Décisions | Sommaires
ACJC/595/2018 du 08.05.2018 sur JTPI/1337/2018 ( SML ) , JUGE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/19392/2017 ACJC/595/2018 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile du MARDI 8 MAI 2018 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______, recourant contre un jugement rendu par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 26 janvier 2018, comparant par Me Sandy Zaech, avocate, boulevard Georges-Favon 19, case postale 5121, 1211 Genève 11, en l'étude de laquelle il fait élection de domicile,
et
Madame B______, domiciliée ______, intimée, comparant en personne.
A. a. Par acte déposé le 24 août 2017 au Tribunal de première instance, B______ a requis la mainlevée définitive de l'opposition formée par A______ au commandement de payer, poursuite n° 1______.
Elle a fait valoir que, par jugement du 11 février 2010, le Tribunal de première instance avait condamné A______ à verser 600 fr. par mois et pour chacun de leurs enfants. « Après calcul », elle réclamait « cette somme minimale de
80'000 fr., correspondant à la non-exécution de ce dit jugement par ce dernier ».
Elle a produit les titres suivants:
- le commandement de payer précité, établi le 5 décembre 2016 et notifié le
13 décembre 2016 à A______, qui a formé opposition; le commandement de payer mentionne, comme cause de l'obligation : « Non-paiement de pension alimentaire pour les deux enfants depuis 2001 » ;
- le jugement JTPI/1875/2010 rendu par le Tribunal de première instance le 11 février 2010 dans la cause C/2______, qui rejette les conclusions de B______ sur mesures provisoires, prononce le divorce de B______ et de A______, attribue à la mère l'autorité parentale et la garde des enfants C______, né le ______ 1995, et D______, né le ______ 1998, condamne A______ à verser à B______, à titre de contribution à l'entretien de leurs enfants, par mois, d'avance et par enfant, la somme de 600 fr. jusqu'à la majorité, voire au-delà mais jusqu'à 25 ans au plus si l'enfant bénéficiaire poursuit une formation professionnelle ou des études sérieuses et régulières (ch. 5 du dispositif) et donne acte à A______ et à B______ de ce qu'ils ont liquidé à l'amiable leur régime matrimonial et de ce qu'ils n'ont plus aucune prétention à faire valoir l'un envers l'autre de ce chef;
- un extrait du Registre foncier relatif à l'immeuble n° 3______ situé à
E______ [GE], appartenant à A______.
b. Les faits pertinents suivants résultent en outre du jugement de divorce précité :
- B______ et A______ s'étaient séparés en 2001;
- par jugement sur mesures protectrices du 31 janvier 2002, le Tribunal avait notamment condamné A______ à verser à B______, par mois et d'avance, allocations familiales non comprises, la somme de 2'115 fr. à titre de contribution à l'entretien de sa famille;
- le 9 juillet 2007, B______ avait formé à l'encontre de A______ une demande unilatérale en divorce;
- par jugement sur mesures provisoires du 24 avril 2008, le Tribunal avait notamment condamné A______ à verser une contribution à l'entretien de sa famille de 1'100 fr. dès le 9 juillet 2007;
- dans le cadre de la procédure de divorce, B______ avait pris des conclusions sur nouvelles mesures provisoires, en concluant à ce que A______ soit condamné à lui verser une contribution à l'entretien de la famille de 4'500 fr. par mois avec effet au 1er décembre 2008.
c. Lors de l'audience de mainlevée du Tribunal du 26 janvier 2018, B______ n'était ni présente ni représentée.
A______ a conclu au rejet de la requête de mainlevée. Il a fait valoir, d'une part, que les enfants concernés étaient majeurs, de sorte que c'était « à eux d'agir », et, d'autre part, que la créance était « en partie prescrite ».
Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.
B. Par jugement JTPI/1337/2018 du 26 janvier 2018, reçu par A______ le 7 février 2018, le Tribunal a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______ (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 500 fr. (ch. 2), mis à la charge de A______, condamné ainsi à verser à l'État de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 500 fr. (ch. 3).
C. Par acte expédié le 19 février 2018 à la Cour de justice, A______ forme recours contre le jugement précité, dont il requiert l'annulation. Il conclut, avec suite de frais judiciaires et dépens, principalement, à ce que la Cour dise et constate que la requête de mainlevée est irrecevable et que son opposition « est maintenue » et déboute B______ de toutes ses conclusions. Subsidiairement, il conclut à ce que la Cour, préalablement, dise et constate que la créance est « en partie prescrite et que la créance invocable à son encontre s'élève à 46'200 fr. « maximum » », dise et constate que son opposition « est maintenue » et déboute B______ de toutes ses conclusions.
Il produit des pièces nouvelles (pièces 3 à 11 et pièce 13) et forme des allégués nouveaux.
Par arrêt ACJC/318/2018 du 15 mars 2018, la Cour a admis la requête de A______ tendant à suspendre l'effet exécutoire attaché au jugement du Tribunal du 26 janvier 2018 et a dit qu'il serait statué sur les frais liés à la décision dans l'arrêt rendu sur le fond.
