Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/790/2024 du 30.10.2024 ( RECUSE ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE PS/77/2024 ACPR/790/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 30 octobre 2024 |
Entre
A______, représenté par Me Robert ASSAËL, avocat, c/o MENTHA Avocats, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12,
requérant,
et
B______, Procureur, p.a. Ministère public, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
cité.
EN FAIT :
A. a. Lors de l'audience s'étant tenue le 1er octobre 2024 par devant le Ministère public, A______ a, par l'intermédiaire de son conseil, demandé au Procureur B______ de se récuser dans la procédure pénale P/1______/2021, dans laquelle il est prévenu.
Par acte du 3 octobre 2024, adressé au Procureur B______, A______ a confirmé sa demande de récusation.
b. La requête a été transmise par le magistrat visé à la Chambre de céans le 7 octobre 2024.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Dans le cadre de la procédure P/1______/2021, A______ est prévenu de contrainte sexuelle, viol et actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance pour avoir, à Genève:
- le matin du 10 mai 2018, à son domicile, au moment où C______, qui venait de passer la nuit chez lui, s'apprêtait à quitter les lieux, contraint cette dernière à subir des actes analogues à l'acte sexuel et à subir un acte sexuel, en usant de violence, en la déshabillant violemment, en la pénétrant vaginalement avec son sexe, après avoir mis un préservatif, de manière violente, par l'arrière, alors qu'elle lui demandait d'arrêter, en lui mordant les seins et le cou jusqu'au sang, en la tenant fermement par les hanches, en lui enfonçant ses ongles dans sa peau, étant précisé qu'elle était dans l'incapacité physique de lui échapper, qu'elle ne parvenait pas à se dégager, se retrouvant, à un moment donné, dans un état de paralysie, incapable de bouger, le prévenu ayant fini par jouir en elle;
- à des dates et lieux encore indéterminés, en 2019 et/ou 2020, au moment où D______ était devenue son amie intime durant une année, contraint cette dernière à subir des actes analogues à l'acte sexuel et/ou, à deux reprises au moins, des actes sexuels non consentis, en usant de violence et/ou de menaces à son égard, en l'étranglant au point de l'empêcher de respirer, en pratiquant à plusieurs reprises le "steahlthing", soit le retrait de son préservatif pendant l'acte sexuel, sans le consentement de D______, en essayant à plusieurs reprises de la pénétrer analement malgré son refus, en y parvenant à une reprise et en la faisant alors hurler de douleur et saigner, en profitant à plusieurs reprises de l'état d'alcoolisation de D______ pour la contraindre à subir des actes sexuels;
- en janvier 2020, à une date et dans un lieu encore indéterminés, contraint E______ à subir des actes analogues à l'acte sexuel, en usant de violence à son égard, en la pénétrant vaginalement et analement, avec ses doigts, lui faisant alors mal, E______ finissant alors par le repousser en lui disant "stop, arrête", le prévenu lui répondant qu'il ne s'arrêterait pas, contraignant celle-ci à se dégager comme elle le pouvait; et
- le 28 février 2019, à son domicile, contraint F______ à subir des actes analogues à l'acte sexuel et/ou, à subir un acte sexuel non consenti, en usant de violence à son égard, en la plaquant fortement sur le lit alors qu'elle était couchée sur le ventre, en la pénétrant vaginalement avec son sexe, en la mordant, en tentant à plusieurs reprises de la pénétrer, alors qu'elle se débattait, lui causant de la sorte des bleus sur tout le corps.
Seule C______ a déposé plainte pénale contre A______.
b. L'instruction est conduite par le Procureur B______.
c. A______ conteste les faits qui lui sont reprochés, alléguant que les actes sexuels précités étaient consentis, même s'il admet avoir peut-être pu être brutal en adoptant un comportement "passionné et fougueux".
Invité à se déterminer sur la nature de ses relations avec C______, il a expliqué avoir eu plusieurs relations intimes avec cette dernière. Si elle avait déposé plainte contre lui, c'était peut-être parce qu'elle attendait plus de leur relation et désirait quelque chose de plus sérieux, ce d'autant qu'il avait pu lui donner des indices l'amenant à penser qu'il était plus attaché à elle qu'il ne l'était réellement. Elle avait pu mal prendre le fait qu'il ne partageait pas sa vision de la relation et qu'il ait souhaité y mettre un terme.
