Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/317/2025 du 28.04.2025 sur OMP/21953/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/13597/2022 ACPR/317/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 28 avril 2025 |
Entre
A______, représentée par Me B______, avocate,
recourante,
contre l'ordonnance de refus de nomination d'avocat d'office rendue le 17 octobre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 31 octobre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 précédent, notifiée le 21 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner une défense d'office en sa faveur.
La recourante conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette décision et à ce que Me B______ soit désignée à sa défense d'office.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ et C______ se sont rencontrés au Brésil en 2018. La première a rejoint le second en Suisse en 2019 et ils se sont mariés le ______ 2021.
b. Le 9 mai 2022, A______, accompagnée d'une personne de confiance, s'est présentée à la police pour déposer plainte contre son époux en lien avec des épisodes de violence domestique dont elle aurait été victime. Elle complètera sa plainte lors de l'audience du 10 mai 2023.
c. Le même jour, C______ a aussi déposé plainte contre son épouse également pour des faits de violence conjugale. Il complètera sa plainte lors de l'audience du 23 mai 2023.
d. Le 6 juin 2022, A______ a été entendue sur les faits reprochés par son époux, en présence d'un interprète, sans solliciter la présence d'un avocat.
e. Le 22 décembre 2022, le Ministère public a ouvert une instruction à l'égard de A______ pour des faits susceptibles d'être qualifiés de lésions corporelles simples (art. 123 CP) et voies de fait (art. 126 CP); et contre C______, pour lésions corporelles simples (art. 123 CP), menaces (art. 180 CP), et contrainte (art. 181 CP).
f. Le Ministère public a, par la suite, prévenu, à titre complémentaire, C______ de viol (art. 190 CP) et contrainte sexuelle (art. 189 CP), et A______ de diffamation (art. 173 CP) et calomnie (art. 174 CP).
g. Le 28 février 2023, Me B______ s'est constituée pour la défense des intérêts de A______.
h. Le 11 mai 2023, le Ministère public a ordonné la défense d'office en faveur de C______ dès lors qu'il relevait du régime de la défense obligatoire (art. 132 CPP).
i. Par lettre de son conseil du 17 septembre 2024, complétée les 19 et 25 suivants, A______ a demandé à pouvoir bénéficier d'une défense d'office et déposé une requête dans ce sens, fondée sur l'art. 132 CPP. Elle mentionnait un revenu mensuel net d'environ CHF 4'000.- en tant qu'indépendante (escort), ainsi que des charges mensuelles à hauteur de CHF 3'510.- (loyer, CHF 1'930.-; assurance maladie, CHF 250.-; impôts, CHF 30.-; dépenses alimentaires, CHF 1'300.-).
j. Invité par le Procureur à établir le budget de la précitée, le Greffe de l'assistance juridique a annoncé, le 25 septembre 2024, ne pas être en mesure de le faire. Il a ainsi demandé à l'intéressée si elle avait d'autres revenus que ceux mentionnés sur son relevé D______, lequel faisait état, de juin à août 2024, de versements de différentes provenances pour une moyenne de CHF 2'526.-, auxquels s'ajoutaient CHF 813.- versés par la Caisse de compensation, pour des charges d'environ CHF 3'900.-.
k. Par courrier de son conseil du 11 octobre 2024, elle a remis les extraits de son compte bancaire [auprès de] E______ (cf. infra D.a.).
l. Dans son rapport du 15 octobre 2024, le Greffe de l'assistance juridique a retenu que A______ disposait de ressources mensuelles de CHF 5'301.- (moyenne de trois mois de revenus d'activité indépendante, CHF 4'488.- ; Caisse de compensation, CHF 813.-). Ses charges, admissibles, étaient fixées à CHF 3'946.- (loyer, CHF 1'930.-; assurance maladie, CHF 249.-; cotisations AVS, CHF 267.-; entretien (majoré) selon les normes de l'Office des poursuites, CHF 1'500.- ). Elle dépassait ainsi de CHF 1'355.- le minimum vital élargi et de CHF 1'655.- le minimum vital strict.
Sur cette base, il a constaté que la précitée était en mesure de régler par ses propres moyens les honoraires d'un avocat, dès lors que son disponible mensuel était largement supérieur au minimum vital en vigueur à Genève, majoré de 25%.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a considéré que A______, prévenue de lésions corporelles simples et de voies de fait, n'était pas indigente et qu'il lui était ainsi loisible de se faire assister, à ses frais, par un conseil de son choix.
