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Décisions | Chambre civile

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C/20986/2020

ACJC/35/2023 du 10.01.2023 sur JTPI/4883/2022 ( OO ) , JUGE

Normes : CC.124.letb
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/20986/2020 ACJC/35/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 10 JANVIER 2023

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 1ère Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 19 avril 2022, comparant par Me Andrea VON FLÜE, avocat, KÖNEMANN & VON FLÜE, rue de la Terrassière 9, 1207 Genève, en l'Etude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié c/o C______, ______, PÉROU, intimé, comparant en personne.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/4883/2022 du 19 avril 2022, reçu par A______ dans sa version motivée le 24 mai 2022, le Tribunal de première instance a dissout par le divorce le mariage célébré le ______ 2008 à Genève par les époux A______, née le ______ 1960 à D______ (Pérou), originaire de Genève et B______, né le ______ 1977 à E______ (Pérou), originaire de Genève (ch. 1 du dispositif), attribué à A______ les droits et les obligations qui résultent du contrat de bail à loyer portant sur le logement de la famille sis boulevard 1______ no.______, [code postal] Genève (ch. 2), dit qu'il n'y avait pas lieu de fixer une contribution d'entretien entre époux (ch. 3), que le régime matrimonial était liquidé et que les parties n'avaient plus aucune prétention à faire valoir l'une envers l'autre à ce titre (ch. 4), ordonné le partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle des parties accumulés durant le mariage et ordonné en conséquence à la FONDATION DE PREVOYANCE F______, p.a. G______ SA, [à l'adresse] ______, de transférer 128'068 fr., intérêts rémunératoires en sus depuis le 21 octobre 2020, par débit du compte de A______ en faveur du compte de prévoyance de B______ auprès de la FONDATION INSTITUTION SUPPLETIVE LPP, case postale, 8050 Zurich (n°2______) (ch. 5), condamné B______ à verser 1'000 fr. à A______ au titre des frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr. et compensés avec l’avance versée, ordonné la restitution à A______ de la somme de 1'000 fr. (ch. 6) et dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 7).

B. a. Le 23 juin 2022, A______ a formé appel contre le chiffre 5 du dispositif du jugement précité, concluant à ce que la Cour de justice l'annule et dise qu'il n'y a pas lieu de procéder au partage des avoirs de prévoyance professionnelle accumulés par les parties durant le mariage, avec suite de frais et dépens.

Elle a produit des pièces nouvelles.

b. B______ n'a pas répondu à l'appel dans le délai qui lui a été imparti pour ce faire par la Cour.

c. Les parties ont été informées le 7 décembre 2022 de ce que la cause était gardée à juger.


 

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. A______, née le ______ 1960 à D______ (Pérou), originaire de Genève et B______, né le ______ 1977 à E______ (Pérou), originaire de Genève, se sont mariés le ______ 2008 à Genève.

Aucun enfant n'est issu de leur union.

b. En mai 2017, B______ a quitté la Suisse pour le Pérou, ce qui a marqué la fin de la vie commune.

c. Le 21 octobre 2020, A______ a déposé par-devant le Tribunal une demande en divorce, concluant notamment à ce que celui-ci renonce au partage des avoirs de prévoyance professionnelle accumulés par les parties durant leur mariage.

B______, valablement convoqué, n'a pas comparu dans le cadre de la procédure de première instance.

d.a Du 1er juillet 1999 jusqu'au 31 mars 2022, A______ a été employée comme aide-soignante au sein d'une résidence pour personnes âgées (résidence K______) pour un salaire mensuel net de 6'200 fr. Ses charges alléguées sont de 5'531 fr. par mois.

