Skip to main content

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/18273/2023

ACJC/1168/2023 du 11.09.2023 ( IUS ) , ADMIS

Normes : CPC.265
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18273/2023 ACJC/1168/2023

ORDONNANCE

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 11 SEPTEMBRE 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______, requérante, comparant par Me Christian JOUBY, avocat, PBM AVOCATS SA, avenue de Champel 29, case postale, 1211 Genève 12, en l'Etude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ Sàrl, sise ______, citée, comparant par Me Anne-Virginie LA SPADA-GAIDE, avocate, BMG AVOCATS, avenue de Champel 8C, case postale 385, 1211 Genève 12, en l'Etude de laquelle elle fait élection de domicile.

 


Vu la requête en cessation du trouble déposée à la Cour de justice par A______ SA contre B______ Sàrl;

Attendu, EN FAIT, que A______ SA conclut à ce qu'il soit ordonné à B______ Sàrl de cesser immédiatement d'utiliser la marque "A______" et notamment les marques verbales et figuratives 1______, 2______ et 3______, sous quelque forme que ce soit et dans quelque graphisme que ce soit seul ou accompagné d'autres termes dans le domaine de l'alimentation et de la restauration, soit dans toute activité relative aux classes de produits et services N29, 30 et 43 selon la classification de Nice, de cesser immédiatement de faire usage des menus confectionnés par "A______" sous quelque forme que ce soit et dans quelque graphisme que ce soit, seuls ou accompagnés d'autres termes, de cesser immédiatement de faire usage du savoir-faire et des secrets commerciaux de A______ SA au sens de l'art. 13.2 let. iiii [recte : iii] du contrat, de cesser immédiatement tout acte de concurrence déloyale à son encontre, sous la menace de la peine de l'art. 292 CP, qu'il soit dit que faute d'exécution B______ Sàrl sera condamnée à une amende d'ordre de 1'000 fr. par jour d'inexécution, avec suite de frais et dépens;

Qu'elle formule ces conclusions à titre provisionnel ainsi que superprovisionnel;

Qu'elle est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois (sous la raison sociale C______ SA jusqu'en février 2022) depuis le ______ 2014, dont les administrateurs sont D______ et E______;

Qu'elle allègue être propriétaire, en vertu d'une cession du 30 décembre 2021, de la marque verbale "A______" enregistrée auprès de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle sous numéro 1______ (classe de produits et services N43 et N30), ainsi que des marques verbales et figuratives 3______ (classe de produits et services N43), dont l'élément verbal est "A______ D______ Boulevard 4______ no. ______ - [code postal] Genève" accompagné d'un logo (reproduit dans la requête), et 2______ (classe de produits et services 29, 30 et 43) dont l'élément verbal est "C" accompagné d'un logo (reproduit dans la requête), originairement au nom de D______;

Que, le 22 décembre 2021, elle a conclu un contrat de franchise avec la société en responsabilité limitée B______ Sàrl, inscrite au Registre du commerce genevois depuis le ______ 2020;

Que celle-ci a pour but, entre autre, l'exploitation d'un restaurant de type fast food "A______" et plus généralement toute activité de gestion de restaurants;

Qu'aux termes du contrat susmentionné, conclu pour neuf ans, A______ SA a accordé à B______ Sàrl notamment le droit exclusif d'utiliser le savoir-faire ("ainsi que les éléments protégés par les droits de propriété intellectuelle mis au point et perfectionnés […] consistant en un système de gestion, d'organisation, de formation et de décoration du restaurant A______, des présentations en vitrine, ainsi que des accessoires qui, de par leur style, permettent à la clientèle d'identifier la qualité spécifique des services offerts dans l'ensemble des futurs restaurants A______; le savoir-faire comprend les ingrédients, les méthodes et les menus; les ventes emporter; le drive […], l'organisation et la disposition de l'équipement des cuisines et des éléments d'architecture intérieure du restaurant A______; les méthodes de contrôle quantitatif et qualitatif ainsi que les autres méthodes d'exploitation et de gestion de la chaîne de restaurants A______; les méthodes de préparation et de cuisson des aliments et des boissons ainsi que les méthodes de prestation des services; la conception et la décoration extérieure et intérieure du restaurant A______; la méthode de promotion des ventes et de publicité") et le concept ("mode de préparation, de présentation et de commercialisation des produits alimentaires ainsi que le style d'aménagement et de décoration des restaurants A______ […] ainsi que le savoir-faire [… soit] offrir aux clients des repas de qualité de type fast-food à base de poulet frais, à des prix compétitifs, sous la marque A______ dans un environnement attrayant spécifique") uniquement en vue d'exploiter des restaurants A______ dans la commune de F______, et d'utiliser à titre d'enseigne et de nom commercial ainsi que pour ses publicités les marques A______;

Que les marques dont l'usage était concédé à B______ Sàrl étaient "A______ et logos, menus, visuels remis à l'ouverture et sur l'ensemble de la durée du contrat";

