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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9772/2023

ACPR/352/2024 du 10.05.2024 sur OTCO/20/2024 ( TCO ) , ADMIS

Descripteurs : EXÉCUTION ANTICIPÉE DES PEINES ET DES MESURES;RISQUE DE COLLUSION
Normes : CPP.236

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9772/2023 ACPR/352/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 10 mai 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de refus d'exécution anticipée de peine rendue le 11 mars 2024 par la Direction de la procédure du Tribunal correctionnel,

et

LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 25 mars 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 11 mars 2024, notifiée le 13 suivant, par laquelle la Direction de la procédure du Tribunal correctionnel a refusé sa demande d'exécuter sa peine privative de liberté de manière anticipée.

Le recourant conclut à l'admission de son recours et à ce qu'il soit autorisé à exécuter sa peine de manière anticipée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par acte d'accusation du 12 février 2024, A______, né en ______ 2003, a été renvoyé en jugement devant le Tribunal correctionnel pour tentative de meurtre, brigandage, infractions à l'art. 33 LArm et à l'art. 90 al. 2 LCR.

Il lui est principalement reproché d'avoir, le 6 mai 2023, à Genève, de concert avec cinq comparses, parmi lesquels D______ et E______, agressé F______, lequel était seul et affaibli par l'alcool et la marijuana consommés durant la soirée, en le frappant, soit lui-même, soit en acceptant pleinement et sans réserve que ses comparses le fassent, en le jetant au sol, en le rouant de coups de pied et de poing au niveau de la tête, cela alors qu'il gisait, inconscient au sol, puis en lui dérobant sa veste et une chaussure.

b. L'audience de jugement est prévue du 19 au 21 août 2024.

c. Le 16 février 2024, le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné la détention de A______ – en détention provisoire depuis le 17 mai 2023 – pour des motifs de sûreté jusqu'au 11 mai 2024, en raison des risques de collusion, fuite et réitération.

Le risque de collusion perdurait de façon concrète, "en vue de l'audience de jugement à venir", à l'égard de la victime, des co-prévenus et des témoins, en dépit des confrontations effectuées et des images de la vidéosurveillance, lesquelles n'avaient pas permis de clarifier les implications de chacun et les circonstances ayant précédé l'agression, en particulier les raisons de l'arrivée de A______ sur les lieux.

Les messages échangés entre le 6 mai 2023 et l'arrestation du précité, le 17 suivant, auraient pu permettre de clarifier ces faits, puisqu'il ressortait des vidéos que plusieurs de ses comparses avaient utilisé leur téléphone portable dans les minutes avant son arrivée, et qu'il était établi qu'en tout cas l'un d'eux l'avait contacté et lui avait dit où ils se trouvaient. Toutefois, l'analyse des données de ses deux téléphones portables, dont il avait refusé de donner les codes d'accès, n'avait pas permis d'apporter d'éléments.

Ce risque était corroboré par le contenu de la note manuscrite trouvée dans la cellule du prévenu le 7 octobre 2023, ainsi libellée : "ESCRO CA VA ? FRRO JEUDI A LA CONFRONT FAUT QUE TU DISE QUE JETAIS ALCOOLISER. Ex : A______ me parler mais C'ETAIT INCOMPREHENSIBLE. DIS QUE F______ NOUS A CHAUFFER QUAND LA VICTIME NOUS A INSULTER ET QUE C'EST LUI IL M'APPELLER MAIS QU'IL M'APPELLE POUR SE POSER. DIS QUE TU REGGRETTES ET FAIS COMPRENDRE QUE RIEN ETAIT PREPARER. SI SA TE POSE LA QUESTION A______ EST VITE KHABAT QUAND IL BOIT. TOUTE FACON TU VAS BIENTOT SORTIR C SUR. CE FDP DE F______ T'AS BALANCE FAUT TOUT METTRE SUR LUI".

