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ACJC/24/2024 du 09.01.2024 sur OTPI/816/2023 ( SP )
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/22866/2023 ACJC/24/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 9 JANVIER 2024 |
Entre
A______ HOLDINGS DE L.P., ayant son siège ______ (USA), appelante d'une ordonnance rendue par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 18 décembre 2023, représentée par Me Rodolphe GAUTIER et Me Mathieu ZUFFEREY, avocats, Walder Wyss SA, boulevard du Théâtre 3, case postale, 1211 Genève 3,
et
B______ HOLDING SA, ayant son siège ______ [GE], intimée, représentée par Me Marc HASSBERGER et Me Stanley CONNOR, avocats, Chabrier Avocats SA, rue du Rhône 40, case postale 1363, 1211 Genève 1.
Attendu, EN FAIT, que, le 6 novembre 2023, A______ HOLDINGS DE LP (ci-après: A______) a formé à l'encontre de B______ HOLDING SA (ci-après: B______) une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles tendant à ce que le Tribunal de première instance fasse interdiction à cette dernière de transférer, céder, vendre, aliéner de quelque manière que ce soit, ou nantir en faveur de tiers ses 1'428'740 actions de C______ AG et d'entreprendre toutes autres mesures concernant lesdites actions qui mettraient en danger, rendraient plus difficile ou empêcheraient leur mise en gage en faveur de A______;
Qu'elle a notamment fait valoir que les accords du 11 novembre 2022 entre A______ et B______ lui permettaient de provoquer l'achat par cette dernière de sa participation minoritaire après l'expiration d'un délai d'un an à compter du closing, soit dès le 2 septembre 2023; qu'en l'absence de paiement du prix de vente des actions par B______ dans un délai de 60 jours, soit au 3 novembre 2023, cette dernière s'était engagée à nantir ses actions de C______ AG en faveur de A______; que B______ s'était d'ailleurs engagée à ne pas nantir, céder ou utiliser ses actions de la banque en garantie de créances de tiers, et ce sans égard à la version de la convention d'actionnaire applicable; que B______ ne s'était pas acquittée du prix d'achat de sorte que A______ avait initié une procédure arbitrale à son encontre et requis sa poursuite, les vices de volonté invoqués par B______ pour invalider les accords du 11 novembre 2022 étant contestés; que le Tribunal arbitral n'étant pas encore constitué, il convenait d'éviter que B______ puisse rendre inopérant le droit au nantissement des actions de la banque en s'en dessaisissant, ce qu'elle avait déjà fait au profit de D______ HOLDING SA (qui avait ensuite transféré les actions à E______ SA; que B______ rencontrait vraisemblablement d'importantes difficultés financières;
Que, par ordonnance sur mesures superprovisionnelles du 6 novembre 2023, le Tribunal a fait interdiction à B______ de transférer, céder, vendre, aliéner de quelque manière que ce soit, ou nantir en faveur de tiers ses 1'428'740 actions de C______ AG et d'entreprendre toutes autres mesures concernant lesdites actions qui mettraient en danger, rendraient plus difficile ou empêcheraient leur mise en gage en faveur de A______;
Que dans sa détermination du 29 novembre 2023, B______ a fait valoir qu'en contrepartie de son assistance dans l'acquisition de C______ AG, F______ s'était vu promettre, sans débourser un seul centime, une participation minoritaire dans la banque ainsi qu'une commission substantielle d'un montant de USD 36'250'000.-; que les accords de juin 2022 prévoyaient que si B______ entendait vendre tout ou partie de ses actions de la banque à un tiers – pendant ou après l'expiration d'une période de blocage de 3 ans à compter du 17 juin 2022 – elle devait en tous les cas permettre à F______ d'exercer son droit de suite, soit son droit de vendre ses actions au tiers en question aux mêmes conditions que celles convenues entre B______ et le tiers; que si elle entendait transférer l'intégralité de ses actions dans la banque, elle disposait de la même faculté d'obliger F______ de vendre lui aussi ses actions au tiers en question; que par ailleurs, si elle souhaitait vendre les actions de la banque pendant la période de blocage et qu'elle respectait le droit de suite de F______, ce dernier ne pouvait exercer l'Option put; qu'ainsi, si B______ souhaitait vendre des actions de la banque pendant la période de blocage et qu'elle respectait le droit de suite de F______, celui-ci ne pourrait plus exercer l'Option put;
Que les conventions de juin 2022 prévoyaient que l'option put ne serait exerçable qu'à compter du 2 septembre 2025; que ce n'était qu'en raison des pressions exercées par F______ sur B______ et G______ qu'ils avaient consenti à la conclusion de la nouvelle convention d'actionnaires de novembre 2022, soit à une détérioration massive de la position de B______ en tant qu'actionnaire de la banque et de leur position générale dans leur relation contractuelle avec F______;
Que l'invalidation du shareholders agreement de novembre 2022 avait eu pour effet de mettre fin ex tunc audit accord et de replacer les parties dans la situation qui était la leur avant qu'il ne soit conclu, soit celle qui prévalait sous l'empire de l'accord de septembre 2022 qui prévoyait que l'option put n'était exerçable qu'au 2 septembre 2025; que partant, la notice d'exercice de ladite option était largement prématurée et ne déployait aucun effet juridique;
Que A______ ne disposait dès lors d'aucun droit à obtenir le nantissement en sa faveur des actions de la banque en mains de B______;
Qu'enfin, B______ a contesté connaître les difficultés financières alléguées, admettant toutefois faire face à un manque temporaire de liquidités.
