Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/38/2025 du 14.01.2025 sur OTDP/2247/2024 ( TDP ) , ADMIS
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/17492/2024 ACPR/38/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 14 janvier 2025 |
Entre
A______, domiciliée ______, France, agissant en personne,
recourante,
contre l'ordonnance rendue le 4 octobre 2024 par le Tribunal de police,
et
LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,
LE SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104, 1211 Genève 8,
intimés.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 6 novembre 2024 à la Poste française – et parvenu à la Poste suisse le 11 suivant –, A______ recourt contre l'ordonnance du 4 octobre 2024, notifiée le 4 novembre 2024, par laquelle le Tribunal de police a constaté l'irrecevabilité de ses oppositions aux ordonnances pénales n° 1______ et 2______ du 2 mai 2024.
Sans prendre de conclusions formelles, la recourante déclare "faire valoir ses droits d'opposition".
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a.a. Par amendes d'ordre du 30 janvier 2024, expédiées à l'adresse de A______, no. ______ route 3______, [code postal] C______, France, le Service des contraventions (ci-après, SdC) a condamné cette dernière à deux amendes de CHF 40.- pour avoir, le 4 décembre 2023, à 11h33 et 11h34, commis deux excès de vitesse sur les communes de Chêne-Bourg et Thônex, au volant du véhicule automobile immatriculé 4______ / France.
a.b. Ces deux amendes d'ordre mentionnaient qu'en cas de versement partiel ou de non-paiement dans le délai de 30 jours, la procédure ordinaire serait engagée.
b.a. Par ordonnances pénales expédiées à l'adresse de A______ à C______, le SdC l'a condamnée à deux amendes, de CHF 40.- chacune, en lien avec les faits visés par les deux amendes d'ordre précitées.
b.b. Ces deux ordonnances pénales précisaient que la prévenue pouvait y faire opposition; celle-ci devait revêtir la forme écrite, être signée, puis déposée auprès, soit du SdC, soit de la Poste suisse, au plus tard dix jours après la notification de l’ordonnance pénale; "[p]our être jugée recevable, la déclaration d’opposition ne d[[eva]it pas être formée par courriel".
b.c. Selon le suivi des recommandés de la Poste française, les deux ordonnances précitées ont été avisées pour retrait le 14 mai 2024. Le 27 mai suivant, les envois – qui n'avaient toujours pas été retirés – "[allaient] être retourné[s] à l'expéditeur".
c. Par courriel adressé le 13 mai 2024 au SdC, A______ a expliqué, sans toutefois communiquer sa nouvelle adresse, que les "amendes" avaient été envoyées à son ancien domicile et qu'elles venaient de lui être transmises par le locataire actuel. Elle a contesté être l'auteure des faits susmentionnés. En effet, dans la mesure où elle avait vendu son véhicule le 1er novembre 2023, elle n'avait pas pu se rendre coupable de ces deux excès de vitesse, lesquels avaient été commis par le nouveau propriétaire du véhicule.
d. Par courriel du 24 mai 2024, le SdC a prié A______ de bien vouloir lui communiquer sa nouvelle adresse, ainsi que tout justificatif attestant de sa date d'emménagement, d'ici au 31 mai 2024.
e. Dans un courriel du 25 mai 2024, A______ a répondu au SDC qu'elle n'était plus la propriétaire du véhicule, certificat de cession à l'appui, sans toutefois communiquer sa nouvelle adresse.
f. Par ordonnances du 25 juillet 2024, expédiées à l'adresse de A______ à C______, le SdC a transmis la cause au Tribunal de police afin qu'il statue sur la validité des oppositions aux deux ordonnances pénales, lesquelles devaient être déclarées irrecevables dès lors qu'elles ne revêtaient pas la forme requise au sens de l'art. 91 al. 2 CPP.
g. Invitée à se déterminer sur l'apparente irrecevabilité de ses oppositions, par courrier du Tribunal de police du 12 août 2024 expédié à son adresse à C______, A______ n'y a pas donné suite.
h. Le 16 octobre 2024, le Centre de Coopération policière et Douanière (CCPD) a informé le Tribunal de police, à sa demande, que la dernière adresse connue de A______ était "[n°] 35 chemin 5______, [code postal] D______ [France]".
i. L'ordonnance querellée a été envoyée une première fois, le 4 octobre 2024, à l'ancienne adresse de A______, à C______, avant d'être retournée à son expéditeur, le "destinataire [étant] inconnu à l'adresse". Elle lui a été expédiée une nouvelle fois, le 28 suivant, à sa nouvelle adresse, chemin 5______ [n°] 45, [code postal] D______.
C. Dans son ordonnance querellée, le Tribunal de police a considéré que les oppositions ne satisfaisaient pas aux exigences de forme imposées par la loi, dès lors qu'elles avaient été adressées par courriel et non par l'envoi d'une déclaration écrite et signée.
