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Décisions | Chambre civile

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C/22931/2019

ACJC/1141/2023 du 05.09.2023 sur JTPI/13419/2022 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22931/2019 ACJC/1141/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 5 SEPTEMBRE 2023

 

Entre

Hoirie de feu A______, soit pour elle :

Madame B______, domiciliée ______ (VD), appelante d'un jugement rendu par la 15ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 14 novembre 2022 et intimée sur appel joint, comparant par Me C______, avocat, ______ [GE], en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

D______, sise ______ [GE], intimée et appelante sur appel joint, comparant par
Me Serge FASEL, avocat, FBT Avocats SA, rue du 31-Décembre 47, case postale 6120, 1211 Genève 6, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/13419/2022 du 14 novembre 2022, reçu par les parties le 16 novembre 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure ordinaire, a condamné D______ (ci-après : D______ ou la Banque) à payer la somme de 10'570 fr. à A______ (chiffre 1 du jugement entrepris), arrêté les frais judiciaires à 5'200 fr., compensés à due concurrence avec les avances de frais fournies par A______ et mis à la charge des parties à raison d'un septième pour D______ et à raison de six septièmes pour A______, et condamné en conséquence D______ à payer à A______ le montant de 740 fr. à titre de remboursement des frais judiciaires et ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer la somme de 400 fr. à A______ (ch. 2), condamné le précité à verser à D______ le montant de 8'500 fr. à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Par acte déposé le 15 décembre 2022 au greffe de la Cour de justice, B______, succédant à A______, a formé appel contre ce jugement, dont elle a sollicité l'annulation des chiffres 2 à 4 de son dispositif.

Elle a conclu, sous suite de frais judiciaires et dépens, principalement, à ce que la Cour condamne D______ à lui verser la somme de 63'153 fr. et, subsidiairement, au renvoi de la cause en première instance afin de procéder à son audition et d'ordonner au Dr E______ ou à F______ la production du rapport neuropsychologique établi 16 septembre 2019 concernant feu A______.

Elle a allégué des faits nouveaux en lien avec le décès, survenu le ______ décembre 2022, de son frère, A______, dont elle était la seule héritière.

Elle a produit des pièces non soumises au premier juge, soit le certificat de décès de feu A______ établi le ______ décembre 2022 (pièce B) ainsi qu'un document manuscrit intitulé "testament" daté du 7 novembre 2017 et portant la signature de A______ (pièce C).

Elle a également indiqué qu'elle produirait ultérieurement la procuration signée en faveur du conseil préalablement mandaté par son frère, ce qu'elle a fait le 20 décembre 2022.

b. Dans sa réponse du 2 février 2023, D______ n'a pas pris de conclusions expresses sur l'appel formé par sa partie adverse, concluant uniquement au déboutement de celle-ci de toutes ses conclusions. Il résulte toutefois de la partie en droit de son écriture qu'elle a conclu au rejet dudit appel.

D______ a formé un appel joint, concluant à l'annulation du jugement entrepris. Cela fait, elle a conclu, sous suite de frais judiciaires et dépens de première et seconde instances, à ce que B______ soit déboutée de toutes ses conclusions.

c. Le 16 février 2023, B______ a transmis une copie du certificat d'héritier établi le 18 janvier 2023 dans le cadre de la succession de feu A______, à teneur duquel elle en est la seule héritière, ainsi que l'homologation dudit certificat par la Justice de Paix le 8 février 2023.

d. Dans sa réponse à l'appel joint, B______ a conclu au rejet de celui-ci. Elle a par ailleurs répliqué et persisté dans ses conclusions d'appel.

e. Dans sa duplique sur appel principal et réplique sur appel joint, D______ a persisté dans ses conclusions.

f. B______ a encore dupliqué sur appel joint, persistant dans ses conclusions.

g. Les parties ont été informées le 16 juin 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. D______, société anonyme ______ sise à Genève, a pour but l'exploitation d'une banque.

b. A______, né le ______ 1931 et décédé le ______ décembre 2022, était titulaire d'un compte privé auprès de D______, dont le solde s'élevait à 140'356 fr. 66 avant l'exécution du premier ordre litigieux (cf. infra let. c).

G______, conseiller au sein de D______, était en charge de cette relation bancaire.

c. Le 28 août, les 7 et 26 septembre 2018, feu A______ s'est rendu dans les locaux de D______ [au quartier de] H______ pour y effectuer plusieurs transferts.

Des montants de 3'200 fr., de 7'200 fr. et de 6'840 fr., soit un total de 17'240 fr., ont ainsi été transférés les 29 août, 10 et 27 septembre 2018 en faveur de I______ sur un compte ouvert auprès d'une banque tunisienne. Des taxes de 12 fr., de 32 fr. et de 12 fr. ont été prélevées sur le compte de feu A______ pour ces opérations.

Selon D______, feu A______ avait, à ces occasions, donné des instructions "claires et précises".

J______, employée chez D______, a signé l'ordre de transfert du 7 septembre 2018.

d. Durant les mois qui ont suivi, feu A______ a transmis à D______ plusieurs ordres de versements par courriers manuscrits signés.

d.a Par courrier du 11 décembre 2018, feu A______ a requis de D______ qu'elle verse le montant de 7'320 fr. à I______ à K______ (Tunisie). L'IBAN du compte destinataire et le nom de la banque tunisienne étaient précisés.

L'ordre a été exécuté par la Banque le 17 décembre 2018 par le débit de 7'332 fr. (7'320 fr. transférés + 12 fr. débités à titre de "taxes") du compte de feu A______.

d.b Par courrier du 27 décembre 2018, feu A______ a requis de D______ qu'elle verse le montant de 8'810 fr. à I______. L'IBAN du compte destinataire et le nom de la banque tunisienne étaient précisés.

L'ordre a été exécuté par la Banque le 4 janvier 2019 par le débit de 8'845 fr. (8'810 fr. transférés + 35 fr. débités à titre de "taxes") du compte de feu A______.

d.c Par courrier du 28 janvier 2019, feu A______ a requis de D______ qu'elle verse le montant de 9'320 fr. à L______. L'IBAN du compte destinataire et le nom de la banque tunisienne étaient précisés.

L'ordre a été exécuté par la Banque le 30 janvier 2019 par le débit de 9'355 fr. (9'320 fr. transférés + 35 fr. débités à titre de "taxes") du compte de feu A______.

d.d Par courrier du 14 février 2019, feu A______ a requis de D______ qu'elle verse le montant de 9'720 fr. à I______. L'IBAN du compte destinataire et le nom de la banque tunisienne étaient précisés.

