties en appel sont recevables.

1.4. Le Tribunal fédéral a admis qu'après avoir communiqué que la cause était en état d'être jugée, la cour d'appel pouvait décider d'office, en revenant sur son ordonnance d'instruction, de rouvrir la procédure d'administration des preuves pour tenir compte de faits nouveaux, en particulier de vrais nova qui s'étaient produits subséquemment (arrêt du Tribunal fédéral 5A_717/2020 du 2 juin 2021 consid. 4.1.1.1 et 4.1.2; dans le même sens: arrêt du Tribunal fédéral 5A_389/2022 du 29 novembre 2022 consid. 4.1).

En l’espèce, l’état de fait a été complété pour tenir compte de l’arrêt 5A_355/2023 rendu par le Tribunal fédéral le 13 juillet 2023, opposant les mêmes parties et disponible sur le site internet du Tribunal fédéral. Pour le surplus, il est précisé que les arguments juridiques contenus dans cet acte ne constituent pas des éléments nouveaux, la Cour appliquant le droit d’office.

2. L’appelante soutient que les tribunaux genevois sont compétents pour connaître sa requête, la résidence habituelle de l’enfant étant à Genève.

2.1. Le litige étant de nature internationale, la compétence des autorités judiciaires suisses et le droit applicable sont régis par la LDIP, sous réserve des traités internationaux (art. 1 al. 1 let. a et b et al. 2 LDIP).

2.1.1. La compétence du juge suisse ne peut être reconnue que dans les limites tracées par la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants (CLaH96; RS 0.211.231.011; art. 1 al. 1 let. b et art. 15 à 22 CLaH96), réservée à l'art. 85 al. 1 LDIP et ratifiée par la Suisse et la France (arrêt du Tribunal fédéral 5A_496/2020 du 23 octobre 2020 consid. 1.1 et les références citées). Ayant pour objet les mesures tendant à la protection de la personne et des biens, cette convention régit notamment l'attribution de l'autorité parentale et le règlement de la garde et des relations personnelles (art. 3 let. a et b CLaH 96; ATF 142 III 56 consid. 2.1.2; 132 III 586 consid. 2.2.1).

Selon l'art. 5 al. 1 CLaH 96, les autorités, tant judiciaires qu'administratives, de l'État contractant de la résidence habituelle de l'enfant sont compétentes pour prendre les mesures de protection tendant à la protection de sa personne et de ses biens.

En cas de changement de la résidence habituelle de l'enfant dans un autre État contractant, sont compétentes les autorités de l'État de la nouvelle résidence habituelle (art. 5 al. 2 CLaH 96). Le principe de la perpetuatio fori - en vertu duquel, lorsqu'un tribunal est localement compétent au moment de la création de la litispendance, il le reste même si les faits constitutifs de sa compétence changent par la suite - ne s'applique donc pas. Il s'ensuit que, dans les relations entre États contractants, le changement (licite) de résidence habituelle du mineur entraîne un changement simultané de la compétence, même si la cause est pendante en appel c'est-à-dire devant une autorité pouvant revoir la cause tant en fait qu'en droit; cette autorité perd la compétence pour statuer sur les mesures de protection (ATF 132 III 586 consid. 2.2.4 et 2.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_21/2019 du 1er juillet 2019 consid. 5.1; 5A_313/2014 du 9 octobre 2014 consid. 7.3).

Cela étant, dans l'hypothèse d'un déplacement illicite, défini à l'art. 7 al. 2 CLaH 96, l'autorité de l'ancienne résidence habituelle conserve sa compétence pour prendre des mesures jusqu'au moment où l'enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État et que, de surcroît, l'on ne peut plus s'attendre raisonnablement à un retour de l'enfant (arrêts du Tribunal fédéral 5A_21/2019 du 1er juillet 2019 consid. 5.1; 5A_1010/2015 du 23 juin 2016 consid. 4.1 et les références citées).

Selon l'art. 7 al. 2 CLaH 96, le déplacement ou le non-retour de l'enfant est considéré comme illicite : a) lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour, et b) que ce droit était exercé de façon effective, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus.

2.1.2 Les prestations d'entretien sont, quant à elles, exclues de la CLaH 96 (art. 4 let. e CLaH 96; arrêt du Tribunal fédéral 5A_762/2011 du 4 septembre 2012 consid. 5.3.3). Elles sont régies par la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (CL; RS 0.275.12), ratifiée par la France et la Suisse, qui l'emporte sur l'art. 64 al. 1 LDIP (Bucher, in Commentaire Romand, Loi sur le droit international privé - Convention de Lugano, 2011, n° 4, 10 et 27 ss ad art. 64 LDIP).

