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C/2746/2023

ACJC/1003/2023 du 18.07.2023 sur OTPI/255/2023 ( SP ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2746/2023 ACJC/1003/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 18 JUILLET 2023

 

Entre

A______/1______ SAS, sise ______, France, appelante d'une ordonnance rendue par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 12 avril 2023, comparant par Me Robert HENSLER, avocat, Fontanet & Associés, grand-rue 25, case postale 3200, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

Et

1)   SERVICES INDUSTRIELS DE GENEVE, sis ______ [GE], intimé, comparant par Mes Yves JEANRENAUD et Gregory STROHMEIER, avocats, Etude Schellenberg Wittmer SA, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1,

2)    B______ (SUISSE), sise ______ [GE], intimée, comparant par
Mes Rodolphe GAUTIER et Roxane ALLOT, avocats, Walder Wyss SA, rue
d'Italie 10, case postale 3770, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance du 12 avril 2023, le Tribunal de première instance, après avoir déclaré irrecevables les allégués 170 à 182 formés par A______/2______, a rejeté la requête dirigée par celle-ci contre les SERVICES INDUSTRIELS DE GENEVE (ch. 1), révoqué son ordonnance du 16 février 2023 sur mesures superprovisionnelles (ch. 2), dit que les chiffres 2 et 3 de ladite ordonnance seraient exécutoires après expiration du délai d'appel de l'art. 314 al. 1 CPC et pour autant que l'effet suspensif ne soit pas accordé (ch. 4), a arrêté les frais judiciaires à 3'000 fr., mis à la charge de A______/2______ et compensés avec l'avance fournie (ch. 5), condamné celle-ci à verser aux SERVICES INDUSTRIELS DE GENEVE 4'000 fr. à titre de dépens et à [la banque] B______ (SUISSE) 4'000 fr. (ch. 6 et 7) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 8).

B.            Par acte du 26 avril 2023, A______/2______ a formé appel contre cette décision. Elle a conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait à ce que soient déclarés recevables ses allégués 170 à 182, à ce qu'elle soit dispensée de fournir des sûretés, à ce qu'il soit fait interdiction à B______ (SUISSE) de verser un quelconque montant aux SERVICES INDUSTRIELS DE GENEVE en lien avec les garanties de remboursement d'acompte n° RESE_3______, RESE_4______ et RESE_5______ ou de donner suite à toute requête similaire, ainsi que de faire un nouvel appel aux garanties susmentionnées, à ce qu'un délai de 30 jours lui soit octroyé pour introduire son action au fond, alternativement à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal, avec suite de frais judiciaires et dépens.

Les conclusions tendant à l'octroi de mesures superprovisionnelles en maintien de l'ordonnance superprovisionnelle du Tribunal du 16 février 2023 ont été admises par arrêt de la Cour du 27 avril 2023, frais renvoyés à l'arrêt rendu au fond.

La conclusion sur effet suspensif de l'appel que comportait l'acte d'appel, au sujet de laquelle les SERVICES INDUSTRIELS DE GENEVE s'en sont rapportés à justice, a été traitée par la Cour dans un arrêt daté du 3 mai 2023. La Cour a dit que cette requête était sans objet, compte tenu de la décision négative rendue par le Tribunal, et a ordonné le maintien de l'ordonnance superprovisionnelle du Tribunal précitée, frais renvoyés à l'arrêt au fond, motif pris de l'existence de la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable.

Les SERVICES INDUSTRIELS DE GENEVE ont conclu à la confirmation de l'ordonnance attaquée, avec suite de frais et dépens.

B______ (SUISSE) s'est rapportée à justice, avec suite de frais et dépens.

Par acte ultérieur, elle a fait connaître que, dans une procédure pendante devant le Tribunal de commerce de Paris, opposant A______/2______à B______ au sujet des contre-garanties, l'affaire avait été renvoyée au 7 juillet 2023.

Par avis du 22 juin 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants:

a. Le 22 mai 2019, les SERVICES INDUSTRIELS DE GENEVE (ci-après SIG) ont adjugé une partie des travaux relatifs au projet "C______-Ligne d'incinération des déchets" à A______/2______ (devenue A______/1______ SAS à fin mai 2023; ci-après A______), entité de droit français. Les travaux relatifs à la réalisation du bâtiment, destiné à recevoir l'ouvrage confié à A______ (deux lignes d'incinération et de traitement des fumées) ont été adjugés à une entreprise suisse le 24 mars 2022.