Que B______ a encore fait valoir que A______ ne rendait pas vraisemblable un quelconque préjudice; qu'en effet, à l'exception du transfert d'actions à E______ SA, elle ne rendait pas vraisemblable que B______ serait sur le point de vendre, mettre en gage ou d'aliéner d'une quelconque autre manière ses actions; que ce transfert ne violait du reste en rien les conventions conclues.
Que, par ordonnance de mesures provisionnelles OTPI/816/2023 du 18 décembre 2023, le Tribunal a rejeté la requête de A______ et statué sur les frais;
Que le Tribunal a considéré que la requérante échouait à rendre vraisemblable tant le risque d'un préjudice difficilement réparable que l'urgence à prononcer les mesures requises; que dans l'hypothèse où les accords de novembre 2022 seraient invalides, l'exercice de l'option put par la requérante en septembre 2023 était prématuré avec pour conséquence qu'elle ne saurait prétendre au nantissement des actions de la banque de la citée; que la requérante ne rendait pas vraisemblable que la citée serait sur le point de se dessaisir des actions en faveur d'un tiers;
Que par acte déposé à la Cour de justice le 22 décembre 2023, A______ a formé appel contre cette ordonnance, concluant, sur mesures superprovisoires avant audition des parties, à l'octroi de l'effet suspensif à l'appel, respectivement à ce que soit ordonné le maintien de l'ordonnance de mesures superprovisionnelles du 6 novembre 2023;
Que par arrêt présidentiel du 22 décembre 2023, statuant sur mesures superprovisionnelles, la Cour de céans a rejeté la requête de A______ et imparti un délai de trois jours à B______ pour se déterminer sur la requête de mesures provisionnelles;
Considérant, EN DROIT, qu'à teneur de l'art. 315 al. 4 let. b et 5 CPC, applicable au cas d'espèce compte tenu de la nature de la décision entreprise, l'appel ne suspend pas la force de chose jugée et le caractère exécutoire de la décision entreprise, mais que l'instance d'appel peut exceptionnellement suspendre l'exécution des mesures provisionnelles si la partie concernée risque de subir un préjudice difficilement réparable;
Que si la décision superprovisionnelle ou provisionnelle refuse des mesures, une requête d'effet suspensif est sans objet, une décision négative n'ayant pas d'effets susceptibles d'être suspendus. Que la partie requérante déboutée en première instance doit bien plutôt requérir de l'autorité d'appel ou de recours le prononcé de mesures conservatoires. Que bien que le CPC ne le prévoie pas clairement, rien ne s'oppose à ce qu'on lui reconnaisse le pouvoir de prononcer de telles mesures. Que la LTF confère explicitement au juge instructeur le pouvoir d'ordonner « les mesures provisionnelles nécessaires au maintien de l'état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts menacés » (art. 104 LTF) (Stucki/Pahud, Le régime des décisions superprovisionnelles et provisionnelles du code de procédure civile, in SJ 2015, II p. 1, 29);
Que le pouvoir d'ordonner des mesures conservatoires doit, comme celui de suspendre l'exécution, être exercé avec retenue. Que pour obtenir de l'autorité d'appel ou de recours une mesure conservatoire qui aura, pratiquement, un effet identique à la mesure provisionnelle refusée, la partie appelante ou recourante devra démontrer l'existence d'un intérêt supérieur (Stucki/Pahud, op. cit., p. 30);
Que les mesures ordonnées par la juridiction supérieure saisie d'un appel ou d'un recours sont des mesures conservatoires au sens strict, soit des mesures destinées à geler la situation. Qu'en aucun cas ne peut-il s'agir pour la juridiction de deuxième instance d'ordonner les mesures provisionnelles sollicitées et refusées en première instance, après examen des mêmes conditions (atteinte à un droit, préjudice difficilement réparable et proportionnalité). Que la décision de refus du tribunal est en effet revêtue de l'autorité de la chose jugée au plan du provisoire et qu'elle conservera cette autorité aussi longtemps que l'appel ou le recours seront pendants. Qu'au reste, l'art. 104 LTF évoque la nécessité de maintenir l'état de fait ou de sauvegarder des intérêts menacés, notions qui ne se confondent pas avec celle de préjudice difficilement réparable. Que l'existence d'un tel préjudice peut avoir été niée par le tribunal qui a refusé d'ordonner les mesures sollicitées et que sa décision a l'autorité de la chose jugée sur ce point. Que cela dit, il est vrai qu'en pratique le contenu