Il avait eu une relation et flirté avec D______ pendant quelques mois, relation dans le cadre de laquelle ils avaient entretenu beaucoup de relations sexuelles. Il n'avait toutefois jamais considéré qu'ils étaient "ensemble".
d. Lors de ses auditions par le Ministère public, G______, témoin et ancien meilleur ami du requérant, a évoqué la relation que D______ avait entretenue avec A______, parlant d'un "couple". Selon lui, D______ aimait A______, bien qu'elle fût sous son emprise.
e. Le 1er octobre 2024, le Procureur a tenu une audience d'instruction au cours de laquelle A______ a été interrogé, assisté de son conseil.
À teneur du procès-verbal de ladite audience, B______ a posé diverses questions à A______, notamment la question suivante: "Vous me faites remarquer que D______ a déclaré qu'elle n'avait nullement l'intention de déposer une quelconque plainte pénale contre moi, après avoir été déconseillée par des tiers de déposer une plainte pénale. Vous me dites que l'on a senti chez cette personne une volonté de tourner la page, de laisser cette histoire (soit nos relations à tous les deux) derrière elle. Vous me demandez comment je me détermine, sachant que, selon vous, la théorie qui consisterait à dire que D______ ferait de telles allégations à mon sujet pour me nuire ou en raison d'une déception amoureuse, ne tient pas".
L'audience a été brièvement suspendue à la suite de cette question. Lors de la reprise de l'audience, A______ a, par la voix de son conseil, sollicité la récusation de B______.
C. a. Dans sa requête, A______ soutient qu'en affirmant, dans la question précitée, que "la théorie qui consisterait à dire que D______ ferait de telles allégations à [son] sujet pour [lui] nuire ou en raison d'une déception amoureuse, ne tient pas", le cité avait pris position sur la crédibilité de ses déclarations, retenant implicitement que D______ disait la vérité sur la question de la plainte pénale, a fortiori sur ce qu'elle disait avoir subi de sa part.
Le magistrat cité était ainsi sorti de son devoir de réserve et avait fait preuve de prévention.
b. Dans ses observations, B______ conclut, sous suite de frais et dépens, au rejet de la requête. A______ contestait l'ensemble des faits depuis le début de l'instruction. Lui-même n'avait fait qu'attirer son attention sur le fait que son axe de défense, consistant à dire que C______ avait déposé plainte notamment parce qu'elle aurait été éconduite, ne tenait pas, D______ ayant, contrairement à C______, entretenu une relation amoureuse avec le requérant. Cette unique question n'était pas une marque de prévention de sa part, ce d'autant que le requérant n'avait jusqu'ici jamais émis la moindre réserve à cet égard.
c. A______ réplique et persiste dans sa requête. Dire à un prévenu que son "axe de défense ne tenait pas" revenait à affirmer implicitement à quel point les charges étaient lourdes, voire sa culpabilité.
EN DROIT :
1. 1.1. La Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), est l'autorité compétente pour statuer sur une requête de récusation visant un magistrat du Ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP).
1.2. En sa qualité de prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP).
2. 2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c’est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.1 et 1B_601/2011 du 22 décembre 2011 consid. 1.2.1).
2.2. En l'espèce, dans la mesure où la demande de récusation est motivée par des propos tenus par le magistrat mis en cause à l'occasion de l'audience du 1er octobre 2024, elle a été formée à temps, au sens qui vient d'être rappelé.
3. Le requérant reproche au cité d'être sorti de son devoir de réserve et d'avoir fait preuve de prévention en prenant position sur la crédibilité de ses déclarations.
3.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs que ceux évoqués aux lettres a à e de cette disposition, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention. Cette disposition correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 Cst. et 6 CEDH (ATF 143 IV 69 consid 3.2). Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat (ATF 149 I 14 consid. 5.3.2 ; 147 III 89 consid. 4.1 ; 144 I 159 consid. 4.3). Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération, les impressions purement subjectives des parties n'étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 ; 142 III 732 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_450/2024 du 1er juillet 2024 consid. 2.2.2).
3.2. En tant que direction de la procédure (art. 61 let. a CPP), l'attitude et/ou les déclarations du procureur ne doivent pas laisser à penser que son appréciation quant à la culpabilité du prévenu serait définitivement arrêtée (art. 6 et 10 CPP ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_430/2015 du 5 janvier 2016 consid. 3.2 = SJ 2017 I 50 ; 1B_384/2017 du 10 janvier 2018 consid. 4.3).