Le 22 août 2019, les SIG et A______ ont conclu un contrat d'entreprise portant sur les études, la livraison, le montage et la mise en services de lignes de traitement des déchets pour l'usine de C______.

L'art. 3 du contrat spécifiait les documents en faisant partie intégrante, soit notamment les conditions générales version du 27 avril 2018 et les normes SIA 118 édition 2013.

Selon l’annexe A au contrat, les prestations d’ingénierie (études) pour la conception des lignes de traitement des déchets étaient valorisées à EUR 2'941'430.- HT.

Le paiement du prix était prévu ainsi: 10% à la signature du contrat par les parties, à condition que A______ fournisse aux SIG une garantie de remboursement d'acompte de même montant valable dès le versement de l'acompte jusqu'à la fin du montage lourd de l'ouvrage; 5% à la validation des études de base par les SIG ou au plus tard deux mois après leur remise par A______, à condition que cette dernière fournisse aux SIG une garantie de remboursement d'acompte de même montant valable dès le versement de l'acompte jusqu'à la fin du montage lourd de l'ouvrage; 15% à la validation des études de détail, à condition que A______ fournisse aux SIG une garantie de remboursement d'acompte de même montant valable dès le versement de l'acompte jusqu'à la fin du montage lourd de l'ouvrage (art. 13.5 du contrat et 4.1 des conditions générales).

Dans les 30 jours dès la signature du contrat, A______ devait remettre aux SIG pour approbation un programme détaillé montrant les études, l’approvisionnement des composants et la fabrication en atelier et sur site. À intervalle convenu entre les parties, ou à défaut, mensuellement, ou à la demande des SIG, A______ devait mettre à jour ce programme (art. 9.1 et 9.2 des conditions générales).

Au sens de l’article 13.4 des conditions générales, A______ était entièrement responsable envers les SIG de l’exécution des prestations du contrat par ses sous-traitants.

Les parties excluaient toute responsabilité pour pertes de profits, de gains, de revenus, d'exploitation ou de données, ainsi que pour tous dommages réfléchis, indirects ou subséquents (art. 30.4 2ème phrase des conditions générales).

Selon l'art. 33.1 des conditions générales, les SIG avaient le droit de résilier par écrit le contrat en tout temps et avec effet immédiat lorsque a. le constructeur violait des obligations importantes découlant du contrat et ne rétablissait pas un état conforme au contrat dans un délai de 30 jours après une mise en demeure par écrit, b. une procédure de faillite ou de liquidation était ouverte contre le constructeur, ou lorsque le constructeur déposait une demande d’octroi de sursis concordataire, de faillite ou de liquidation, c. les art. 10.6 [résiliation] ou 27.6 [absence d'élimination des défauts] des conditions générales étaient applicables.

En cas de résiliation immédiate au sens de l’article 33.1, l’article 33.2 des conditions générales prévoyait que les SIG pouvaient alternativement : annuler le contrat et demander le remboursement de tous les montants versés par les SIG au constructeur au titre du contrat. Dans ce cas, l’ouvrage partiellement réalisé demeurait la propriété du constructeur ou était, le cas échéant, rétrocédé au constructeur qui le reprenait à ses frais, ou verser au constructeur une indemnité convenable pour les prestations réalisées jusqu’à la date de réception par le constructeur de la décision de résiliation et demander la livraison de l’ouvrage partiellement réalisé si celui-ci n’était pas en possession de SIG. L’ouvrage partiellement réalisé devenait la propriété exclusive des SIG dès la réception par le constructeur de la décision de résiliation […].

Le contrat prévoyait aux articles 9.5, 10.4, 11.3 et 13.23 que la violation desdits articles pouvait entrainer une résiliation du contrat; il en allait de même des articles 34.4 et 35.3 des conditions générales.

L'application du droit suisse et un for à Genève étaient prévus (art. 15).

b. B______, entité française dont B______ (SUISSE) est la filiale en Suisse, a requis de celle-ci qu'elle émette des garanties en faveur des SIG pour le compte de A______.