de la mesure conservatoire ordonnée par la juridiction supérieure se confondra presque immanquablement avec celui de la mesure provisionnelle sollicitée initialement. Qu'il n'en demeure pas moins que cette décision ne produit ses effets que pour la durée de la procédure d'appel ou de recours et ne préjuge pas la décision sur l'appel ou le recours. Que si la partie appelante ou recourante requiert à tort l'effet suspensif d'une décision refusant des mesures provisionnelles, on peut se demander si l'autorité d'appel ou de recours doit d'office traiter sa requête comme une requête de mesures conservatoires, à l'instar de l'approche retenue par le Tribunal fédéral. Que lorsque la procédure est régie par la maxime de disposition, il n'appartient en principe pas à l'autorité d'appel ou de recours, liée par les conclusions de l'appelant ou du recourant, de pallier les errements des plaideurs; que toutefois, une approche formaliste ne se justifie pas non plus lorsqu'en dépit des termes utilisés, l'acte d'appel ou de recours permet de déterminer le contenu des mesures qui sont requises sous le couvert de l'appellation impropre «d'effet suspensif» (Stucki/Pahud, op. cit., p. 32, 33);
Que pour obtenir de l'autorité d'appel ou de recours une mesure conservatoire qui aura, pratiquement, un effet identique à la mesure provisionnelle refusée, la partie appelante ou recourante devra démontrer l'existence d'un intérêt supérieur (Stucki/Pahud, op. cit., p. 30);
Qu'en l'espèce, les mesures superprovisionnelles ordonnées par le Tribunal ont été remplacées par l'ordonnance entreprise, laquelle ne saurait dès lors être maintenue comme requis par l'appelante;
Que comme l'a constaté la Cour de céans dans son arrêt du 22 décembre 2023, la requête d'effet suspensif est sans objet, la décision entreprise refusant les mesures sollicitées;
Qu'en concluant au maintien de l'ordonnance de mesures superprovisionnelles du 6 novembre 2023, l'appelante sollicite le prononcé de mesures pour la durée de la procédure d'appel; que nonobstant les termes utilisés, l'on comprend qu'il est requis de faire interdiction à l'intimée de transférer, céder, vendre, aliéner de quelque manière que ce soit, ou nantir en faveur de tiers ses actions de C______ AG; que les conclusions de l'appelante doivent donc être comprises comme une requête de mesures conservatoires dans le sens défini ci-dessus;
Qu'il apparaît par ailleurs qu'une éventuelle cession des actions pendant la procédure d'appel serait susceptible de causer un préjudice à l'appelante;
Que l'intimée n'a pour sa part pas rendu vraisemblable que le prononcé, pour la durée de la procédure devant la Cour, de l'interdiction d'aliéner les actions, déjà opérée à titre superprovisionnel par le Tribunal, lui causerait un préjudice difficilement réparable;
Qu'en effet, elle n'allègue pas avoir l'intention de vendre les actions dans un proche avenir;
Que l'appelante dispose donc d'un intérêt supérieur à ce que les mesures sollicitées soient ordonnées, en ce sens qu'il sera fait interdiction, à titre provisionnel, à B______ de se dessaisir de ses actions de C______ AG;
Que la question des frais en relation avec la présente décision sera traitée dans l'arrêt à rendre sur le fond.
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La Chambre civile :
Statuant à titre provisionnel sur requête de mesures conservatoires
Fait interdiction à B______ HOLDING SA de transférer, céder, vendre, aliéner de quelque manière que ce soit ou nantir en faveur de tiers ses 1'428'740 actions de C______ AG et d'entreprendre toutes autres mesures concernant lesdites actions qui mettraient en danger, rendraient plus difficile ou empêcheraient leur mise en gage en faveur de A______ HOLDINGS DE LP.
Dit qu'il sera statué sur les frais de la présente décision dans l'arrêt à rendre sur le fond.
Siégeant :
Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente ad interim; Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.
La présidente ad interim: Verena PEDRAZZINI RIZZI |
| La greffière : Mélanie DE RESENDE PEREIRA |
Indications des voies de recours :
La présente décision, incidente et de nature provisionnelle (137 III 475 consid. 1) est susceptible d'un recours en matière civile, les griefs pouvant être invoqués étant toutefois limités (art. 98 LTF), respectivement d'un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 à 119 et 90 ss LTF). Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.