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ACJC/364/2025 du 06.03.2025 sur OSQ/29/2024 ( SQP ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/13394/2024 ACJC/364/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU JEUDI 6 MARS 2025 |
Entre
1) A______ INC., sise B______ ______ [GE], Panama,
2) Monsieur C______, domicilié ______ [GE], République Tchèque,
tous deux recourants contre un jugement rendu par le Tribunal de première instance de ce canton le 9 octobre 2024, représentés par Me Dimitri IAFAEV, avocat, Rappard Romanetti, Iafaev & Avocats, boulevard des Philosophes 11, 1205 Genève,
et
Madame D______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me Benoît DAYER, avocat, Dayer Ahlström Fauconnet, quai Gustave-Ador 38, case postale 6293, 1211 Genève 6.
A. Par jugement OSQ/29/2024 du 9 octobre 2024, le Tribunal de première instance a déclaré recevables l'opposition formée par A______ INC. ainsi que celle formée par C______ contre les ordonnances de séquestre rendues dans les causes C/13394/2024 et C/13395/2024 (chiffres 1 et 2 du dispositif), les a rejetées (ch. 3), a mis les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., à la charge de ces derniers (ch. 4), les a condamnés, conjointement et solidairement, à verser 3'000 fr. à D______ à titre de dépens (ch. 5) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).
B. a. Par actes séparés du 25 octobre 2024, mais dont la teneur est identique, A______ INC. et C______, représentés par le même conseil, recourent contre ce jugement, dont ils sollicitent l'annulation.
Cela fait, ils concluent à l'annulation des ordonnances de séquestre prononcées le 14 juin 2024 à leur encontre (séquestres nos 1______ et 2______) et à la libération des biens séquestrés.
Ils produisent des pièces qui figurent déjà au dossier de première instance.
b. Dans sa réponse, D______ conclut, principalement, au rejet du recours et à la confirmation du jugement entrepris.
Elle produit des pièces nouvelles, datées des 17 octobre et 15 novembre 2024.
c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.
d. Elles ont été informées par avis de la Cour du 10 janvier 2025 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.
a. D______, citoyenne suisse, est domiciliée à Genève.
b. En 2010, elle a confié la gestion de sa fortune à [la banque] E______. Les avoirs sous gestion ont oscillé entre 7'500'000 fr. et 16'000'000 fr.
F______, gérante de fortune domiciliée à Genève, a exercé au sein de l'établissement E______ et était en charge de la gestion du compte de D______ entre les années 2010 et 2023.
c. Parmi les clients de F______, figurait notamment C______, citoyen russe domicilié à Prague (République Tchèque), qui exerce la profession de galeriste.
Celui-ci est actionnaire unique de la société de droit tchèque G______ S.R.O. (ci-après: la galerie) et ayant-droit économique de A______ INC., société de droit panaméen.
d. Au printemps 2024, H______, conseillère de D______ dans le cadre de la restructuration et de la surveillance de son patrimoine, a identifié un débit de 460'000 euros effectué le 23 juin 2021 depuis le compte de D______ en faveur de celui de A______ INC. ("A______ INC." selon l'avis de débit).
d.a F______ a expliqué, dans un courrier du 17 juillet 2024, que D______ lui avait formellement donné instruction de procéder au règlement de deux tableaux et avait ensuite demandé à ce que ces tableaux soient conservés auprès de C______.
d.b D______ conteste l'achat de tout tableau et expose ignorer la raison de ce transfert.
d.c Les documents bancaires relatifs à cette transaction contiennent :
- une facture de G______ S.R.O du 15 juin 2021 pour la vente de deux tableaux à D______ pour un montant total de 460'000 euros, signée au nom de C______;
- un ordre de transfert de 460'000 euros en faveur de A______ INC. daté du 23 juin 2021, adressé par D______ à F______;
- un courriel de F______ du 18 mai 2022 demandant à D______ de confirmer qu'elle avait connu C______ par son intermédiaire, qu'elle avait voulu "se faire plaisir" en investissant dans l'art et avait ainsi acheté deux tableaux pour 460'000 euros l'année précédente, qu'elle avait demandé à C______ de conserver; ainsi qu'un courriel du même jour de D______ confirmant qu'elle avait acheté ces tableaux et qu'ils étaient en dépôt chez C______, précisant qu'elle était en déplacement;
- une confirmation des instructions de transfert datée du 21 juin 2022 contenant le nom de D______ et une signature ainsi qu'un message WhatsApp de cette dernière transmettant cette confirmation à F______.
e. Le 16 avril 2024, H______ a contacté C______.