Que le contrat comporte, entre autres dispositions, une "clause de confidentialité", par laquelle B______ Sàrl s'est engagée notamment "à ne pas utiliser, directement ou indirectement l'un quelconque des secrets décrits ci-dessus dans une entreprise autre que ses restaurants A______" dans la commune de F______ (art. 13.2.iii);

Qu'il stipule encore qu'en cas de résiliation, les droits acquis s'éteindraient automatiquement et que B______ Sàrl ne devrait plus faire aucun usage du savoir-faire, du concept, des marques et des informations et matériels fournis, tous dessins, schémas et autres "matériels tangibles renfermant ou constituant le savoir-faire et le concept" devant être retournés à A______ SA, B______ Sàrl n'ayant plus aucun droit quel qu'il soit sur les éléments précités;

Qu'en cas de résiliation anticipée, B______ Sàrl devrait cesser toute fabrication et vente de produits alimentaires ainsi que toute utilisation des marques A______ et cesser de se présenter comme membre du réseau de franchise A______, et remettre tous documents y compris tous récapitulatifs, reproductions, notes, modèles, cachets, dessins, aménagements et autres équipements utilisés pour apposer ou pour reproduire de toute autre façon l'une quelconque des marques A______, à moins que de tels articles puissent être utilisés et soient utilisés à d'autres fins que pour la reproduction de l'une quelconque de ces marques;

Que, par lettre de son conseil du 30 août 2023, B______ Sàrl a déclaré résilier le contrat précité "pour justes motifs, avec effet immédiat", ajoutant notamment que "dans des délais aussi brefs que possible", elle "effectuera[it] le retrait de l'enseigne de la marque A______ et mettra[it] un terme à toute utilisation de cette marque sur tout support" et qu'elle considérait la clause de non-concurrence comme non valable;

Que A______ SA allègue qu'après la résiliation susmentionnée B______ Sàrl a continué à faire usage de ses droits de propriété intellectuelle et continué à fabriquer et vendre des produits alimentaires A______, à faire usage du savoir-faire et se présenter comme un membre du réseau de franchise;

Qu'elle produit notamment une photographie d'un ticket de caisse, daté du 5 septembre 2023, portant mention "A______ F______ […] route 5______ no. ______, [code postal] F______ Suisse […]", ainsi que diverses photographies - non datées ou datées du 2 septembre 2023 - , montrant un établissement public (sis en bordure d'une route) portant l'enseigne "A______", et comportant des exemplaires de logos apposés sur des meubles, sur l'uniforme d'une personne, et sur des étiquettes, ainsi que des produits à consommer;

Qu'elle allègue que B______ Sàrl aurait commencé à modifier la recette de certains des aliments, notamment de la panure, en ne se fournissant plus auprès de fournisseurs agréés;

Qu'elle fait valoir qu'elle risquerait de subir une atteinte à son image et à sa réputation professionnelle ainsi qu'un dommage financier "important et certain", de par les actes d'usurpation et d'utilisation de ses droits de propriété intellectuelle commis par B______ Sàrl;

Considérant, EN DROIT, que la requérante fonde son action sur la loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM), sur l'art. 2 al. 1 de la loi sur le droit d'auteur et les droits voisins du 9 octobre 1992 ainsi que sur la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD);

Que selon les art. 5 al. 1 let. a, c et d CPC et 120 al. 1 let. a LOJ, la Chambre civile de la Cour de justice connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, de ceux portant sur l'usage d'une raison de commerce et, lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr., de ceux relevant de la LCD;

Que cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC);

Qu'au vu des conclusions prises par la requérante, il sera admis que la Cour de céans est compétente à raison de la matière, étant relevé que la valeur litigieuse des prétentions relevant de la LCD peut à ce stade demeurer indécise;

Qu'en application de l'art. 261 al. 1 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b);

Que l'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite;

Qu'à teneur de l'art. 55 al. 1 let. a et b LPM, la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit à la marque peut demander au juge civil de l'interdire si elle est imminente ou de la faire cesser si elle dure encore, y compris par la voie provisionnelle (art. 59 let. d LPM);

Que selon l'art. 62 al. 1 let a et b LDA, la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit d’auteur ou d’un droit voisin peut demander au tribunal de l’interdire, si elle est imminente et de la faire cesser, si elle dure encore;

Que l'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil du 28 juin 2006 relatif au Code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961);

Que la vraisemblance requise doit en outre porter sur un préjudice difficilement réparable, qui peut être patrimonial ou immatériel (Huber, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 2ème éd. 2013, n° 20 ad art. 261 CPC). Que cette condition vise à protéger le requérant du dommage qu'il pourrait subir s'il devait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue au fond (ATF 139 III 86 consid. 5; 116 Ia 446 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_901/2011 du 4 avril 2012 consid. 5; 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4);

Qu'en droit des marques ou en matière de concurrence déloyale, il est admis qu'un risque de confusion est en règle générale de nature à engendrer une perturbation du marché ainsi que d'autres dommages de nature immatérielle. Que la condition de menace d'un dommage difficile à réparer est dès lors en règle générale considérée comme remplie (Schlosser, Les conditions d'octroi des mesures provisionnelles en matière de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale, in sic! 2005 p. 349; arrêts de la Cour de justice ACJC/1291/2017 du 6 octobre 2017 consid. 3.4; ACJC/335/2015 du 26 mars 2015 consid. 4.1);