L'ordre a été exécuté par le Banque le 18 février 2019 par le débit de 9'755 fr. (9'720 fr. transférés + 35 fr. débités à titre de "taxes") du compte de feu A______.

d.e Par courrier du 6 mars 2019, feu A______ a requis de D______ qu'elle verse un montant de 10'535 fr. à L______. L'IBAN du compte destinataire et le nom de la banque tunisienne étaient précisés.

Le courrier précise : "C'est une deuxième lettre, il ne faut faire qu'un seul virement".

Les mentions "08 MAR '19 08:44" et "M______ 11 MRZ. 2019" ont été apposées par la Banque sur ce courrier. Le témoin G______ a confirmé que le courrier avait été reçu par la Banque le 8 mars 2019.

L'ordre a été exécuté par la Banque le 11 mars 2019 par le débit de 10'570 fr. (10'535 fr. transférés + 35 fr. débités à titre de "taxes") du compte de feu A______.

e. Le 8 mars 2019, feu A______ s'est rendu à l'agence de D______ [au quartier de] H______ pour effectuer un virement de 10'535 fr. en faveur de L______.

Selon D______, feu A______ ne présentait aucun signe de confusion ce jour-là.

J______ s'est chargée de cette opération.

L'ordre a été exécuté par la Banque le 11 mars 2019 par le débit de 10'570 fr. (10'535 fr. transférés + 35 fr. débités à titre de "taxes") du compte de feu A______.

Sur l'extrait de compte de feu A______, deux opérations similaires sont inscrites à la suite, soit les deux ordres de paiement en faveur de L______ indiqués supra sous d.e et e.

Entendu en qualité de témoin par le Tribunal dans le cadre de la présente procédure, G______ a déclaré que la Banque avait effectué deux fois la même transaction car feu A______ "avait envoyé un ordre par courrier et était passé à l'agence le lendemain en demandant un versement en urgence". Il a admis que cette situation lui avait paru douteuse, précisant toutefois que feu A______ avait "dû donner un motif lors de son passage à l'agence lequel a[vait] pu rendre plausible sa demande". De mémoire, celui-ci avait "signé deux ordres distincts". Le témoin a également confirmé que l'ordre du 6 mars 2019 précisait qu'il s'agissait d'une deuxième lettre et qu'il ne fallait procéder qu'à un seul versement. Il y avait donc eu potentiellement une erreur de la Banque. Cette dernière avait d'ailleurs fait "une demande de retour".

G______ a ensuite affirmé que les ordres cités sous d.e et e étaient deux ordres distincts. A la lecture de ces pièces, il a constaté que le premier ordre faisait suite à un courrier du 6 mars 2019, de sorte qu'il était antérieur aux instructions du 8 mars 2019.

Egalement entendue en qualité de témoin par le Tribunal, J______ a confirmé avoir contrôlé et signé l'ordre de feu A______ du 8 mars 2019. À la question de savoir si le fait que le versement devait être effectué à destination d'un compte bancaire en Tunisie l'avait interpellée, elle a indiqué que le client, qui "devait être présent devant [elle]", avait dû lui présenter "de bonnes raisons" pour le faire, mais qu'elle ne se souvenait pas du motif de la transaction. Elle a déclaré qu'avant de valider un ordre, elle avait pour habitude de poser des questions au client.

f. Dans ses courriers, feu A______ n'a jamais indiqué les motifs des transactions sollicitées, ni l'adresse de leur bénéficiaire, à l'exception du pli du 11 décembre 2018, qui précise que le bénéficiaire réside à K______ (Tunisie).

Les formulaires bancaires (intitulés "ordre de transfert") produits par celui-ci ne contiennent pas de précisions à ce sujet non plus.

Le témoin G______ a expliqué au Tribunal que, dans le cas d'un transfert d'argent, le paiement était effectué, même si le client n'indiquait pas la raison de cette transaction. Selon le témoin, le conseiller d'accueil aurait pu, dans le cas d'espèce, "demander l'adresse ou le motif mais il n'a[vait] pas l'obligation de le faire".

Le témoin J______ a confirmé que le motif du versement était donné selon le bon vouloir du client et qu'elle n'avait pas besoin de connaître l'adresse du bénéficiaire pour exécuter l'ordre. Seuls étaient nécessaires le nom du bénéficiaire, le nom de la banque et l'IBAN.

Le témoin G______ a également déclaré que, selon les directives internes de la Banque, lorsqu'un conseiller avait un doute concernant une transaction, il devait se référer à son supérieur. Si la transaction n'apparaissait pas douteuse, la Banque ne vérifiait pas les transactions précédentes.

g. Le 21 mai 2019, feu A______ s'est rendu dans une agence de D______ [au quartier de] H______ pour y effectuer un transfert de 12'330 fr. en faveur de I______.

Il est arrivé au guichet de la banque muni d'un bout de papier sur lequel étaient indiquées les coordonnées bancaires du bénéficiaire. Feu A______ n'a été capable de se souvenir ni de la manière dont il avait pris possession de ce texte, ni du motif du transfert, ni de l'identité du bénéficiaire des fonds.

D______ a alors refusé de procéder au transfert demandé.

Feu A______, qui paraissait confus, a quitté la Banque.

Le témoin G______ a déclaré que lorsque feu A______ s'était présenté à l'agence pour effectuer un transfert ce jour-là, "la transaction" paraissait confuse, de sorte que sa collègue (J______) était venue le voir et ils avaient ensemble décidé de refuser d'exécuter l'ordre. Il avait jugé la "transaction" confuse car feu A______ n'avait aucune explication tangible à livrer quant aux motifs de celle-ci, à destination de la Tunisie, et répétait qu'il faisait ce qu'il voulait de son argent. G______ ne connaissait pas l'existence d'autres transactions vers la Tunisie avant le 21 mai 2019.

h. Le même scénario s'est répété plus tard dans la journée, ainsi que le lendemain, 22 mai 2019.

i. Il est admis que feu A______ n'avait jamais, avant le 29 août 2018, procédé à des virements internationaux, spécialement à destination de la Tunisie.

