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Décisions | Sommaires

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C/10283/2023

ACJC/819/2023 du 19.06.2023 sur SQ/702/2023 ( SQP ) , RENVOYE

Normes : LP.272.al1.ch3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10283/2023 ACJC/819/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 19 JUIN 2023

 

Entre

A______ LTD., sise ______, Micronésie, recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 22 mai 2023, comparant par Me Laurence BURGER, avocate, BRINER & BRUNISHOLZ, cours des Bastions 5, 1205 Genève, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A. a. Par requête déposée devant le Tribunal de première instance le 22 mai 2023, A______ LTD a conclu à ce que soit ordonné le séquestre en sa faveur de toutes valeurs ou sommes à concurrence de plusieurs montants d'un total de 1'512'329 fr. 41 (contre-valeur de 1'674'619,86 USD) dont B______ LIMITED est titulaire auprès de [la banque] C______, no. ______ - no. ______, rue 1______, [code postal] Genève.

Elle a invoqué le cas de séquestre de l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP.

a.a Elle a exposé avoir conclu avec B______ LIMITED un contrat d'affrètement à temps par lequel elle mettait à disposition de la précitée le navire m/v D______ pour une période de 12 mois. Un paiement de 8'000 USD par jour de location était facturé. B______ LIMITED avait payés 15 des 18 factures qui lui avaient été adressées depuis deux comptes ouverts en les livres de C______ à Genève (IBAN 2______ et IBAN 3______).

B______ LIMITED n'avait toutefois pas restitué le navire à l'échéance du contrat et un différend était né entre les parties quant au prix à payer pour le temps d'utilisation supplémentaire du navire. B______ LIMITED s'était acquittée d'un montant correspondant au prix de 8'000 USD qu'elle avait payé jusqu'alors, mais A______ LTD estimait qu'un montant supérieur était dû, soit une différence de 195'115 fr. 60 (216'095,04 USD). En vertu du droit anglais applicable, elle avait par ailleurs droit à des intérêts sur cette somme, soit 42'673 fr. 78 (47'267,04 USD). Elle avait en outre une créance relative aux coûts prévisibles de l'arbitrage de 112'142 fr. 22 (124'230,73 USD).

a.b Les parties avaient par ailleurs conclu un autre contrat d'affrètement portant sur le navire m/v E______ pour un durée d'une année, au prix de 8'150 USD par jour. B______ LIMITED avait payé 11 des 14 factures qui lui avaient été adressées depuis deux comptes ouverts en les livres de C______ à Genève.

Un différend était né entre les parties quant au nettoyage de la coque du bateau, en raison de son encrassement. B______ LIMITED avait refusé de prendre à sa charge le coût de remise en peinture de la coque après nettoyage ainsi que le temps perdu à attendre que le navire soit mis en cale sèche et divers autres frais, soit 537'379 fr. 27 (595'013,11 USD). Le navire avait été restitué avec 37 jours de retard et les parties divergeaient sur le montant du prix à payer pour ledit retard. La différence s'élevait à 195'581 fr. 28 (216'547,68 USD). Sur le total de ces deux montants de 811'560,79 USD, elle avait droit à des intérêts de 177'514,84 USD. Elle avait en outre une créance relative aux coûts prévisibles de l'arbitrage de 269'093 fr. 96 (297'951,42 USD).

a.c. B______ LIMITED lui avait adressé des factures, indues et "pour intimidation", sollicitant des paiements au crédit de son compte (IBAN 2______) auprès de C______, soit sa succursale de Genève.

B. Par ordonnance du 22 mai 2023, le Tribunal a rejeté la requête de séquestre et mis les frais judicaires, arrêtés à 1'500 fr., à la charge de A______ LTD.

Il a considéré que C______ ne possédait aucune succursale inscrite au Registre du commerce de Genève, mais uniquement des agences. La condition de la vraisemblance de biens à Genève n'était donc pas réalisée et le Tribunal n'était dès lors pas compétent selon l'art. 272 LP.

C. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 5 juin 2023, A______ LTD a formé recours contre cette ordonnance. Elle a conclu à son annulation et au prononcé du séquestre qu'elle avait requis devant le Tribunal.