Par décision de l'AI du 24 mai 2022, elle a été reconnue invalide à 100% dès le 1er mars 2021. Elle touche actuellement mensuellement une rente AI en 1'460 fr. par mois et une rente LPP en 4'127 fr., soit un total de 5'587 fr. par mois.

d.b Lors de son audition par le Tribunal, A______ a déclaré que son mari avait refait sa vie au Pérou. Il avait un bon travail; sa famille possédait des hôtels ainsi que des biens immobiliers.

d.c Le Tribunal a retenu, sans que cela ne soit contesté en appel, que l'avoir de prévoyance accumulé par A______ pendant le mariage était de 266'191 fr. 45 alors que celui de B______ était de 10'054 fr. 14.

e. Lors de l'audience du Tribunal du 8 avril 2022, A______ a confirmé qu'elle concluait à la renonciation du partage des avoirs de prévoyance professionnelle, relevant que le mariage n'avait duré que quelques années, que le divorce avait été envisagé après une année seulement, que l'intention de son époux n'était pas de constituer une communauté amoureuse, mais d'obtenir un permis B, puis un passeport et que la différence d'âge entre les époux justifiait la renonciation au partage. B______ avait une bonne situation au Pérou et ne s'intéressait pas à ses avoirs de prévoyance en Suisse. Les moyens de subsistance de A______ seraient considérablement diminués en cas de partage dès lors qu'elle était sur le point de percevoir une rente AI à 100%.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience du 8 avril 2022.

EN DROIT

1. L'appel, formé en temps utile et selon les formes légales dans une cause avec une valeur litigieuse supérieure à 10'000 fr. est recevable (art. 308 et 311 CPC).

2. L'appelante a produit des pièces nouvelles.

2.1 Selon l'article 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard et s'ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.

2.2 Les pièces nouvelles 4, 5 (lettres datée de mars et avril 2009) et 7 (extrait de Facebook) auraient pu être produites devant le Tribunal, de sorte qu'elles sont irrecevables. La requête de mesures protectrices de l'union conjugale produite sous pièce 6 est recevable, car il s'agit d'un acte d'une procédure ayant opposé les parties précédemment. Les pièces 8 et 9, à savoir des décisions d'octroi de prestations invalidité rendues les 17 et 24 mai 2022, sont quant à elle recevables, car postérieures à la date à laquelle la cause a été gardée à juger par le Tribunal.

3. Le Tribunal a retenu qu'il n'y avait pas lieu de déroger au principe du partage par moitié des prétentions de prévoyance professionnelle des époux. La différence d'âge entre ceux-ci n'atteignait pas 20 ans. Le mariage n'était pas de courte durée car les parties s'étaient séparées 9 ans après son prononcé, le fait qu'elles aient envisagé de divorcer après un an n'étant pas décisif. Il importait peu de savoir si l'intimé s'était marié en vue d'obtenir un passeport suisse. L'influence que le partage pouvait avoir sur la rente de l'appelante n'était pas pertinent. Aucun élément ne permettait de retenir l'existence d'une situation inéquitable en raison de la liquidation du régime matrimonial.

L'appelante fait valoir qu'elle a travaillé pendant toute la durée de l'union conjugale alors que tel n'a pas été le cas de l'intimé, qui a quitté la Suisse dès l'obtention de sa nationalité suisse. La situation financière de l'intimé, qui avait un emploi rémunérateur et une famille fortunée, était tout à fait confortable. Tel ne serait pas son cas en cas de partage de sa rente AI. Dans cette hypothèse, elle ne parviendrait pas à couvrir ses charges et serait tenue de solliciter l'assistance publique. A cela s'ajoutait que l'intimé n'avait jamais donné suite aux convocations des tribunaux suisses, de sorte qu'il était peu probable que l'éventuelle part de la rente de l'intimée qui lui avait été allouée lui parvienne concrètement.

3.1.1 Selon l'art. 123 al. 1 CC, les prestations de sortie acquises par les époux, y compris les avoirs de libre passage et les versements anticipés pour la propriété du logement, sont partagées par moitié. Les prestations de sortie à partager se calculent conformément aux art. 15 à 17 et 22a ou 22b de la loi du 17 décembre 1993 sur le libre passage (al. 3).
A teneur de l'art. 124 al. 1 CC, si, au moment de l’introduction de la procédure de divorce, l’un des époux perçoit une rente d’invalidité et qu’il n’a pas encore atteint l’âge réglementaire de la retraite, le montant auquel il aurait droit en vertu de l’art. 2, al. 1ter, de la loi du 17 décembre 1993 sur le libre passage en cas de suppression de sa rente est considéré comme prestation de sortie. Les dispositions relatives au partage des prestations de sortie s’appliquent par analogie (al. 2).