Le curateur de feu A______ a par ailleurs allégué que jusqu’au 29 août 2018, son protégé n’avait jamais, à une exception près, procédé à des virements en faveur de personnes physiques, et jamais sans indication de motif. Il avait en effet procédé à un seul virement en faveur de sa sœur le 31 août 2016, en indiquant le motif « remboursement hypothèque ». D______ a admis que feu A______ n’avait pas effectué d’autres transferts de fonds en faveur de personnes physiques entre le 1er janvier 2008 et le 29 août 2018. Il avait toutefois procédé à un autre virement en faveur de sa sœur dans le courant du mois de novembre 2018.

Le virement de novembre 2018 mentionné par la Banque ne figure pas dans les extraits de compte produits.

j. Par courrier du 23 mai 2019, D______ a informé le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : le Tribunal de protection) de ses doutes quant à la capacité de discernement de feu A______, compte tenu des évènements des 21 et 22 mai 2019.

Il lui semblait "manifeste que la demande de transférer, sans raison aucune, une somme d'argent en faveur d'une personne inconnue constitu[ait] un indice ne pouvant exclure qu'un tiers exerce une influence sur [son] client et que ce dernier n'[était] plus en mesure de se forger une opinion propre". Selon D______, "[u]ne capacité de discernement à tout le moins réduite probablement durable en raison de son grand âge ne p[ouvait] dès lors pas être écartée et devait, à [son] sens, appeler des mesures de protection".

k. Une procédure a alors été ouverte auprès du Tribunal de protection concernant feu A______.

Dans ce cadre, le Tribunal de protection a procédé à l'audition de l'intéressé lors de l'audience du 21 août 2019. Feu A______ a déclaré à cette occasion ne pas connaître les deux destinataires des versements litigieux. La curatrice d'office de feu A______ (N______) a notamment indiqué au Tribunal de protection que le médecin traitant de son protégé était le Dr E______.

Par ordonnance DTAE/5361/2019 du 22 août 2019, le Tribunal de protection, statuant sur mesures provisionnelles urgentes, a instauré une curatelle de représentation et de gestion en faveur de feu A______ et a désigné C______, avocat, aux fonctions de curateur.

l. Des échanges ont eu lieu entre le curateur de feu A______ (ci-après : le curateur) et la Banque.

Dans le cadre de ses fonctions, le curateur a ainsi sollicité des informations de D______, notamment un état des comptes de son protégé ainsi que des relevés complets et détaillés pour les exercices 2018 et 2019.

Par courrier du 4 septembre 2019, le curateur a fait valoir que son protégé avait effectué divers paiements insolites en faveur de I______ (43'228 fr.) et de L______ (30'495 fr.). Selon le curateur, au vu de l'âge de son protégé, de son établissement à Genève depuis des dizaines d'années, et du domicile éloigné des destinataires, il était "assez évident" que le gestionnaire du compte, soit G______, "ne pouvait rester sans réaction". Or, D______ n'avait averti le Tribunal de protection que neuf mois après le premier transfert. Il en résultait par conséquent un dommage pour feu A______. Le curateur sollicitait de la Banque qu'elle se détermine sur ce dommage ainsi que sur sa responsabilité.

Le 13 septembre 2019, D______ a répondu qu'aucun élément ne permettait de douter de la validité des ordres transmis par feu A______ avant le 21 mai 2019, de sorte qu'elle ne pouvait être tenue responsable d'un quelconque dommage subi par le précité.

Les 16 et 17 septembre 2019, le curateur a insisté pour recevoir de D______ une proposition d'indemnisation et a attiré l'attention de celle-ci sur les deux virements de 10'570 fr. effectués le 11 mars 2019, indiquant qu'un montant de 10'570 fr. était "indubitablement dû à [son] protégé".

Des échanges ont encore eu lieu entre les parties, chacune persistant dans sa position.

m. Par demande, déclarée non conciliée le 4 décembre 2019, et expédiée le 15 janvier 2020 au Tribunal de première instance, feu A______, représenté par son curateur, a conclu principalement à la condamnation de D______ à lui verser la somme de 73'723 fr., sous suite de frais judiciaires et dépens.

Il a également pris des conclusions préalables en administration de preuves, en requérant notamment l'audition du Dr E______ et de B______.

Il faisait grief à D______ d'avoir violé ses obligations de mandataire en exécutant, d'août 2018 à mai 2019, des ordres de paiement insolites, car en faveur de destinataires se trouvant à l'étranger (Tunisie), sur la base d'instructions ne contenant pas de motif de paiement, alors que le client était âgé de 88 (recte: 87) ans au moment des ordres litigieux et n'avait jamais envoyé d'argent à des personnes à l'étranger, en particulier pour des montants aussi importants.

n. Par réponse du 15 juin 2020, D______ a conclu au déboutement de feu A______, sous suite de frais judiciaires et dépens, contestant toute violation de ses obligations contractuelles.

o. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

Dans sa réplique, feu A______, représenté par son curateur, a allégué avoir été hospitalisé aux soins intensifs des Hôpitaux universitaires de Genève en octobre 2018, durant deux mois, et à l'Hôpital de O______ en janvier 2019, durant également deux mois environ. Il a sollicité l'apport de ses dossiers médicaux, estimant que ces pièces permettraient d'évaluer sa capacité de discernement et son état général.

p. Le 4 février 2021, feu A______, représenté par con curateur, a déposé une liste des mesures probatoires sollicitées, parmi lesquelles l'audition de nombreux employés de l'agence [du quartier] de H______ de D______, celle du Dr E______ et de B______, l'apport du dossier des HUG concernant son hospitalisation en octobre 2018 ainsi que celui du dossier de l'Hôpital de O______ concernant son hospitalisation en janvier 2019.

L'audition du Dr E______ et de B______ devait essentiellement porter sur les mêmes allégués. Celle de la sœur de feu A______ devait en sus permettre d'établir que celui-ci avait versé les montants litigieux à concurrence de 12'000 fr., "dans l'espoir d'en toucher 93'000 fr.", qu'il ne connaissait pas les destinataires des versements, qu'avant cela, il n'avait jamais procédé à des virements à l'étranger, en particulier en Tunisie et qu'il n'avait pas pour habitude de prélever des sommes importantes en espèces.

q. Par ordonnance du 31 mars 2021, le Tribunal a admis l'audition du Dr E______, des employés G______ et J______ et a réservé l'audition de B______ et l'apport des dossiers médicaux des HUG et de l'Hôpital de O______, en fonction du témoignage du Dr E______, dans la mesure où ces moyens de preuve portaient sur les mêmes allégués.

r. Lors de l'audience du 2 septembre 2021, le Tribunal a procédé à l'audition du Dr E______, médecin traitant de feu A______ depuis le 14 août 2008. Celui-ci avait reçu en consultation feu A______ les 8 janvier, 29 février, 16 mars, 19 avril, 24 mai, 21 juin, 7 août et 1er octobre 2018 ainsi que les 21 février, 26 mars, 24 juin, 27 juin, 22 août 2019 et le 16 mars 2020.

