Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/766/2025 du 24.09.2025 sur OMP/15969/2025 ( MP ) , ADMIS
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/1754/2020 ACPR/766/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 24 septembre 2025 |
Entre
A______ et B______,
représentés tous deux par Me Carlo CECCARELLI, avocat, FABBRO & PARTNERS, avenue du Théâtre 14, case postale 595, 1001 Lausanne,
recourants,
contre l'ordonnance de levée partielle de séquestre (OMP/15969/2025) rendue le 1er juillet 2025 par le Ministère public,
et
C______, représentée par Me Cédric BERGER, avocat, KÖSTENBAUM & ASSOCIÉS SA, rue François-Bellot 12, case postale 3397, 1211 Genève 3,
D______, représentée Me Ilir CENKO, avocat, RENOLD ET ASSOCIÉS, boulevard des Philosophes 15, 1205 Genève,
E______, représenté par Me Grégoire MANGEAT, avocat, MANGEAT AVOCATS SÀRL, rue de Chantepoulet 1, 1211 Genève 1,
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimés.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 14 juillet 2025, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 1er juillet 2025, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a levé le séquestre frappant six tableaux ("F______", "G______", "H______", "I______", "J______" et "K______"), situés respectivement en Belgique et en France.
Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, principalement à la réforme de l'ordonnance querellée, en ce sens que le séquestre est maintenu, subsidiairement, à son annulation et au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
b. Par ordonnance du 16 juillet 2025 (OCPR/38/2025), la Direction de la procédure a accordé l'effet suspensif au recours et maintenu le séquestre jusqu'à droit jugé.
c. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 2'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Les 13 et 22 janvier 2020, B______ a déposé plainte pénale, au motif que trente-deux tableaux hérités par sa femme, A______, dans le cadre de la succession de feu L______, et dont elle lui avait fait donation, avaient été transférés à Genève afin d'être mis en dépôt en vue de l’obtention d’un crédit lombard, mais allaient prochainement être mis en vente, sans son accord, à la suite d’un montage fallacieusement élaboré par D______ pour spolier le couple, à travers la société M______ SA et avec la participation de E______, de la société N______ SÀRL, à O______, et de P______, directeur de la banque Q______, à Genève.
b. Le 28 janvier 2020, le Ministère public a ordonné une perquisition des locaux de R______ SA (ci-après : R______), où les œuvres étaient censément entreposées. Vingt-quatre d’entre elles ont pu être séquestrées à des fins conservatoires.
c. Selon la documentation de l’entrepositaire, cinq tableaux se trouvaient en Belgique, en mains de la société C______ (ci-après: C______), soit "F______", "G______", "H______", "I______" et "J______" des peintres S______ et T______, et un à O______, "K______", du peintre U______, en mains de la galerie V______ (ci-après, V______). Tous avaient été vendus par N______ SÀRL, présentée comme leur propriétaire.
d. Le 30 janvier 2020, deux commissions rogatoires internationales ont été décernées respectivement à O______ (France) et à W______ (Belgique), afin de séquestrer ces tableaux et d’entendre les acquéreurs.
d.a. Entendu par les autorités belges le 18 juin 2020 (PP 322'079 ss.), X______, administrateur et actionnaire principal de C______, a expliqué avoir acquis en copropriété avec V______ les cinq tableaux saisis en Belgique. Il a justifié par pièces avoir payé EUR 212'500.- en tout à V______, en novembre-décembre 2019. Il supposait que les tableaux avaient été achetés par l’intermédiaire de N______ SÀRL, mais ne connaissait pas E______.
d.b. Entendu par les autorités françaises le 19 octobre 2021 (cote c.r.i. D60/1 ss.), Y______, gérant et associé unique de V______, a déclaré avoir acquis le tableau de U______ par l'intermédiaire de E______, avec lequel il avait déjà fait affaire, en août 2019, pour le prix de EUR 350'000.-, montant sur lequel il a justifié par pièces avoir payé EUR 325'000.- à N______ SÀRL. E______ lui avait exhibé un mandat de vente émanant des héritiers du propriétaire, et lui-même avait obtenu un certificat d’authenticité auprès de l'atelier U______ à O______. Il avait fait restaurer le tableau, avant de le vendre à la galerie C______, au mois d’octobre 2020, en échange de dix œuvres d’un autre artiste, valant EUR 263'000.-, et d’une soulte de EUR 87'000.-. Par la suite, il avait acquis pour EUR 425'000.- (EUR 400'000.- pour les S______ et EUR 25'000.- pour les deux T______), partagés par moitié avec la galerie C______, les cinq autres tableaux qui se trouvaient en Belgique, eux aussi proposés par E______. Ces œuvres, entreposées à Genève et qu'il avait personnellement examinées, étaient répertoriées dans les catalogues raisonnés des artistes concernés.
e. Selon les rapports de police des 21 février 2020 (PP 400'701 ss.) et 24 août 2021 (PP 401'001 ss.), les tableaux avaient donné lieu aux entrées de fonds suivantes, en provenance de N______ SÀRL:
- sur un compte bancaire dont B______ était l’ayant droit économique, à Genève : EUR 200'000.-, le 15 octobre 2019, pour le tableau saisi à O______ ("K______"), et EUR 329'997.-, les 18/19 novembre 2019, pour trois des œuvres saisies en Belgique du peintre S______ ;
- sur un compte bancaire de D______, à Genève, le 13 décembre 2019 : CHF 24'354.- [contre-valeur de EUR 25'000.-, PP 353'059], pour le prix des deux autres tableaux saisis en Belgique (peintre T______).
e.a. Les montants versés pour les œuvres de U______ et de S______ correspondaient à ceux des factures par lesquelles B______ avait remis les œuvres à N______ SÀRL (PP 400'727 ; 400'731). En revanche, les prix obtenus par cette dernière auprès de V______ avaient été de EUR 350'000.- pour le U______
(+ EUR 125'000.-) et de EUR 400'000.- pour les S______ (+ EUR 70'000.-).