B______ n'a pas répondu au recours et les parties ont été informées le 27 mars 2018 de ce que la cause était gardée à juger.
1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique (art. 251 let. a CPC).
Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, pour les décisions prises en procédure sommaire.
En l'espèce, le recours a été interjeté dans le délai (cf. également art. 142 al. 3 CPC) et selon la forme prévue par la loi, de sorte qu'il est recevable.
1.2 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par la partie recourante (HOHL, Procédure civile, Tome II, 2ème éd. Berne, 2010, n° 2307).
Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 lit. a a contrario et 58 al. 1 CPC).
1.3 Les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC). Partant, pour examiner si la loi a été violée, la Cour doit se placer dans la situation où se trouvait le premier juge lorsqu'il a rendu la décision attaquée.
En l'espèce, les pièces nouvelles 3 à 11 et 13 déposées par le recourant sont ainsi irrecevables, comme les faits visés par celles-ci.
2. Le recourant fait grief au Tribunal d'avoir violé les art. 80 al. 1 LP et 128 al. 2 CO. Il fait valoir que les indications figurant dans la réquisition de poursuite sont « contradictoires et incomplètes » et que les informations fournies dans la requête de mainlevée sont « imprécises, voire inexistantes ». Par ailleurs, à son avis, l'intimée, en raison de la prescription, ne pourrait réclamer le recouvrement des pensions alimentaires qu'à partir de début septembre 2011. Pour le reste, son argumentation repose sur des faits nouveaux et des pièces nouvelles irrecevables.
2.1.1 Selon l'art. 80 al. 1 LP, le créancier qui est au bénéfice d'un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition. Un jugement portant condamnation à verser une contribution d'entretien constitue un titre de mainlevée définitive tant qu'il n'a pas été modifié par un nouveau jugement entré en force de chose jugée (ATF 118 II 228 consid. 3b; arrêt du Tribunal fédéral 5A_311/2012 du 15 mai 2013 consid. 4.2).
Lorsque la poursuite est fondée sur un jugement exécutoire rendu par un tribunal ou une autorité administrative suisse, le juge ordonne la mainlevée définitive de l'opposition, à moins que l'opposant ne prouve par titre que la dette a été éteinte ou qu'il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement, ou qu'il ne se prévale de la prescription (art. 81 al. 1 LP).
La procédure de mainlevée est une pure procédure d'exécution forcée (ATF 94 I 365 consid. 6), un incident de la poursuite. Dans la procédure de mainlevée définitive, le juge se limite à examiner le jugement exécutoire ou les titres y assimilés, ainsi que les trois identités - l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans le titre (ATF 140 III 372 consid. 3.1), l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et le titre qui lui est présenté - et à statuer sur le droit du créancier de poursuivre le débiteur, c'est-à-dire à décider si l'opposition doit ou ne doit pas être maintenue (ATF 139 III 444 consid. 4.1.1). Il n'a ni à revoir ni à interpréter le titre qui lui est soumis (ATF 140 III 180 consid. 5.2.1, 124 III 501 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_58/2015 du 28 avril 2015 consid. 3 non publié in ATF
141 III 185).
Lorsque le créancier fait valoir des contributions périodiques, le défaut de précision quant aux périodes concernées conduira au rejet de la mainlevée, dès lors que le juge ne peut vérifier l'identité entre les créances déduites en poursuite et le titre (ABBET/VEUILLET, La mainlevée de l'opposition, Berne 2017, n. 91 ad art. 80 LP).
Après sa majorité, l'enfant a seul la qualité de créancier et de poursuivant, y compris pour faire valoir les contributions échues durant la minorité. La mainlevée doit ainsi être refusée si la poursuite est introduite par l'ancien titulaire de l'autorité parentale ou de la garde (ABBET/VEUILLET, op. cit., n° 80 ad art. 80 LP).
Enfin, pour faire échec à la mainlevée, le poursuivi peut faire valoir la prescription de la créance. La prescription permet de paralyser le droit d'action lié à une créance : une fois acquise et invoquée, la créance subsiste comme obligation naturelle et n'est ainsi plus susceptible d'exécution forcée. La prescription doit être invoquée par le poursuivi, le juge de la mainlevée ne pouvant y suppléer d'office (ABBET/VEUILLET, op. cit., n° 137 ad art. 82 LP).
2.1.2 Depuis l'entrée en vigueur du nouveau droit de l'entretien de l'enfant, le 1er janvier 2017, la loi consacre expressément la priorité de l'entretien de l'enfant sur celui du conjoint (art. 276a al. 1 CC). Cette injonction du législateur souligne que les contributions d'entretien doivent être fixées séparément pour chaque ayant-droit. Cela découle du fondement différent des obligations. Ce principe était également applicable avant le nouveau droit de l'entretien de l'enfant, même s'il n'était pas nécessairement respecté dans la pratique (DESCHENAUX/STEINAUER/ BADDELEY, Les effets du mariage, 3ème éd. 2017, n. 629-630). Le Tribunal fédéral considérait que la possibilité de fixer une contribution d'entretien globale pour l'ensemble de la famille n'aboutissait pas à un résultat arbitraire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_743/2012 du 6 mars 2013 consid. 6.2.2).
