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Décisions | Sommaires

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C/17339/2023

ACJC/267/2024 du 16.02.2024 sur JTPI/14939/2023 ( SFC ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17339/2023 ACJC/267/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 16 FEVRIER 2024

 

Entre

A______ SA, sise c/o B______ SA, ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 19ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 14 décembre 2023, représentée par Me Philippe NANTERMOD, avocat, rue du Coppet 14, case postale 140, 1870 Conthey (VS).

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/14939/2023 du 14 décembre 2023, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a déclaré A______ SA en état de faillite dès le même jour à 15 heures (ch. 1 du dispositif), a arrêté les frais judiciaires à 200 fr., mis à sa charge, condamnée à les verser à l'Etat de Genève (ch. 2 et 3).

En substance, le Tribunal a considéré que l'avis de surendettement avait été formé par l'ancien administrateur de A______ SA, agissant comme organe de fait, lequel avait démontré que la précitée était surendettée et ne pouvait trouver de solution d'assainissement à court terme. La société étant surendettée, sa faillite devait être prononcée.

B. a. Par acte expédié le 27 décembre 2023 à la Cour de justice, A______ SA (représentée par C______, respectivement l'avocat mandatée par elle) a formé recours contre ce jugement, sollicitant son annulation, sous suite de frais et dépens.

Elle a produit de nouvelles pièces.

b. Par arrêt ACJC/1726/2023 du 28 décembre 2023, rectifié le 11 janvier 2024, la Cour a suspendu le caractère exécutoire du jugement et suspendu les effets juridiques de l'ouverture de la faillite.

c. A______ SA a été avisée par pli du greffe du 15 janvier 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______ SA, inscrite au Registre du commerce genevois le ______ 2018, a pour but de délivrer un service de Family Office à une clientèle ______.

D______ en a été l'administrateur, avec signature individuelle. Il a démissionné de ses fonctions le 22 mai 2023, sans que cela ne soit porté au Registre du commerce. Ses fonctions ont été radiées le 9 octobre 2023.

b. Le 18 août 2023, D______ a adressé au Tribunal un avis de surendettement. Il a joint un bilan établi au 31 décembre 2022. Il a indiqué que A______ SA était en cessation de paiement. La société n'avait plus d'administrateur. Il a allégué avoir été autorisé par le Tribunal de E______ (VS) à administrer la société, sans produire de pièce à cet égard. Un bénéfice d'inventaire était en cours d'établissement. A______ SA était propriétaire d'un bien immobilier sis dans le canton du Valais, loué à un tiers, grevé d'une hypothèque. La banque avait résilié l'hypothèque à la suite du décès de F______, actionnaire majoritaire de la société. La société détenait une participation de 7.5% dans G______ SA.

c. Par ordonnance du 25 août 2023, le Tribunal a imparti à A______ SA un délai pour produire un bilan audité.

d. Par pli du 2 octobre 2023, B______, anciennement fiduciaire de A______ SA, a informé le Tribunal ne pas être en mesure de donner suite à son ordonnance, la société n'ayant plus d'organe.

e. F______ était l'actionnaire unique de la société.

Il est décédé le ______ 2022. Ses héritiers sont son épouse, C______, et ses trois enfants.

Le 11 décembre 2023, C______ a accepté la succession sous bénéfice d'inventaire; ses enfants l'ont répudiée.

f. Le 6 octobre 2023, le Tribunal a informé l'avocat de la communauté héréditaire de feu F______ de la procédure en cours et lui a transmis copie de son ordonnance du 25 août 2023 et la réponse précitée de B______.

g. Sur quoi, le Tribunal a rendu le jugement entrepris.

h. N'ayant plus d'organe pour la représenter, A______ SA a tenu, le 27 décembre 2023, une assemblée générale extraordinaire et désigné C______ membre du conseil d'administration, avec pouvoir de signature individuelle.

Le 22 janvier 2024, la fonction d'administratrice de C______ a été inscrite au Registre du commerce.

