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Décisions | Sommaires

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C/20828/2023

ACJC/255/2024 du 26.02.2024 sur OTPI/42/2024 ( SP ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/20828/2023 ACJC/255/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 26 FEVRIER 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d'une ordonnance rendue par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 9 janvier 2024, représentée par Me Jean-Christophe HOCKE, avocat, Kellerhals Carrard Genève SNC, rue François-Bellot 6, 1206 Genève.


EN FAIT

A.           Par ordonnance OTPI/42/2024 du 9 janvier 2024, expédiée pour notification à A______ le 15 janvier 2024, le Tribunal de première instance a rejeté la requête de mise à ban formée par la précitée (ch. 1), arrêté à 300 fr. les frais judiciaires, compensés avec l'avance opérée et mis à la charge de la précitée (ch. 2), et débouté celle-ci de toutes autres conclusions (ch. 3).

Il a retenu que A______ avait rendu vraisemblable son droit de propriété sur les parcelles concernées et l'existence du trouble allégué, mais non le survol au moyen de drones par des individus non identifiés, étant relevé qu'elle était en mesure d'agir contre les tiers qu'elle avait elle-même spécifiquement désignés comme ayant diffusé les images obtenues par l'utilisation des drones.

B.            Par acte du 26 janvier 2024 à la Cour de justice, A______ a formé appel contre cette ordonnance. Elle a conclu à ce que l'ordonnance attaquée soit annulée, cela fait à ce que la mise à ban requise soit prononcée, pour une durée illimitée, et publiée, subsidiairement à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision.

Par avis du 6 février 2024, elle a été informée de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants:

a. La parcelle 1______ de la commune de B______ [GE] est, depuis 2009, propriété de A______, qui s'y est constitué domicile.

b. Les parcelles 2______, 3______, et 4______ de la commune de C______ [GE] sont depuis 2019, propriété de A______.

c. A______ allègue que ces parcelles seraient l'objet de "nombreuses et régulières intrusions" par voie de drones ou autres appareils volants télécommandés pour effectuer des prises de vue, ultérieurement diffusées au public dans des reportages.

Elle a produit un relevé (reposant apparemment sur des signalements de son personnel), lequel fait état de deux épisodes de survol de drones en 2017 (18 mai et 28 novembre), un en 2018 (17 septembre), deux en 2021 (25 mars et 16 décembre), et deux en 2022 (13 mai et 24 septembre), qui auraient généré la prise d'images diffusées en 2018 (28 juin et 11 décembre), 2019 (29 août) et 2022 (16 février) sur D______ [média], respectivement sur une chaîne youtube et une chaîne de télévision du Kazakhstan.

d. Le 12 octobre 2023, elle a saisi le Tribunal d'une requête de décision de mise à ban générale pour une durée illimitée portant sur les parcelles précitées, ainsi libellée: "Interdiction de pénétrer, circuler ou survoler avec des drones ou d'autres appareils volants télécommandés. Les infractions seront punies, sur plainte, d'une amende pouvant aller jusqu'à CHF 2'000.00 (art. 258 al. 1 CPC)", et a requis la publication de la mise à ban.

EN DROIT

1.             Selon l'art. 308 CPC, dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins.

En matière d'action en cessation de trouble, la valeur litigieuse se détermine selon l'intérêt du demandeur à l'admission de ses conclusions (arrêt du Tribunal fédéral 5A_791/2008 du 10 juin 2009 consid. 1).

En l'espèce, l'appelante soutient que la valeur litigieuse serait égale à la valeur de ses parcelles.

Il peut être souscrit à cette argumentation, de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

2.             L'appel, dirigé contre une décision prise en procédure sommaire (art. 248 let. c CPC) respecte les délai et forme prévus par la loi, de sorte qu'il est recevable (art. 311 CPC).

3.             La décision de mise à ban (art. 258 al. 1 CPC) relève de la procédure gracieuse. Elle est prise en procédure sommaire et les tiers qui devront la respecter ne peuvent ni participer à la procédure ni contester la décision prise par le juge (arrêt du Tribunal fédéral 5D/127_2022 du 29 novembre 2022 consid. 4.2).

Le tribunal établit les faits d'office dans les procédures relevant de la juridiction gracieuse (art. 255 let. b CPC).

4.             L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir retenu que les reportages comportant des images de ses propriétés – qui rendaient vraisemblable l'existence de prises de vues par drones – émanaient de tiers déterminables, par conséquent susceptibles d'être actionnés.

Elle fait valoir pour la première fois en appel que ces prises de vue seraient "largement similaires voire identiques" dans les différents reportages et n'auraient donc vraisemblablement pas été réalisées par lesdits tiers, mais utilisées par ceux-ci dans la mesure où elles seraient disponibles sur internet; il serait difficile pour elle d'identifier les individus ayant fait capter les images.

4.1 Selon l'art. 258 CPC, le titulaire d'un droit réel sur un immeuble peut exiger du tribunal qu'il interdise tout trouble de la possession et qu'une infraction soit, sur plainte, punie d'une amende de 2'000 francs au plus. L'interdiction peut être temporaire ou du durée indéterminée (al. 1). Le requérant doit apporter la preuve par titres de son droit réel et rendre vraisemblable l'existence ou l'imminence d'un trouble (al. 2).

