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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/25654/2022

ACPR/496/2024 du 03.07.2024 sur ONMMP/1078/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;SOUPÇON
Normes : CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/25654/2022 ACPR/496/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 3 juillet 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Jamil SOUSSI, avocat, BOTTGE & ASSOCIÉS SA, place de la Fusterie 11, case postale, 1211 Genève 3,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 mars 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 15 mars 2024, [la banque] A______ recourt contre l'ordonnance du 6 précédent, notifiée le 8 suivant, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens non chiffrés, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 1er décembre 2022, A______ a déposé plainte contre "inconnu" des chefs de vol, violation de domicile, abus de confiance, subsidiairement appropriation illégitime voire soustraction d'une chose mobilière.

Elle avait passé commande de neuf-cent-quarante-deux ordinateurs, livrés en plusieurs lots entre le 28 avril et le 30 août 2022. Ces livraisons avaient été réceptionnées par des collaborateurs internes mais aussi externes, engagés temporairement au sein de l'équipe desktop, dont B______ et C______.

Le 6 septembre 2022, après un inventaire complet, elle avait découvert que deux-cents-vingt-quatre ordinateurs manquaient, pour une valeur totale de CHF 269'908.80. Ses investigations avaient permis de lister tous ceux disparus, lesquels avaient été, en théorie, réceptionnés à des dates différentes. Néanmoins, l'intégralité des ordinateurs livrés le 18 mai 2022, au nombre de cent, avait disparu. Ces livraisons avaient été réceptionnées le jour en question par C______, dans des locaux de [la banque] D______, sis rue 1______ no. ______. Le matériel avait ensuite quitté le quai de chargement en direction de la salle éditique, située au sous-sol, en deux temps: le lendemain, en présence de C______ et B______ et le surlendemain, en présence de ce dernier uniquement. Elle n'avait pas pu déterminer quand, ni comment, les ordinateurs avaient ensuite été sortis du bâtiment.

Elle sollicitait l'audition de tous les collaborateurs, internes et externes, chargés de la réception des ordinateurs et aussi des responsables de "l'Audit interne".

b. À l'appui de sa plainte, A______ a produit des bons de commande, des bons de livraison, un tableau Excel recensant les numéros de série des ordinateurs et des plans de situation.

c. À teneur du rapport de renseignements de la police du 14 juillet 2023, le matériel commandé par A______ avait d'abord été livré dans le garage de D______ à la rue 1______, avant d'être acheminé, à pied, à la rue 2______, où se trouvait le département informatique chargé de le préparer. La marchandise stockée dans ce garage devait être évacuée dans les deux jours. La visite sur place avait permis de déterminer qu'après la sortie de D______, il n'y avait plus aucun suivi des ordinateurs. Il était donc impossible d'affirmer que les commandes avaient été correctement conduites à leur destination. Les recherches de caméras n'avaient pas permis d'apporter d'élément probant à l'enquête et aucune mesure technique ne permettait de localiser les ordinateurs disparus.

Selon les informations reçues de A______, le seul employé temporaire présent sur l'ensemble des livraisons était B______. Ce dernier était concerné par une enquête française de 2018, pour avoir fourni des indications afin de dérober soixante-deux ordinateurs de son lieu de travail. La citation à comparaître, envoyée à l'adresse en France de l'intéressé, avait été retournée au motif qu'il ne vivait pas là. Trois autres convocations, adressées à d'autres domiciles connus de B______, étaient restées sans réponse. Aucun moyen ne permettait de joindre le précité.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'en l'absence d'élément suffisant, il était renoncé à délivrer un mandat d'arrêt à l'encontre de B______. En outre, aucun acte d'enquête n'apparaissait utile et, malgré l'enquête de police diligentée, le(s) auteur(s) n'avai(en)t pas pu être identifié(s). Dès lors, il ne pouvait pas procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP).

D. a. Dans son recours, A______ soutient avoir, dans un premier temps, entrepris le nécessaire pour déterminer les personnes impliquées dans la disparition des ordinateurs et faciliter le travail de la police. Ce nonobstant, les seuls actes d'enquête effectués par celle-ci se résumaient à une visite des locaux de la banque et une tentative d'audition, "bien vite avortée", de B______. Or, le Ministère public ne pouvait pas faire l'impasse sur une instruction plus étayée. La simple analyse des pièces au dossier empêchait de rendre une ordonnance de non-entrée en matière sans heurter le principe in dubio pro duriore. L'absence de suivi de la marchandise à la sortie de D______ ne justifiait pas "le découragement" de l'autorité intimée à rechercher les auteurs de l'infraction. Celle-ci avait fait preuve d'un manque de célérité. Enfin, aucun empêchement de procéder ne pouvait être retenu pour fonder la non-entrée en matière. Une commission rogatoire, ou l'audition d'autres personnes auraient pu être menées pour instruire l'affaire, et les difficultés à convoquer B______ ne présentaient pas un caractère définitif. Surtout, des recherches plus approfondies pouvaient être entreprises concernant ce dernier, lequel était d'ailleurs soupçonné de faits très similaires en France.

