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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/26753/2023

ACPR/333/2024 du 06.05.2024 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);PLAIGNANT;CONNEXITÉ
Normes : CPP.263; CPP.197

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/26753/2023 ACPR/333/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 6 mai 2024

 

Entre

A______, ayant son siège à ______ [ZH], représentée par Me Romain DEILLON, avocat, avenue de la Gare 1, case postale 986, 1001 Lausanne,

recourante,

 

contre la décision rendue le 31 janvier 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 9 février 2024, A______ [assurance maladie] recourt contre la décision du 31 janvier précédent, communiquée par pli simple, à teneur de laquelle le Ministère public a renoncé à ordonner les séquestres sollicités.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et au séquestre de comptes appartenant à B______ SÀRL, C______, D______ SÀRL, E______, F______, G______ et H______.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______ SÀRL est une société ayant son siège à Genève, active dans toutes les opérations en rapport avec le courtage, notamment dans le domaine des assurances sociales. E______ y occupe la fonction de gérant président et F______ celle de gérante. D______ SÀRL détient l'intégralité des parts sociales.

Cette dernière société, dont le siège est également sis à Genève, a pour but des prestations de services et de conseils en matière d'administration et de gestion d'entreprise. E______ en est l'unique associé et F______ la gérante.

b. Le 6 décembre 2023, A______ a déposé plainte contre E______, F______, C______, G______ et H______, des chefs d'escroquerie, faux dans les titres et accès indu à un système informatique.

Elle avait conclu, les 17 et 23 mai 2023, une "convention d'intermédiaire portant sur la conclusion d'assurances" avec B______ SÀRL, autorisant cette dernière à prodiguer des conseils et à promouvoir la vente de produits d'assurances, moyennant rémunération à la commission. Les clauses de cette convention prévoyaient notamment un accès des intermédiaires à un portail informatique permettant de finaliser la conclusion d'assurances, à la condition notamment d'être membre d'un registre public (CICERO) attestant d'une formation spécifique dans le domaine. Seules les propositions d'assurance émanant d'intermédiaires habilités donnaient droit à l'octroi d'une indemnité. À la demande de B______ SÀRL, elle avait délivré un numéro d'intermédiaire en faveur de G______ et H______ mais refusé d'en faire de même pour C______, au motif que ce dernier ne disposait pas d'un numéro CICERO valable.

Entre juillet et septembre 2023, sur la base des propositions d'assurance annoncées par B______ SÀRL pour l'activité de G______ et H______, A______ avait procédé au versement des commissions correspondantes – soit CHF 344'402.40 au total – sur le compte de la société. Pour le mois d'octobre, les décomptes d'affaires arrêtaient les commissions à CHF 3'821.20 (G______) et CHF 510'273.60 (H______). Ces montants n'avaient pas été payés car, après vérifications, lesdits décomptes comportaient un nombre anormalement élevé de produits d'assurance haut de gamme, offerts par un nombre restreint de compagnies d'assurance-maladie. Grâce aux informations recueillies, il était apparu que les polices d'assurance en cause étaient falsifiées, dans la mesure où le nom des assurés n'existaient pas ou n'avaient jamais existé dans la base de données des assurances concurrentes. Les propositions d'assurance remises ne comprenaient, en outre, aucun produit d'assurance-maladie obligatoire. Elle avait effectué des contrôles téléphoniques et les interlocuteurs avaient tous attesté de la réception des polices d'assurance, en rajoutant que le conseil était bon. Pour obtenir le numéro de téléphone de certains des assurés, elle avait contacté B______ SÀRL, soit pour elle, E______, lequel avait déclaré: "attends je vais voir avec C______". Elle avait également échangé par messages avec C______ sur le sujet.

