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Décisions | Chambre civile

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C/10630/2021

ACJC/1111/2023 du 31.08.2023 sur JTPI/543/2022 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10630/2021 ACJC/1111/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 31 AOÛT 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, France, appelant d'un jugement rendu par la 1ère Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 12 janvier 2022, comparant en personne,

et

Madame B______, domiciliée ______, France, intimée, comparant par Me Marc LIRONI, avocat, LIRONI AVOCATS SA, boulevard Georges-Favon 19, case postale 423, 1211 Genève 4, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. B______, née le ______ 1963 à C______ (Côte d'Ivoire), de nationalité française, et A______, né le ______ 1963 à D______ (France), de nationalité française, ont contracté mariage le ______ 1997 à E______ (France).

Deux enfants aujourd'hui majeurs sont issues de cette union, soit F______, née le ______ 1998 à G______ (France) et H______, née le ______ 2001 à G______ (France).

b. Le 17 juillet 2015, B______ a saisi le Tribunal de Grande Instance de Thonon-les-Bains (France) d'une requête en divorce.

Par jugement du 30 juin 2017, le Juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de Thonon-les-Bains a notamment prononcé le divorce des époux, dit qu'il n'y avait pas lieu à ordonner la liquidation et le partage des intérêts pécuniaires des époux, fixé les effets du jugement dans les rapports entre époux quant à leurs biens au 25 mars 2014, date de la séparation, et condamné A______ à payer à B______ une prestation compensatoire de 40'000 EUR.

Statuant sur appel de B______ qui concluait au versement d'une prestation compensatoire de 140'000 EUR, la Cour d'appel de Chambéry (France) a, par arrêt du 17 décembre 2019, réformé le jugement précité et condamné A______ à s'acquitter, auprès de B______, d'une somme de 60'000 EUR à titre de prestation compensatoire.

Dans ses considérants, la Cour d'appel a retenu que pour fixer la prestation compensatoire, il fallait prendre en considération l'âge et l'état de santé des époux, la durée du mariage, le temps déjà consacré ou qu'il faudrait consacrer à l'éducation des enfants, la qualification et la situation professionnelle de chaque époux au regard du marché du travail, leurs droits existants et prévisibles, leur situation respective en matière de pensions de retraite, leur patrimoine, les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants, et du temps qu'il faudrait encore y consacrer, ou, pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne.

En l'occurrence, les époux étaient restés mariés pendant vingt ans. Au moment du divorce, A______ travaillait [au sein de] I______ pour un revenu mensuel net après impôts de 7'380 fr., soit 6'770 EUR. Sa prestation de libre passage était de 74'430 EUR (recte : fr.) selon attestation de son employeur. Il aurait également droit à une retraite française. Le revenu mensuel moyen de B______ était de 777 EUR. Elle avait travaillé durant le mariage.

La rupture du lien matrimonial avait créé entre les époux une évidente et importante disparité dans leurs conditions de vie au moment du divorce, laquelle aurait des conséquences au moment du départ à la retraite. A______ disposerait forcément d'une retraite complémentaire obligatoire suisse au titre de son second pilier et éventuellement d'un troisième pilier dont le montant n'était pas connu, ce qui complèterait ses retraites de base suisse et française. B______ disposerait de sa retraite française d'un montant limité, et cas échéance d'une part des avoirs de prévoyance suisses de A______, à supposer qu'elle engage une action auprès des juridictions helvétiques compétentes, seules à pouvoir statuer sur ce point. Le principe du versement d'une prestation compensatoire devait ainsi être confirmé. L'évaluation du montant de celle-ci devait prendre en compte l'écart des revenus mais également des charges pesant sur chacun des époux, A______ assumant seul les charges des deux enfants du couple, dont F______ avec des frais de scolarité conséquents. Il devrait faire face, dans un avenir proche, aux frais de H______, encore lycéenne en 2017. En conclusion, pour compenser la disparité des situations, la prestation compensatoire était fixée à 60'000 EUR.

c. Selon attestation de I______ du 14 août 2018, le montant de la prestation de libre passage de A______ s'élevait au 30 avril 2014 à 74'430 fr., et était nul à la date du mariage le ______ 1997.

d. Par action en complément du jugement de divorce reçue par le Tribunal de première instance (ci-après: le Tribunal) le 4 juin 2021, B______ a conclu principalement au partage des avoirs de la prévoyance professionnelle, sous suite de frais et dépens.

e. Répondant à une interpellation du Tribunal, la Centrale du 2ème pilier, Fonds de garantie LPP, a indiqué que B______ n'était pas inscrite à l'AVS et qu'elle ne pouvait en conséquence être assurée en matière de prévoyance professionnelle. Elle a renvoyé le Tribunal à se renseigner auprès de la Caisse de pensions J______ s'agissant des avoirs de A______.

f. Lors de l'audience devant le Tribunal du 17 septembre 2021, A______ a conclu à ce qu'il ne soit pas procédé au partage des avoirs de la prévoyance professionnelle accumulés durant le mariage. Il a exposé que chacun gérait ses besoins financiers avec son salaire durant la vie commune. Son ex-épouse gagnait alors 1'400 à 1'500 EUR par mois. Elle avait quitté le domicile conjugal en 2014, pour partir à K______ [France]. Il avait assumé seul l'entretien de leurs filles.