e.b. L’inventaire de l’entrepositaire genevois (PP 400'260 ss.) donnait pour valeur des S______, EUR 250'000.-, EUR 250'000.- et EUR 200'000.- ; des T______, EUR 25'000.- chacun ; et du U______, EUR 150'000.-. Tous ces montants étaient ceux annoncés par B______, sous la signature de D______ (PP 400'280 ss.).
e.c. Par ailleurs, sur une liste non datée et non signée, destinée à « la banque » sans autre précision (PP 400'400 ss.), deux des S______ précités figuraient pour EUR 650'000.-, et le troisième pour EUR 1'100'000.-. L’un des T______ est estimé à EUR 70'000.-, et l’autre à EUR 60'000.-.
e.d. Aucune demande de crédit lombard en lien avec les tableaux ne ressortait de la documentation bancaire obtenue (PP 400'707). Selon un représentant de la banque, le couple B______/A______ souhaitait, au contraire, vendre les tableaux rapidement, et l’estimation entre EUR 10 et 12 millions qu’en avait donnée E______ avait fait se récrier A______, qui en attendait au minimum EUR 29 millions (PP 400'811 ss.). Selon D______ (PP 500'007), le crédit lombard accordé à B______ l’avait été par une autre banque [ce qu’un rapport de police confirme (pièce PP 400'702)], pour l’acquisition d’un chalet, moyennant nantissement d’obligations, et la maison de AK______ [Italie] devait servir à obtenir un crédit hypothécaire.
e.e. Enfin, sur une liste d’œuvres à assurer en vue d’une exposition à une date inconnue, en Italie (PP 500'024 ss.), et dont une copie était signée au nom de M______ SA le 15 juillet 2019 (PP 400'716 ss.), deux des S______ étaient répertoriés, à raison de EUR 650'000.- chacun, ainsi que les T______, pour EUR 150'000.- chacun.
f. Les 28 février et 14 juillet 2020, le Ministère public a prévenu D______ d'abus de confiance, escroquerie, faux dans les titres et gestion déloyale, pour avoir disposé sans droit des tableaux confiés par B______ et falsifié à cette fin un document autorisant leur vente.
g. Le 14 juin 2021, la police a entendu E______ en qualité de prévenu (PP 401'104 ss.). Celui-ci a déclaré avoir évalué entre EUR 7 et 9 millions la totalité des œuvres dont souhaitait se défaire A______. À travers N______ SÀRL, il s’était porté acquéreur de certaines d'entre elles, aux prix du marché, après avoir demandé des estimations chez Z______, dans le but de les revendre. Il n’avait traité qu’avec D______, mandataire du couple B______/A______. Si les œuvres avaient été vendues aux enchères par Z______, les commissions prélevées auraient atteint 30% auprès de l’acheteur et 10% auprès du vendeur, lui-même s’étant contenté de moins. Il n’avait jamais participé à un crédit lombard sur des œuvres d’art, mais avait compris que B______ souhaitait nantir une maison à AK______.
h. Par ordonnance du 21 mars 2022, le Ministère public a formellement admis A______ comme partie plaignante et nié à B______ cette qualité, au motif que la donation effectuée en faveur de ce dernier était frappée de nullité. Par arrêt du 26 septembre 2022 (ACPR/652/2022), la Chambre de céans a partiellement annulé cette ordonnance, mais relevé que B______ ne contestait pas son bien-fondé en ce qui concernait les agissements de D______ en lien avec l'appropriation des tableaux, dont il admettait qu'ils n'avaient jamais cessé d'être la propriété de son épouse.
i. Après avoir essuyé un premier refus relatif aux cinq œuvres saisies en Belgique (PP 306'000 et 602'010 ss.), C______ et V______ ont demandé le 22 mars 2022 la levée du séquestre prononcé sur tous les tableaux (pièces 602'066 ss.).
j. Par ordonnance du 24 août 2022, le Ministère public a levé le séquestre sur les œuvres de S______ et T______ situées en Belgique et de U______ située à O______, au motif que C______ et V______ les avaient acquises de bonne foi et en ayant fourni une contre-prestation adéquate.
k. Le 5 septembre 2022, A______ a formé recours contre cette ordonnance.
l. Par arrêt (ACPR/840/2022) du 29 novembre 2022, confirmé par le Tribunal fédéral (arrêt 7B_17/2022 du 18 juillet 2023), la Chambre de céans a admis le recours, estimant que la situation était loin d'être claire et que la bonne foi des acquéreurs, en tant que professionnels du marché de l’art, n'était, en l’état, pas démontrée.
La procédure n'était en effet pas dénuée d'éléments dans le sens que le prix payé par C______ et V______ pour acquérir les œuvres constituait un indice de leur mauvaise foi. Les écarts et contradictions entre les prix empochés par N______ SÀRL et ceux encaissés par C______ et V______ ne trouvaient aucune explication dans le dossier. En n'examinant que les prix et factures entre N______ SÀRL, d'une part, et C______ et V______, d'autre part, le Ministère public avait perdu de vue la présomption d’inadéquation qui émergeait des chiffres précédents, entre les estimations, basses, que E______ avait données aux détenteurs initiaux des tableaux ; les montants, supérieurs, qu’il avait obtenus de C______ et V______, à l’insu de A______ et B______ ; et les estimations considérablement plus élevées des œuvres figurant dans d’autres documents (listes et inventaires) versés au dossier.
Il ne pouvait dès lors être exclu que C______ et V______ eussent acquis les tableaux à des conditions plus avantageuses que celles du marché et qu'ils eussent exploité la situation à leur profit, dès lors que D______ était une gérante de fortune dépourvue d’expérience dans le domaine pictural et que E______ apparaissait plus comme un courtier en art contemporain qu’un expert des peintres concernés.