En substance, elle soupçonnait le précité, qui avait déjà travaillé pour plusieurs courtiers, de s'être constitué une base de données relatives à des assurés domiciliés en Suisse, d'avoir usurpé les numéros d'intermédiaire de G______ et H______, falsifié les polices d'assurance émises par des compagnies concurrentes dans le but de l'induire en erreur quant à l'existence des assurés et la probité des documents contractuels remis, répondu aux appels téléphoniques de contrôle ou d'avoir délégué cette tâche à des tiers complices et, enfin, d'avoir encaissé les montants versés indûment à B______ SÀRL. Compte tenu des sommes en question, il ne pouvait pas être exclu que G______, H______, E______ et F______ eussent été au courant des agissements de C______.

Il devait être procédé au séquestre des comptes bancaires de C______ et de B______ SÀRL, mais également des autres prénommés et de D______ SÀRL.

c. Le 20 décembre 2023, A______ a avisé le Ministère public avoir été contactée par un prétendu preneur d'assurance se plaignant d'être sans nouvelles de sa part à la suite de sa demande d'affiliation. Après vérification, il s'était avéré que cette personne n'existait pas dans les bases de données. H______ lui avait transmis en outre une offre d'assurance concernant cinq membres d'une même famille, dont les polices conclues présentaient les mêmes caractéristiques que celles dénoncées dans sa plainte. Des contrôles avaient permis de découvrir que l'adresse inscrite dans les formulaires n'était plus celle des assurés.

d. Le 11 janvier 2024, A______ a expliqué au Ministère public avoir limité au maximum ses contacts et ses opérations avec B______ SÀRL, pour éviter de compromettre l'instruction. Elle sollicitait des renseignements sur l'état et la suite de la procédure.

e. Le Ministère public a répondu, le 15 janvier 2024, que la cause avait été transmise à la police pour complément d'enquête et que des auditions auraient "assurément" lieu. Aucun compte bancaire n'avait été bloqué.

f. Par courrier du 24 suivant, A______ a pris acte de cette réponse et fait part au Ministère public de son "incompréhension". La plainte déposée rendait vraisemblable l'acquisition illicite de valeurs patrimoniales par les mis en cause.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public explique qu'à réception du rapport de police, l'opportunité d'ordonner le séquestre des comptes bancaires concernés serait examinée.

D. a. Dans son recours, A______ soutient avoir rendu vraisemblable que des valeurs patrimoniales avaient été acquises au moyen d'une infraction, impliquant des faux contrats conclus avec des clients qui n'existaient pas, que ces valeurs avaient été créditées sur le compte de B______ SÀRL et qu'il y avait lieu de penser qu'elles avaient ensuite été transférées sur les comptes de C______, D______ SÀRL, E______, F______, G______ et H______.

b. Dans ses observations, le Ministère public réitère que pour savoir si l'argent (ou une partie de celui-ci) se trouvait sur les comptes en question, il était nécessaire d'attendre le résultat de l'enquête préliminaire en cours auprès de la police, laquelle devait permettre de déterminer une éventuelle participation des "prévenus" aux faits reprochés et d'en circonscrire les modalités.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner un refus de séquestre, décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_34/2014 du 15 avril 2014 consid. 2) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante sollicite le séquestre des comptes de tous les mis en cause ainsi que ceux de B______ SÀRL et D______ SÀRL.

2.1. En raison de l'atteinte portée aux droits fondamentaux des personnes visées, le séquestre suppose le respect des conditions générales fixées à l'art. 197 CPP. Conformément à cette disposition, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (al. 1 let. a), doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (al. 1 let. b), doit respecter le principe de la proportionnalité (al. 1 let. c) et doit apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (al. 1 let. d). Si la mesure porte atteinte aux droits fondamentaux de personnes qui n'ont pas le statut de prévenu, une retenue particulière doit être observée (art. 197 al. 2 CPP).

2.2. Selon l'art. 263 al. 1 CPP, des objets et valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuves (let. a), qu'ils seront utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (let. b), qu'ils devront être restitués au lésé (let. c), qu'ils devront être confisqués (let. d) ou qu'ils seront utilisés pour couvrir les créances compensatrices de l'État selon l'art. 71 CP (let. e).