Les 18 septembre 2019, 28 février 2020 et 12 avril 2021, trois garanties de remboursement d'acomptes (n° RESE_3______ pour 7'241'786 euros 99, RESE_4______ pour 3'620'893 euros 49 et RESE_5______ pour 11'137'315 euros 48 respectivement), valables jusqu'au 21 juillet 2023, ont été émises par B______ (SUISSE). Cette dernière s'est engagée de façon irrévocable à payer aux SIG indépendamment des effets juridiques du contrat et sans faire valoir d'exception ni d'objection résultant du contrat à la première demande des SIG, tout montant jusqu'à concurrence des montants prévus, à réception de la demande de paiement des SIG signée en original, attestant que A______ n'aurait pas rempli ses obligations de remboursements d'acompte.

Les SIG ont versé à A______ un total de 22'051'884 euros 66.

c. Le 29 avril 2021, les parties ont conclu un avenant à leur contrat. Elles ont en particulier augmenté le prix de l'ouvrage de 1'700'000 euros, prolongé les délais d'exécution, notamment pour l'étude de détail et précisé que la date de mise à disposition du site par les SIG (3 janvier 2022) serait effectuée au 9 janvier 2023 plus ou moins trois mois et quinze semaines, soit au plus tard au 23 juillet 2023.

d. Par courrier du 3 septembre 2021, consécutif à une rencontre des parties le 26 août précédent, A______ a évoqué des surcoûts liés à la pandémie, et observé que les parties avaient constaté ensemble qu'elle avait satisfait aux attentes des SIG au terme des études de détail.

Le 4 octobre 2021, les SIG ont répondu qu'ils n'entreraient pas en matière sur le paiement d'un montant supplémentaire en lien avec l'adjudication du 22 mai 2019, et relevé que les travaux se faisaient dans une logique de forfait et non de régie.

Le 16 décembre 2021, les SIG ont confirmé à A______ la date du 17 juillet 2023, prévue contractuellement, pour la mise à disposition de la zone pour montage lourd.

En mars 2022, A______ a réitéré les difficultés liées à la situation de pandémie.

Le 12 mai 2022, elle a annoncé que la société sous-traitante à laquelle elle avait confié les travaux de chaudière avait été placée en redressement judiciaire, ce qui était de nature à compromettre l'exécution du contrat dans les délais.

Le 23 mai 2022, les SIG ont requis de ce fait la mise à jour du programme des travaux; le 7 juillet 2022, ils ont rappelé leur requête à A______, sans succès.

Le 12 août 2022, les SIG ont sollicité de l'entreprise tierce chargée des travaux de construction du bâtiment destiné à recevoir l'ouvrage de A______ une prolongation de l'offre de celle-ci jusqu'au 24 février 2023.

Le 30 septembre 2022, puis le 18 octobre 2022, A______ a informé les SIG de ce que la société sous-traitante française en charge des travaux de chaudière avait été liquidée et que le contrat de sous-traitance portant sur ladite chaudière n'avait pas été repris; la situation aurait un effet sur les prix et les délais convenus. Il n'a pas été dressé de calendrier prévisionnel de ceux-ci.

Le 2 novembre 2022, les SIG ont requis de A______, de manière urgente, plus de précisions et de visibilité sur les "délais et jalons contractuels".

Par lettre de ses conseils du 21 novembre 2022, A______, après avoir notamment observé que la première des deux phases de l'exécution du contrat (études de base et de détails) avait été effectuée au contraire de la seconde (réalisation), a proposé que les parties se mettent d'accord sur "un complément de prix extraordinaire au vu d'une situation qui l'est d'autant, couplée à une nouvelle formule indicielle adaptée". Elle a évoqué un surcoût de 19'794'000 euros. Elle n'a pas abordé le sujet des délais.

Par courrier du 23 décembre 2022, les SIG ont réfuté les arguments de la lettre du 21 novembre 2022, et notamment observé qu'ils n'avaient pas obtenu le planning des travaux requis depuis mai 2022 et qu'aucune solution alternative solide n'avait été présentée au sujet de la chaudière. Il ne pourrait dès lors être entré en matière sur des conséquences financières avant fourniture des clarifications sollicitées. Ainsi, A______ était mise en demeure de fournir sous trente jours dès réception des explications claires et détaillées sur la solution alternative pour la chaudière, accompagnée d'un planning général des travaux, détaillé et réaliste.