EN DROIT

1. 1.1 La décision querellée ayant été rendue dans une affaire relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 et 319 let. a CPC ; art. 174 al. 1 LP, applicable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP, en relation avec l'art. 192 LP), seule la voie du recours est ouverte.

1.2 En l'espèce, le recours a été formé selon la forme et dans le délai prévus par la loi (art. 321 al. 1 et 2 CPC ; art. 174 al. 1 LP), de sorte qu'il est recevable sous cet angle.

1.3.1 Il convient d'examiner si C______ pouvait valablement intenter recours pour A______ SA, le 27 décembre 2023.

1.3.2 L’inscription au registre du commerce d'un administrateur n’a qu’un effet déclaratif (Oberson, La responsabilité fiscale des organes dirigeants des sociétés anonymes, in: SJ 2006 II 293, 297 et les références citées; Chapuis, la responsabilité fiscale des membres du conseil d'administration, p. 407).

1.3.3 En l'espèce, la nouvelle administratrice a été désignée lors de l'assemblée générale extraordinaire de la société du 27 décembre 2023, date de l'introduction du recours. Dès lors que l'inscription d'un administrateur au Registre du commerce n'a qu'un effet déclaratif, elle pouvait valablement représenter la société, quand bien même cette mention n'a été portée au Registre du commerce que le 22 janvier 2024.

Le recours est dès lors recevable.

1.4 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.5 Les décisions rendues en matière de faillite sont soumises à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC). Le juge établit les faits d'office (maxime inquisitoire, art. 255 let. a CPC). La preuve des faits allégués doit, en principe, être apportée par titres.

1.6 La recourante a produit des pièces nouvelles devant la Cour.

1.6.1 Selon l'art. 326 CPC, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (al. 1); les dispositions spéciales de la loi sont réservées (al. 2).

A cet égard, l'art. 174 LP - applicable à la faillite sans poursuite préalable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP - prévoit que les parties peuvent faire valoir des faits nouveaux, lorsque ceux-ci se sont produits avant le jugement de première instance (art. 174 al. 1, 2ème phrase, LP). Cette disposition spéciale de la loi, au sens de l'art. 326 al. 2 CPC, vise les faits nouveaux improprement dits (faux nova ou pseudo-nova), à savoir ceux qui existaient déjà au moment de l'ouverture de la faillite et dont le premier juge n'a pas eu connaissance pour quelque raison que ce soit; ces faits peuvent être invoqués sans restriction et prouvés par pièces, pour autant qu'ils le soient dans le délai de recours. Aux termes de l'art. 174 al. 2 LP, le failli peut aussi invoquer de vrais nova, à savoir les faits, intervenus après l'ouverture de la faillite en première instance, qui sont énumérés aux chiffres 1 à 3. Selon la jurisprudence, ces vrais nova doivent également être produits avant l'expiration du délai de recours. En vertu de la lettre claire de l'art. 174 al. 2 LP, aucun autre novum n'est admissible. Partant, dans le cadre d'un recours contre un prononcé de faillite sans poursuite préalable, seuls les pseudo-nova sont en principe recevables, les hypothèses énumérées exhaustivement à
l'art. 174 al. 2 ch. 1-3 LP étant étrangères à ce type de procédure. Il n'est ainsi pas possible d'invoquer que, dans le délai de recours, l'état de surendettement a été éliminé, qu'un nouvel organe de révision est arrivé à la conclusion qu'il n'y a pas de surendettement ou encore qu'une postposition de créance nouvellement consentie rend superflu l'avis au juge (arrêts du Tribunal fédéral
5A_252/2020 et 5A_264/2020 du 18 juin 2020 consid. 4.1.2; 5A_243/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.1 et les références, publié in SJ 2019 I p. 376).

1.6.2 En l'espèce, les pièces nouvelles visent des faits antérieurs à la date à laquelle le Tribunal a rendu sa décision. Elles n'ont toutefois pas toutes trait à la solvabilité ou aux conditions du prononcé d'une faillite. La recevabilité de ces pièces peut souffrir de demeurer indécise, compte tenu de ce qui suit.