L'avocat de B______ a déclaré que celle-ci n'avait pas contribué à l'entretien des enfants, faute de moyens. Elle n'avait jamais touché la prestation compensatoire qui lui avait été allouée par les tribunaux français. A______ a répondu qu'il n'avait effectivement rien versé, faute de moyens suffisants et parce que B______ y avait renoncé, puisqu'il assumait la prise en charge des enfants.

g. En 2020, A______ a perçu 98'627 fr. nets à titre de salaire, 21'338 fr. étant retenus à titre d'impôts à la source.

Selon attestation de la Caisse de pensions J______ du 19 octobre 2021, la prestation de libre passage de A______ était de 94'283 fr. au 31 juillet 2015.

h. Le Tribunal a convoqué une nouvelle audience le 10 décembre 2021, à laquelle A______ ne s'est pas présenté ni fait représenter. B______ avait été dispensée de comparaître.

Le Tribunal a gardé la cause à juger.

B. a. Par jugement JTPI/543/2022 non motivé du 12 janvier 2022, le Tribunal a complété le jugement du 30 juin 2017 du Juge aux Affaire familiales du Tribunal de Grande Instance de Thonon-les-Bains prononçant le divorce entre les époux B______, née le ______ 1963, et A______, né le ______ 1963, modifié par arrêt du 17 décembre 2019 de la Cour d'appel de Chambéry (chiffre 1 du dispositif), ordonné le partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle des parties accumulés durant le mariage, ordonné en conséquence à CAISSE DE PENSIONS J______, [à l'adresse] ______, de transférer 47'141 fr. 65, intérêts rémunératoires en sus depuis le 31 juillet 2015, par débit du compte de prévoyance de A______ (AVS 1______), en faveur du compte de libre passage que B______ a ouvert auprès de [la banque] M______, [à l'adresse] ______ (n°2______) (ch. 2), statué sur les frais (ch. 3 et 4), et dit qu'il n'était pas alloué de dépens.

b. Le 31 janvier 2022, A______ a requis la motivation du jugement.

c. Le jugement motivé a été notifié aux parties par pli du 22 février 2022.

Le Tribunal a retenu que A______ avait été condamné dans la procédure de divorce française à verser 60'000 EUR à titre de prestation compensatoire, nonobstant le fait qu'il prenait principalement ses filles en charge et le fait qu'il devrait partager en Suisse ses avoirs de prévoyance professionnelle. Il n'avait pas versé ce montant. Il n'y avait dès lors pas lieu de retenir d'exception au partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle.

C. a. Par acte expédié le 31 mars 2022 à la Cour de justice, A______ a formé appel contre ce jugement, qu'il a reçu le 2 mars 2022, concluant à son annulation, et, cela fait, à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal, sous suite de frais et dépens. Subsidiairement, il a conclu à l'allocation [à B______] d'une indemnité équitable en lieu et place du partage des avoirs de prévoyance professionnelle, n'excédant pas un tiers de la moitié des avoirs accumulés à ce titre pendant le mariage, sous suite de frais et dépens.

b. Par réponse du 14 juillet 2022, B______ a conclu au rejet de l'appel, sous suite de frais et dépens.

c. Par réplique du 15 novembre 2022, A______ a persisté dans ses conclusions.

d. B______ a dupliqué le 22 décembre 2022, persistant dans ses conclusions.

e. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du 8 mai 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance dans les causes non patrimoniales ou dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

Seule la question du partage des avoirs de prévoyance professionnelle des époux est litigieuse. Il s'agit ainsi d'une affaire patrimoniale au sens de l'art. 308 al. 2 CPC.

En l'espèce, au vu des montants de prévoyance professionnelle à partager, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 Interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

Le juge établit les faits d'office pour toutes les questions qui touchent à la prévoyance professionnelle (art. 277 al. 3 CPC), sur lesquelles il statue même en l'absence de conclusions des parties. La maxime d'office et la maxime inquisitoire ne s'imposent cependant que devant le premier juge (arrêts du Tribunal fédéral 5A_18/2018 du 16 mars 2018 consid. 6 et 5A_862/2012 du 30 mai 2013 consid. 5.3.2 et 5.3.3 et les références citées).

2. Le litige comporte une dimension internationale eu égard au domicile et à la nationalité français des parties.

2.1 En l'absence de traité international, la compétence des juridictions suisses et le droit applicable au litige sont régis par la loi fédérale sur le droit international privé (ci-après : LDIP; art. 1 al. 1 let. a et b et al. 2 LDIP).

L'art. 64 al. 1bis LDIP dispose que les tribunaux suisses sont exclusivement compétents pour connaître du partage de prétentions de prévoyance professionnelle envers une institution suisse de prévoyance professionnelle et précise que ladite compétence revient aux tribunaux suisses du siège de l'institution de prévoyance en l'absence d'un autre critère de rattachement.

Le droit suisse régit l’action en complément ou en modification du divorce ou de la séparation de corps (art. 64 al. 2 LDIP).