Le Dr E______ a déclaré avoir sollicité l'établissement d'un rapport neuropsychologique de son patient après une consultation en août 2019. Il ne l'avait pas sollicité auparavant car il n'avait pas décelé de difficultés chez son patient dans le suivi de ses rendez-vous, ou le paiement de ses factures. Aucun élément ne laissait penser que la situation à domicile était précaire.

Le bilan neuropsychologique, établi le 16 septembre 2019 par F______ (dont la spécialisation n'a pas été précisée), avait mis en évidence une atteinte cognitive modérée à sévère, des troubles de la mémoire ainsi que des troubles exécutifs, praxiques et attentionnels.

Avant l'année 2019, le Dr E______ n'avait eu aucun doute quant à la capacité de discernement de son patient, qui parvenait à se rendre à ses rendez-vous médicaux par ses propres moyens. Selon le médecin, il était alors compliqué pour les tiers de percevoir les difficultés de feu A______. Ce dernier "donnait le change" et pouvait raconter ce qu'il s'était passé entre chaque consultation.

À sa connaissance, la capacité de discernement de feu A______ n'avait pas fait l'objet d'un examen particulier lors de son hospitalisation en 2018 (infarctus). Il avait toutefois constaté une baisse de l'état général de son patient depuis cette hospitalisation. Il arrivait en effet à feu A______ d'oublier certains rendez-vous ou de venir au cabinet en taxi. À la question de savoir si après cette première hospitalisation les difficultés rencontrées par feu A______ étaient perceptibles pour les tiers, le Dr E______ a répondu que son patient "avait des difficultés à prendre conscience de ses limites" et qu'il "n'avait pas le souvenir d'avoir été auditionné dans le cadre de la mise en place de la curatelle". À la question de savoir s'il existait des moyens de prendre conscience des troubles du patient avant qu'un bilan neuropsychologique soit effectué, le médecin a répondu que "la maladie évoluait progressivement, qu'elle ne touch[ait] pas toutes les mêmes fonctions en même temps" et qu'il "s'agi[ssait] d'une maladie dégénérative de type Alzheimer".

Le curateur de feu A______ a déclaré, lors de cette audience, qu'il apprenait ce jour l'existence d'un rapport neuropsychologique concernant son protégé.

Les témoins G______ et J______ ont également été entendus lors de cette audience. Leurs déclarations ont été intégrées dans la mesure utile à l'état de faits.

À l'issue de l'audience, feu A______, représenté par son curateur, a persisté à solliciter, outre la production du rapport neuropsychologique précité, les moyens de preuves réservés par ordonnance du 31 mars 2021, ce à quoi D______ s'est opposée.

s. Par ordonnance ORTPI/1223/2021 du 11 novembre 2021, le Tribunal a notamment rejeté les moyens de preuve sollicités et clôturé l'administration des preuves.

Il a retenu que, au-delà de la recevabilité du rapport neuropsychologique du 16 septembre 2019, sa production n'apparaissait pas nécessaire au vu de la date de son établissement et des déclarations du Dr E______. L'audition de B______ n'apparaissait pas non plus nécessaire, car portant sur les mêmes allégués que ceux sur lesquels le Dr E______ avait été entendu. S'agissant des rapports en mains des HUG ou de l'Hôpital de O______, le curateur aurait pu les obtenir et les produire antérieurement, voire à tout le moins démontrer qu'il avait essayé de le faire. En tout état, ces rapports n'apparaissaient pas pertinents pour la solution du litige, car la question n'était pas de déterminer si feu A______ était partiellement ou totalement incapable de discernement lors de ses hospitalisations, mais si une éventuelle incapacité était alors visible pour les tiers à ces périodes-là, ce que ces rapports ne permettraient pas de dire.

Feu A______, représenté par son curateur, a formé recours contre cette ordonnance le 23 novembre 2021.

Par arrêt ACJC/273/2022 du 24 février 2022, la Cour de justice a déclaré irrecevable ledit recours, faute de préjudice difficilement réparable.

t. Par écritures des 29 et 30 juin 2022, les parties ont plaidé, persistant dans leurs conclusions respectives, étant précisé que feu A______, représenté par son curateur, persistait à solliciter l'audition de B______ et la production du rapport neuropsychologique du 16 septembre 2019 à titre préalable.

Le 20 juillet 2022, feu A______, représenté par son curateur, a encore déposé des déterminations spontanées.

u. Le Tribunal a ensuite gardé la cause à juger.

D. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a d'abord examiné si D______ avait violé son obligation de diligence en informant tardivement le Tribunal de protection de l'incapacité de discernement de feu A______ et a estimé qu'aucun élément de la procédure ne permettait de retenir que le médecin traitant du précité ou ses proches auraient douté de la capacité de discernement de feu A______ avant le courrier de la Banque du 23 mai 2019. Ce n'était qu'au mois d'août 2019, après avoir appris que son patient avait effectué les versements litigieux, que le Dr E______ avait ordonné un bilan neuropsychologique, qui avait permis d'établir une incapacité durable. Dans ces circonstances, l'on ne pouvait reprocher à D______ de ne pas avoir réagi avant le 23 mai 2019.

Le Tribunal a ensuite examiné si la Banque avait violé ses obligations, en donnant suite aux instructions de virement de feu A______. Il a considéré que les instructions de transfert, données par le précité soit en personne à l'agence, soit par des courriers manuscrits signés de sa main, étaient claires et les informations indiquées permettaient à la banque de les exécuter. D______ était donc a piori liée par lesdites instructions. Restait à vérifier s'il y avait lieu de s'écarter de ces instructions en raison de leur caractère déraisonnable, et de procéder à des vérifications supplémentaires. En l'occurrence, le témoin J______ avait déclaré qu'elle avait pour habitude de poser des questions au client avant de valider un ordre de transfert. Selon le premier juge, "force [était] ainsi d'admettre qu'en cas de doute, en fonction des réponses du client, elle aurait refusé, à l'instar de ses collègues, d'effectuer le transfert, comme pour celui de mai 2019". L'âge avancé de A______ ne permettait par ailleurs pas à la Banque de douter du caractère raisonnable des transferts litigieux, puisque des difficultés de discernement n'étaient pas perceptibles avant le 21 mai 2019. D______ n'avait par conséquent pas violé le contrat de mandat en exécutant les transferts litigieux.