2. La recourante reproche au Tribunal de ne pas avoir adressé de citation à comparaître à une audience à C______, propriétaire de l'intégralité du capital-actions de la société depuis le 11 décembre 2023. Elle fait également grief au premier juge d'avoir retenu qu'elle se trouvait en cessation de paiement, alors qu'elle était solvable.

2.1 L'art. 192 LP prévoit que la faillite est prononcée d'office sans poursuite préalable dans les cas prévus par la loi, soit en particulier les art. 725 et 725a CO (arrêt du Tribunal fédéral 5A_269/2010 du 3 septembre 2010 consid. 3).

2.2.1 Selon l'art. 725 al. 2 CO, s'il existe des raisons sérieuses d'admettre que la société est surendettée, un bilan intermédiaire est dressé et soumis à la vérification d'un réviseur agréé. S'il résulte de ce bilan que les dettes sociales ne sont couvertes ni lorsque les biens sont estimés à leur valeur d'exploitation, ni lorsqu'ils le sont à leur valeur de liquidation, le conseil d'administration en avise le juge, à moins que des créanciers de la société n'acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances de la société dans la mesure de cette insuffisance de l'actif.

Un avis de surendettement, accompagné de deux bilans intermédiaires (valeur d'exploitation/valeur de liquidation) ainsi que d'un rapport de vérification de l'organe de révision sont en principe indispensables pour le "dépôt de bilan". Selon le Tribunal fédéral, ce dernier document a en effet une portée décisive pour connaître de la situation financière de la société (ATF 120 II 425 consid. 2). Cette exigence tend notamment à éviter que, sous couvert d'un surendettement en réalité inexistant, le conseil d'administration puisse obtenir la faillite de la société (c'est-à-dire sa dissolution) en contrevenant au principe fondamental selon lequel la compétence de décider la dissolution d'une SA appartient exclusivement à l'assemblée générale des actionnaires (CJ GE, BISchK 1999, 192, 194; Peter/Cavadini, Commentaire romand, Code des obligations II, 2017,
n. 45ad art. 725 CO).

Il y a surendettement au sens de l'art. 725 al. 2 CO, lorsque l'actif social ne couvre plus les fonds étrangers, c'est-à-dire lorsque les fonds propres ont été entièrement consommés par les pertes (Peter/Cavadini, op. cit., n. 31 ad art. 725 CO).

Au vu de l'avis de surendettement, le juge déclare la faillite, à moins que les conditions d'un ajournement soient réunies (art. 725a al. 1 CO; arrêt du Tribunal fédéral 5A_867/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.1.1 et les références).

L'ajournement de la faillite n'est accordé que si la société est surendettée et que son assainissement paraît possible. Il a pour but de permettre la continuation de l'activité de la société (arrêt du Tribunal fédéral 5A_260/2021 du 22 juin 2021 consid. 3; 5A_902/2016 du 21 mars 2017 consid. 5.3.2).

2.2.2 Dans un arrêt de 2016 (5A_625/2015 du 18 janvier 2016), concernant un dépôt de bilan par suite de surendettement d'une société à responsabilité limitée, le Tribunal fédéral a retenu que la déclaration de surendettement n'est pas une demande de faillite mais est plutôt une obligation pour le conseil d'administration de la SA ou les gérants de la SARL de prendre une mesure prescrite par la loi (consid. 3.2.2).

Le Tribunal fédéral a également jugé que (consid. 3.2.3), "Für den Antrag auf Konkurseröffnung - d.h. ein willentlicher Akt der Gesellschaft, welcher die Auflösung und Liquidation durch Konkurs bewirkt - wäre ein entsprechender Generalversammlungs- bzw. (bei der GmbH) Gesellschafterbeschluss notwendig", soit en traduction libre : "Pour la déclaration de faillite - c'est-à-dire un acte délibéré de la société, qui entraîne la dissolution et la liquidation par la faillite - une résolution correspondante de l'assemblée générale ou dans le cas de la SARL une résolution des associés serait nécessaire".

2.3 La faillite prononcée conformément à l'art. 725a al. 1 CO est un cas de faillite sans poursuite préalable de l'art. 192 LP (Peter/Cavadini, op. cit., n. 5 ad
art. 725a CO).