D. a. Dans son recours, A______ fait valoir son indigence, relevant, sur ce point, que le montant crédité par la Caisse de compensation ne pouvait être comptabilisé dans ses revenus, dès lors qu'il s'agissait d'un remboursement de cotisations. L'ordonnance querellée violait le principe de l'égalité des armes puisque, contrairement à elle, la partie adverse bénéficiait d'une défense d'office. En outre, l'affaire n'était pas de peu de gravité et présentait des difficultés particulières pour une personne de nationalité étrangère, sans connaissance du droit suisse et maîtrisant mal le français. Une condamnation pouvait avoir un impact sur la continuation de son séjour en Suisse. Enfin, le Ministère public avait violé l’art. 136 CPP en omettant le fait qu'elle n'était pas seulement prévenue mais aussi plaignante dans ladite procédure.
À l'appui, elle produit les pièces remises au Greffe de l'assistance juridique, soit :
- son décompte D______ faisant état, pour la période du 1er juin au 8 septembre 2024, de crédits pour un total de CHF 9'279.-; ainsi que de débits divers pour un montant de CHF 13'536.-, dont, pour les charges annoncées pendant la période considérée : CHF 1'930.- pour le loyer [les 8 juin et 8 juillet] et CHF 249.25 pour l’assurance maladie [le 5 juin]. Pour les mois de juillet et août, les crédits s'élevaient à CHF 2'047.-, après déduction de deux crédits de la Caisse de compensation [CHF 808.20, le 18 juillet; CHF 813.85 le 29 juillet], et à CHF 3'374.- pour le mois d'août, soit à CHF 5'421.- au total;
- l'extrait de son compte [auprès de] E______ [déposé au Greffe de l'assistance juridique le 11 octobre 2024, mais ne figurant pas dans le dossier remis à la Chambre de céans], pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2024, mentionnant des crédits pour un total de CHF 9'804.-, ainsi que des débits divers pour un montant de CHF 8'658.-, dont, pour les charges admissibles pendant la période considérée : CHF 1'930.- [le 8 août], CHF 50.- [le 30 août], CHF 930.- [le 9 septembre] pour le loyer; CHF 249.25 [les 6 et 16 août; le 3 septembre] pour l'assurance maladie; CHF 808.20 [le 15 juillet] et CHF 813.85 [le 24 juillet] pour la Caisse de compensation [crédités les 18 et 29 juillet sur le compte D______]. Pour les mois de juillet et août, les crédits s'élevaient à CHF 2'568.-, respectivement à CHF 5'140.-, pour un montant total de CHF 7'708.-.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
1.2. En tant que la recourante reproche au Ministère public de ne pas lui avoir désigné de conseil juridique gratuit (art. 136 CPP), le recours est en revanche irrecevable, faute de décision préalable sur ce point.
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. 3.1. L'art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à l'assistance d'un défenseur à deux conditions : le prévenu doit être indigent et la sauvegarde de ses intérêts doit justifier une telle assistance, cette seconde condition devant s'interpréter à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP.
Selon l'art. 132 al. 2 CPP, les intérêts du prévenu justifient une défense d'office notamment lorsque l'affaire n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente des difficultés de fait ou de droit que le prévenu ne pourrait surmonter seul.
Si les deux conditions mentionnées à l'art. 132 al. 2 CPP doivent être réunies cumulativement, il n'est pas exclu que l'intervention d'un défenseur soit justifiée par d'autres motifs, en particulier dans les cas où cette mesure est nécessaire pour garantir l'égalité des armes ou parce que l'issue de la procédure pénale a une importance particulière pour le prévenu, par exemple s'il est en détention (arrêt 1B_494/2019 du 20 décembre 2019 consid. 3.1).
3.2. Une personne est indigente lorsqu'elle n'est pas en mesure d'assumer les frais de la procédure sans porter atteinte au minimum nécessaire à son entretien. Pour déterminer l'indigence, il convient de prendre en considération l'ensemble de la situation financière du requérant au moment où la demande est présentée à savoir ses revenus, sa situation de fortune et ses charges (arrêt du Tribunal fédéral 7B_356/2024 du 8 mai 2024 consid. 2.2.3, ATF 144 III 531 consid. 4.1; 135 I 221 consid. 5.1).
Pour déterminer les charges d'entretien, il convient de se fonder sur le minimum vital du droit des poursuites augmenté de 25% (ATF 124 I 1 consid. 2c p. 4), auquel il convient d'ajouter le loyer, les dettes d'impôts échues, y compris les arriérés d'impôts, pour autant qu'elles soient effectivement payées, la prime d'assurance-maladie obligatoire et les frais de transport nécessaires à l'acquisition du revenu, qui sont établis par pièces. Les dettes ordinaires d'un débiteur ne font pas partie du minimum vital (DCPR/211/2011 du 16 août 2011).