2.2 La compétence du Tribunal est acquise, ce qui n'est pas contesté, tout comme l'application du droit suisse.

3. L'appelant fait grief au Tribunal d'avoir ordonné le partage par moitié des avoirs de la prévoyance professionnelle accumulés pendant le mariage.

3.1.1 Les prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage et jusqu'à l’introduction de la procédure de divorce sont partagées entre les époux (art. 122 CC).

Selon l'art. 124b al. 2 CC, le juge attribue moins de la moitié de la prestation de sortie au conjoint créancier ou n'en attribue aucune pour de justes motifs. Tel est en particulier le cas quand le partage par moitié s'avère inéquitable en raison de la liquidation du régime matrimonial ou de la situation économique des époux après le divorce (ch. 1) ou des besoins de prévoyance de chacun des époux, compte tenu notamment de leur différence d'âge (ch. 2).

L'art. 124b CC est une disposition d'exception, qui ne doit pas vider de sa substance le principe du partage par moitié de la prévoyance professionnelle (Message du Conseil fédéral du 29 mai 2013 concernant la révision du code civil suisse [Partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce], FF 2013 4341 ss, p. 4371).

Toute inégalité consécutive au partage par moitié ou persistant après le partage par moitié ne constitue pas forcément un juste motif au sens de l'art. 124b al. 2 CC. Les proportions du partage ne doivent toutefois pas être inéquitables. L'iniquité se mesure à l'aune des besoins de prévoyance professionnelle de l'un et de l'autre conjoint, en prenant en compte toutes les circonstances relatives aux revenus et au patrimoine (arrêt du Tribunal fédéral 5A_729/2020 du 4 février 2021 consid. 8.1). Sous cet angle, le partage est inéquitable lorsque l'un des époux subit des désavantages flagrants par rapport à l'autre conjoint (ATF 145 III 56 consid. 5.4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_106/2021 du 17 mai 2021 consid. 3.1 et 5A_153/2019 du 3 septembre 2019 consid. 6.3.2 résumés in DroitMatrimonial.ch).

Il faut donc tenir compte de façon adéquate de la situation patrimoniale après la liquidation du régime matrimonial, ainsi que des autres éléments de la situation financière des conjoints après le divorce. On peut procéder en deux étapes, en ce sens que le juge calcule tout d'abord le montant de la prestation de sortie au moment du divorce et adapte ensuite ce montant aux besoins concrets des parties en matière de prévoyance (ATF 133 III 401 consid. 3.2, 131 III 1 consid. 4.2, 129 III 481 consid. 3.4.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_220/2015 du 11 novembre 2015 consid. 5.1; Leuba, Le nouveau droit du partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce in FamPra.ch 2017 p. 3, p. 32 et 33).

3.1.2 Aux termes de l'art. 270 du Code civil français (ci-après : CCF), l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant que possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation correspond autant à un dédommagement qu'à une indemnité d'entretien (ATF 131 III 289 consid. 2.8). La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux qui y prétend et les ressources de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. La situation des parties en matière de pensions de retraite est ainsi prise en considération (art. 271 CCF).

3.2 En l'espèce, le juge français a fixé une indemnité compensatoire en réservant le montant supplémentaire que l'intimée pourrait toucher en lien avec le partage des avoirs de prévoyance suisses de l'appelant. Aucune contribution d'entretien n'a été allouée à l'intimée et il n'a pas été procédé à la liquidation du régime matrimonial.

Le mariage a duré plus de vingt ans. Compte tenu des revenus significativement plus élevés de l'appelant durant le mariage, c'est lui qui a contribué majoritairement à l'entretien de la famille, quoiqu'il en dise. Il admet d'ailleurs avoir assumé seul l'entretien des enfants depuis la séparation. Les perspectives de retraite de l'intimée sont très limitées, même en tenant compte de la prestation compensatoire allouée, notamment au vu de son âge (60 ans) et des revenus modestes perçus jusqu'alors en lien avec son activité professionnelle.

L'appelant réalise des revenus confortables et l'entretien des enfants qu'il assume encore aujourd'hui selon ses allégations devrait prendre fin dans un avenir relativement proche, compte tenu de l'âge de ceux-ci (25 et 22 ans). Il dispose encore de quelques années pour reconstituer partiellement son capital de prévoyance.

Au vu de ces différents éléments, et comme l'a retenu le premier juge dans une motivation certes très succincte, il ne se justifie pas de déroger au principe du partage par moitié des avoirs de la prévoyance professionnelle accumulés pendant le mariage, lequel apparaît équitable en l'espèce.

Le jugement entrepris sera confirmé.

4. Les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 1'000 fr., seront mis à la charge de l'appelant, qui succombe. Ils seront compensés avec l'avance fournie acquise à l'Etat.

L'appelant sera en outre condamné à verser à l'intimée la somme de 1'000 fr. à titre de dépens d'appel (art. 84, 85 et 88 RTFMC; art. 23 LaCC).


PAR CES MOTIFS

La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 31 mars 2022 par A______ contre le jugement JTPI/543/2022 rendu le 12 janvier 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/10630/2021.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ la somme de 1'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.