2.4 L'art. 256 al. 1 CPC prévoit que le Tribunal peut renoncer aux débats et statuer sur pièces, à moins que la loi n'en dispose autrement.

Dans la procédure de faillite, les art. 168 (concernant la poursuite ordinaire par voie de faillite) et 190 al. 2 LP (ayant trait à la faillite sans poursuite préalable) consacrent cette exception en imposant au juge de citer les parties à une audience (arrêts du Tribunal fédéral 5A_293/2017 du 5 juillet 2017 consid. 4.2 et 5A_403/2014 du 19 août 2014 consid. 4.1 et les références citées).

Selon COMETTA, l'audience de faillite est obligatoire, quoique l'art. 194 ne renvoie pas explicitement à l'art. 168 LP (Cometta, Commentaire Romand – LP, n. 8 ad art. 192 LP). La Cour a déjà eu l'occasion de considérer qu'une telle audience est nécessaire (ACJC/451/2022 du 29 mars 2022 consid. 2.6).

2.5 Le membre du conseil d'administration lui-même dispose d'un droit de retrait analogue à celui de l'art. 404 CO. Sur le plan interne, la révocation ou la démission prend effet immédiatement à la réception de la déclaration correspondante par les personnes concernées ou la société. Dans les relations externes ou vis-à-vis des actionnaires non informés, la démission ne déploie ses effets, conformément à l'art. 932 al. 2 CO, que le jour ouvrable suivant l'inscription de la radiation au registre du commerce (Wernli, Basler Kommentar, Obligationenrecht II, 5ème éd., 2016 n. 11e ad art. 710 CO).

2.6 En l'espèce, l'administrateur de la recourante, qui avait mis un terme à ses fonctions le 22 mai 2023, a saisi, le 18 août 2023 le Tribunal d'un avis de surendettement. Cette démission de son poste d'administrateur a, conformément à la doctrine citée ci-avant, pris effet le même jour. Le précité a allégué avoir été autorisé par un tribunal valaisan à administrer la société, sans produire de pièce à cet égard. Se pose dès lors la question de savoir si l'intéressé pouvait saisir le Tribunal d'un avis de surendettement. Il appartiendra au Tribunal de trancher cette question.

Ledit administrateur a produit, en première instance, un avis de surendettement, accompagné d'un bilan, mais non de deux bilans intermédiaires aux valeurs d'exploitation et de liquidation. Le Tribunal aurait dû citer la recourante (et non la nouvelle administratrice désignée le 27 décembre 2023 seulement) à une audience, ce qu'il n'a pas fait.

Compte tenu des éléments qui précèdent, c'est à tort que le Tribunal a, sans tenir d'audience, prononcé la faillite de la recourante, de sorte que le jugement sera annulé. La cause sera renvoyée au premier juge, afin qu'il statue sur la recevabilité de l'avis de surendettement, ordonne la production des pièces nécessaires, et tienne une audience, avant de rendre une nouvelle décision.

3.  3.1 Le Tribunal statuera à nouveau sur les frais de première instance.

3.2 Les frais judiciaires du recours seront arrêtés à 500 fr. (art. 52 let. a et
61 OELP). Dans la mesure où ils ne sont pas imputables à la recourante, ils seront mis à la charge de l'Etat de Genève (art. 107 al. 2 CPC). L'avance de frais de 500 fr. sera restituée à la recourante.

Il n'y a pas lieu à l'allocation de dépens.

4.  La présente décision s'inscrit dans une procédure de faillite sujette au recours en matière civile au Tribunal fédéral (art. 72 al. 1 et 2 let. a LTF), indépendamment de la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. d LTF).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 27 décembre 2023 par A______ SA contre le jugement JTPI/14939/2023 rendu le 14 décembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/17339/2023–19 SFC.

Au fond :

Annule ce jugement.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour instruction au sens des considérants et nouvelle décision.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 500 fr. et les laisse à la charge de l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers à restituer la somme de 500 fr. à A______ SA.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.