Que la condition de l'urgence doit être considérée comme remplie lorsque sans mesures provisionnelles, le requérant risquerait de subir un dommage difficile à réparer au point que l'efficacité du jugement rendu à l'issue de la procédure ordinaire au fond en serait compromise (arrêt du Tribunal fédéral 5A_629/2009 du 25 février 2010 consid. 4.2). Qu'en d'autres termes, l'urgence n'est donnée que s'il apparaît que la procédure provisionnelle sera terminée avant le moment où le procès ordinaire, introduit en temps utile, aurait pris fin (Schlosser, op. cit., p. 354 ss);

Qu'en cas d'urgence particulière, notamment s'il y a un risque d'entrave à leur exécution, le tribunal peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre la partie adverse (art. 265 al. 1 CPC);

Qu'une urgence particulière suppose que le but recherché ne pourrait pas être atteint s'il fallait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur mesures provisionnelles;

Que la mesure doit être proportionnée au risque d'atteinte (arrêt du Tribunal fédéral 4_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1);

Qu'en l'espèce, il est rendu vraisemblable que la citée, en résiliant le contrat la liant à la requérante, a perdu les droits de propriété intellectuelle qui lui avaient été concédés;

Que celle-ci apparaît au demeurant consciente de ce qu'elle doit cesser d'utiliser la marque A______, puisqu'elle a mentionné, dans son courrier du 30 août 2023, qu'elle y procéderait "dans des délais aussi brefs que possibles";

Qu'ayant opté pour une déclaration de résiliation immédiate, il apparaît vraisemblable prima facie qu'elle ait été en mesure d'anticiper les effets de sa décision, en prenant simultanément les mesures appropriées;

Que la requérante rend vraisemblable, à tout le moins par la photographie du ticket de caisse daté du 5 septembre 2023 qu'elle a produit, qu'une utilisation par la citée de la marque s'est perpétuée plusieurs jours après la résiliation, sous forme d'une vente de marchandises dans un établissement public portant l'enseigne considérée, ce qui implique un usage de son "savoir-faire" et de ses secrets commerciaux;

Que l'urgence particulière alléguée est ainsi également rendue vraisemblable;

Qu'à supposer que la citée ait mis, postérieurement au dépôt de la requête, fin à l'usage de la marque comme elle l'annonçait le 30 août dernier, les conclusions de la requête superprovisionnelle ne seraient pas susceptibles de prétériter ses intérêts, faute d'objet;

Que la requérante n'évoque pas d'acte de concurrence déloyale concret, à l'exception de l'usage précité, qui serait entrepris par la citée et qui présenterait un risque imminent en l'occurrence;

Que la requérante ne consacre aucun développement à ses conclusions portant sur la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP et sur une amende par jour d'inexécution, n'évoquant aucune circonstance dont il pourrait être inféré que la citée ne se soumettra pas aux mesures ordonnées au terme de la présente ordonnance;

Que dès lors, il sera fait droit, ex parte, aux trois premières conclusions de la requête;

Qu'un délai sera accordé à la citée pour répondre par écrit (art. 265 al. 2 CPC);

Qu'il sera statué sur les frais dans l'ordonnance à rendre sur mesures provisionnelles;

Qu'aucun recours n'est ouvert contre la présente ordonnance (ATF 139 III 86 consid. 1.1.1; 137 III 417; arrêts du Tribunal fédéral 5A_369/2019 du 28 mai 2019 consid. 3; 5A_253/2017 du 4 avril 2017 consid. 2; 5A_554/2014 du 21 octobre 2014 consid. 3.2).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur mesures superprovisionnelles :

 

Ordonne à B______ Sàrl de cesser, avec effet immédiat, d'utiliser la marque "A______" et notamment les marques verbales et figuratives 1______, 2______ et 3______, sous quelque forme que ce soit et dans quelque graphisme que ce soit seul ou accompagné d'autres termes dans le domaine de l'alimentation et de la restauration, soit dans toute activité relative aux classes de produits et services N29, 30 et 43 selon la classification de Nice, de faire usage des menus confectionnés par "A______" sous quelque forme que ce soit et dans quelque graphisme que ce soit, seuls ou accompagnés d'autres termes, et de faire usage du savoir-faire et des secrets commerciaux de A______ SA au sens de l'art. 13.2 let. iii du contrat conclu avec la précitée.

Rejette pour le surplus les conclusions prises à titre superprovisionnel par A______ SA dans sa requête du 8 septembre 2023.

Dit qu'il sera statué sur les frais liés à la présente décision dans l'ordonnance rendue sur mesures provisionnelles.

Impartit à B______ Sàrl un délai de dix jours dès la notification de la présente ordonnance pour répondre par écrit à la requête de mesures provisionnelles formée par A______ SA.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Gladys REICHENBACH, greffière.

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Gladys REICHENBACH

 

 

 

 

 

 

 

S'agissant de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 417 consid. 1.3).