Le Tribunal fédéral a ajouté qu'il existait un possible conflit d'intérêts au motif que le précédent conseil de C______ était également constitué à la défense de V______, de N______ SÀRL et de E______.
m. Entendus par le Ministère public les 23 et 24 janvier 2024 (PP 500'096 ss.):
m.a. D______ a contesté avoir mis des tableaux en garantie en vue d'obtenir un prêt. B______ avait, à plusieurs reprises, donné des instructions "d'avance" de paiement qui étaient systématiquement suivies d'un appel de la banque pour confirmation. Autant A______ que B______ étaient au courant de la vente des tableaux (PP 500'143). Le montant (EUR 25'000.-) issu de la vente des deux œuvres T______ à N______ SÀRL avait été versé sur son compte, en lien avec une commission liée aux paiements en cash qu'elle effectuait pour le compte de B______ pour les travaux de sa maison à AA_____ [Italie] (PP 500'147).
m.b. E______ a expliqué avoir procédé à l'estimation du prix des tableaux au travers de la base de données "AB_____", laquelle recensait toutes les ventes aux enchères. Il avait fait la rencontre de B______ et A______ à AC_____, dans le but d'acquérir certaines œuvres, et cette dernière lui avait indiqué leur provenance. Dans les semaines qui avaient suivi, il avait demandé à D______ la documentation autorisant celle-ci à procéder à la vente et à ce que les tableaux soient transférés aux Ports Francs à Genève en vue de leur expertise. En novembre 2019, il avait reçu un appel de A______ qui lui réclamait des tableaux. Ayant payé pour ceux-ci, il n'avait pas compris ce qu'il se passait. Pour vendre les œuvres aux galeries, il les avait présentées avec un "factsheet", comprenant une photographie de celles-ci, leurs détails ainsi que les évènements dans lesquels elles avaient été exposées et la littérature y relative. Il n'avait pas présenté d'autres documents, le milieu de l'art étant un domaine où l'on se faisait confiance et étant lui-même reconnu (PP 500'150 ss.). Il avait demandé des précisions à D______ s'agissant du versement du prix de vente des tableaux T______ sur son compte personnel et cette dernière lui avait indiqué que c'était sur demande de B______ qu'ils devaient procéder de la sorte. Il s'était au demeurant fié au fait qu'elle était au bénéfice d'autorisations pour les vendre et qu'il avait déjà acheté plusieurs œuvres par son intermédiaire. Il contestait avoir encaissé le prix d'oeuvres avant d'en devenir le propriétaire (PP 500'155).
m.c. B______ a confirmé avoir reçu de nombreux documents de la part de D______. Lui faisant confiance, il en avait signé certains. Il contestait avoir eu connaissance de la vente des tableaux (PP 500'149).
n. Par courrier du 31 octobre 2024 (PP 611'010), C______ a requis la levée des séquestres sur les œuvres des peintres S______, T______ et U______ valablement acquises en 2020, ainsi que l'audition de X______ afin que ce dernier complétât ses précédentes déclarations et clarifiât les points sur lesquels la Chambre de céans, puis le Tribunal fédéral, s'étaient basés pour annuler l'ordonnance de levée des séquestres du 24 août 2022.
o. Entendu par le Ministère public le 2 avril 2025 (PP 500'413), X______ a indiqué qu'il travaillait souvent avec Y______, qu'il connaissait depuis 25 ans, avec lequel il avait noué une relation amicale et auquel il faisait confiance. Ils n'avaient jamais connu de problèmes durant leur collaboration. Ce dernier, en sa qualité de marchand d'art, rencontrait beaucoup de personnes qui possédaient des collections d'art et achetait et revendait des œuvres, prenant au passage une commission. Il était lui-même galeriste et non marchand d'art. Au fil des années, Y______ lui avait proposé des affaires. Celui-ci achetait des œuvres selon ses inspirations, puis lui en parlait, lui indiquait le prix net et lui montrait des photographies. S'il était intéressé, Y______ négociait le prix de vente avec le vendeur. Il connaissait la société N______ SÀRL, mais dans la seule mesure où Y______ lui avait donné instruction de la payer à une ou deux reprises. Il n'avait jamais eu de contact avec E______ et avait acheté les œuvres faisant l'objet d'un séquestre à Y______. Il ne connaissait pas D______, avec laquelle il n'avait jamais échangé. S'il avait payé uniquement la moitié des œuvres "F______", "G______", "H______", "I______" et "J______" à V______, c'est parce qu'ils étaient alors partenaires et que le but était de partager le bénéfice au moment de la revente. Une telle façon de faire était "classique" dans le marché de l'art. Il ne procédait ainsi qu'avec cinq ou six personnes et il n'était pas nécessaire de définir précisément les modalités. Celui qui achetait payait tout et le partage des frais était effectué par la suite.
Il disposait d'une bibliothèque de plus de 350 mètres "courants" et, lorsqu'il recevait des photographies des œuvres, ses assistants effectuaient des recherches, les documentaient et préparaient un dossier, avant même l'acquisition. En cas de moindre doute, il n'achetait pas l'œuvre. S'agissant du tableau du peintre U______, il l'avait racheté à Y______ en 2020, après que ce dernier l'eut restauré et authentifié, et il ignorait pour quel montant E______ l'avait acheté.
Il lui arrivait d'acquérir des œuvres sans certificat lorsqu'il était convaincu de leur authenticité, en raison de la documentation qu'il avait pu obtenir par ses propres recherches. Deux tiers des acquisitions qu'il effectuait provenaient de collections privées qui n'avaient pas fait l'objet d'authentifications. Il réalisait entre 800 et 1'400 ventes par année.
Le tableau "S______/AD_____" était en très mauvais état en raison de la couleur qui était passée et devait être examiné par des experts. La restauration des œuvres avait pour effet d'en diminuer la valeur en raison de la peinture ajoutée qui n'était pas d'origine. Les estimations d'œuvres effectuées à partir d'extrapolations selon des œuvres de taille similaire ne constituaient pas une façon fiable de procéder. Enfin, s'agissant des montants d'estimations issus d'un document intitulé "Lista opere da assicurare per mostra a palazzo AE_____" (PP 351'113), ils n'avaient rien à voir avec de vraies valeurs et ne semblaient pas correspondre aux prix du marché.
p. Par courrier du 28 mai 2025, le Ministère public a imparti un délai au 16 juin 2025 aux parties pour faire part de leurs éventuelles observations à la suite de la demande de levée des séquestres du 31 octobre 2024, faute de quoi il retiendrait que les conclusions prises par A______, le 30 juin 2022, et E______, le 13 juin 2022, ainsi que les déterminations dans le cadre du recours au Tribunal fédéral, restaient valables.