Ce dernier lui a indiqué ne pas se souvenir avoir vendu de toiles à une cliente en Suisse. Par ailleurs, il semblait ne pas connaître le nom de F______. Quand elle lui avait indiqué que l'argent avait été reçu sur le compte de A______ INC., il avait répondu être indisponible les dix prochains jours pour des problèmes de santé et avait requis que lui soient envoyés les documents idoines, ce que H______ a fait.
f. Par courrier du 22 avril 2024, C______ a requis de E______ les relevés bancaires concernant les opérations ayant eu lieu les trois dernières années ainsi que le montant du solde actuel du compte de A______ INC. auprès de la banque.
Le 29 avril 2024, E______ a transmis à C______ les relevés des portefeuilles ainsi que les relevés des différents comptes courants concernant la relation de A______ INC. pour les années 2020 à 2024. Le 15 mai 2024, elle lui a encore transmis les relevés concernant les années 2015 à 2020.
g. Le 25 avril 2024, D______ a déposé plainte pénale à l'encontre de C______ et F______ pour escroquerie et faux dans les titres.
h. Par actes déposés le 14 juin 2024 devant le Tribunal, D______ a requis le séquestre à concurrence de 441'108 fr., soit la contre-valeur de 460'000 euros au 14 juin 2024, de tous actifs de A______ INC. ou A______ INC. auprès de E______ et d'un autre établissement bancaire, ainsi que de tous biens dont C______ apparaissait titulaire et/ou bénéficiaire économique auprès des mêmes établissements.
Elle a, en substance, contesté l'achat des tableaux. Elle n'avait jamais vu la facture de G______ S.R.O du 15 juin 2021, qui n'était au demeurant pas contresignée et ne mentionnait pas son adresse personnelle. Elle n'avait jamais signé l'ordre de transfert du 23 juin 2021, précisant qu'il s'agissait de l'écriture de F______, à savoir la même écriture que celle figurant sur les mentions de contrôle. Elle n'était pas non plus l'auteure du courriel du 18 mai 2022 adressé à F______. Elle en voulait pour preuve que par message WhatsApp du même jour, qu'elle a produit, elle avait indiqué à cette dernière être à Genève, et non en déplacement. Par ailleurs, au moment de l'envoi de ces emails, elles se trouvaient toutes les deux au restaurant. D______ a aussi produit un message WhatsApp du même jour dans lequel F______ lui avait demandé de ne pas répondre aux appels téléphoniques. Or, D______ avait su plus tard que c'était le supérieur hiérarchique de F______, I______, qui avait essayé de la joindre le jour en question. S'agissant de la confirmation des instructions de transfert, D______ a exposé l'avoir rédigée "sous la dictée" de F______, en vue d'un investissement futur.
D______ a ainsi allégué que le débit de 460'000 euros ne reposait sur aucun contrat valable et procédait donc d'un acte illicite emportant la responsabilité solidaire de A______ INC. et de C______, ce dernier ayant établi une facture justifiant l'achat des tableaux.
i. Par ordonnances de séquestre du 14 juin 2024, le Tribunal a prononcé le séquestre à concurrence de 441'108 fr. portant sur les actifs de A______ INC. et de C______.
j. Le même jour, D______ a également déposé une demande en paiement auprès du Tribunal à l'encontre de F______, C______, G______ S.R.O., A______ INC. et E______.
k. Le 2 juillet 2024, E______ a avisé le conseil de C______ de ce que le compte de A______ INC. avait été bloqué.
l. Par actes du 11 juillet 2024, C______ et A______ INC. ont formé opposition contre les ordonnances de séquestre, concluant, principalement, à l'annulation et à la levée des séquestres et, subsidiairement, à ce que D______ soit condamnée à fournir des sûretés d'un montant de 150'000 fr.