Le requérant doit rendre vraisemblable que le trouble atteint une certaine intensité, c’est-à-dire qu'il dépasse les limites des nuisances qui doivent raisonnablement être supportées et que la mise à ban s'adresse à un cercle indéterminé de personnes et non à des personnes déterminées (PC CPC-DELABAYS ad art. 258 n. 6).

L'interdiction s'adresse en général à un cercle ouvert de destinataires. Des exceptions peuvent toutefois être admises : ainsi, une interdiction générale peut prévoir des exceptions pour les habitants d'un immeuble déterminé, les locataires de places de parc privées ou les visiteurs ou se limiter à un groupe de personnes déterminé (p. ex. le jeu de football pour les élèves de l'école X). En cas de contestation sur ce point, il faut se demander si le requérant à l'interdiction judiciaire peut obtenir la pleine protection de ses droits dans une procédure dirigée contre une personne déterminée. Dans l'affirmative, il n'y a pas d'intérêt digne de protection à une interdiction judiciaire prononcée sur la base d'une requête unilatérale et il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur la requête (BSK ZPO-Tenchio/Tenchio, n. 3 ad art. 258 CPC).

4.2 On peut envisager que la procédure de mise à ban soit utilisée en vue d'interdire le survol ou l'approche illicite d'une parcelle par des drones dès lors que le propriétaire requérant parvient à rendre vraisemblable l'existence d'une atteinte à son droit de propriété par le biais d'un trouble de la possession, ce qui s'analysera à la lumière des critères qui prévalent pour l'action négatoire de l'art. 641 al. 2 CC et/ou pour l'action découlant du droit de voisinage prévue à l'art. 679 al. 1 CC. Une telle interdiction devra être formulée de manière suffisamment précise pour que la poursuite pénale puisse, en cas de violation, se dérouler sans violation du principe nulla poena sine lege. L'ordonnance devra ainsi préciser le contenu de l'interdiction (hauteur du survol proscrit, distance horizontale interdite aux abords de la parcelle, type de drones concernés) tout comme la durée pour laquelle elle est prononcée. Le requérant doit préalablement rendre vraisemblance l'existence ou l'imminence d'un trouble, ce qui présuppose une appréciation concrète de la situation (JEANDIN, Le survol d'un bien-fonds par un drone, in La sphère privée du propriétaire, Les effets du droit de propriété dans l'espace, 2019, n. 40 et 41).

4.3 En l'espèce, le grief de l'appelante ne porte pas.

Les reportages qu'elle a visés datent pour les trois premiers de plus de quatre ans avant le dépôt de la requête, seul le dernier étant plus récent (quoique antérieur de plus de dix-huit mois à la présente procédure). Rien dans ses développements d'appel ne vient accroître la vraisemblance d'atteintes actuelles ou futures, émanant de tiers indéterminés; le contraire semble même résulter de ce qu'elle affirme, à savoir que les reportages en question diffuseraient tous des images similaires ou identiques se trouvant déjà à disposition sur internet, par conséquent qu'il n'y aurait pas eu de nouvelles prises de vues depuis plusieurs mois ou années. A cet égard, la liste d'intrusions qu'elle a fait établir par son personnel paraît en contradiction avec son grief; contrairement à ce qu'elle soutient, cette liste n'est ainsi pas de nature à rendre vraisemblable que des individus non identifiés, et non les diffuseurs des reportages comme retenu par le Tribunal, opéreraient des survols de ses propriétés par drones.

Quant à la référence à l'arrêt de la Cour qu'elle cite (ACJC/182/2022 du 3 février 2022) en tant qu'il y a été retenu que des exigences trop strictes ne devaient pas être prononcées pour la mise à ban du fait de l'existence d'une procédure de simple opposition (cf. art. 260 CPC), elle ne convainc pas. Dans l'arrêt précité, il s'agissait d'une place de parc privée, dont l'occupant illicite ne peut être puni d'amende au sens de l'art. 90 LCR que pour autant qu'une mise à ban soit prononcée, soit une hypothèse totalement différente de la présente espèce.

Ainsi, le Tribunal a retenu à raison qu'il n'avait pas été rendu vraisemblable que des individus non identifiés faisaient survoler par des drones les propriétés de l'appelante.

Par ailleurs, celle-ci n'a pas apporté d'éléments qui auraient permis de déterminer la hauteur du survol proscrit, la distance horizontale interdite aux abords de la parcelle, ou le type de drones concernés, soit des précisions nécessaires comme enseigné par la doctrine citée ci-dessus. Elle n'a pas non plus exposé quoi que ce soit en relation avec ses conclusions de mise à ban portant sur une interdiction de pénétrer ou de circuler dans ses propriétés. L'application de l'art. 255 let. b CPC ne permet pas de pallier ces insuffisances, le tribunal ne se livrant à aucune investigation de sa propre initiative (ATF 141 III 569 consid. 2.3.1).

En définitive, au vu de ce qui précède, l'ordonnance attaquée sera confirmée.

5. L'appelante, qui succombe, supportera les frais de son appel (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 1'000 fr. (art. 26, 35 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 26 janvier 2024 par A______ contre l'ordonnance OTPI/42/2024 rendue le 9 janvier 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/20828/2023–16 SP.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Déboute A______ de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais d'appel à 1'000 fr., compensés avec l'avance opérée acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.

 

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Mélanie DE RESENDE PEREIRA

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.