L'art. 2 CL prévoit un for de principe dans l'Etat contractant du domicile du défendeur, lequel peut également être attrait dans un autre Etat, devant le tribunal du lieu où le créancier d'aliments a son domicile ou sa résidence habituelle (art. 5 al. 2 let. a CL).

La résidence habituelle de l'enfant au sens de l'art. 5 al. 2 let. a CL se détermine au moment du dépôt de la demande en conciliation (Liatwoitsch/Meier, in LugÜ-DIKE-Komm, 2011, n. 6 ad art. 30 CL).

En cas de changement de la résidence habituelle du créancier, la loi interne de la nouvelle résidence habituelle s’applique à partir du moment où le changement est survenu (art. 4 al. 1 et 2 de la Convention sur la loi applicable aux obligations alimentaires du 2 octobre 1973 [CLaH 73; 0.211.213.01]). En cas de déplacement illicite, la constitution d'une résidence habituelle d'un enfant en Suisse ne saurait être admise facilement (ATF 125 III 301 consid. 2bb; 109 II 375 consid. 5a; 117 II 334 consid. 4b; arrêt du Tribunal fédéral 5C.192/1998 du 18 décembre 1998 consid. 3b/bb, SJ 1999 I 222).

2.1.3. En droit français, les père et mère exercent en commun l'autorité parentale. Lorsque la filiation est établie à l'égard de l'un d'entre eux plus d'un an après la naissance de l'enfant dont la filiation est déjà établie à l'égard de l'autre, celui-ci reste seul investi de l'exercice de l'autorité parentale (art. 372-1 du Code civil français, ci-après: CCF). La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale (art. 372.2 CCF).

L'exercice de l'autorité parentale comporte la faculté de décider du logement de l'enfant (art. 372-3 CCF). Tout changement de résidence de l'un des parents, dès lors qu'il modifie les modalités d'exercice de l'autorité parentale, doit faire l'objet d'une information préalable et en temps utile de l'autre parent. En cas de désaccord, le parent le plus diligent saisit le juge aux affaires familiales qui statue selon ce qu'exige l'intérêt de l'enfant. Le juge répartit les frais de déplacement et ajuste en conséquence le montant de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant (art. 373-2 al. 4 CCF).

2.2.1. En l'espèce, dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que le déplacement de la France en Suisse était illicite, dès lors qu'il avait été effectué sans l'accord du père. Ce dernier se souciait de son enfant et exerçait son droit de garde de manière effective au moment du déplacement de celle-ci en Suisse. Par ailleurs, l'argumentation relative au prétendu déménagement du père en Suisse au mois de septembre 2021 était sans incidence sur l’illicéité du déplacement de l’enfant, étant précisé qu’il était peu probable que l’intimé se soit alors constitué un nouveau domicile en Suisse. Enfin, la mineure n’avait vécu à Genève que quelques semaines avant la saisie des tribunaux genevois en février 2022. Au vu de ces éléments, elle ne s’était pas constituée une nouvelle résidence à Genève au moment du dépôt de la requête, de sorte que celle-ci était irrecevable.

L’appelante reproche au Tribunal de ne pas avoir retenu que l’intimé avait quitté depuis plusieurs mois G______ pour venir s’installer en Suisse au moment du déplacement de l’enfant à Genève en décembre 2021. Elle soutient s'être rendue en Suisse non pas pour priver le père de ses droits parentaux sur leur enfant, mais, d’une part, pour trouver refuge et assistance en raison de la grande précarité dans laquelle elle et l'enfant s'étaient retrouvées, vu que le père ne leur fournissait pas suffisamment de nourriture, et, d’autre part, pour fuir le climat de violence dont elle et l’enfant faisaient l’objet de la part de l’intimé. L’enfant, qui lui avait été confiée par le père, avait été prise en charge de manière exclusive par elle depuis sa naissance, de sorte qu’un retour en France lui serait préjudiciable. Elle-même ne pouvait retourner vivre en France, n'y disposant d'aucune ressource ni de logement.

2.2.2. L’enfant a vécu à G______ (France) depuis sa naissance jusqu’à son déplacement en Suisse en décembre 2021. L’intimé, qui a reconnu sa fille à la naissance de celle-ci en novembre 2020, a vécu avec elle et sa mère jusqu’à la séparation du couple en automne 2021. Au moment du déplacement de l’enfant en Suisse en décembre 2021, les parties détenaient donc en commun l'autorité parentale, qui comprend le droit de décider du lieu de résidence de l'enfant, en vertu du droit français.