Ils ont contesté l'existence de la créance invoquée par D______, exposant ne jamais avoir souhaité lui vendre de tableaux et ne pas avoir établi de facture à cette fin. C______ n'avait pas eu connaissance du crédit opéré sur son compte bancaire avant le 15 mai 2024, date à laquelle il avait reçu de sa banque ses relevés de compte, étant précisé que leur examen était en cours. Il a exposé que F______ était la gérante du compte de A______ INC. Il lui faisait confiance et ne recevait donc pas d'informations écrites sur la gestion de ce compte. Il était selon lui possible que F______ ait procédé à des transferts entre des comptes bancaires de ses clients à des fins non déterminées, par exemple pour couvrir des pertes. Ils ont également nié l'existence d'un cas de séquestre, dans la mesure où aucun acte illicite ne pouvait leur être imputé.
Les deux oppositions à séquestre ont été enregistrées sous les numéros de cause C/13395/2024 et C/13394/2024, avant d'être jointes sous le numéro de la première.
m. Dans ses déterminations, D______ a conclu au rejet des oppositions à séquestre.
n. Par courrier du 16 août 2024, faisant suite à des demandes d'informations de D______ des 27 juin et 25 juillet 2024, C______ a confirmé avoir reçu le montant de 460'000 euros sur le compte bancaire de A______ INC. auprès de E______. Ce transfert avait probablement été effectué par F______ à son insu. Il a répété ne jamais avoir envoyé de facture à D______ ni ne lui avoir vendu de tableaux.
o. Lors de l'audience du 16 septembre 2024, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions.
p. Dans le jugement querellé, le Tribunal a considéré que les circonstances entourant la transaction litigieuse demeuraient floues et nécessitaient de plus amples investigations, notamment sur le rôle joué par les différents protagonistes. Cela étant, la créance invoquée par D______ paraissait vraisemblable à ce stade. Si certains aspects ne concernaient que F______, il ne pouvait être exclu, à ce stade, que C______, respectivement sa société A______ INC., soient impliqués, par hypothèse avec l'ancienne gérante de la fortune, dans une potentielle infraction commise à l'encontre de D______, dans la mesure où l'argent avait été reçu sur le compte de cette société. C______ n'expliquait d'ailleurs pas pour quelle raison il avait laissé s'écouler autant de temps entre la réception des relevés bancaires idoines, le 29 avril 2024, et sa réponse à D______, le 16 août 2024.
La commission d'un acte illicite résultant à tout le moins de l'application de l'art. 141 CP, voire des art. 146 CP ou 251 CP, était à ce stade rendue suffisamment vraisemblable. Il apparaissait que les autres conditions de l'art. 41 al. 1 CO étaient également remplies, dans la mesure où la transaction litigieuse, constitutive du dommage, avait été effectuée en raison des agissements, vraisemblablement fautifs, des opposants, voire de la gérante de fortune.
1. 1.1 Le jugement entrepris est une décision sur opposition à séquestre, de sorte que seule la voie du recours est ouverte (art. 278 al. 3 LP; art. 309 let. b ch. 6 et 319 let. a CPC).
Le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 278 al. 1 LP et 321 al. 2 CPC).
Déposés selon la forme et dans le délai requis par la loi (art. 130, 131 et 142
al. 1 CPC), les deux recours formés par les séquestrés sont en l'espèce recevables.
Par économie de procédure, ils seront traités dans le même arrêt (cf. art. 125 CPC). C______ sera désigné ci-après comme le recourant et A______ INC comme la société recourante.
1.2 La procédure d'opposition au séquestre (art. 278 LP) est soumise dans toutes ses phases aux maximes de disposition et des débats (art. 58 al. 2 CPC;
art. 255 CPC a contrario).
1.3 L'intimée produit deux pièces nouvelles devant la Cour.
1.3.1 Par exception au principe général de l'art. 326 al. 1 CPC, l'art. 278 al. 3 LP prévoit que, dans le cadre d'un recours contre une décision rendue sur opposition à séquestre, les parties peuvent alléguer des faits nouveaux et produire, à l'appui de ces faits, des moyens de preuve nouveaux (art. 326 al. 2 CPC).
Cette disposition vise tant les faits et moyens de preuves survenus après les dernières plaidoiries dans la procédure d'opposition au séquestre (vrais nova) que ceux qui existaient déjà avant (pseudo nova; ATF 145 III 324 consid. 6.6 et 6.6.4).