D. a. Dans son recours, A______ – qui indique comme adresse d'expédition "45 chemin 5______, [code postal] D______" –, explique que les deux amendes lui avaient été notifiées à son ancienne adresse et qu'elle n'avait pu en prendre connaissance qu'au mois de mai 2024, lorsque son ancien propriétaire les lui avait transmises. Elle avait procédé à de multiples démarches, depuis le 13 mai 2024, par courriel et téléphone, afin de contacter le Tribunal pénal. Les infractions ne pouvaient pas lui être imputées dès lors que le véhicule ayant servi à les commettre avait été vendu le 1er novembre 2023 à B______. C'était donc ce dernier qui s'était rendu coupable des deux infractions et devait être "contacté" par la justice.
À l'appui de son recours, elle produit une nouvelle fois une copie du certificat de cession du véhicule ainsi que des échanges de courriels, lesquels étaient destinés à prouver que B______ était bien le propriétaire du véhicule au moment des faits.
b. Le Tribunal de police se réfère à sa décision, sans formuler d'observations.
c. Le SdC conclut au rejet du recours et à la confirmation de l'ordonnance querellée, sans autre observation.
d. La recourante n'a pas répliqué.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. 2.1. Le prévenu peut former opposition contre l'ordonnance pénale devant le SdC, par écrit, dans les dix jours; si aucune contestation n'est valablement intervenue, cette ordonnance est assimilée à un jugement entré en force (art. 354 al. 1 let. a et al. 3 ainsi que 357 CPP).
2.2.1. Celle-ci doit, pour être valable, comporter la signature de son auteur, soit manuscrite originale (art. 110 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_401/2016 du 28 novembre 2016 consid. 2.1), soit électronique qualifiée (pour l'obtention de laquelle il est nécessaire de s'enregistrer sur une plateforme de distribution reconnue; art. 110 al. 1 et al. 2 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_18/2023 du 3 mars 2023 consid. 3.3.3).
L'envoi d'un simple courriel, sans signature électronique autorisée, ne satisfait pas à ces réquisits (arrêt du Tribunal fédéral 6B_528/2019 du 17 juillet 2019 consid. 3.2).
2.2.2. L’application stricte des règles de forme ne viole pas l’interdiction du formalisme excessif (ATF 142 IV 299 consid. 1.3.3).
Lorsque l’ordonnance pénale expose clairement la forme que doit revêtir l'opposition, le SdC n’est pas tenu d’inviter le justiciable qui conteste celle-là par email à mettre en conformité sa déclaration (ACPR/870/2023 du 7 novembre 2023, consid. 3.3.1 et ACPR/640/2023 du 16 août 2023, consid. 3.2).
2.3. Selon l'art. 85 CPP, les autorités pénales notifient leurs prononcés par lettre signature ou par tout autre mode de communication impliquant un accusé de réception, notamment par l'entremise de la police (al. 1). Le prononcé est réputé notifié lorsque, expédié par lettre signature, il n'a pas été retiré dans les sept jours à compter de la tentative infructueuse de remise du pli, si la personne concernée devait s'attendre à une telle remise (al. 4 lit. a).
Une personne ne doit s'attendre à la remise d'un prononcé que lorsqu'il y a une procédure en cours, la concernant, qui impose aux parties de se comporter conformément aux règles de la bonne foi, à savoir de faire en sorte, entre autres, que les décisions relatives à la procédure puissent leur être notifiées. Le devoir procédural d'avoir à s'attendre avec une certaine vraisemblance à recevoir la notification d'un acte officiel naît avec l'ouverture d'un procès et vaut pendant toute la durée de la procédure (ATF 134 V 49 consid. 4 p. 51, 130 III 396 consid. 1.2.3 p. 399; arrêt du Tribunal fédéral 6B_314/2012 du 18 février 2013 consid. 1.3.1). L'obligation pour la personne de prendre des dispositions pour être atteinte naît lorsqu'elle est clairement informée par la police qu'elle fait l'objet d'une poursuite pénale (ibidem). Ainsi, un prévenu informé par la police d'une procédure préliminaire le concernant, de sa qualité de prévenu et des infractions reprochées, doit se rendre compte qu'il est partie à une procédure pénale et donc s'attendre à recevoir, dans ce cadre-là, des communications de la part des autorités, y compris un prononcé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_448/2024 du 19 septembre 2024 consid. 3.2.2 et la jurisprudence citée). De jurisprudence constante, celui qui se sait partie à une procédure judiciaire et qui doit dès lors s'attendre à recevoir notification d'actes du juge est tenu de relever son courrier ou, s'il s'absente de son domicile, de prendre des dispositions pour que celui-ci lui parvienne néanmoins. À ce défaut, il est réputé avoir eu, à l'échéance du délai de garde, connaissance du contenu des plis recommandés que le juge lui adresse. Une telle obligation signifie que le destinataire doit, le cas échéant, désigner un représentant, faire suivre son courrier, informer les autorités de son absence ou leur indiquer une adresse de notification (ATF 146 IV 30 consid. 1.1.2; 141 II 429 consid. 3.1; 139 IV 228 consid. 1.1 et les références citées; arrêt 6B_448/2024 précité consid. 3.2.2).