Par courrier de ses avocats du 27 janvier 2023, A______ est revenue sur le montant complémentaire requis et a rappelé attendre l'approbation des SIG s'agissant du contrat qu'elle avait conclu avec une entreprise sous-traitante en Italie pour la chaudière. Elle attendait également la confirmation du respect de la date du 17 juillet 2023 pour la mise à disposition du site de construction avant d'articuler des délais précis. Enfin, elle adresserait une notification de désaccord au sens de l'art. 15.2 du contrat si elle n'obtenait pas des SIG la confirmation de la prise en charge des surcoûts.

e. Le 28 janvier 2023, les SIG ont déclaré résilier le contrat avec effet immédiat (en applications des chiffres 33.1 et 33.2 des Conditions générales), et ont requis le remboursement des montants versés (21'999'995 euros 96), sous dix jours. Ils prenaient acte de ce qu'aucun planning n'avait été fourni, observaient que le projet adjugé promettait la réalisation de la chaudière par un fournisseur renommé dans le domaine des chaudières industrielles d'incinération, alors que l'entreprise italienne n'avait pas d'expérience dans le domaine et était dotée d'une assise financière très fragile. Le nouveau concept présentait dès lors un risque technique majeur qu'ils n'entendaient pas accepter. Il en résultait une rupture du lien de confiance.

Par courrier de ses conseils du 9 février 2023, A______ a contesté la résiliation de contrat signifiée par les SIG, fait valoir que les acomptes versés correspondaient à des études réalisées et validées, et annoncé qu'elle devrait être indemnisée si la résiliation était maintenue.

f. Par lettres du 10 février 2023, les SIG ont requis de B______ le paiement des garanties consenties en 7'241'786 euros 99, 11'137'315 euros 48 et 3'620'893 euros 49, attestant que A______ n'avait pas rempli ses obligations contractuelles de remboursement d'acompte.

B______ en a informé sa maison mère, B______, et a fait appel aux contre-garanties correspondantes constituées auprès de celle-ci.

g. Le 16 février 2023, A______ a saisi le Tribunal d'une requête de mesures provisionnelles, dirigée contre les SIG et B______, par laquelle elle a conclu à ce qu'il soit fait interdiction à B______ de verser un quelconque montant aux SIG en lien avec les garanties de remboursement d'acompte n° RESE_3______, RESE_4______ et RESE_5______ ou de donner suite à toute requête similaire, ainsi que de faire un nouvel appel aux garanties susmentionnées, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, avec dispense de verser des sûretés, avec suite de frais judiciaires et dépens. A titre superprovisionnel, elle a pris les mêmes deux premières conclusions.

Par ordonnance du 16 février 2023, le Tribunal a donné droit à la première des conclusions prise à titre superprovisionnel, sans prononcer de menace de peine, et réservé le sort des frais.

SIG a conclu au rejet de la requête de mesures provisionnelles, avec suite de frais et dépens. Elle a notamment soutenu qu'elle avait décidé de résoudre le contrat et non de le résilier, les études réalisées par A______, sur la base de la fourniture d'une chaudière fournie par la société sous-traitante désormais liquidée, n'ayant plus d'utilité et devant être répétées. Elle a déclaré tenir ces études à la disposition de A______.

B______ s'en est rapportée à justice, frais et dépens à charge de A______ et des SIG.

A l'audience du Tribunal du 13 mars 2023, A______ a déposé des pièces. Parmi celles-ci un courrier qu'elle avait adressé le 7 mars précédent, dans lequel elle a rappelé qu'elle considérait que le premier acompte était lié à la conclusion du contrat et ne correspondait donc pas aux contreparties des études livrées, contrairement aux deuxième et troisième acomptes.

Elle a aussi déposé des "déterminations sur faits et faits complémentaires". Sous ce dernier intitulé, elle a articulé des faits relatifs à sa propre structure juridique, à son capital social et fait valoir, sans détail, le dommage qu'elle subirait en raison de l'exécution de l'appel aux garanties du fait de lourdes procédures de recouvrement (n. 170 à 174); elle a commenté les allégués 139, respectivement 111 et 112 de la réponse des SIG (n. 175 à 177, respectivement n. 182) ainsi que la pièce 7 des SIG (n. 181), et allégué le contenu de ses pièces nouvellement déposées 38 à 44 (n. 178-180), soit des exemples d'études de base et de détails livrées aux SIG. Sur quoi, l'audience a été suspendue afin que les autres parties puissent en prendre connaissance; le Tribunal a ensuite recueilli les déterminations des SIG (allégués contestés à l'exceptions du n. 170, admis) et de B______ (allégués ignorés) sur les allégués complémentaires de A______. Les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives, puis la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. L'ordonnance querellée constitue une décision sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC) susceptible de faire l'objet d'un appel pour autant que la valeur litigieuse au dernier état des conclusions prises devant l'autorité de première instance atteigne 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CO), ce qui est le cas en l'occurrence.