q. Par courrier du 5 juin 2025, C______ a relevé que les éventuels doutes s'agissant de sa bonne foi avaient été levés, notamment à la suite de l'audition de X______. Il n'avait en effet pas été démontré que des actes pénalement répréhensibles avaient été commis en amont de l'acquisition des œuvres litigieuses et il avait été établi qu'elle n'en aurait dans tous les cas eu aucune connaissance. Elle bénéficiait d'une expérience de plus de 35 ans dans le domaine de l'art, d'une "réputation sans faille" et vérifiait personnellement, avec son équipe, l'origine des œuvres, ce qui avait été le cas pour les T______. En cas de doute, elle ne procédait pas à l'achat. Les acquisitions avaient été effectuées auprès de V______, avec laquelle elle avait eu souvent l'occasion de commercer, et elle n'avait eu aucun rapport avec D______, de sorte que le fait que cette dernière avait reçu un paiement pour les tableaux T______ ne pouvait lui être reproché. Elle n'avait ainsi aucune raison de douter de leur provenance et avait fait preuve de toute la diligence requise à cet égard.
La collection L______ était loin d'être aussi "légendaire" que le prétendaient les plaignants et le fait que l'œuvre provint de celle-ci ne signifiait pas que sa valeur serait plus élevée que le prix du marché. La restauration de l'œuvre U______ n'avait aucunement été effectuée pour la rendre moins reconnaissable, mais pour lui redonner une apparence plus proche de celle d'origine. Le montant payé par V______ pour les tableaux T______ et S______ correspondait à la valorisation effectuée par la maison Z______ et elle-même s'était acquittée de la moitié du prix, en devenant copropriétaire. S'agissant des œuvres S______, elles figuraient dans le catalogue raisonné des artistes respectifs, lequel constituait un outil permettant de présumer qu'elles étaient authentiques. Enfin, les œuvres T______ étaient connues de tous, de sorte que le certificat d'authenticité n'était pas nécessaire, étant rappelé que la majorité des transactions s'effectuait en l'absence d'un tel certificat.
Elle avait ainsi acheté les œuvres au prix du marché, lequel avait baissé depuis les acquisitions. Les estimations sur lesquelles se fondaient les plaignants n'étaient au demeurant pas pertinentes. En effet, les documents R______ avaient été établis de façon unilatérale et ne correspondaient pas à une estimation sérieuse. Quant à celles de AF_____, elles étaient "fantaisistes" et ne tenaient pas compte de la baisse du marché de l'art intervenue avant les ventes litigieuses. Les listes non datées des banques et de l'assurance étaient incompréhensibles et dénuées de toute crédibilité. En outre, les estimations provenant de "AB_____" ne pouvaient être suivies, puisqu'elles portaient sur des tableaux de tailles et de qualités différentes.
Enfin, aucun conflit d'intérêts ne pouvait être retenu, dans la mesure où elle était désormais assistée de son propre avocat et où elle n'avait, à aucun moment, été en contact avec N______ SÀRL ou E______.
Elle a annexé plusieurs pièces, selon lesquelles Y______ avait entrepris plusieurs démarches en vue d'authentifier l'œuvre U______, authentification attestée le 3 juillet 2020 par le Comité U______, lequel s'était rendu dans un show-room à AC_____ afin de l'examiner.
r. Dans ses observations du 16 juin 2025, A______ et B______ ont conclu au rejet des demandes de levée des séquestres et à la restitution immédiate des œuvres. Les faits de la procédure étaient complexes, touchant à des questions de protection de la propriété privée, d'intégrité du marché de l'art et des devoirs professionnels. X______ et Y______, qui avaient acquis les œuvres litigieuses pour moitié chacun, n'avaient effectué aucun contrôle sur l'origine de celles-ci et les avaient achetées à des prix très inférieurs à ceux du marché, en l'absence de due diligence, puisqu'ils n'avaient pas demandé et reçu les documents attestant leur authenticité. Leur bonne foi devait dès lors être exclue. Ils avaient à tout le moins fait preuve d'une négligence coupable, en leur qualité de professionnels dans le marché de l'art, en ne vérifiant ni la provenance légale des œuvres ni le droit de D______ ou de E______ de disposer de celles-ci. Il n'était également pas exclu que X______ et Y______ eussent violé les dispositions sur le blanchiment d'argent.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient qu'il résultait des auditions de X______ et de Y______ que ces derniers avaient acquis les tableaux par l'intermédiaire de N______ SÀRL, Y______ connaissant E______ depuis plusieurs années et ayant conclu au préalable d'autres affaires avec lui. Ce dernier avait présenté à Y______ un mandat remis par D______, elle-même mandatée par A______ et B______, justifiant la propriété des œuvres, et Y______ s'était rendu en personne à AC_____ et à Genève pour examiner les tableaux.
X______ connaissait Y______ depuis plus de 25 ans et n'avait jamais connu le moindre problème, qualifiant leur relation de "parcours sans faille". Selon lui, il était courant d'acquérir des œuvres en copropriété et 80% des acquisitions étaient effectuées sans que les œuvres ne disposent de certificat d'authentification, lequel ne constituait pas un prérequis pour l'achat.
Les différentes listes figurant au dossier et comportant une estimation de la valeur des tableaux divergeaient tant par la date de leur création, lorsque celle-ci était connue, que par la personne qui les avait établies et par leur montant. Elles ne pouvaient dès lors refléter avec précision la valeur des œuvres sur le marché de la vente au moment où les œuvres avaient été acquises. Ainsi, le critère de la contre-prestation ne pouvait être défini à leur aune. Dans tous les cas, aucun élément ne permettait de retenir que Y______ ou X______ avait eu connaissance de ces listes lors des achats litigieux et il ne pouvait dès lors leur être reproché d'avoir acquis les tableaux à des conditions plus avantageuses que celles du marché, en exploitant à leur profit la situation générale. Ils pouvaient ainsi se prévaloir de leur bonne foi et avaient démontré avoir fourni une contre-prestation adéquate au vu des circonstances entourant la vente, ce qui justifiait la levée des séquestres.