Elle a déposé une pièce nouvelle.

b. La Cour a gardé la cause à juger le 15 juin 2023.

EN DROIT

1. 1.1 Contre une décision refusant un séquestre, qui est une décision finale en tant qu'elle met fin à l'instance d'un point de vue procédural, seul le recours est ouvert (art. 309 let. b ch. 6 et 319 let. a CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_508/2012 du 28 août 2012 consid. 3.2; Hohl, Procédure civile, tome II, 2010, n. 1646). La procédure sommaire est applicable (art. 251 let. a CPC).

Le recours, écrit et motivé, doit être formé dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

1.2 En l'espèce, déposé selon la forme et le délai prescrits, le recours est recevable.

1.3 Dans le cadre du recours, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

La pièce nouvelle produite par la recourante, à savoir un extrait du site internet de C______, est dès lors irrecevable, dans la mesure où, n'étant pas une information bénéficiant d'une empreinte officielle, il ne s'agit pas d'un fait qui peut être qualifié de notoire, contrairement à ce que soutient la recourante. La Cour examinera donc la cause sur la base du dossier dont disposait le Tribunal.

1.4 Le recours peut être formé pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). Selon la jurisprudence, des constatations de fait doivent être tenues pour manifestement inexactes lorsqu'elles sont arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 140 III 264 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4D_40/2015 du 13 novembre 2015 consid. 2).

1.5 Au stade de la requête et de l'ordonnance de séquestre, la procédure est unilatérale et le débiteur n'est pas entendu (art. 272 LP; ATF 133 III 589 consid. 1).

Dans le cadre du recours contre l'ordonnance de refus de séquestre, la procédure conserve ce caractère unilatéral, car, pour assurer son efficacité, le séquestre doit être exécuté à l'improviste; partant, il n'y a pas lieu d'inviter le débiteur à présenter ses observations (ATF 107 III 29 consid. 2 et 3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_344/2010 du 8 juin 2010 consid. 5, in RSPC 2010 p. 400 et 5A_279/2010 du 24 juin 2010 consid. 4). L'art. 322 CPC est par conséquent inapplicable dans un tel cas.

2. Le recourant fait grief au Tribunal d'avoir considéré que des biens se trouvant dans une agence bancaire ne pouvaient pas être séquestrés.

2.1 Selon l'art. 272 al. 1 LP, le séquestre est autorisé par le juge du for de la poursuite ou par le juge du lieu où se trouvent les biens, à condition que le créancier rende vraisemblable que sa créance existe (ch. 1), qu’on est en présence d’un cas de séquestre (ch. 2) et qu’il existe des biens appartenant au débiteur (ch. 3).

2.1.1 Le créancier d’une dette échue et non garantie par gage peut requérir le séquestre des biens du débiteur qui se trouvent en Suisse lorsque le débiteur n’habite pas en Suisse et qu’il n’y a pas d’autre cas de séquestre, pour autant que la créance ait un lien suffisant avec la Suisse ou qu’elle se fonde sur une reconnaissance de dette au sens de l’art. 82 al. 1 LP (art. 271 al. 1 ch. 4 LP).

2.1.2 Les créances non incorporées dans des papiers-valeurs sont en principe séquestrées au domicile de leur titulaire. Si celui-ci – comme en l'espèce – n'est pas domicilié en Suisse, la créance est séquestrée au domicile ou au siège du tiers débiteur en Suisse (ATF 137 III 625, JdT 2012 II 236).

Afin d'éviter tout séquestre investigatoire, le requérant doit rendre vraisemblable le lieu où sont localisés les droits patrimoniaux à séquestrer; s'agissant d'avoirs bancaires, il doit indiquer la banque dépositaire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_402/2008 consid. 3.1, in SJ 2009 I 301 et les citations).