L'invocation devant l'autorité de recours de pseudo nova n'est toutefois admissible que pour autant que les conditions de l'art. 317 al. 1 CPC, applicables par analogie, soient réalisées (ATF 145 III 324 consid. 6.6.2). La partie qui entend se prévaloir de pseudo nova doit ainsi démontrer n'avoir pas pu le faire avant la procédure de recours bien qu'elle ait fait preuve de la diligence requise
(cf. ATF 144 III 349 consid. 4.2.1).
1.3.2 En l'espèce, les pièces produites par l'intimée se rapportent à des faits survenus postérieurement au jugement entrepris, si bien qu'elle ne pouvait s'en prévaloir en première instance et les a produites sans retard. Elles sont donc recevables.
1.4 La cognition de la Cour est limitée à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC et 278 al. 3 LP).
2. Dans un grief portant sur l'établissement manifestement inexacte des faits, les recourants reprochent au Tribunal d'avoir retenu à leur détriment, d'une part, que le recourant avait tardé à répondre à l'intimée pour lui confirmer avoir reçu le montant litigieux sur le compte de sa société et, d'autre part, le fait qu'ils n'avaient pas produit les relevés bancaires reçus par la banque considérant que cela aurait pu expliquer la raison pour laquelle un crédit d'un tel montant avait pu demeurer inaperçu.
Quoi qu'en disent les recourants, leurs critiques portent en réalité davantage sur les conséquences que le premier juge tire des faits que sur l'établissement des faits eux-mêmes. Ces points seront donc discutés ci-après dans la mesure de leur pertinence.
3. Les recourants s'opposent aux séquestres, alléguant que la créance invoquée à la base de ceux-ci n'est pas rendue vraisemblable. Ils contestent avoir commis un quelconque acte illicite, ainsi que tout lien de causalité entre le prétendu acte illicite qui leur est imputé et le dommage.
3.1 Selon l'art. 272 LP, le séquestre est autorisé à condition que le créancier rende vraisemblable que sa créance existe (ch. 1), qu’on est en présence d’un cas de séquestre (ch. 2) et qu’il existe des biens appartenant au débiteur (ch. 3).
3.1.1 Des créances telles que des prétentions en réparation d'un dommage causé par un acte délictuel ou des prétentions fondées sur l'inexécution d'un contrat fournissent un fondement général à un séquestre si elles sont suffisamment bien étayées et que la survenance du dommage relève du domaine de la certitude (Stoffel/Chabloz, Voies d'exécution, Poursuite pour dettes, exécution de jugements et faillite en droit suisse, 2ème éd., 2010, p. 230).
Selon l’art. 41 al. 1 CO, celui qui cause, d'une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer.
La responsabilité pour acte illicite suppose la réalisation de quatre conditions: un dommage, un acte illicite, un rapport de causalité entre le dommage et l'acte illicite et une faute.
Le dommage se définit en général comme une diminution involontaire du patrimoine net du lésé; celle-ci peut consister en une perte éprouvée ou un gain manqué. Dans les conceptions admises, on comprend ainsi le dommage comme la différence entre le montant du patrimoine du lésé après l'évènement dommageable et le montant que ce patrimoine aurait atteint si l'évènement dommageable ne s'était pas produit (Werro, in Commentaire romand CO I, 2021, n. 7
ad art. 41 CO). La preuve du dommage incombe au demandeur (art. 42 al. 1 CO).
La causalité naturelle, ou rapport de cause à effet entre deux événements, est un lien tel que, sans le premier événement, le second ne se serait pas produit (Werro, op. cit., n. 37 ad art. 41 CO).
Selon l'art. 141bis CP, quiconque, sans droit, utilise à son profit ou au profit d’un tiers des valeurs patrimoniales tombées en son pouvoir indépendamment de sa volonté, est, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
A teneur de l'art. 146 CP, quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers, est puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
L'art. 251 CP indique que quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, crée un titre faux, falsifie un titre, abuse de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constate ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre, est puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
3.1.2 En vertu de l'art. 62 CO, celui qui, sans cause légitime, s'est enrichi aux dépens d'autrui est tenu à restitution (al. 1). La restitution est due, en particulier, de ce qui a été reçu sans cause valable, en vertu d'une cause qui ne s'est pas réalisée, ou d'une cause qui a cessé d'exister (al. 2).