La voie de l'appel est dès lors ouverte.

L'appel, qui respecte la forme et le délai prévus par la loi (art. 311 al. 1, 314 al. 1 CPC), est recevable.

2. La Cour revoit le fond du litige avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) et applique le droit d'office (art. 57 CPC). Conformément à l'art. 311 al. 1 CPC, elle le fait cependant uniquement sur les points du jugement que l'appelant estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante – et, partant, recevable –, pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) ou pour constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC).

En outre, dans le cadre de mesures provisionnelles, instruites selon la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), la cognition du juge est circonscrite à la vraisemblance des faits allégués ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5). Les moyens de preuve sont, en principe, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (art. 254 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, p. 283 n° 1556).

3. L'appelante reproche en premier lieu au Tribunal d'avoir écarté ses allégués 170 à 182, en retenant que les faits complémentaires étaient connus au dépôt de la demande.

3.1 Selon l'art. 229 CPC, une fois les débats principaux ouverts, les parties ne sont admises à produire de nouveaux moyens de preuve que si ceux-ci remplissent les conditions de l'art. 229 al. 1 CPC, soit qu'ils sont postérieurs à l'échange d'écritures ou ont été découverts postérieurement (let. a : novas proprement dits), soit qu'ils existaient avant mais ne pouvaient être invoqués antérieurement malgré toute la diligence de la partie qui s'en prévaut (let. b: novas improprement dits).

3.2 En l'espèce, s'agissant des "faits complémentaires" articulés par l'appelante le 13 mars 2023, il convient d'emblée d'observer que les n° 173 à 179 ainsi que 181 et 182 constituent des commentaires respectivement des affirmations et non des faits. Dans cette mesure, le Tribunal était en tout état fondé à les écarter.

Les allégués 170 et 171, qualifiés par l'appelante de faits notoires, n'ont pas de portée propre, tandis que l'allégué 172, relatif à la surface financière de l'appelante, devait être articulé d'entrée de cause s'agissant d'une procédure de mesures provisionnelles dans laquelle le dommage difficilement réparable est une condition à examiner. Ils étaient donc aussi irrecevables.

Reste l'allégué 180, qui porte sur les pièces nouvellement déposées à l'audience du Tribunal, soit des exemples d'études de base et de détails. Pour les motifs qui vont suivre, la recevabilité de cet allégué et des pièces précitées souffre de rester ouverte.

4. L'appelante reproche aux premiers juges une violation de l'art. 261 CPC.

4.1 Le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC).

Le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice et notamment prononcer une interdiction (art. 262 let. a CPC).

Le requérant doit rendre vraisemblable tant l'existence de sa prétention matérielle de nature civile que sa mise en danger ou atteinte par un préjudice difficilement réparable, ainsi que l'urgence (Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 23 ad art. 261 CPC)

Ainsi, le requérant doit rendre vraisemblable que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès, la mesure provisionnelle ne pouvant être accordée que dans la perspective de l'action au fond qui doit la valider (cf. art. 263 et 268 al. 2 CPC; ATF 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1016/2015 du 15 septembre 2016 consid. 5.3; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 7 ad art. 261). Il doit en outre rendre vraisemblable une atteinte au droit ou son imminence, sur la base d'éléments objectifs (Bohnet, op. cit., n. 10 ad art. 261 CPC).

Doit également être rendue vraisemblable l'existence d'un préjudice difficilement réparable, qui peut être de nature patrimoniale ou immatérielle (Message relatif au CPC, FF 2006 p. 6961; Bohnet, op. cit., n. 11 ad art. 261 CPC; Huber, op. cit., n. 20 ad art. 261 CPC). Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

Le risque de préjudice difficilement réparable implique l'urgence (Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC). L'urgence est une notion relative qui comporte des degrés et s'apprécie moins selon des critères objectifs qu'au regard des circonstances. Elle est en principe admise lorsque le demandeur pourrait subir un dommage économique ou immatériel s'il devait attendre qu'une décision au fond soit rendue dans une procédure ordinaire (ATF 116 Ia 446 consid. 2 = JdT 1992 I p. 122; Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC).