L'art. 124b CC règle les conditions auxquelles le juge ou les époux peuvent déroger au principe du partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle prévu à l'art. 123 CC. Selon l'art 124b al. 2 CC, le juge attribue moins de la moitié de la prestation de sortie au conjoint créancier ou n'en attribue aucune pour de justes motifs. Tel est en particulier le cas quand le partage par moitié s'avère inéquitable - et non plus manifestement inéquitable, ceci afin de laisser une plus grande marge d'interprétation au juge - en raison de la liquidation du régime matrimonial ou de la situation économique des époux après le divorce (ch. 1) ou des besoins de prévoyance de chacun des époux, compte tenu notamment de leur différence d'âge (ch. 2).

Cette disposition prévoit ainsi la possibilité pour le juge de s'écarter du principe par moitié pour de justes motifs et mentionne deux catégories d'exemples à ses chiffres 1 et 2, sans toutefois préciser plus avant cette notion (ATF 145 III 56 consid. 5.3.2). Selon le Message du Conseil fédéral, il y a par exemple iniquité lorsque l'un des époux est employé et dispose d'un revenu et d'un deuxième pilier modestes, tandis que l'autre conjoint est indépendant, ne dispose pas d'un deuxième pilier, mais se porte beaucoup mieux financièrement (Message du 29 mai 2013 concernant la révision du Code civil suisse [Partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce], FF 2013 4341, p. 4370 s. ad art. 124b CC).  

Toute inégalité consécutive au partage par moitié ou persistant après le partage par moitié ne constitue pas forcément un juste motif au sens de l'art. 124b al. 2 CC. Les proportions du partage ne doivent toutefois pas être inéquitables. L'iniquité se mesure à l'aune des besoins de prévoyance professionnelle de l'un et de l'autre conjoint (arrêt du Tribunal fédéral 5A_729/2020 du 4 février 2021 consid. 8.1). Le partage est donc inéquitable lorsque l'un des époux subit des désavantages flagrants par rapport à l'autre conjoint (ATF 145 III 56 consid. 5.4; arrêt 5A_194/2020 du 5 novembre 2020 consid. 4.1.1). 

Dans le cadre des travaux parlementaires, la différence d'âge mentionnée par la loi a été illustrée en prenant l'exemple de conjoints ayant au moins vingt années d'écart entre eux. La doctrine situe elle aussi la différence pertinente aux alentours de vingt ans (arrêt du Tribunal fédéral 5A_153/2019 du 3 septembre 2019 consid. 6.3.2). L'art. 124b al. 2 CC doit être appliqué de manière restrictive afin d'éviter que le principe du partage par moitié des avoirs de prévoyance soit vidé de son contenu (ATF 145 III 56 consid. 5.3.2; 135 III 153 consid. 6.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_106/2021 du 17 mai 2021 consid. 3.1; 5A_153/2019 du 3 septembre 2019 consid. 6.3.2;5A_804/2016 du 26 janvier 2017 consid. 3.1.2).

3.1.2 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le juge du divorce, dans le cadre des art. 122 ss. CC, doit recueillir d’office les renseignements nécessaires concernant la survenance du cas de prévoyance et les montants des avoirs de la prévoyance; à cet égard, il n’est pas lié par les déclarations même concordantes des parties. Cela ne signifie toutefois pas qu’en ce qui concerne ces deux questions, l’on ne puisse pas du tout se fonder sur les déclarations des parties. Comme dans d’autres domaines du droit de la famille, les art. 122 ss CC ne prévoient pas non plus de maxime inquisitoire illimitée. Là aussi, il incombe aux parties, dans le cadre de leur devoir de collaboration, de fournir au tribunal les faits et moyens de preuves nécessaires (arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2014 du 16 juillet 2014 consid. 4.2). 