Toutefois, dans la mesure où A______ et B______ avaient également conclu à la restitution immédiate des œuvres et où il n'était pas exclu que des problématiques propres au droit civil subsistent s'agissant de leur propriété, un délai leur était octroyé pour intenter une action civile.
D. a. Dans leur recours, A______ et B______ reprochent au Ministère public d'avoir levé les séquestres alors que les conditions pour leur maintien, tant à des fins probatoires que conservatoires, étaient pleinement réunies. Les œuvres d'art avaient été acquises en copropriété par la Galerie V______ et C______. Or, seule cette dernière avait demandé la levée des séquestres et le paiement pour les trois œuvres S______ avait été effectué à la Galerie AG_____, inconnue à la procédure. S'agissant du tableau U______, aucune preuve n'attestait du transfert de propriété de la Galerie V______ à C______ et, dans tous les cas, la totalité du prix de celui-ci n'avait pas été versée à N______ SÀRL, un solde de EUR 25'000.- restant dû.
La bonne foi de X______ ne pouvait pas être retenue. En effet, C______ et V______ avaient acquis les tableaux litigieux sans certificat d'authenticité, malgré leur statut de professionnels du marché de l'art. Or, en cette qualité, ils ne pouvaient ignorer qu'une œuvre d'art devait impérativement être accompagnée d'un tel certificat. Ce document fondamental, garantissant l'origine et la valeur de l'œuvre, était en effet en pratique remis au moment de la livraison de l'œuvre, simultanément au paiement de son prix. Ainsi, un acquéreur de bonne foi se serait abstenu de finaliser une transaction en l'absence de ce document, ce d'autant plus s'agissant d'un achat auprès d'un tiers sans lien avec l'artiste, ses héritiers ou ses archives officielles. Les déclarations de X______, selon lesquelles il achetait couramment des œuvres sans cette documentation, témoignaient ainsi d'une pratique légère et manifestement étrangère aux standards du marché de l'art et ne suffisaient aucunement à établir sa bonne foi. Au contraire, s'il avait requis les documents minimaux nécessaires, la transaction n'aurait jamais pu être finalisée, de sorte qu'il avait agi à tout le moins avec une négligence grave, incompatible avec l'exigence de diligence attendue d'un professionnel expérimenté. La Chambre de céans avait au demeurant retenu (ACPR/36/2021 du 19 janvier 2021) que l'acquisition d'une œuvre d'art sans certificat d'authenticité par une société professionnelle du marché de l'art constituait un indice d'une possible mauvaise foi.
Les œuvres litigieuses avaient également été acquises sans la moindre vérification préalable de leur provenance, en violation manifeste des exigences minimales de diligence et des normes de transparence imposées par la législation applicable. X______ avait notamment indiqué avoir acheté les œuvres à V______ et ne pas connaître E______ ou sa société, tout en effectuant un paiement en faveur de celle-ci. Il lui incombait dès lors de procéder aux vérifications élémentaires sur l'identité et la qualité de l'interlocuteur final, sur les certifications d'authenticité des œuvres, sur la légitimité de la société bénéficiaire des fonds, ainsi que sur le fait que les œuvres étaient en statut d'exportation temporaire, ce qu'il n'avait pas fait, aucune pièce n'ayant été produite dans ce sens.
X______ et Y______ s'étaient contentés de se fonder sur les factures émises par E______, soit des actes unilatéraux, pour justifier leur achat, sans exiger de mandat de vente à son nom. Or, l'absence d'un tel document de la part du propriétaire légitime rendait toutes les ventes successives nulles ab initio, ce vice excluant toute levée de séquestre.
Les éléments du dossier démontraient de plus de manière évidente que les acquisitions des œuvres concernées par X______ et Y______ avaient été effectuées à un prix manifestement dérisoire par rapport au prix du marché, ce qui démontrait leur mauvaise foi ou du moins leur acceptation consciente de participer à un schéma frauduleux. En effet, avant les faits litigieux, un tableau du peintre S______ avait été vendu pour EUR 460'000.-, de sorte qu'il était incompréhensible que X______ et Y______ eussent pu en acheter trois, dont un de dimension supérieure et deux dans des tonalités de couleur particulièrement prisées, pour un prix inférieur (EUR 400'000.-). Les deux tableaux T______ avaient été acquis pour un montant d'EUR 25'000.-, alors que selon l'estimation communiquée par la fondation T______, elles valaient respectivement EUR 100'000.- et EUR 20'000.-. Enfin, le tableau U______, vendu pour EUR 350'000.- n'avait fait l'objet que d'un paiement partiel
(EUR 325'000.-), un solde de EUR 25'000.- restant ainsi dû à N______ SÀRL, de sorte que le prix convenu n'avait pas été intégralement payé, excluant l'existence d'une contre-prestation adéquate.
Y______ n'avait de plus pas été entendu sur les faits par le Ministère public après la précédente décision de la Chambre de céans et du Tribunal fédéral, de sorte qu'il n'était pas concevable d'admettre qu'il était désormais de bonne foi, alors que celle-ci avait préalablement été niée.
Enfin, le Ministère public avait procédé à la levée des séquestres sans même ordonner celui des sommes versées aux prévenus ou aux personnes soupçonnées d'avoir participé aux infractions, les privant de toute possibilité, même partielle, de réparation du préjudice subi.
b. Le 22 juillet 2025, A______ et B______ ont complété leur recours et produit un courrier de AH_____ – détenteur d'une maison de vente italienne reconnue pour son expertise – du 16 juillet 2025, adressé à A______. Ce dernier y établit une estimation de la valeur de chacune des œuvres S______ sur le marché de l'art en 2019, soit EUR 550'000.- à EUR 650'000.- pour "H______", EUR 250'000.- à EUR 300'000.- pour "F______" et EUR 650'000.- à EUR 750'000.- pour "G______". Ces estimations correspondaient aux montants retenus par AF_____. Or, ces tableaux avaient été acquis par C______ et V______ pour le montant global dérisoire de
EUR 400'000.- et ces derniers, en leur qualité d'acheteurs avisés, ne pouvaient ignorer le caractère manifestement disproportionné du prix.
c. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Y______ avait acheté le tableau U______ pour un montant d'EUR 350'000.-, conformément à la facture du 4 octobre 2019, et l'avait revendu à C______ pour le même montant (acquitté par compensation de dix œuvres de AI_____ et un solde résiduel d'EUR 87'000.-, les pièces y relatives figurant au dossier). C______ s'était dès lors intégralement acquittée du montant dû pour l'acquisition de cette œuvre et la question des éventuelles modalités de paiement convenues entre V______ et N______ SÀRL était exorbitante à la procédure. La Galerie AG_____ n'était pas une "entité totalement étrangère" aux transactions impliquant les œuvres, mais "la même société" que V______, selon les déclarations de Y______.