Par ce message, A______ avait tenté de donner des instructions à son comparse et meilleur ami, D______, sur ce qu'il fallait dire à la prochaine audience de confrontation. Les explications données par l'intéressé lors de l'audience devant le Ministère public du 12 octobre 2023, selon lesquelles ce mot n'était destiné à personne et qu'il n'aurait jamais essayé de le transmettre à quelqu'un, n'emportaient aucune conviction.

d. Par requête du 27 février 2024, A______ a requis l'exécution anticipée de sa peine privative de liberté. Son transfert dans un établissement d'exécution de peine permettrait de ne pas hypothéquer ses perspectives de reclassement social, compte tenu de sa motivation et ses liens avec Genève. Son maintien sous le régime de la détention pour motifs de sûreté pourrait avoir des effets délétères. Le risque de collusion ne reposait sur aucun élément tangible, puisqu'il avait d'emblée exprimé, puis réitéré, des regrets sincères. L'instruction étant terminée et toutes les parties ayant été entendues, il ne voyait pas quels éléments de preuve pourraient éventuellement être mis en péril. Un contrôle ponctuel et limité de certains contacts avec l'extérieur pourrait, subsidiairement, être mis en place.

e. Le Ministère public s'en est rapporté à justice, relevant toutefois un risque de collusion, A______ ayant tenté d'influencer les déclarations de ses comparses et s'étant plaint, auprès d'un tiers, de E______.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Tribunal correctionnel a retenu que, depuis la décision du TMC sus-visée, aucun élément nouveau n'indiquait que la situation aurait changé dans le sens de la diminution, voire de la disparition, du risque de collusion. Après vérification, l'établissement fermé G______ ne pouvait soumettre à un contrôle des visites, téléphones et correspondances un détenu en exécution de peine. Le Service de l'application des peines et mesures avait également confirmé l'impossibilité d'une telle surveillance, sous ce régime. Ainsi, quand bien même l'instruction était terminée et que le prévenu avait exprimé des regrets, le risque de collusion demeurait très concret, pour les raisons exposées par le TMC. Dans la mesure où les modalités d'exécution d'une peine ne permettaient pas la prévention d'éventuelles manœuvres de collusion de manière aussi adéquate que le régime de la détention avant jugement, les conditions d'application de l'art. 236 CPP n'étaient pas réalisées.

D. a. Dans son recours, A______ invoque une violation de l'art. 236 al. 1 CPP, la décision étant en outre inopportune au sens de l'art. 393 al. 2 let. c CPP. L'instruction était clôturée et les faits matériellement établis grâce à ses aveux, aux déclarations des parties et des images de la vidéosurveillance. Il était hasardeux de lui reprocher d'interférer ou de chercher à entraver la recherche de la vérité. Le Ministère public ne s'était d'ailleurs pas opposé à la demande, ni n'avait exposé sur quelle mesure d'instruction il pourrait exercer une influence. Or, l'appréciation de ce risque n'était pas la même s'il s'agissait d'examiner l'éventuelle libération ou un passage en exécution de peine. Dans ce dernier cas, le risque était drastiquement réduit. La note manuscrite retrouvée dans sa cellule procédait davantage d'une "posture enfantine" que d'une volonté d'entraver la manifestation de la vérité. Les éléments essentiels de cette note avaient été objectivés, tels que son alcoolémie le soir des faits, et rien ne mettait en évidence un contact avéré, postérieur ou antérieur à cette note. Au demeurant, un contrôle des visites voire du courrier et des téléphones pourrait être instauré. Il ne lui appartenait pas de pâtir des éventuelles carences organisationnelles, lesquelles mettaient à mal la poursuite de sa formation en détention.

b. Le Tribunal correctionnel se réfère à sa décision.

c. Le Ministère public s'en rapporte à l'appréciation de la Chambre de céans.

d. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été interjeté dans les délai et forme prévus par la loi (art. 385 al.1, 390 al. 1 et 396 al. 1 CPP), contre une décision du Tribunal correctionnel sujette à recours (art. 393 al. 1 let. b CPP ; ACPR/245/2013 du 3 juin 2013 consid. 1 et la référence citée), par le prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 lit. a CPP), a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée  (art. 104 al. 1 lit. a et 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. Selon l'art. 236 CPP, la direction de la procédure peut autoriser le prévenu à exécuter de manière anticipée une peine privative de liberté ou une mesure entraînant une privation de liberté si le stade de la procédure le permet et que le but de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté ne s'y oppose pas (al. 1). Dès l’entrée du prévenu dans l’établissement, l’exécution de la peine ou de la mesure commence et le prévenu est soumis au régime de l’exécution (al. 4).