Rendre vraisemblable signifie qu'il n'est pas nécessaire que le juge soit convaincu de l'exactitude de l'allégué présenté, mais qu'il suffit que, sur la base d'éléments objectifs, le fait en cause soit rendu probable, sans qu'il doive pour autant exclure la possibilité que les faits aient aussi pu se dérouler autrement (ATF 130 III 321 consid. 3.3, JdT 2005 I 618, SJ 2005 I 514; ATF 120 II 393 consid. 4c; ATF 104 Ia 408).

La vraisemblance requiert plus que de simples allégués: ceux-ci doivent être étayés par des éléments concrets ou des indices et être accompagnés de pièces (ATF 138 III 636 consid. 4.3.2 et 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_893/2013 du 18 février 2014 consid. 3).

4.2 Une garantie indépendante (au sens de l'art. 111 CO) est celle par laquelle le garant s'engage à payer la prestation au bénéficiaire, sans égard à un éventuel litige relatif au contrat de base. Le garant promet une prestation en se référant au rapport de valeur, qui permet d'identifier l'obligation garantie, et s'engage à exécuter la prestation promise au créancier comme telle, indépendamment du contenu et de la validité de l'obligation découlant du contrat de base entre le bénéficiaire et le donneur d'ordre (ATF 131 III 511 consid. 4.2). Le garant ne peut donc pas soulever des objections ou des exceptions découlant de ce rapport de valeur (ATF 138 III 241 consid. 3.2; 131 III 511 consid. 4.2). La garantie indépendante n'est toutefois jamais totalement séparée du contrat de base, puisque le bénéficiaire doit au moins alléguer l'inexécution de celui-ci (ATF 131 III 511 consid. 4.3).

En vertu du principe de l'indépendance de la garantie, le garant doit payer aussitôt après l'appel du bénéficiaire, si les conditions formelles telles qu'elles sont précisées par le texte de la garantie sont réunies (ATF 122 III 321 consid. 4a, consid. 3a/aa).

L'indépendance de la garantie cesse lorsque l'appel à la garantie du bénéficiaire est manifestement abusif (art. 2 al. 2 CC). L'abus de droit doit être manifeste: le refus de paiement de la garantie, au motif que le bénéficiaire y fait appel de manière abusive, doit rester exceptionnel (ATF 138 III 241 consid. 3.2.; 131 III 511 consid. 4.6;). Le doute ne suffit pas (arrêt du Tribunal fédéral 4A_111/2014 du 31 octobre 2014 consid. 3.3).

Ainsi, il ne suffit pas que la garantie ne soit pas justifiée sous l'angle des rapports entre le donneur d'ordre et le bénéficiaire ou qu'un litige existe entre eux quant à l'exécution du contrat les liant, puisque la garantie est par nature indépendante du rapport de valeur (ATF 131 III 511 consid. 4.6).

Pour qu'il y ait abus, il faut que le bénéficiaire, de mauvaise foi, poursuive un objectif totalement étranger au contrat de base. Il y a notamment abus manifeste: si le bénéficiaire cherche à mettre en jeu la garantie pour couvrir une prétention qu'elle n'avait pas pour but d'assurer: en effet, comme la finalité du contrat de garantie est la couverture d'un risque particulier, la garantie ne peut s'appliquer à un autre contrat que le contrat de base (ATF 122 III 321 consid. 4a p. 322 s.); si le bénéficiaire n'a aucune prétention contre le débiteur principal parce que celui-ci a indubitablement exécuté sa prestation (arrêt du Tribunal fédéral 4A_111/2014 du 31 octobre 2014, consid. 3.3); si le montant réclamé au titre de la garantie est en disproportion manifeste avec celui du dommage subi par le créancier (arrêt précité 4A_111/2014 du 31 octobre 2014, ibidem).