Le fait que seule C______ eut requis la levée du séquestre n'était pas pertinent, puisqu'il était compétent pour statuer d'office sur la levée de celui-ci. Dans tous les cas, la propriété des œuvres acquises en copropriété par V______ et C______ avait été provisoirement attribuée à cette dernière, un délai étant accordé aux parties revendiquant leur propriété pour déposer une action civile une fois l'ordonnance querellée entrée en force.
L'indice d'absence de mauvaise foi retenu dans l'arrêt de la Chambre de céans cité par les recourants (ACPR/36/2021 du 19 janvier 2021) n'était pas en relation avec l'absence de certificat d'authenticité, mais avec l'examen d'un document douanier qui établissait faussement un pays comme lieu d'origine et de destination définitive d'une œuvre, de sorte qu'il ne trouvait pas application en l'espèce.
Les pièces produites par les recourants pour démontrer l'inadéquation de la contre-prestation avec la valeur du marché étaient imprécises et inopportunes et ces derniers n'indiquaient pas en quoi la comparaison avec une œuvre différente ("AJ_____") serait pertinente pour estimer la valeur des tableaux séquestrés. S'agissant des T______, l'estimation qu'en faisait le peintre dans son courriel du 8 février 2023 était exprimée au jour de la rédaction dudit courriel et non lors de l'acquisition des œuvres par V______ et C______, de sorte qu'elle n'était pas pertinente.
Enfin, l'audition de Y______ n'était pas justifiée par les circonstances, puisqu'il avait déjà été entendu de façon complète le 19 octobre 2021.
d. E______ et D______ concluent tous deux au rejet du recours. Ils contestent intégralement et fermement l'état de fait tel que présenté par les recourants.
e. Dans ses observations, C______ conclut au rejet du recours. Le Ministère public avait considéré, à bon droit, que les conditions permettant le maintien du séquestre n'étaient plus réunies. En effet, en commun avec V______, elle avait acquis les œuvres de bonne foi, en payant sur factures, avant qu'elles ne fussent livrées, dans l'ignorance complète des faits supposés justifier leur séquestre. Il appartenait à l'État, respectivement à tout opposant, de démontrer que le tiers connaissait le contexte litigieux. Or, tel n'avait pas été le cas. Les circonstances d'achat des tableaux n'avaient rien eu d'insolite, leur acquisition étant intervenue par l'intermédiaire de Y______, en lequel elle avait une entière confiance, à un prix correspondant à celui du marché (cf. la valorisation effectuée par Z______), auprès de V______, qui disposait manifestement d'un pouvoir de disposition. Les œuvres étaient au demeurant documentées et n'étaient pas répertoriées comme volées ou de provenance douteuse. Leur authenticité ou leur origine n'avait d'ailleurs aucunement été remise en question. Elle n'avait ainsi failli à aucun devoir et un éventuel enrichissement n'était dans tous les cas pas suffisant pour exclure sa bonne foi. V______ avait préalablement également requis la levée du séquestre, de sorte que l'argument des recourants selon lequel les tableaux ne pouvaient être restitués sans qu'elle le demandât également, en sa qualité de copropriétaire, tombait à faux.
Les estimations produites par les recourants pour justifier la valeur des œuvres étaient au demeurant "fantaisistes". Ils avaient en effet soutenu, tout au long de la procédure, ne jamais avoir eu l'intention de vendre des tableaux S______, pour soutenir désormais en avoir vendu un en 2019 pour un montant de EUR 460'000.-, produisant à cet effet un simple message de A______, sans mention de destinataire et non daté. Elle-même s'était, de plus, bien acquittée de la contre-prestation pour l'œuvre U______ et en était devenue seule propriétaire, puisqu'elle avait remis dix œuvres ainsi qu'un solde d'EUR 87'000.- à V______, soit l'équivalent total d'EUR 350'000.-.
Les explications de X______ avaient confirmé celles de Y______, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de répéter son audition, déjà intervenue par commission rogatoire en octobre 2021.
f. Dans leur réplique, A______ et B______ persistent dans leurs conclusions. Y______ avait acheté les œuvres sans certificats d'authenticité et ne les avait demandés qu'ultérieurement, élément constituant un indice de sa mauvaise foi. X______ avait de plus acheté des œuvres directement à E______, qu'il déclarait pourtant ne pas connaître, pour des montants dérisoires, alors qu'il se prétendait expert dans le domaine de l'art. Il ne pouvait dès lors ignorer que les prix dont il bénéficiait étaient très inférieurs à la valeur réelle des œuvres, de sorte qu'il n'avait pas fourni de contre-prestation adéquate.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 4 ad art. 267) et en tant qu'il émane de A______, partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP), reconnue comme telle par le Ministère public au motif qu’elle était restée propriétaire des tableaux, pour cause de nullité de la donation qu’elle en avait fait à B______ (pièce PP 300'008 ; cf. ACPR/652/2022 du 26 septembre 2022). Dès lors, elle doit se voir reconnaître la qualité pour agir, ayant par ailleurs un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
Il en va cependant différemment s'agissant de B______. En effet, bien que l'ordonnance du Ministère public refusant de lui accorder la qualité de partie plaignante ait été partiellement annulée par la Chambre de céans (ACPR/652/2022 précité), la donation en sa faveur étant frappée de nullité, il ne bénéficie d'aucun intérêt juridiquement protégé à s'opposer à la levée des séquestres, puisqu'il ne peut, à aucun titre, revendiquer la propriété ou la restitution des œuvres. La qualité pour recourir doit dès lors lui être niée.