L'exécution anticipée des peines et des mesures doit permettre d'offrir à l'accusé de meilleures chances de resocialisation dans le cadre de l'exécution de la peine avant même l'entrée en force du jugement (ATF 143 IV 160 consid. 2.1; 133 I 270 consid. 3.2.1). Les modalités d'exécution de peine ne permettent toutefois pas de prévenir les manœuvres de collusion aussi efficacement que le cadre de la détention préventive. L'exécution anticipée de la peine doit ainsi être refusée lorsqu'un risque élevé de collusion demeure, de sorte que le but de la détention et les besoins de l'instruction seraient compromis (cf. ATF 133 I 270 consid. 3.2.1; arrêts du Tribunal fédéral 1B_426/2012 du 3 août 2012 consid. 2.1; 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et les arrêts cités).

2.2. Le "stade de la procédure" permettant l'exécution de la peine de manière anticipée correspond au moment à partir duquel la présence du prévenu n'est plus immédiatement nécessaire à l'administration des preuves, ce qui est en principe le cas lorsque l'instruction est sur le point d'être close (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 236; arrêt du Tribunal fédéral 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et la référence citée).

Même après ce stade, l'exécution anticipée de la peine doit être refusée lorsqu'un risque élevé de collusion demeure, de sorte que le but de la détention et les besoins de l'instruction seraient compromis si le régime de l'exécution anticipée devait être mis en œuvre. Il appartient alors à l'autorité de démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres, propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer et en quoi le régime d'exécution de peine du prévenu, même avec les mesures possibles de l'art. 236 al. 4 CPP, en compromettrait l'accomplissement (arrêt du Tribunal fédéral 1B_107/2020 du 24 mars 2020 consid. 2.1).

2.3. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuves susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2 et les références citées). Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2.2).

2.4. L'exécution anticipée de la peine peut justifier certaines restrictions – parfois allant au-delà d'un seul contrôle – dans les contacts avec l'extérieur; ces limitations doivent cependant respecter le principe de la proportionnalité (ATF 145 I 318 consid. 2.5).

2.5. En l'occurrence, le Tribunal correctionnel a refusé d'ordonner l'exécution anticipée de la peine, en raison d'un risque de collusion.

Toutefois, force est de constater que la procédure est désormais au stade du renvoi en jugement et le recourant a admis les faits principaux. Certes, il reste quelques zones d'ombres et une note destinée à influencer un co-prévenu a été retrouvée dans la cellule du recourant, en octobre 2023. Mais depuis lors, le recourant a été confronté à cette partie et l'instruction a été clôturée. Si ce risque a certes été jugé élevé par le TMC dans le cadre de l'examen de la détention avant jugement du recourant, l'appréciation de ce risque peut s'avérer moindre dans le cadre de l'examen des conditions de l'exécution anticipée de la peine. D'ailleurs, le Ministère public ne s'est pas opposé au présent recours, posture qu'il n'aurait pas adoptée si le risque de collusion demeurait toujours aussi intense.

Partant, les conditions de l'art. 236 CPP sont, au vu du stade avancé de la procédure et des éléments sus-rappelés, réunies.

Cependant, dans la mesure où le risque de collusion avec la victime et les co-prévenus n'a pas disparu, le recourant sera astreint à des restrictions dans ses contacts avec l'extérieur jusqu'à l'audience de jugement, mesure qui paraît proportionnée aux circonstances (cf. ACPR/373/2023 du 22 mai 2023) et que l'intéressé accepte au demeurant. L'exécution anticipée de la peine sera ainsi soumise aux mêmes conditions que celles de la détention avant jugement, à savoir le contrôle des contacts avec l'extérieur (courriers, téléphones, visites), étant relevé qu'il appartient à l'autorité d'exécution de veiller à leur mise en œuvre.

3. Le recours s'avère ainsi fondé et doit être admis. L'ordonnance querellée sera annulée et le recourant autorisé à exécuter de manière anticipée sa peine privative de liberté, aux conditions susmentionnées.

4. Les frais de la procédure de recours seront laissés à la charge de l'État.

5. Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade (cf. art. 135 al. 2 CPP) le défenseur d'office, qui ne l'a du reste pas demandé.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance querellée.

Autorise A______ à exécuter de manière anticipée sa peine privative de liberté (art. 236 CPP), à la condition expresse que l'exécution de cette peine se déroule dans des conditions identiques à celles de la détention provisoire.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Tribunal correctionnel et au Ministère public.

Le communique pour information au Service de l'application des peines et mesures.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).