A la liquidation du régime matrimonial, les époux règlent leurs dettes réciproques (art. 205 al. 3 CC). Des prestations d'entretien demeurées impayées sont des dettes réciproques au sens de l'art. 205 al. 3 CC. En tant que telles, elles rentrent dans la liquidation du régime matrimonial après sa dissolution. La créance d'entretien allouée en tant que mesure protectrice de l'union conjugale fait partie des acquêts de l'époux créancier. Lorsque les parties déclarent que le régime matrimonial est liquidé, elles ne peuvent plus faire valoir de prétentions l'une envers l'autre à ce titre. Il n'est plus possible de faire valoir des créances d'entretien nées pendant la période de séparation et demeurées impayées (arrêt du Tribunal fédéral 5A_803/2010 du 3 décembre 2010 consid. 3.2.1, résumé par FOUNTOULAKIS/ PICHONNAZ, Résumés des jurisprudences fédérale et cantonale en droit de la famille, in Droit de la famille et nouvelle procédure, 2012, p. 284-285, ch. 51).
2.2 En l'espèce, la poursuite vise des contributions d'entretien dues à deux enfants qui étaient majeurs lors du dépôt de la réquisition de poursuite. Ainsi, l'intimée ne disposait plus du droit d'agir et de poursuivre en son nom pour le compte des enfants. La mainlevée devait être refusée pour ce motif déjà.
De plus, dans la réquisition de poursuite, l'intimée a mentionné qu'elle réclamait au recourant 80'000 fr. à titre d'arriéré de pensions alimentaires pour les enfants depuis 2001. Dans la requête de mainlevée, elle a précisé que la somme précitée correspondait au montant non versé par le recourant sur la base du jugement de divorce du 11 février 2010, condamnant celui-ci à verser une contribution mensuelle de 600 fr. par enfant. Or, le jugement de divorce ne fixe les contributions à l'entretien des enfants qu'à partir de 2010. Il n'y a ainsi pas identité entre la prétention déduite en poursuite (80'000 fr. d'arriéré de pension pour les enfants depuis 2001) et le titre invoqué (un jugement fixant les contributions d'entretien des enfants à partir de 2010). En outre, l'intimée ne se réfère pas aux décisions rendues en 2002 et en 2008 sur mesures protectrices, respectivement sur mesures provisoires. Selon les principes rappelés ci-dessus sous consid. 2.1.2, une partie pour le moins des contributions fixées dans ces décisions - à savoir celle destinée à l'entretien de l'épouse - serait de toute façon couverte par la renonciation à toute prétention dans la liquidation du régime matrimonial. La mainlevée devait être refusée pour ces motifs également.
Au vu de ce qui précède, la requête de mainlevée aurait dû être rejetée (et non pas déclarée irrecevable comme le soutient le recourant).
Il est ainsi superflu d'examiner l'exception de prescription soulevée par le recourant.
En définitive, le jugement attaqué sera annulé et l'intimée sera déboutée des fins de sa requête en mainlevée.
3. 3.1 Lorsque l'instance de recours statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC par analogie). Le jugement entrepris étant annulé, les frais judiciaires de première instance, fixés à 500 fr. (art. 48 OELP), seront mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance de frais fournie par celle-ci, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
L'intimée sera également condamnée à verser au recourant 1'200 fr. débours et TVA compris, à titre de dépens de première instance (art. 84, 85 et 89 RTFMC; art. 23 al. 1, 25 et 26 LACC).
3.2 Les frais judiciaires du recours seront arrêtés à 750 fr. (art. 48 et 61 OELP), compensés avec l'avance de frais du même montant versée par le recourant, acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC). Ils seront mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et qui sera en conséquence condamnée à restituer ledit montant au recourant (art. 111 al. 2 CPC).
Enfin, l'intimée sera également condamnée aux dépens du recourant, arrêtés à 800 fr. débours et TVA compris (art. 84, 85, 89 et 90 RTFMC; art. 23 al. 1,
25 et 26 LACC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté le 19 février 2018 par A______ contre le jugement JTPI/1337/2018 rendu le 26 janvier 2018 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19392/2017-20 SML.
Au fond :
Annule le jugement attaqué et, statuant à nouveau :
Déboute B______ des fins de sa requête de mainlevée définitive du 24 août 2017.
Arrête les frais judiciaires de première instance à 500 fr., les met à la charge de B______ et les compense avec l'avance fournie, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève.
Condamne B______ à verser à A______ 1'200 fr. à titre de dépens de première instance.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires du recours à 750 fr., les met à la charge de B______ et les compense avec l'avance fournie, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.
Condamne B______ à verser à A______ 750 fr. à titre de frais judiciaires du recours et 800 fr. à titre de dépens du recours.
Siégeant :
Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Céline FERREIRA, greffière.
La présidente : Nathalie LANDRY-BARTHE |
| La greffière : Céline FERREIRA |
Indication des voies de recours:
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.