2. La recourante conteste la levée des séquestres prononcés sur les six œuvres situées en France et en Belgique.
2.1. Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
Le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers figure au nombre des mesures prévues par la loi. Il peut être ordonné, notamment, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuve (art. 263 al. 1 let. a CPP), qu'ils devront être restitués au lésé (art. 263 al. 1 let. c CPP), qu'ils devront être confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP) ou qu'ils pourraient être utilisés pour couvrir des créances compensatrices (art. 263 al. 1 let. e CPP).
Une telle mesure est fondée sur la vraisemblance (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa) ; comme cela ressort de l'art. 263 al. 1 CPP, une simple probabilité suffit car la saisie se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire
(art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2).
Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2). Le séquestre ne peut donc être levé (art. 267 CPP) que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées, et ne pourront l'être (arrêts du Tribunal fédéral 1B_311/2009 du 17 février 2010 consid. 3 in fine et 1S.8/2006 du 12 décembre 2006 consid. 6.1). La confiscation n’est, ainsi, exclue que si la bonne foi du tiers est clairement et définitivement établie (arrêt du Tribunal fédéral 1B_22/21017 du 24 mars 2017 consid. 3.1.). La notion de bonne foi pénale du tiers porte sur l'ignorance des faits qui justifieraient la confiscation, soit de son caractère de récompense ou de produit d'une infraction. Selon la jurisprudence, elle ne se rapporte pas à la notion civile consacrée à l'art. 3 CC. La confiscation ne peut ainsi pas être prononcée si le tiers sait simplement qu'une procédure pénale a été ouverte contre son partenaire commercial, mais ne dispose pas d'informations particulières. Il faut que le tiers ait une connaissance certaine des faits qui auraient justifié la confiscation ou, à tout le moins, considère leur existence comme sérieusement possible, soit qu'il connaisse les infractions d'où provenaient les valeurs ou, du moins, ait eu des indices sérieux que les valeurs provenaient d'une infraction. En d'autres termes, la confiscation à l'égard d'un tiers ne sera possible que si celui-ci a une connaissance – correspondant au dol éventuel – des faits justifiant la confiscation. La violation d'un devoir de diligence ou d'un devoir de se renseigner ne suffit pas pour exclure la bonne foi du tiers (arrêt du Tribunal fédéral 1B_222/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2.1. et 2.4). Les probabilités d'une confiscation doivent de plus se renforcer au cours de l'instruction et doivent être régulièrement vérifiées par l'autorité compétente, avec une plus grande rigueur à mesure que l'enquête progresse (ATF 122 IV 91 consid. 4).
2.2. À teneur de l'art. 267 al. 1 CPP, si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal a l'obligation de lever la mesure et de restituer les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit. Pour que l'objet ou la valeur patrimoniale puisse être restitué en vertu de cette disposition, il faut que l'ayant droit puisse être retrouvé et que l'objet ou la valeur patrimoniale séquestré ne soit pas revendiqué par plusieurs personnes (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1228).
Selon l'art. 267 al. 2 CPP, la restitution anticipée à l'ayant droit de valeurs patrimoniales saisies est possible s'il n'est pas contesté qu'elles proviennent d'une infraction. Cette disposition instaure une exception au principe selon lequel le sort des séquestres pénaux se règle avec la décision sur le fond de l'action publique (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd. Bâle 2014, n. 6 ad art. 267). En effet, s'il est incontesté que des valeurs patrimoniales ont été directement soustraites à une personne déterminée du fait de l'infraction, elles sont restituées à l'ayant droit avant la clôture de la procédure. Si les droits sur l'objet sont contestés, la procédure de l’art. 267 al. 3 à 5 CPP s'applique (Message précité, FF 2006 1229).
Lorsqu'un objet ou valeur patrimoniale est revendiqué par plusieurs personnes, le ministère public ne peut procéder que par le biais de la procédure prévue à l'art. 267 al. 5 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_298/2014 du 21 novembre 2014 consid. 3.2 = SJ 2015 I 277), soit, notamment, s'il existe un doute sur l'identité du véritable ayant droit. En revanche, si le ministère public estime que le titulaire des objets/valeurs patrimoniales à restituer est clairement identifié – notamment en application de règles légales –, il doit pouvoir rendre une décision de restitution en application de l'art. 267 al. 1 CPP. Cette solution se justifie d'autant plus lorsque les autres prétentions émises sont manifestement infondées. Les droits des parties ne sont pas péjorés par cette procédure puisque la voie du recours au sens de l'art. 393 al. 1 let. a CPP est ouverte contre cette décision (arrêt du Tribunal fédéral 1B_288/2017 du 26 octobre 2017 consid. 3.).
Selon l'art. 267 al. 5 CPP, l'autorité pénale peut attribuer les objets ou les valeurs patrimoniales à une personne et fixer aux autres réclamants un délai pour intenter une action civile. Lorsque la situation est suffisamment claire, le ministère public peut ordonner une restitution en se fondant sur l'art. 267 al. 1 CPP. Lorsque tel n'est pas le cas, il doit procéder selon l'art. 267 al. 5 CPP en s'inspirant des solutions du droit civil. Les objets sont donc attribués provisoirement au possesseur (art. 930 CC), lequel est, en outre, présumé de bonne foi (art. 3 al. 1 CC). En présence d'indications claires sur l'inexistence de ce droit réel, l'attribution doit être ordonnée en faveur de la personne qui apparaît la mieux légitimée. L'autorité pénale procède à un examen prima facie, sur la base de l'examen du dossier. Elle répartit ainsi de façon provisoire le rôle des parties dans la procédure civile à venir, sans préjudice de la décision éventuelle au civil (arrêt du Tribunal fédéral 1B_573/2021 du 18 janvier 2022 consid. 3.1.).
La situation n’est pas suffisamment claire, au sens de la loi, lorsque, par exemple, un tiers a acquis le bien avant le prononcé du séquestre : dans un tel cas, l’affectation doit attendre le jugement final (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE, op. cit., n. 15b ad art. 267).