En vertu de l'art. 87 CPP, toute communication doit être notifiée au domicile du destinataire (al. 1). Les parties qui ont leur résidence à l'étranger sont tenues de désigner une adresse de notification en Suisse; les instruments internationaux prévoyant la possibilité d'une notification directe sont réservés (al. 2).
Conformément aux art. 16 al. 1 du IIe Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 8 novembre 2001 (RS 0.351.12) et X ch. 1 de l'Accord du 28 octobre 1996 entre le Conseil fédéral suisse et le Gouvernement de la République française en vue de compléter la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 (RS 0.351.934.92), les autorités judiciaires compétentes de toute Partie peuvent envoyer directement, par voie postale, des actes de procédure et des décisions judiciaires, aux personnes qui se trouvent sur le territoire de toute autre Partie. L'art. 87 al. 1 CPP n'empêche pas les parties de communiquer à l'autorité pénale une autre adresse de notification que celle prescrite par la norme.
2.4. En l'espèce, tous les courriers et décisions destinés à la recourante dans le cadre de la présente procédure ont été expédiés à l'adresse "no. ______ route 3______, [code postal] C______, France", cela quand bien même il ressort des éléments figurant au dossier que la recourante n'y habitait plus.
Il convient donc d'examiner si la recourante s'est valablement vu notifier les deux ordonnances pénales litigieuses, étant à cet égard relevé que ce n'est qu'en présence d'une notification valable desdites décisions qu'une éventuelle irrecevabilité de ses oppositions pourrait lui être opposée.
Selon le suivi des recommandés de la Poste française, les deux ordonnances pénales ne lui ont jamais été remises. Se pose dès lors la question de savoir si la recourante peut se voir opposer la fiction de notification prévue à l'art. 85 al. 4 let. a CPP, ce qui suppose nécessairement qu'elle ait pu s'attendre à la remise de tels prononcés. Il sera à cet égard relevé qu'au moment où les deux ordonnances pénales lui ont été expédiées, le 2 mai 2024, la recourante n'avait aucun moyen de savoir qu'elle faisait l'objet d'une procédure pénale. En effet, cette dernière n'avait jamais été entendue par la police en lien avec les deux excès de vitesse du 4 décembre 2023. Elle n'avait par ailleurs pas pu prendre connaissance des deux amendes d'ordre du 30 janvier 2024, dès lors que celles-ci lui avaient été expédiées à une adresse autre que celle à laquelle elle résidait et n'avaient été portées à sa connaissance qu'au mois de mai 2024.
Il s'ensuit que la fiction de notification prévue à l'art. 85 al. 4 let. a CPP ne saurait trouver ici application. Les deux ordonnances pénales du 2 mai 2024 ne peuvent ainsi être réputées avoir été valablement notifiées à la recourante.
Faute de notifications valables, le SdC, et le Tribunal de police à sa suite, ne pouvaient interpréter le courriel du 13 mai 2024 comme une opposition de la recourante aux ordonnances pénales et encore moins lui opposer le fait qu'elle n'aurait pas respecté les exigences de forme. On comprend d'ailleurs, à la lecture dudit courriel, que la recourante n'avait visiblement pas conscience du fait que des ordonnances pénales avaient été prononcées à son encontre, preuve en est le fait qu'elle n'y parle que d'"amendes", et non d'ordonnances pénales.
3. Le recours sera dès lors admis et, partant, l'ordonnance querellée annulée.
La cause devrait en principe être renvoyée au Tribunal de police. Toutefois, compte tenu du vice entachant la notification des ordonnances pénales et des griefs invoqués par la recourante, il apparait plus expédient que la procédure soit retournée au Service des contraventions, à charge pour cette autorité de notifier de nouvelles décisions à la recourante, cas échéant après avoir examiné les griefs de fond invoqués par cette dernière (ACPR/90/2021 du 10 février 2021 consid. 2.3 et ACPR/428/2020 du 23 juin 2020 consid. 3).
4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).
5. La recourante, qui obtient gain de cause, mais agit en personne, ne justifie pas de frais de défense.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours.
Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Service des contraventions pour qu'il procède dans le sens des considérants.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, au Service des contraventions et au Tribunal de police.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.
La greffière : Olivia SOBRINO |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).