Il en allait autrement pour l'ordre exécuté deux fois le 11 mars 2019, soit deux virements de 10'570 fr. chacun. En effet, selon le Tribunal, l'ordre manuscrit du 6 mars 2019 précisait qu'il s'agissait d'"une deuxième lettre" et qu'"il ne fa[llait] faire qu'un seul virement". Or, cet ordre avait été effectué deux fois par la Banque le 11 mars 2019, de sorte que celle-ci n'avait pas agi conformément aux instructions reçues et avait par conséquent violé le contrat qui la liait à son mandant. D______ était donc condamnée à rembourser 10'570 fr. à A______.

EN DROIT

1. 1.1 Selon l'art. 308 al. 1 let. a CPC, l'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance. Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (al. 2).

La valeur litigieuse étant en l'espèce supérieure à 10'000 fr., la voie de l'appel est ouverte.

1.2 L'appel a été déposé dans le délai de 30 jours et selon la forme prescrite par la loi, de sorte qu'il est recevable (art. 130, 131, 142 al. 1 et 311 CPC).

L'appel joint a été formé simultanément à la réponse sur appel principal. Il est donc également recevable (art.312 al. 2 et 313 al. 1 CPC).

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), dans la limite des griefs motivés qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4).

Elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus
(ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3).

Elle applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et art. 58 al. 1 CPC).

1.4 Par souci de clarté, B______ sera désignée en qualité d'appelante et D______ en qualité d'intimée.

2. A______ est décédé durant le délai d'appel.

2.1 En l'absence d'aliénation de l'objet du litige, la substitution de partie est subordonnée au consentement de la partie adverse; les dispositions spéciales prévoyant la succession d'un tiers aux droits ou obligations des parties sont réservées (art. 83 al. 4 CPC). Cette hypothèse recoupe tous les cas de succession à titre universel qui, par définition, ont pour conséquence un changement de légitimation survenant par le seul effet de la loi et sans que la volonté des parties ne joue de rôle. Dans la mesure où le droit matériel seul induit un tel changement de légitimation, le juge n'a pas d'autre choix que de prendre acte de la substitution de partie qui en découle. Ces hypothèses recoupent les cas de succession à titre universel, à l'instar de l'ouverture de la succession d'un plaideur (art. 560 al. 1 CC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_215/2009 du 6 août 2009 consid. 3.1; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 28 et 29 ad art. 83 CPC).

En cas de succession légale, la déclaration expresse d'une partie n'est pas nécessaire pour que la désignation des parties soit adaptée. Il suffit que le tribunal ait connaissance de la succession et accorde aux parties le droit d'être entendues (arrêt du Tribunal fédéral 5A_256/2016 du 9 juin 2017 consid. 3.2 non publié in ATF 143 III 297).

2.2 Il ressort du certificat d'héritier du 18 janvier 2023 que B______ est seule héritière de A______ et, partant, elle a succédé à ce dernier dans la présente cause.

Cette substitution sera constatée.

3. L'appelante a produit de nouvelles pièces et allégué des faits nouveaux en appel.

3.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

Il faut distinguer les "vrais nova" des "pseudo nova". Les "vrais novas" sont des faits et moyens de preuve qui ne sont survenus qu'après la fin des débats principaux, soit après la clôture des plaidoiries finales (ATF 138 III 788 consid. 4.2; Tappy, in Code de procédure civile commenté, Commentaire romand, 2019, n. 11 ad art. 229 CPC). En appel, ils sont en principe toujours admissibles, pourvu qu'ils soient invoqués sans retard dès leur découverte. Les "pseudo nova" sont des faits et moyens de preuve qui étaient déjà survenus lorsque les débats principaux de première instance ont été clôturés. Leur admissibilité est largement limitée en appel, dès lors qu'ils sont irrecevables lorsqu'en faisant preuve de la diligence requise, ils auraient déjà pu être invoqués dans la procédure de première instance. Il appartient au plaideur d'exposer en détails les motifs pour lesquels il n'a pas pu présenter le "pseudo nova" en première instance déjà (ATF 143 III 42 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1006/2017 du 5 février 2018 consid. 3.3).

3.2 En l'espèce, bien que la pièce C (testament du 7 novembre 2017) soit antérieure au moment où le premier juge a gardé la cause à juger, celle-ci est recevable puisqu'elle n'aurait pas pu être invoquée dans le cadre de la procédure de première instance, compte tenu du décès de feu A______ en décembre 2022. En tous les cas, elle n'est pas pertinente pour l'issue du litige.

Quant aux autres pièces produites par l'appelante, elles sont postérieures à la fin des débats principaux de première instance et ont été invoquées sans retard, de sorte qu'elles sont recevables, de même que les faits qui s'y rapportent.

4. Les parties reprochent au Tribunal d’avoir procédé à une constatation inexacte des faits sur certains points. L’état de fait présenté ci-dessus a donc été rectifié et complété dans la mesure utile, sur la base des actes et pièces de la procédure.

5. L’appelante reproche au Tribunal d’avoir violé son droit à la preuve, en refusant son audition ainsi que la production du rapport neuropsychologique du 16 septembre 2019.

Elle ne sollicite pas que la Cour procède à l'administration de ces preuves mais requiert, à titre subsidiaire, de renvoyer la cause en première instance afin que ces actes d’instruction soient conduits devant le premier juge.

5.1.1 Compris comme l’un des aspects de la notion générale de procès équitable ancrée à l’art. 29 Cst., le droit d’être entendu au sens de l’art. 29 al. 2 Cst. englobe notamment le droit pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, mais également le droit à la preuve. Celui-ci, qui se déduit aussi de l’art. 8 CC et trouve une consécration expresse à l’art. 152 CPC (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_397/2022 du 17 mai 2023 consid. 3.1.1 et 5A_926/2021 du 19 mai 2022 consid. 4.1.1), implique que toute personne a droit, pour établir un fait pertinent contesté, de faire administrer les moyens de preuve adéquats, pour autant qu’ils aient été proposés régulièrement et en temps utile (ATF 144 II 427 consid. 3.1 ; 143 III 297 consid. 9.3.2).