2.3. En l'espèce, dans l'ACPR/840/2022 du 29 novembre 2022, la Chambre de céans avait considéré que la situation était loin d'être claire et que la bonne foi de C______ et de V______ n'était pas démontrée, le prix d'acquisition des œuvres constituant une indication de leur mauvaise foi, les précitées disposant d'importantes connaissances en matière de négoce d'art, contrairement à E______ qui les leur avait vendues.
Depuis l'entrée en force de cet arrêt, l'unique mesure d'instruction mise en œuvre par le Ministère public en lien avec les séquestres litigieux a consisté en l'audition de X______. Lors de celle-ci, ce dernier a indiqué travailler avec Y______ depuis plus de 25 ans, avoir une entière confiance en ce dernier et n'avoir jamais été en contact avec E______ s'agissant des œuvres séquestrées. Il réalisait entre 800 et 1'400 ventes par année et, en cas de doute sur une œuvre, ne l'achetait pas. Les estimations figurant à la procédure ne correspondaient au demeurant pas aux prix du marché.
Contrairement à ce qu'a retenu le Ministère public, les éléments précités ne permettent pas de considérer que C______ était de bonne foi lors de l'acquisition des tableaux litigieux. En effet, aucun facteur nouveau ne vient expliquer les importantes différences de valeurs entre les prix payés par C______ et les diverses estimations produites par la recourante. En effet, lesdites estimations cumulées des deux S______ en vue d’assurance (EUR 650'000.- chacun) atteignent à elles seules le quadruple des montants inscrits sur la facture établie pour les trois œuvres (EUR 330'000.-), étant précisé qu'une seule d'entre elles vaudrait même EUR 1'100'000.- selon l’inventaire apparemment destiné à une banque. Ainsi, la valeur de ces œuvres n'a pas pu être déterminée avec certitude et ces importants écarts n'excluent pas que C______ eût dû se douter, au vu du faible montant demandé, que les œuvres eussent pu être obtenues au travers d'une infraction pénale. C______ ne fait de plus qu'affirmer, sans le démontrer ni le rendre vraisemblable, que les estimations produites par la recourante seraient "fantaisistes" et qu'il faudrait s'en écarter.
S'agissant des T______, les tableaux ont été estimés chacun au triple, au minimum, des montants portés sur la facture émise au nom de D______ et aucun élément au dossier n'explique pour quelle raison le produit de la vente a été versé en faveur de cette dernière.
Ces écarts et contradictions ne trouvent aucune explication dans le dossier, malgré la nouvelle audition de X______, de sorte que la situation requiert encore de nombreux éclaircissements, les parties s'opposant notamment sur la nécessité ou non qu'un certificat d'authenticité soit communiqué lors de la vente d'une œuvre et aucun expert ne s'étant prononcé sur le sujet. Il ne peut dès lors être écarté, en l'état, que l'absence d'un tel document lors d'achats d'œuvres d'art de grande valeur puisse constituer un indice de mauvaise foi ou, à tout le moins, d'une importante négligence et d'un manque de diligence pour un marchand d'art professionnel.
De plus, les montants payés en comparaison aux valeurs estimées ne permettent aucunement de retenir que C______ aurait fourni une contre-prestation adéquate, ce que cette dernière, en sa qualité d'experte du marché de l'art, ne pouvait ignorer.
Ainsi, la présomption d'inadéquation qui ressort des éléments du dossier (entre les estimations, basses, que E______ a données aux détenteurs initiaux des tableaux ; les montants, supérieurs, qu’il a obtenus de C______ et V______, à l’insu de la recourante ; et les estimations considérablement plus élevées des œuvres dans d’autres documents – listes et inventaires – versés au dossier) n'a aucunement été renversée par la seule audition de X______. Il n'est en effet pas exclu que C______ ait acquis les tableaux à des conditions plus avantageuses que celles du marché, valeurs qu'elle ne pouvait ignorer, en sa qualité d'experte, et dans la mesure où elle indique effectuer des recherches poussées lors de chaque achat, exploitant ainsi à son profit le manque de connaissances des vendeurs.
Sa bonne foi, en tant que professionnelle du marché de l’art, n’est donc pas démontrée, en l’état.
De plus, contrairement à ce que soutient C______, le fait qu'elle soit copropriétaire d'une partie des œuvres avec V______ n'est pas dénué d'importance, dans la mesure où la levée des séquestres et la restitution de celles-ci en sa seule faveur, sans que V______ ne se soit même vue notifier l'ordonnance litigieuse, pourrait porter un préjudice irréparable à cette dernière, qui pourrait se voir lésée de toute possibilité de faire valoir ses droits.
3. Ces considérations scellent le sort du recours, qui doit être admis.
4. La recourante, qui obtient gain de cause, ne supportera pas de frais (art. 428 al. 1 CPP).
5. B______, qui succombe, supportera le quart des frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), soit CHF 500.-. Ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
6. La recourante a requis le versement de dépens qu'elle n'a pas chiffrés.
6.1. En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.
L'art. 433 CPP prévoit l'octroi d'une juste indemnité à la partie plaignante pour les dépenses occasionnées par la procédure, qu'elle doit chiffrer et justifier.
6.2. En l'espèce, représentée par un avocat, la recourante, partie plaignante qui obtient gain de cause, n'a pas chiffré ni justifié de prétentions en indemnité (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP), quand bien même elle a indiqué, dans le cadre de son recours, qu'elle le ferait avec l'envoi postérieur de la note d'honoraire de son conseil, qui n'a pas été reçue, de sorte qu'il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Déclare irrecevable le recours de B______.
Admet le recours de A______ et annule la décision attaquée.
Condamne B______ au quart des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-, soit au paiement de CHF 500.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Laisse le solde des frais de la procédure de recours à la charge de l’État.
Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ le montant de CHF 1'500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants (soit pour eux, leur conseil), à C______ (soit pour elle, son avocat), à E______ (soit pour lui, son conseil), à D______ (soit pour elle, son conseil) et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
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La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/1754/2020 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 40.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 1’885.00 |
Total | CHF | 2'000.00 |