2.3. Le prononcé d'une mesure de séquestre présuppose l'existence de présomptions concrètes de la commission d'une infraction pénale. Au début de l'enquête, un soupçon crédible suffit, ce qui laisse une grande place à l'appréciation de l'autorité compétente (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 22 ad art. 263).

Il faut également que l’autorité pénale puisse établir un lien de connexité entre l’objet ou les valeurs séquestrés et l’infraction poursuivie, à l’exception des cas où le séquestre est ordonné en couverture des frais ou en vue de l’exécution d’une créance compensatrice (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 24 ad art. 263).

2.4. En l'espèce, la recourante explique avoir versé à B______ SÀRL un montant total de CHF 344'402.40 à titre de commissions pour l'activité déployée par les intermédiaires accrédités entre juillet et septembre 2023. Elle soupçonne dorénavant les collaborateurs et animateurs de cette société d'avoir été – plus ou moins directement – impliqués dans un schéma frauduleux visant à percevoir de manière indue des montants sur la base de la convention conclue les 17 et 23 mai 2023. Elle allègue à ce titre avoir reçu plusieurs propositions d'assurance falsifiées, comportant des noms de clients introuvables dans les bases de données ou dont les informations inscrites dans les documents ad hoc ne correspondent plus à la réalité.

Les explications de la recourante permettent, en l'état, de fonder un début de soupçons d'opérations malveillantes à son encontre et le produit de ces agissements aurait, le cas échéant, bénéficié à ce stade à B______ SÀRL dont le compte a été crédité des précédentes commissions.

À cet égard, le séquestre du compte en question revêt une pertinence toute particulière, puisqu'il pourrait remplir la plupart des motifs justifiant une telle mesure, en particulier l'obtention de moyens de preuve, la couverture de frais, la restitution au lésé ou encore la confiscation. En outre, nul besoin d'attendre le retour de l'enquête complémentaire déléguée à la police, dans la mesure où il est établi que les commissions litigieuses ont été versées sur le compte de la société. Enfin, la situation revêt un caractère urgent: les contacts minimums entretenus par la recourante avec sa cocontractante ne pourront pas indéfiniment dissimuler l'existence de ses soupçons ni de la plainte pendante.

En définitive, le séquestre du compte de B______ SÀRL, sur lequel a été versé les commissions entre juillet et septembre 2023, apparaît utile et proportionné.

2.5. Tel n'est toutefois pas le cas pour tous les autres séquestres sollicités.

S'il y a lieu de craindre des malversations, les rôles et les implications de tous les mis en cause demeurent, à ce stade, inconnus. Les allégations de la recourante contre son principal suspect – soit C______ – relèvent de la pure conjecture et les éléments pour établir une participation des autres collaborateurs ou animateurs de B______ SÀRL s'étiolent au gré de leur éloignement des faits dénoncés.

Hormis le séquestre examiné plus haut (cf. consid. 2.4), les autres sollicités par la recourante ne sauraient être ordonnés sans plus d'informations, au risque de constituer une recherche d'indices relatifs à une activité criminelle et non un moyen de renforcer des soupçons existants, procédé qui est prohibé (fishing expedition; arrêt du Tribunal fédéral 6B_181/2021 du 29 novembre 2022 consid. 1.2).

3.             En définitive, le recours doit être très partiellement admis.

La décision entreprise sera annulée et il sera enjoint au Ministère public d'ordonner, à réception du présent arrêt, le séquestre du compte bancaire de B______ SÀRL sur lequel les commissions afférentes aux mois de juillet à septembre 2023 ont été créditées par la recourante.

4.             L'admission partielle du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

5.             La recourante, partie plaignante assistée d'un avocat, obtient partiellement gain de cause mais n'a ni chiffré ni, a fortiori, justifié l'indemnité requise, de sorte qu'il ne sera pas entré en matière (art. 433 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours.

Annule la décision du 31 janvier 2024 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à la recourante les sûretés versées (CHF 1'000.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).