Fin décembre 2021, l’appelante a quitté le logement familial en France pour s'installer à Genève avec la mineure. Le dossier ne contient aucun indice en faveur d’un accord de l’intimé à ce changement de résidence. C'est également sans l'accord du père que l’appelante est retournée en Suisse avec sa fille après avoir récupéré celle-ci le 17 juin 2022 au domicile de l’intimé à G______.

Les éléments au dossier ne permettent pas de retenir que l’intimé ne se souciait pas de son enfant et n’exerçait pas effectivement son droit de garde au moment du déplacement de l’enfant. La requête en protection que le père a déposée en France le 23 novembre 2021, le signalement d'abandon de domicile qu'il a effectué le 24 décembre 2021 ainsi que les autres démarches qu'il a entreprises devant les autorités françaises puis en vue du retour de l'enfant établissent en revanche sa volonté de continuer à exercer ses droits parentaux sur sa fille.

Par ailleurs, on ne saurait suivre l’appelante lorsqu'elle explique avoir quitté le logement familial en France pour s'installer à Genève en raison de la situation de dénuement dans laquelle l’intimé l'aurait abandonnée avec sa fille. Elle-même a déclaré devant la police, le 8 décembre 2021, que l’intimé payait le loyer de l’appartement familial et qu’il était venu plusieurs fois au domicile familial. Les photos des courses produites par l’intimé ainsi que les attestations écrites de K______ et O______ tendent également à soutenir que le père de la mineure était venu à plusieurs reprises au domicile familial pour rendre visite à celle-ci ou apporter des courses. En tout état de cause, même à supposer que l’intimé n’eût plus aidé financièrement l’appelante et leur enfant, cette circonstance n’aurait pas été de nature à justifier le déplacement de l'enfant en Suisse, puisque rien ne permet de penser que l’appelante n’aurait alors pas pu entreprendre en France des démarches en vue d'obtenir du père qu'il contribue à leur entretien ou l’aide des services sociaux français.

En outre, l’appelante n’établit pas qu’elle aurait quitté la France en raison d’un climat de violence dont elle prétend avoir fait l’objet avec l’enfant. Les parties se sont plaintes toutes deux de violences conjugales auprès des services de police français, sans qu’il soit possible de retenir que l’intimé soit l’instigateur principal de ces altercations. C’est en outre très vraisemblablement pour aplanir ces tensions que l’intimé a quitté le domicile familial en novembre 2021. Rien ne permet par ailleurs de penser que l’intimé aurait eu un comportement inadéquat envers la mineure, l’appelante concluant elle-même à la réserve d’un droit de visite en sa faveur. Enfin, les allégués de l’appelante au sujet d’un déménagement de l’intimé en Suisse ne sont pas fondés. Ce dernier a été hébergé provisoirement pendant quelques mois tantôt par sa mère, domiciliée en Suisse, tantôt par des amis habitant en France. L’intimé n’a jamais déposé ses papiers en Suisse et a effectué toutes les démarches à l’encontre de l’appelante en France, signifiant ainsi sa volonté de maintenir son domicile en France.

Partant, le déplacement de la mineure de la France en Suisse, effectué sans l'accord des deux parents détenteurs de l'autorité parentale et alors que celle-ci était effectivement exercée en commun, est illicite, de sorte que les tribunaux français sont a priori restés compétents pour connaître des questions la concernant, à moins que l’enfant ne se soit constituée une nouvelle résidence habituelle en Suisse et que l’on ne puisse plus s’attendre raisonnablement à un retour en France.

3. L’appelante se prévaut du jugement rendu le 31 janvier 2023 par le Tribunal judiciaire de J______ (France) pour fonder la compétence des tribunaux genevois. A son avis, les tribunaux français se seraient déclarés compétents uniquement en raison du fait que les tribunaux suisses auraient déclinés leur compétence. De plus, en fixant la résidence habituelle de l’enfant chez elle, ils auraient reconnu que la mineure était intégrée à Genève et que son déplacement en Suisse n’était pas illicite. Il aurait été par ailleurs plus adéquat de charger le SPMi d’établir un nouveau rapport d’enquête sociale, plutôt qu’une autorité française.