En cas d'enrichissement illégitime au sens de cette disposition, l'enrichi doit restituer ce qu'il a reçu sans droit, selon le même principe – en ce qui concerne l'étendue de la restitution – que celui qui prévaut pour le calcul du dommage en droit de la responsabilité. Il s'agit donc de comparer l'état actuel de son patrimoine avec celui, hypothétique, qui existerait si l'enrichissement n'était pas survenu (Chappuis, in Commentaire romand CO I, 3ème éd. 2021, n. 5 ad art. 64 CO).
3.1.3 La procédure d'opposition au séquestre (art. 278 LP) est une procédure sommaire au sens propre, soumise à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du bien-fondé juridique de la créance, au terme duquel le juge rend une décision provisoire (ATF 140 III 466 consid. 4.2.3).
Les faits à l'origine du séquestre sont rendus vraisemblables lorsque, se fondant sur des éléments objectifs, le juge acquiert l'impression que les faits pertinents se sont produits, mais sans qu'il doive exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement (ATF 138 III 232 consid. 4.1.1; en général:
cf. ATF 130 III 321 consid. 3.3). A cet effet, le créancier séquestrant doit alléguer les faits et produire un titre (art. 254 al. 1 CPC) qui permette au juge du séquestre d'acquérir, au degré de la simple vraisemblance, la conviction que la prétention existe pour le montant énoncé et qu'elle est exigible (ATF 138 III 636
consid. 4.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_810/2023 du 1er février 2024
consid. 4.1.1).
S'agissant de l'application du droit, le juge procède à un examen sommaire du bien-fondé juridique, c'est-à-dire un examen qui n'est ni définitif, ni complet, au terme duquel il rend une décision provisoire (ATF 138 III 232 consid. 4.1.1;
arrêt du Tribunal fédéral 5A_810/2023 du 1er février 2024 consid. 4.1.1).
3.2 En l'espèce, il est établi, et admis, que la société recourante a reçu le montant de 460'000 euros, débité du compte de l'intimée.
Les recourants contestent, en revanche, être impliqués dans cette opération, alléguant qu'elle aurait été effectuée à la seule initiative de F______.
Selon les éléments au dossier, les recourants et l'intimée ne se connaissaient pas et n'ont pas convenu de procéder à une vente de tableaux. Cela étant, une facture de la galerie du recourant a été émise et signée par ce dernier le 15 juin 2021, faisant état de la vente de deux tableaux pour le compte de l'intimée, et le montant indiqué comme prix de vente a été transféré sur le compte de la société recourante.
Nonobstant leurs dénégations, les recourants n'apportent aucun élément susceptible de rendre vraisemblable qu'ils ne seraient pas à l'origine de cette facture. Comme l'a relevé à juste titre le Tribunal, ces derniers auraient pu produire d'autres factures de la galerie ou des extraits de comptabilité pour rendre vraisemblable que la galerie n'était pas l'émettrice de cette facture, ce qu'ils n'ont pas fait. Ces derniers n'expliquent pas non plus comment une facture établie au nom et sous l'entête de la galerie du recourant et de surcroît signée au nom de ce dernier a pu être émise à leur insu.
Par ailleurs, les explications des recourants à teneur desquelles ils n'avaient pas connaissance du montant crédité sur le compte de la société recourante paraissent peu crédibles, compte tenu de l'importance du montant et du fait qu'il s'agit d'un compte commercial vraisemblablement révisé. A cet égard, les recourants n'apportent aucune explication quant aux activités de la société ou l'ampleur des fonds sous gestion qui auraient pu expliquer comment le transfert litigieux aurait pu passer inaperçu. Si, comme ils le soutiennent, ils faisaient entièrement confiance à la gérante du compte, ils devaient néanmoins recevoir des relevés bancaires ou à tout le moins un décompte annuel, ne serait-ce que pour établir les documents comptables et/ou fiscaux de la société.