Des difficultés surgissent lorsque le tiers débiteur, telle une banque, dispose de succursales ou d'agences; pour localiser la créance et, partant, pour savoir si un office des poursuites suisse est compétent, il convient préalablement de faire une distinction selon le lieu de situation en Suisse ou à l'étranger du siège et de la succursale (Ochsner, La poursuite contre le débiteur à l'étranger, JdT 2014 II 3, p. 29-30). Lorsque la banque possède son siège et des succursales en Suisse, un séquestre exécuté en main du siège suffit pour toucher également toutes les créances que le débiteur possède contre les succursales, à l'exception toutefois de celles découlant d'opérations (par exemple les relations de compte courant) dont la localisation à la succursale peut se faire de façon indiscutable. Ainsi, lorsque le débiteur à l'étranger tire sa créance de ses relations avec une succursale du tiers débiteur, le séquestre doit être ordonné et exécuté au siège de cette succursale. Il s'agit là toutefois d'une exception, et les faits qui la justifient doivent être prouvés et constituer indubitablement un point de rattachement prépondérant avec la succursale. Si tel n'est pas le cas, la compétence locale demeure au domicile ou au siège du tiers débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 5P.55/2003 du 16 mai 2003, cosnid. 3; ATF 128 III 473 consid. 3.1, JdT 2002 II 96; 107 III 147, JdT 1984 II 24; Ochsner, op. cit., p. 30).

S'agissant de la question de savoir si la jurisprudence précitée est également applicable à une agence qui n'est pas inscrite au Registre du commerce, la Cour de justice a jugé qu'il convenait de n'opérer aucune distinction entre le cocontractant d'une succursale, inscrite au Registre du commerce, et celui d'une agence, non inscrite audit registre (ACJC/932/2008 du 7 août 2008, consid. 3.2 et les références de doctrine citées).

2.2 En l'espèce, il résulte des pièces produites que B______ LIMITED a adressé à la recourante diverses factures en février et avril 2023, en relation avec la location du navire m/v D______, dont le paiement devait s'effectuer sur son compte bancaire [IBAN] 2______ ouvert en les livres de C______ à la rue 1______ no. ______ - no. ______ à Genève. B______ LIMITED a en outre payé au moyen dudit compte 12 des 18 factures relatives à la location du m/v D______ et 8 des 11 factures produites concernant le navire m/v E______. Elle a payé cinq factures au moyen d'un autre compte ouvert en les livres de C______ (IBAN 3______), dont la localisation n'est en revanche pas connue, contrairement à ce que soutient la recourante.

Au vu de ce qui précède, il doit être retenu que c'est l'agence genevoise qui est dépositaire d'avoirs à mettre sous main de justice, et avec laquelle existent les rapports entre la banque et sa cliente. Même si B______ LIMITED dispose d'avoirs dans une autre agence, ce sont ceux déposés à Genève qui ont été principalement utilisés en l'espèce. En outre, contrairement à ce que le Tribunal a considéré, le fait que l'établissement bancaire désigné comme abritant des avoirs de B______ LIMITED soit une agence plutôt qu'une succursale ne permet pas d'exclure la vraisemblance de l'existence de biens à Genève. L'ordonnance attaquée sera dès lors annulée pour ce motif.

Le Tribunal n'a pas examiné les conditions posées aux ch. 1 et 2 de l'art. 272 al. 1 LP, soit des questions essentielles pour l'octroi ou le refus du séquestre requis. Une urgence particulière ne s'y opposant pas, la cause sera dès lors renvoyée au Tribunal (comme le recourante y a d'ailleurs conclu à titre subsidiaire) pour qu'il examine la cause, afin de ne pas priver la requérante, ainsi que la débitrice désignée, d'un double degré de juridiction sur ces points.

L'ordonnance attaquée sera dès lors annulée et la cause sera renvoyée au Tribunal pour qu'il statue à nouveau dans le sens des considérants.

3. Au vu de l'issue du litige, les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., seront laissés à la charge de l'Etat de Genève en application de l'art. 107 al. 2 CPC (Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 37 ad art. 107 CPC). L'avance de frais de 3'000 fr. fournie par la recourante lui sera restituée.

Il ne sera pas alloué de dépens de recours, l'art. 107 al. 2 CPC ne permettant pas de mettre des dépens à la charge de l'Etat de Genève.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ LTD. contre l'ordonnance SQ/702/2023 rendue le 22 mai 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/10283/2023-25 SQP.

Au fond :

Annule cette ordonnance et, cela fait, renvoie la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 3'000 fr. et les met à la charge de l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 3'000 fr. à A______ LTD.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.