5.1.2 Le droit à la preuve n’existe que s’il s’agit d’établir un fait pertinent, qui n’est pas déjà prouvé, par une mesure probatoire adéquate (ATF 135 I 187 consid. 2.2 ; 133 III 295 consid. 7.1, SJ 2007 I 513 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_763/2018 du 1er juillet 2019 consid. 2.1.1.1 et 2C_545/2014 du 9 janvier 2015 consid. 3.1 et les références citées).

Le droit à la preuve n’est pas mis en cause lorsque le juge, par une appréciation anticipée, arrive à la conclusion que la mesure requise n’apporterait pas la preuve attendue, ou ne modifierait pas la conviction acquise sur la base des preuves déjà recueillies (ATF 146 III 73 consid. 5.2.2 ; 145 I 167 consid. 4.1 ; 143 III 297 consid. 9.3.2 ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

5.2 En l’espèce, le Tribunal a écarté les moyens de preuve litigieux car il considérait, d'une part, que la production du bilan neuropsychologique n’apparaissait pas nécessaire au vu de la date de son établissement et des déclarations du Dr E______ et, d'autre part, que l’audition de B______ portait sur les mêmes allégués que ceux sur lesquels le Dr E______ avait été entendu, ce que l'appelante critique.

Cette dernière soutient qu’il est « de notoriété publique » que pour établir un bilan, l’auteur contacte les différents professionnels de santé impliqués dans le suivi du patient et qu’il rédige une anamnèse et un historique du patient. Selon elle, ce document devrait alors contenir des faits passés permettant de déterminer si des troubles de la capacité de discernement de feu A______ pouvaient être perçus par des tiers avant l’établissement de ce rapport.

Toutefois, le Tribunal a procédé à l'audition du Dr E______. Ce spécialiste assurait le suivi médical de feu A______ depuis de nombreuses années et avait très régulièrement vu le patient entre 2018 et 2019. Il est par ailleurs au fait des antécédents de celui-ci, notamment de ses hospitalisations, ainsi que de la teneur et des conclusions du rapport neuropsychologique. Son audition apparaît dès lors tout à fait suffisante pour statuer sur la question de savoir si une éventuelle incapacité de feu A______ était visible pour les tiers au moment des ordres litigieux.

Le refus d’ordonner la production dudit bilan, valablement fondé sur une appréciation anticipée des preuves, n’est ainsi pas critiquable.

Il en va de même de l’audition de B______. En effet, l’appelante ne saurait être suivie lorsqu’elle soutient être « la seule personne qui pouvait venir expliquer au Tribunal la faculté de tout un chacun de percevoir l’incapacité de discernement de [feu A______] », son médecin traitant étant tout à fait en mesure de le faire. Contrairement à ce que l’appelante prétend, les déclarations du Dr E______ permettent par ailleurs de répondre à la question de savoir si l’éventuelle incapacité de feu A______ était visible pour les tiers après sa première hospitalisation.

C’est ainsi également sans arbitraire que le Tribunal a refusé d’entendre B______.

Aujourd'hui B______ est partie à la procédure, de sorte qu'elle ne saurait être entendue comme témoin. Son audition comme partie ne se justifie pas non plus, par identité de motifs.

Au vu de ce qui précède, le grief de nature formelle invoqué par l’appelante tiré de la violation de son droit à la preuve doit être rejeté. Il n’y a dès lors pas lieu de renvoyer la cause au Tribunal pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

6. L’appelante reproche au Tribunal d’avoir violé l’art. 397a CO en considérant que l’intimée n’avait pas violé son obligation d’informer, en ne signalant la situation au Tribunal de protection qu’en mai 2019.

6.1 À teneur de l’art. 397a CO, lorsque le mandant est frappé d’une incapacité de discernement probablement durable, le mandataire doit en informer l’autorité de protection de l’adulte du domicile du mandant pour autant que la démarche paraisse appropriée au regard de la sauvegarde de ses intérêts.

L’obligation d’informer de l’art. 397a CO ne s’impose que lorsque le mandataire et le mandant se trouvent dans un rapport éminemment personnel, comme c’est le cas en principe entre un médecin et son patient ou entre un avocat et son client. De par la nature de l’affaire, le mandataire diligent doit pouvoir se rendre compte de la capacité de discernement de son mandant et des éventuelles causes d’altération dont il souffre. On ne saurait attendre que tel soit le cas dans un contrat de gestion immobilière, de management d’hôtel ou encore des contrats bancaires de type execution only (Werro, Commentaire romand, Code des obligations I, 2021, n. 4 ad art. 397a CO).

Lorsque les conditions de l’art. 397a CO sont réunies, le mandataire doit saisir l’autorité de protection de l’adulte du domicile du mandant. Lorsqu’à tort le mandataire informe ou omet d’informer l’autorité de protection de l’adulte, le mandataire viole son obligation de diligence et devra répondre de l’éventuel dommage causé au mandant (Werro, op. cit., n. 11 ad art. 397a CO).

6.2 En l’espèce, il doit d’abord être relevé que les parties se trouvaient dans une relation de simple compte bancaire. En effet, le curateur de feu A______ n'a jamais prétendu que son protégé avait conclu un mandat de gestion avec l'intimée. Dans de telles circonstances, il convient de ne pas se montrer trop exigeant à l’égard de l’intimée s’agissant de l’obligation d’informer fondée sur l’art. 397a CO.

En l’occurrence, rien n’indique qu’une éventuelle incapacité de discernement – pour autant qu’elle ait existé à cette période – ait été perceptible avant mai 2019. En effet, lorsque feu A______ s’est rendu dans les locaux de la Banque en août et septembre 2018 ou encore en mars 2019, il avait consulté quelques jours auparavant son médecin, sans que celui-ci ne décèle un éventuel problème et ne signale son cas au Tribunal de protection. Sa sœur jumelle, qui allègue l’avoir vu régulièrement depuis sa première hospitalisation en octobre 2018, n’a pas non plus jugé utile de faire un signalement, ou du moins de faire part de ses éventuelles inquiétudes au médecin traitant de son frère.

Dans ces circonstances, il ne peut être reproché à l’intimée d’avoir informé tardivement l’autorité de protection.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé sur ce point.

7. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir considéré que l'intimée n'avait pas violé son obligation de diligence en exécutant les ordres que lui avait transmis feu A______ entre août 2018 et mars 2019.

L'intimée, pour sa part, reproche au premier juge d'avoir retenu que sa responsabilité était engagée pour l'un des ordres exécutés le 11 mars 2019 et de l'avoir condamnée à rembourser le montant de 10'570 fr.