3.1. Un déplacement illicite n'exclut pas, à lui seul, la constitution d'une nouvelle résidence habituelle dans le pays où l'enfant est déplacé (ATF 125 III 301 consid 2b ; arrêts du Tribunal fédéral 5C_198/2006 du 13 novembre 2006, consid. 2.1 ; 5A_296/2009 du 8 juin 2009, consid. 2). Le Tribunal fédéral a en effet admis que l’objectif principal de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (CLaH 80) est d'assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement. C'était pour réaliser cet objectif que la convention interdisait aux autorités compétentes de l'Etat de refuge de statuer sur le fond du droit de garde; mais cette prohibition disparaissait, en particulier, lorsqu'une période raisonnable s'était écoulée sans qu'une demande tendant au retour de l'enfant n'eût été présentée. Au sujet de cette norme, Andreas BUCHER (note in RSDIE 1996, p. 205 ch. 6) observait que, afin d'éviter un conflit négatif de compétence, il pouvait être opportun de considérer que l'enfant avait conservé sa résidence habituelle dans le pays du détenteur du droit de garde, dans la mesure tout au moins où il existait une perspective sérieuse de retour, auquel cas le séjour dans l'Etat où l'enfant avait été déplacé ou retenu apparaîtrait comme passager. Ces considérations se recoupaient avec celles de la jurisprudence (ATF 117 II 334 consid. 4b p. 338), qui déduisait de l'opposition (potentielle) du titulaire du droit de garde la précarité de la nouvelle résidence au lieu où l'enfant était déplacé ou retenu (ATF 125 III 301 consid. 2bb et les autres références citées).

3.2. En l’espèce, contrairement à ce dont se prévaut l’appelante, l'on ne saurait retenir que la décision rendue en France le 31 janvier 2023 rendrait licite le déplacement de la mineure: la procédure concernant le retour de l'enfant et celle relative au fond portent en effet sur deux objets distincts (cf. art. 16 et 19 CLaH80; ATF 133 III 146 consid. 2.4; 131 III 334 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_355/2023 du 13 juillet 2023, opposant les mêmes parties, consid. 3.4 ).

Dans son jugement du 31 janvier 2023, le tribunal français, saisi du litige opposant les parties au fond, indique qu'il n'apparaît pas opportun de modifier à nouveau le lieu de vie de l'enfant « dont les premières années de vie ont d'ores et déjà été marquées par un dysfonctionnement important des relations parentales qui ne pourra qu'avoir des conséquences importantes sur la stabilité émotionnelle de l'enfant et la qualité de son développement ». Il en déduit que la résidence habituelle de l'enfant doit être fixée au domicile de la mère « en ce qu'elle s'avère être de son intérêt, préservant son équilibre et sa stabilité ». Après avoir admis sa compétence pour statuer sur les prérogatives parentales, la juridiction française privilégie ainsi expressément le bien-être de l’enfant, en renonçant explicitement à la nécessité de sa présence sur son territoire dans l'attente de la décision à rendre au fond.

Dès lors que le père de l’enfant conclut, devant les autorités françaises, à l’attribution de la garde de celle-ci en sa faveur, on ne saurait exclure toutes perspectives de retour de la mineure en France avant le prononcé de la décision au fond. Il s’ensuit que le changement de résidence de l’enfant en Suisse ne peut être considéré comme effectif ou durable. La mineure ne s’est donc pas constituée une nouvelle résidence habituelle en Suisse.

Au demeurant, lors du dépôt de la requête, le 8 février 2022, l’enfant n’avait vécu en Suisse que depuis un mois et demi, soit une période trop brève pour reconnaître la constitution d'une nouvelle résidence habituelle, au vu du déplacement illicite (ATF 117 II 334 consid. 4b; arrêt du Tribunal fédéral 6B_694/2012 du 27 juin 2013 consid. 2.3.1).

Les juridictions genevoises ne sont ainsi pas compétentes pour connaître des conclusions de l’appelante en fixation des relations personnelles ou en paiement d’une contribution d’entretien en faveur de l’enfant.

Par conséquent, c’est à juste titre que le Tribunal a déclaré irrecevable la requête de l’appelante.

Infondé, l’appel sera rejeté et les chiffres 1 à 4 et 6 du jugement attaqué confirmés.

4. Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 32 et 35 RTFMC), mis à la charge de l'appelante qui succombe entièrement (art. 106 al.1 CPC), et provisoirement supportés par l'Etat de Genève vu l'octroi de l'assistance judiciaire.

Compte tenu de la nature de la cause, les dépens seront supportés par chacune des parties (art. 107 al.1 lit. c CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare irrecevable l'appel interjeté par A______ contre les chiffres 1 à 4 et 6 du dispositif du jugement JTPI/13324/2022 rendu le 11 novembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/2378/2022, en tant qu’il concerne les mesures provisionnelles requises le 8 février 2022.

Déclare recevable ledit appel pour le surplus.

Au fond :

Confirme les chiffres 1 à 4 et 6 du dispositif du jugement JTPI/13324/2022 du 11 novembre 2022.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Fixe les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont provisoirement supportés par l'Etat de Genève.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.