A______ produit un courriel du 29 mars 2023 envoyé à la police, comprenant l'enregistrement des badges utilisés dans les garages de D______ entre le 18 et le 20 mai 2022, liste où figurent les noms de B______ et C______.

b. Dans ses observations, le Ministère public rappelle qu'il était impossible de déterminer quand, ni comment, les ordinateurs avaient quitté le garage de D______, ni s'ils avaient été correctement acheminés au département informatique de la plaignante.

c. A______ renonce à répliquer et chiffre ses dépens.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites par la recourante sont également recevables, la jurisprudence admettant leur production en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             La recourante reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur sa plainte.

2.1. À teneur des art. 310 al. 1 let. a CPP, une ordonnance de non-entrée en matière est immédiatement rendue s’il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs d’une infraction ou les conditions à l’ouverture de l’action pénale ne sont manifestement pas réunis.

2.2. Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310).

Parmi les motifs de fait, on trouve l'impossibilité d'identifier l'auteur (ACPR/196/2024 du 15 mars 2024 consid. 2.1; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 9a ad 310).

2.3. En l'espèce, il n'est pas contesté – même si les circonstances exactes n'ont pas pu être établies – qu'une partie du matériel informatique commandé par la recourante a disparu. Il est question de deux-cents-vingt-quatre ordinateurs, d'une valeur totale de CHF 269'908.80. Dès lors, à supposer que cette disparition résulte bien d'un acte pénalement répréhensible, le préjudice en cause serait substantiel et l'intérêt à identifier le ou les auteur(s) s'en trouve renforcé.

Par ailleurs, la recourante a effectué un travail en amont pour identifier les personnes chargées de réceptionner les livraisons dans les locaux de [la banque] D______. À ce propos, l'audition des personnes concernées pourrait déjà apporter des éclaircissements pour l'enquête, allant au-delà de la simple visite sur place de la police.

En particulier, il semble opportun d'entendre à tout le moins C______, présent le jour où, selon la recourante, cent ordinateurs auraient été subtilisés. Comme le précité n'a pas fait l'objet d'une citation à comparaître, rien ne permet à ce stade de considérer qu'il ne déférerait pas à une telle convocation, rendant cet acte d'enquête aisément envisageable et, ainsi, proportionné au regard du montant du préjudice invoqué.

Un mandat d'arrêt en Suisse contre B______ peut, en outre, être ordonné par le Ministère public, dans l'hypothèse où l'intéressé devait se trouver (ou revenir) sur le territoire helvétique. De plus, compte tenu qu'une enquête pénale paraît avoir visé – ou viser encore – le précité, en France, pour des faits similaires à ceux dénoncés ici, une commission rogatoire dans ce pays, pour le localiser et, cas échéant, l'entendre, ne paraît pas inutile.

Il apparaît ainsi que des actes d'enquête – simples et proportionnés – pouvaient encore être mis en œuvre par les autorités de poursuite pénale pour apporter des éléments utiles à l'enquête. Il s'ensuit que le Ministère public ne pouvait pas rendre une ordonnance de non-entrée en matière sur la plainte de la recourante.

3.             Fondé, le recours doit ainsi être admis. L'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par la recourante (CHF 1'500.-) lui seront ainsi restituées.

5.             5.1. En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

L'art. 433 CPP prévoit l'octroi d'une juste indemnité à la partie plaignante pour les dépenses occasionnées par la procédure, qu'elle doit chiffrer et justifier.

5.2. En l'occurrence, la recourante conclut à l'octroi d'une indemnité de CHF 1'986.33, correspondant à 6h15 d'activité d'un avocat-stagiaire, au tarif horaire de CHF 150.-, et 2h00 d'activité d'un chef d'étude, au tarif horaire de CHF 450.-.

Compte tenu de la difficulté relative de l'affaire et des écritures de la recourante (soit un recours de dix-sept pages, pages de garde et conclusions comprises), et une page de réplique se limitant à chiffrer ses dépens, ce montant paraît toutefois excessif et sera ramené à CHF 891.85, correspondant à 4h00 d'activité pour un avocat-stagiaire et 0h30 d'activité pour un chef d'étude, TVA à 8.1% incluse.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière du 6 mars 2024 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ le montant des sûretés versées par elle (CHF 1'500.-).

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 891.85, TVA à 8.1% incluse, pour la procédure de recours (art. 433 CPP).

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).