7.1.1 Lorsque l'activité d'une banque se limite à exécuter les transactions décidées par le client - activité de type "execution only" - elle est liée à ce dernier par un contrat de commission au sens des art. 425 ss CO (Lombardini, Responsabilité de la banque dans le domaine de la gestion de fortune : état de la jurisprudence et questions ouvertes in SJ 2008 II 415, p. 418).

La responsabilité de la banque s'analyse dès lors sous l'angle des règles du mandat, applicables par renvoi de l'art. 425 al. 2 CO.

Dans le contrat de simple compte/dépôt bancaire ("execution only"), la banque s'engage uniquement à exécuter les instructions ponctuelles du client, sans être tenue de veiller à la sauvegarde générale des intérêts de celui-ci (arrêts du Tribunal fédéral 4A_369/2015 du 25 avril 2016 consid. 2; 4C_385/2006 du 2 avril 2007 consid. 2.1).

7.1.2 En vertu de l’art. 398 al. 1 CO, qui renvoie à l’art. 321e al. 1 CO, le mandataire répond du dommage qu’il cause au mandant intentionnellement ou par négligence. Sa responsabilité est subordonnée aux quatre conditions suivantes, conformément au régime général de l’art. 97 CO : une violation des obligations qui lui incombent en vertu du contrat, notamment la violation de ses obligations de diligence et de fidélité (art. 398 al. 2 CO) ; un dommage ; un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre la violation du contrat et le dommage ; et une faute. Le mandant supporte le fardeau de l’allégation objectif et le fardeau de la preuve des trois premières conditions, conformément à l’art. 8 CC. Il incombe en revanche au mandataire de prouver qu’aucune faute ne lui est imputable, étant rappelé que la faute est présumée (ATF 147 III 463 consid. 4.1 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 4A_9/2021 du 12 janvier 2022 consid. 4.1.1 et les références citées, 4A_594/2017 du 13 novembre 2018 consid. 4.3.2).

7.1.3 En tant que mandataire, la banque doit se conformer aux instructions de son client (art. 397 CO) et répond de leur bonne et fidèle exécution (art. 398 CO).

En vertu de l’art. 397 al. 1 CO, le mandataire qui a reçu des instructions précises ne peut s’en écarter qu’autant que les circonstances ne lui permettent pas de rechercher l’autorisation du mandant et qu’il y a lieu d’admettre que celui-ci l’aurait autorisé s’il avait été au courant de la situation.

Les instructions sont des manifestations de volonté sujettes à réception, par lesquelles le mandant indique au mandataire comment exécuter les services promis. Lorsque les instructions du mandant sont peu claires ou imprécises, il appartient au mandataire de demander au mandant de les préciser (Tercier/Bieri/Carron, Les contrats spéciaux, 2016, 5e éd, p. 634, n. 4450; Gutzwiller, Rechtsfragen der Vermögensverwaltung, Zurich 2008, pp. 218 et 248; Weber, in Basler Kommentar, Obligationenrecht I, Bâle 2015, n. 4 ad art. 397 CO).

Une instruction dûment donnée lie le mandataire au point que s’il l’enfreint, il engage en principe sa responsabilité. Celle-ci ne peut être exclue ou limitée que si les instructions sont viciées ou si les circonstances exigent que le mandataire prenne des mesures urgentes. En tant que spécialiste ou professionnel, le mandataire ne doit pas suivre aveuglément les instructions du mandant. Bien au contraire, il a l’obligation de vérifier si les instructions reçues sont utiles, appropriées, opportunes et réalistes. Il n’est pas lié par des instructions déraisonnables. Lorsque le mandataire considère les instructions déraisonnables, il doit en informer le mandant (donner un avis formel) et limiter l’exécution du contrat au strict nécessaire jusqu’à ce que la situation se clarifie. Selon la jurisprudence et la doctrine dominante, ces obligations découlent de l’obligation générale de diligence. Conformément aux principes généraux, le mandataire doit réagir en temps utile s’il désapprouve une instruction. Tel est le cas même si celle-ci est en soi raisonnable, mais qu’elle ne correspond pas à la ligne que le mandataire entend adopter pour l’exécution du contrat (Werro, op. cit., n. 5 et 10-11 ad art. 397 CO).

Le mandataire ayant violé une instruction acceptée et, en conséquence, le contrat, répond du dommage qu’il cause de ce fait au mandant. Il peut toutefois se libérer de sa responsabilité en prouvant que le non-respect de l’instruction ne lui est pas imputable, soit que son comportement a été approuvée par le mandant (Werro, op. cit., n. 14 ad art. 397 CO).

7.1.4 L'arrêt 4A_386/2016 du Tribunal fédéral du 5 décembre 2016 traite de l'exécution d'ordres de transfert frauduleux. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a considéré qu'en général, la banque n'était tenue de vérifier l'authenticité des ordres qui lui étaient adressés que selon les modalités convenues entre les parties ou, le cas échéant, spécifiées par la loi. Elle n'avait pas à prendre de mesures extraordinaires, incompatibles avec une liquidation rapide des opérations. Bien qu'elle devait compter avec l'existence de faux, elle n'avait pas à les présumer systématiquement. Elle devait cependant procéder à des vérifications supplémentaires lorsqu'il existait des indices sérieux de falsification, lorsque l'ordre ne portait pas sur une opération prévue par le contrat ou habituellement demandée, ou encore lorsque des circonstances particulières suscitaient le doute. En l'espèce, le Tribunal fédéral a relevé que la cour cantonale avait, à juste titre, considéré que les instructions en question étaient insolites à cinq égards (notamment le langage utilisé, la nature de la transaction et la fréquence à laquelle le demandeur l'avait sollicitée, ou encore l'absence d'explication quant au but du virement).

7.2 L'appelante reproche tout d'abord au Tribunal de ne pas avoir tenu compte de la jurisprudence consacrée par l'arrêt 4A_386/2016. Or, l'arrêt en question traite d'un complexe de faits différent de la présente espèce, puisqu'il concerne l'exécution d'ordres de transfert frauduleux et non la question de savoir si les instructions données par le client, soit en l'espèce de simples virements bancaires, étaient déraisonnables. C'est donc à raison que le Tribunal a considéré que ladite jurisprudence ne s'appliquait pas.

7.2.1 En l'espèce, il n'est pas contesté que l'intimée a suivi des instructions qui lui ont été transmises par son client, par oral ou par écrit. Est en revanche litigieuse la question de savoir si c'est à raison qu'elle l'a fait.