3.3. La jurisprudence a reconnu que, durant la phase d'instruction, le ministère public peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête ; tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste cependant tenu à un devoir de réserve et doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2 p. 179 s. ; 138 IV 142 consid. 2.2.1 p. 145). De manière générale, ses déclarations - notamment celles figurant au procès-verbal des auditions - doivent ainsi être interprétées de manière objective, en tenant compte de leur contexte, de leurs modalités et du but apparemment recherché par leur auteur (arrêts du Tribunal fédéral 1B_384/2017 du 10 janvier 2018 consid. 4.1 ; 1B_150/2016 du 19 mai 2016 consid. 2.3 et l'arrêt cité).
3.4. Les déclarations d'un magistrat, singulièrement celles figurant au procès-verbal des auditions, doivent être interprétées de manière objective, en tenant compte de leur contexte, de leurs modalités et du but apparemment recherché par leur auteur. Des propos maladroits ou déplacés ne suffisent en principe pas pour retenir qu'un magistrat serait prévenu, sauf s'ils paraissent viser une personne particulière et que leur tenue semble constitutive d'une grave violation notamment des devoirs lui incombant (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 7B_186/2023 du 19 juillet 2023 consid. 3.1).
3.5. En l'espèce, la remarque sous forme de question faite par le magistrat cité lors de l'audience du 1er octobre 2024, à teneur de laquelle la théorie du requérant "[consistant] à dire que D______ ferait de telles allégations à [son] sujet pour [lui] nuire ou en raison d'une déception amoureuse ne tenait pas", n'est pas de nature à le rendre suspect de prévention à l'égard du requérant.
Certes, le magistrat cité aurait pu poser sa question de manière plus nuancée, par exemple en faisant remarquer au prévenu qu'une telle théorie lui semblait difficilement soutenable au vu des autres éléments figurant au dossier, plutôt qu'en affirmant purement et simplement qu'elle "ne tenait pas".
Il n'en demeure pas moins que le fait, pour un magistrat, de confronter la version du prévenu aux autres éléments figurant au dossier de la procédure, en attirant son attention sur le fait que ses déclarations lui paraissent difficilement crédibles à la lumière de ces autres éléments, est un acte d'instruction ordinaire et n'est aucunement une marque de prévention, un procureur pouvant être amené, à un moment ou à un autre de l'instruction, sans que cela ne prête le flanc à la critique, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions.
Le magistrat cité a expliqué, dans le cadre de ses observations, que sa remarque n'avait d'autre but que d'attirer l'attention du requérant sur le fait que la théorie qu'il avançait pour expliquer les raisons ayant pu conduire C______ à déposer plainte contre lui ne pouvait être transposée à D______, cette dernière ayant entretenu une relation amoureuse avec le requérant, contrairement à C______, et la situation des deux femmes n'étant dès lors pas comparable.
On ne voit pas, à l'aune de ces considérations, en quoi la remarque litigieuse dénoterait un soupçon de partialité de la part du magistrat cité ou permettrait de considérer qu'il aurait définitivement arrêté son appréciation quant à une éventuelle culpabilité du requérant, ni qu'il considérerait irrévocablement D______ comme étant la seule personne susceptible de dire la vérité, étant rappelé que la procédure de récusation n'a pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction ou dont sont posées les questions.
Admettre le contraire reviendrait à entraver un procureur dans la conduite de son instruction et sa recherche de la vérité, le privant de la possibilité de tenter d'amener un prévenu à modifier ses précédentes déclarations, à la lumière des éléments figurant au dossier.
En définitive, le fait que le cité ait une lecture divergente des éléments figurant au dossier de celle qu'en fait le requérant, l'amenant à remettre en doute la crédibilité des dénégations de ce dernier, ne fait pas redouter une activité partiale. Si le magistrat doit certes instruire à charge et à décharge (art. 6 al. 2 CPP), le fait qu'il ne partage pas l'avis du prévenu sur la portée des preuves ne le rend pas partial.
4. Faute de motif de récusation, la requête est infondée et doit partant être rejetée.
5. Le requérant, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP), fixés en totalité à CHF 800.- (art. 13 al. 1 let. b du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette la demande.
Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 800.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au requérant, soit pour lui son conseil, et à B______.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
PS/77/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
|
|
COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- demande sur récusation (let. b) | CHF | 715.00 |
Total | CHF | 800.00 |