En cas d'abus, le garant non seulement peut, mais doit refuser de verser la garantie (ATF 138 III 241 consid. 3.2). Il appartient au garant qui invoque l'abus de droit du bénéficiaire de le prouver (art. 8 CC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_709/2016 du 6 avril 2017 consid. 2.3). L'abus de droit doit apparaître évident au garant avant le paiement; il doit exister des circonstances absolument claires, qui ne laissent place à aucun doute, lorsque l'abus de droit manifeste est invoqué (arrêt du Tribunal fédéral 4A_111/2014 du 31 octobre 2014 consid. 3.3).

4.3 En l'espèce, il est constant que les garanties émises sont indépendantes, et que les conditions formelles permettant leur appel sont réunies. Seule l'existence d'un abus manifeste permettrait ainsi à l'appelante de se libérer de son obligation de garantie.

Le premier juge n'a pas décelé de tel abus manifeste dans l'appel aux garanties formulé par la partie intimée.

L'appelante soutient que, en vertu du contrat de fond la liant à cette dernière, aucune prétention ne pouvait être élevée contre elle, puisqu'elle aurait indubitablement exécuté sa prestation, en remettant les études de base et de détails. Elle conteste ainsi le bien-fondé de la résolution du contrat, effectuée par la partie intimée par référence aux art. 9 et 33 des conditions générales. Ce faisant, elle disserte sur la volonté des parties lorsqu'elles ont adopté les dispositions précitées, proposant même une interprétation en sa faveur en vertu du principe "in dubio stipulatorem".

Cette argumentation dépasse à l'évidence le pouvoir d'examen du juge statuant sur mesures provisionnelles; elle ne plaide pas non plus en faveur de l'existence des circonstances absolument claires, qui ne laissent place à aucun doute, nécessaires lorsque l'abus de droit est invoqué pour s'opposer à l'appel à la garantie, ainsi que le rappelle la jurisprudence évoquée ci-dessus. Elle ne saurait donc être examinée plus avant.

Il en va de même de la thèse, présentée à titre superfétatoire par l'appelante, selon laquelle sa cocontractante aurait rendu impossible et inutile l'exécution de la prestation, de par le délai de signature repoussé avec le tiers chargé de la construction des travaux, et par conséquent que seule une résiliation ex nunc (et non une résolution ex tunc) serait possible. Cette thèse repose en effet aussi sur une analyse des intentions de l'intimée, qui dépasse le pouvoir d'examen du juge des mesures provisionnelles.

Au surplus, le Tribunal a encore retenu qu'en toute hypothèse l'appelante n'avait pas rendu suffisamment vraisemblable qu'elle serait exposée à un préjudice difficilement réparable. Cette dernière ne consacre aucun développement de ses arguments au fond à cette motivation du premier juge, se limitant à affirmer l'existence d'un tel préjudice si elle devait entamer des procédures judiciaires pour recouvrer les prétentions dont elle se prévaut. Elle n'explique pas en quoi sa situation financière serait rendue difficile en cas de paiement des garanties, alors même qu'elle a fait valoir l'existence de contre-garanties accordées par sa maison mère. Le grief n'est ainsi pas recevable, faute de critique de la décision attaquée. Est sans portée à cet égard, le fait que la Cour, dans son arrêt du 3 mai 2023, ait retenu, sous l'angle restreint des conclusions d'effet suspensif au sujet desquelles l'intimée s'en rapportait, et à ce stade de la procédure la vraisemblance de l'existence d'un préjudice difficilement réparable.

Au vu de ce qui précède, l'ordonnance attaquée sera confirmée.

5. L'appelante, qui succombe, supportera les frais de son appel (art. 106 al. 1 CPC). Ceux-ci seront arrêtés à 3'200 fr. (art. 13, 26, 37 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al.1 CPC).

Elle versera en outre à l'intimée 3'000 fr. à titre de dépens d'appel débours et TVA inclus, et à la banque, qui s'en est rapportée et a déposé de brèves écritures, 2'000 fr. à titre de dépens d'appel (art. 84, 85, 88, 90 RTFMC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 26 avril 2023 par A______/1______ SAS contre l'ordonnance OTPI/255/2023 rendue le 12 avril 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/2746/2023–16 SP.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres ou contraires conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 3'200 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______/1______ SAS.

Condamne A______/1______ SAS à verser aux SERVICES INDUSTRIELS DE GENEVE 3'000 fr. à titre de dépens d'appel, et à B______ (SUISSE) 2'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie RAPP, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

 

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.