Il incombe au requérant de prouver les faits qui lui permettent de constater son impécuniosité. À défaut, sa demande doit être rejetée (arrêt du Tribunal fédéral 7B_356/2024 précité consid. 2.2.3).
3.3. Le principe de l'égalité des armes, garanti par l'art. 6 CEDH, peut également conduire à reconnaître au prévenu le droit à l'assistance d'un avocat d'office, lorsque, dans une même affaire, un coinculpé est assisté d'un défenseur (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 64 ad art. 132 ; cf. également les références citées par l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_224/2013 du 27 août 2013 consid. 2.3).
3.4. En l'espèce, le refus du Ministère public de désigner un avocat d'office est motivé par le fait que la recourante n'aurait pas démontré son impécuniosité, se fondant sur le rapport du Greffe de l'assistance juridique du 15 octobre 2024. Il convient par conséquent d'examiner si l'exigence de l'indigence est réalisée.
La recourante expose avoir des revenus nets à hauteur de CHF 4'000.-. Au vu des relevés bancaires produits [compte D______ du 1er juin au 8 septembre 2024; compte E______ du 1er juillet au 1er octobre 2024], seuls ses revenus en juillet et août peuvent toutefois être établis avec précision. Il en ressort que son revenu moyen, pendant cette période, était de CHF 6'564.- (CHF 4'615.- en juillet; CHF 8'514.- en août).
Dans son rapport, le Greffe de l'assistance juridique retient des revenus mensuels d'activité indépendante de CHF 4'488.- [moyenne de trois mois, sans qu'il ne soit toutefois possible de comprendre le calcul effectué pour arriver à ce résultat]. Il n'y a toutefois pas lieu d'y ajouter le montant versé par la Caisse de compensation [CHF 813.-], dès lors qu'il ne s'agit pas d'un revenu mais d'un montant en lien avec les cotisations AVS qui a été recrédité après avoir été débité.
S'agissant des charges, la recourante ne justifie pas, par pièces, s'être acquittée d'un abonnement TPG ni d'impôts durant la période objet du présent examen, étant souligné que des cours de langue n'ont pas à être pris en compte conformément à la jurisprudence précitée. Les autres éléments évoqués à l'appui de son recours – en l'occurrence, sa déclaration fiscale 2022 faisant état de dépenses professionnelles – ne permettent pas de remettre en question les charges retenues [CHF 3'946.-] fondées sur la situation de l'intéressée au moment du dépôt de sa demande [en 2024].
Ainsi, même en retenant la situation la plus favorable à la recourante, soit des ressources mensuelles de CHF 4'448.-, force est de constater que l'intéressée n'est pas indigente. Elle disposait, après déduction des charges admissibles (étayées par pièces), d'un montant disponible de CHF 542.-, soit d'un solde supérieur au minimum vital majoré de 25%, lui permettant d'assumer, fût-ce par mensualités, les honoraires de son avocate.
La première condition, cumulative, de l'art. 132 al. 1 let. b CPP n'étant pas remplie, c'est à bon droit que le Ministère public a refusé d'ordonner une défense d'office.
3.5. En outre, l'examen des circonstances permet de retenir que la cause ne présente pas de difficultés particulières, du point de vue de l'établissement des faits ou des questions juridiques soulevées, que la recourante ne serait pas en mesure de résoudre seule. Les faits et dispositions applicables sont clairement circonscrits et ne présentent aucune difficulté de compréhension ou d'application pour l'intéressée. La recourante s'est exprimée à leur égard, sans avocat et en présence d'une interprète, lors de son audition à la police et a parfaitement compris ce qui lui était reproché.
Au vu de ce qui précède, la condition de la complexité de la procédure n'est pas non plus réalisée.
Pour le surplus, la recourante n'expose pas en quoi la présente procédure aurait des répercussions sur sa situation administrative. Il ne suffit pas d'être étranger et visé par une procédure pénale pour que tel soit le cas. Il n'apparaît pas que les infractions en cause (lésions corporelles simples, voies de fait, diffamation et calomnie) pourraient, en l'état, avoir un effet sur la continuation de son séjour en Suisse.
Enfin, son époux, prévenu notamment de viol et de contrainte sexuelle, relève du régime de la défense obligatoire, de sorte que l'intéressée ne peut pas se prévaloir du principe de l'égalité des armes.
4. Il s’ensuit que le recours doit être rejeté.
5. La procédure de recours contre le refus de l'octroi de l'assistance juridique ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 20 RAJ).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière :
Arbenita VESELI |
| La présidente :
Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).