A cela s'ajoute le fait que les recourants n'ont pas fait preuve d'une grande coopération à l'égard de l'intimée. Bien qu'alertés par la conseillère de cette dernière dès le mois d'avril 2024 sur le transfert litigieux, dont ils ont eu la confirmation de crédit quelques jours plus tard, ils se sont montrés dans un premier temps indisponibles et ne sont revenus vers l'intimée qu'en date du 16 août 2024, après avoir reçu deux autres demandes d'informations. Les recourants ne peuvent valablement prétendre que l'intimée ne s'est manifestée que le 27 juin 2024 avec des questions écrites dès lors qu'ils savaient qu'elle était à la recherche de ses avoirs débités le 23 juin 2021 depuis leur discussion intervenue au mois avril 2024 et qu'ils auraient pu lui répondre spontanément dès réception des relevés bancaires qui confirmaient que les fonds en question avaient été crédités sur le compte de la société recourante.
Enfin, il ressort des dernières pièces produites par l'intimée devant la Cour que la gérante de fortune, vraisemblablement impliquée dans ce transfert, a indiqué que "son client" allait régler ce problème en créditant l'intimée d'un montant de 460'000 euros, ce qui laisse supposer que le tiers a été crédité du montant litigieux sans motif valable et demeure débiteur de ce montant envers l'intimée.
Au vu de ce qui précède, c'est à bon droit que le Tribunal a considéré que, malgré les circonstances des faits qui demeurent floues, il ne peut être exclu, à ce stade, que les recourants soient impliqués, par hypothèse avec l'ancienne gérante de fortune, dans une potentielle infraction commise à l'encontre de l'intimée, telles qu'une utilisation sans droit de valeurs patrimoniales ou un faux dans les titres respectivement réprimés par les art. 141bis et 251 CP.
Concernant le lien de causalité, il doit également être admis. En effet, comme cela ressort des considérants qui précèdent, il paraît suffisamment vraisemblable que les recourants aient contribué à la commission d'un acte illicite au détriment de l'intimée, notamment par l'établissement de la facture du 15 juin 2021 afin de justifier le transfert indu et la mise à disposition du compte pour réceptionner l'argent. Ces actes ont ainsi rendu possible le transfert litigieux et ont directement contribué au dommage subi par l'intimée.
Par conséquent, au vu des éléments et pièces figurant au dossier, notamment la facture du 15 juin 2021 ainsi que le transfert opéré au profit du compte de la société recourante et en l'absence de tout indice permettant d'exclure l'implication des recourants, la créance découlant d'un acte illicite alléguée par l'intimée à l'endroit des recourants est rendue suffisamment vraisemblable et le dommage éprouvé par cette dernière dans la diminution de son patrimoine est, quant à lui, certain.
Au demeurant, dans la mesure où les recourants admettent avoir reçu le montant de 460'000 euros, il en résulterait, selon toute vraisemblance, en tout état de cause, une créance en enrichissement illégitime. Ces derniers n'indiquent, en effet, pas de cause valable ni de justification pour s'opposer à la restitution de ce montant appartenant à l'intimée. Bien qu'ils émettent brièvement l'hypothèse que le transfert ait été opéré par la gérante des comptes pour couvrir d'éventuelles pertes, ils ne rendent pas vraisemblable que le versement litigieux aurait effectivement compensé un quelconque préjudice ni que la société recourante ne serait plus enrichie du montant perçu.
Le séquestre est ainsi justifié par une créance rendue suffisamment vraisemblable.
Le recours s'avère infondé et sera rejeté.
4. Les frais judiciaires de recours seront mis solidairement à la charge des recourants, qui succombent (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront arrêtés à 2'700 fr. (art. 48 et 61 OELP) et entièrement compensés avec l'avance de frais du même montant fournie par ces derniers, qui demeure acquise à l'Etat de Genève
(art. 111 al. 1 aCPC en relation avec l'art. 407f CPC).
Au vu de l'issue du litige, les recourants seront, solidairement, condamnés à verser la somme de 4'000 fr. à l'intimée à titre de dépens de recours, débours et TVA compris (art. 84, 85 et 88 à 90 RTFMC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevables les recours interjetés le 25 octobre 2024 par C______ et A______ INC. contre le jugement OSQ/29/2024 rendu le 9 octobre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/13394/2024 SQP.
Au fond :
Les rejette.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires du recours à 2'700 fr., les met à la charge de C______ et A______ INC. solidairement et dit qu'ils sont entièrement compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève.
Condamne C______ et A______ INC., pris solidairement, à verser à D______ 4'000 fr. à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
Le président : Laurent RIEBEN |
| La greffière : Marie-Pierre GROSJEAN |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.