Selon l'appelante, l'intimée n'aurait pas dû exécuter les instructions litigieuses car celles-ci étaient déraisonnables. Elle fait valoir que les ordres de virement ne contenaient aucune indication quant au motif de la transaction et à l'adresse du destinataire. Il s'agissait de plus de transférer des montants importants à destination de la Tunisie, pays "éloigné de la Suisse" et sans lien apparent avec le donneur d'ordre. Ces circonstances auraient dû, selon elle, alerter l'intimée et l'amener à procéder à des vérifications.

Les instructions de transfert litigieuses étaient en l'occurrence claires (soit de verser un montant déterminé à une personne déterminée sur un compte déterminé (IBAN) ouvert auprès d'une banque déterminée) et les informations indiquées ont permis à l'intimée de les exécuter, sans qu'il soit nécessaire de solliciter davantage de précisions de la part du donneur d'ordre.

Leur caractère éventuellement inédit (destination des fonds : pays étranger et personne physique) ne suffit pas à retenir que les instructions étaient déraisonnables, notamment au vu du solde du compte de l'intéressé et du montant des transferts de fonds demandés.

À cela s'ajoute que les premiers ordres litigieux ont été communiqués oralement par le client. Le témoin J______, qui s'est occupée de feu A______ le 7 septembre 2018, mais également en mars et en mai 2019, a déclaré qu'elle avait pour habitude de poser des questions au client avant de valider un ordre. Les déclarations de ce témoin apparaissent cohérentes au vu du déroulement des faits litigieux, notamment des évènements de mai 2019. Elles correspondent par ailleurs à celles du témoin G______, qui a confirmé qu'en cas de doute, un conseiller se référait à son supérieur, ce que la précitée a fait en mai 2019 et pas en septembre 2018. Le Tribunal pouvait donc retenir, sans être critiqué, l'absence de circonstances particulières suscitant le doute lors des premiers ordres litigieux, ce d'autant que, contrairement à ce que plaide l'appelante, la prétendue fragilité de feu A______ n'était alors pas même visible pour son médecin traitant.

Compte tenu de ce qui précède, les ordres suivants, qui visaient également à transférer de l'argent à des particuliers en Tunisie, ne pouvaient, quoi qu'il en soit, être considérés comme insolites et interpeller la banque, étant rappelé que, dans le cadre d'une relation de simple compte bancaire, l'intimée s'engage uniquement à exécuter les instructions de son client, sans veiller à la sauvegarde générale des intérêts de celui-ci.

L'âge du client au moment des ordres litigieux (soit 87-88 ans) ne permet pas de retenir le contraire, puisqu'il ressort des déclarations de son médecin traitant qu'il n'avait décelé aucun signe suspect chez son patient avant août 2019.

Dans ces conditions, c'est à raison que le Tribunal a considéré que l'intimée n'avait pas violé son obligation de diligence en exécutant les ordres transmis par feu A______ les 28 août, 7 et 26 septembre, 11 et 27 décembre 2018, 28 janvier et 14 février 2019.

7.2.2 Il en va différemment pour les transactions exécutées le 11 mars 2019.

En effet, les ordres transmis par feu A______, l'un par courrier et l'autre en personne au guichet, en mars 2019, étaient confus et nécessitaient un éclaircissement de la part de l'intimée. Le courrier du 6 mars 2019, qui sollicitait de la banque qu'elle verse un montant de 10'535 fr. à L______, précisait qu'il s'agissait d'une deuxième lettre, et qu'il ne fallait effectuer qu'un seul virement, sans toutefois indiquer à quelle date aurait été transmis le premier courrier. Peu importe que ce pli ait été réceptionné avant ou après la venue de feu A______ à l'agence le 8 mars 2019, l'intimée aurait dû réagir et solliciter des éclaircissements auprès de son mandant, les instructions transmises dans son courrier étant à l'évidence peu claires. Le témoin G______ a d'ailleurs admis que la situation lui avait paru "douteuse", que la Banque avait potentiellement commis une erreur et qu'elle avait d'ailleurs fait "une demande de retour". Il a supposé que le client "a[vait] dû donner un motif" lors de son passage. Mais aucun élément du dossier ne permet de retenir qu'à la réception du courrier du 6 mars 2019, l'intimée aurait vérifié auprès du client si le pli transmis avait le même objet que sa demande du même jour.

Dans ces circonstances, et vu que les autres conditions de la responsabilité de l'intimée ne sont à juste titre pas discutées par les parties, c'est à raison que le Tribunal a considéré que c'était en violation de son obligation de diligence que l'intimée avait exécuté l'ordre du 6 mars 2019 et l'a condamnée à payer un montant de 10'570 fr. correspondant au montant débité à tort du compte de feu A______.

7.2.3 Le chiffre 1 du dispositif du jugement entrepris sera par conséquent confirmé.

8. Les frais d'appel et d'appel joint seront fixés de la manière suivante eu égard à l'issue de l'appel et de l'appel joint (art. 95 al. 1 let. a et al. 2, 104 al. 1, 105 al. 1 et 106 al. 1 CPC; art. 5, 17 et 35 RTFMC).

Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 4'500 fr. et ceux d'appel joint à 1'800 fr. au vu de la valeur litigieuse et de l'issue du litige et compensés avec les avances de frais fournies par les parties. Dans la mesure où les parties ont chacune succombé à leurs propres conclusions d'appel, les frais judiciaires d'appel seront mis à charge de l'appelante et les frais judiciaires d'appel joint à charge de l'intimée.

Les dépens d'appel seront arrêtés à 3'000 fr., débours et TVA inclus, mis à la charge de l'appelante, et ceux d'appel joint à 1'000 fr., débours et TVA inclus, mis à la charge de l'intimée (art. 85 et 90 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Préalablement :

Constate que B______ est partie à la procédure, en lieu et place de A______.

A la forme :

Déclare recevables l'appel interjeté le 15 décembre 2022 par B______ contre le jugement JTPI/13419/2022 rendu le 14 novembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22931/2019, ainsi que l'appel joint interjeté le 2 février 2023 par D______ contre ce même jugement.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 4'500 fr., mis à la charge de B______, et les frais judiciaires d'appel joint à 1'800 fr., mis à la charge de D______, et les compense avec les avances fournies, qui restent acquises à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser à D______ 3'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Condamne D______ à verser à B______ 1'000 fr. à titre de dépens d'appel joint.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame
Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.