3.2 En l'espèce, même si elle n'atteint pas 20 ans, la différence d'âge entre les parties est importante, puisque l'appelante a maintenant 62 ans alors que l'intimé a 45 ans.

La situation financière de l'appelante est précaire, puisqu'elle est invalide à 100% et que les rentes qu'elle perçoit suffisent à peine pour couvrir ses charges incompressibles. Elle n'a aucune fortune à teneur des pièces produites.

L'intimé n'a pour sa part fourni aucune information sur ses revenus et sa fortune et n'a pas collaboré à la procédure. A teneur des allégations de l'appelante, lesquelles n'ont pas été valablement contestées par l'intimé, celui-ci touche des revenus confortables. Il est encore loin de l'âge de la retraite, de sorte qu'il est susceptible, contrairement à l'intimée, de se constituer une prévoyance professionnelle adéquate au cours de ces prochaines années.

Il ressort ainsi de l'examen des situations respectives des parties après le divorce que le partage par moitié de leurs avoirs de prévoyance professionnelles péjorerait de manière inéquitable la situation de l'appelante par rapport à celle de l'intimé. A la suite du partage de sa rente AI, elle ne serait probablement plus en mesure des couvrir ses charges incompressibles, alors que l'intimé serait dans une situation financière aisée, ce d'autant plus qu'il vit dans un pays où le coût de la vie est largement inférieur à celui de la Suisse.

A cela s'ajoute que, compte tenu du fait que l'intimé n'a jamais déféré aux convocations des autorités suisses, le chiffre 5 du dispositif du jugement querellé paraît difficilement exécutable. L'on ignore en effet si l'intimé, qui a quitté la Suisse depuis plus de cinq ans et n'a pris aucune conclusion dans le cadre de la présente procédure, entend percevoir ou non une partie de l'avoir de prévoyance de l'appelante et si les montants en cause pourront effectivement lui être transférés, que ce soit sous forme de rente ou de capital. A cet égard, il n’est pas certain que le dispositif du jugement querellé puisse être exécuté tel quel, compte tenu de la survenance d’un cas de prévoyance, postérieurement au prononcé dudit jugement.

L'on relèvera encore que l'intimé n'a pas été empêché de se constituer un avoir plus important de prévoyance professionnelle pendant la durée du mariage en raison du fait qu'il se serait consacré à l'éducation des enfants du couple, puisque les parties n'ont pas eu d'enfant. Le refus du partage n'est ainsi pas inéquitable sous cet angle.

Compte tenu de ce qui précède, le chiffre 5 du dispositif du jugement querellé sera annulé et il sera dit qu'il n'y a pas lieu de procéder au partage des avoirs de prévoyance professionnelle accumulés par les parties durant leur mariage.

4. La modification du jugement querellé ne justifie pas de revoir le montant des frais et dépens fixés par le Tribunal.

En raison de la nature familiale du litige, les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 2'000 fr. (art. 30 et 35 RTFMC) et compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève, seront mis à charge des parties à raison d'une moitié chacune (art. 107 al. 1 let. c CPC).

L'intimé sera dès lors condamné à verser 1'000 fr. à ce titre à l'appelante.

Il ne sera pas alloué de dépens d'appel.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/4883/2022 rendu le 19 avril 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/20986/2020-1.

Au fond :

Annule le chiffre 5 du dispositif de ce jugement et, statuant à nouveau :

Dit qu'il n'y a pas lieu de procéder au partage des avoirs de prévoyance professionnelle accumulés par les parties pendant le mariage.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met à la charge des parties, à raison d'une moitié chacune, les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 2'000 fr. et compensés avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser à A______ 1'000 fr. au titre des frais judiciaires d'appel.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX,
Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Gladys REICHENBACH, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Gladys REICHENBACH

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.