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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/22816/2021

ACPR/316/2024 du 01.05.2024 sur OMP/1835/2024 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;DOMMAGE IRRÉPARABLE;EXPERTISE
Normes : CPP.394.letb

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/22816/2021 ACPR/316/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 1er mai 2024

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de révocation d'expertise rendue le 25 janvier 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 8 février 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 25 janvier 2024, notifiée le 29 suivant, par laquelle le Ministère public a révoqué le mandat d'expertise psychiatrique du 24 juillet 2023.

Le recourant conclut à l'annulation de cette décision, sous suite de frais et dépens.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 20 juin 2022, une instruction pénale a été ouverte contre A______, né en 1994, des chefs d'infractions aux art. 187, 189, 191, 193 et 217 CP.

En substance, il lui est reproché d'avoir, au domicile familial, à environ cinq reprises à des dates indéterminées, alors qu'il était âgé de 13-14 ans environ, pénétré analement sa sœur, C______ – née en 2000 et donc alors âgée de 7-8 ans environ –, avec son sexe, en effectuant plusieurs mouvements de va-et-vient ; et, à la même période, demandé à une reprise à cette dernière de retirer son pantalon et de s'asseoir sur son pénis en érection, la contraignant ainsi à subir une pénétration anale durant une dizaine de minutes.

Il lui est en outre reproché d'avoir omis de verser la pension alimentaire due à sa fille mineure D______ durant la période de juin 2021 à juin 2022.

Pour les faits précités, C______ et le Service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (SCARPA) ont respectivement déposé plainte les 4 août 2021 et 2 juin 2022. La première nommée a retiré la sienne le 15 mars 2022.

b. Devant la police et le Ministère public, A______ a reconnu l'essentiel des faits reprochés. Il a notamment admis avoir pénétré analement sa sœur avec son sexe, possiblement à cinq ou six reprises, alors qu'ils "jouaient au catch" dans sa chambre. Selon lui, ces actes avaient été perpétrés sur une période d'un mois, dans l'année de ses 12 ou 13 ans. Il a soutenu qu'au vu de son âge au moment des faits, il n'avait pas conscience de ses agissements et qu'il s'agissait pour lui d'un "jeu".

c. Le 12 janvier 2023, il a été prévenu complémentairement de violation d'une obligation d'entretien (art. 217 CP), pour avoir omis de verser la pension alimentaire due à sa fille mineure durant la période de juin 2021 à janvier 2023, faits qu'il a admis.

d. Le 24 juillet 2023, le Ministère public a décerné un mandat d'expertise psychiatrique, aux fins, notamment, d'évaluer la responsabilité pénale du prénommé au moment des faits commis à l'encontre de C______, l'éventuel trouble psychique dont il pourrait souffrir ainsi que l'opportunité de prononcer une mesure au sens des art. 59 et ss CP. Un délai de six mois a été imparti aux trois experts pour la reddition de leur rapport.

e. Par missive du 26 septembre 2023, ces derniers ont indiqué au Ministère public que A______ ne s'était pas présenté à l'entretien fixé ce jour-là, ni à celui du 13 précédent, sans prévenir de son absence.

f. En réponse à un courrier de la Procureure du 10 octobre 2023, lui demandant s'il entendait collaborer à l'établissement de l'expertise, le prévenu a, par lettre de son conseil du 17 suivant, répondu par l'affirmative, précisant avoir lui-même tenté de reprendre contact avec les experts.

g. Le 15 novembre suivant, ces derniers ont informé l'autorité précitée avoir convoqué le prévenu à trois entretiens au cours du même mois, auxquels l'intéressé ne s'était pas présenté, sans fournir d'excuse.

h. Par courrier de son conseil du 4 décembre 2023, A______ a expliqué au Ministère public avoir manqué ses rendez-vous avec les experts, au motif qu'il n'allait pas bien, précisant être "étouffé" par les "poursuites" dont il faisait l'objet. De plus, la garde de sa fille lui avait été retirée, ce qui l'avait placé dans un état de "profond désarroi". Il avait besoin d'aide et n'était pas en mesure, en l'état, d'honorer ses engagements. Il réitérait néanmoins sa volonté de se soumettre à l'expertise psychiatrique.

i. Le lendemain, en réponse à un courrier de la Procureure du 28 novembre précédent, leur demandant si une expertise sur pièces était réalisable, les experts ont exclu cette possibilité, au vu de l'insuffisance des éléments au dossier.

j. Le 18 janvier 2024, ces derniers ont informé le Ministère public ne pas être en mesure de réaliser l'expertise sollicitée, A______ ne s'étant présenté qu'à un seul entretien (le 21 décembre 2023) sur les huit qui lui avaient été fixés (les 13, 26 septembre, 1er, 13, 15 novembre 2023, 4 et 11 janvier 2024).

k. Par avis de prochaine clôture du 25 suivant, l'autorité précitée a informé le prévenu qu'elle entendait dresser un acte d'accusation et lui a imparti un délai pour présenter ses réquisitions de preuve.

L'intéressé n'a pas donné suite audit avis.

C. Dans sa décision querellée, du même jour, le Ministère public, se fondant sur l'art. 184 al. 5 CPP, a révoqué le mandat d'expertise psychiatrique du 24 juillet 2023, considérant que A______ avait démontré son refus de se soumettre à cette mesure d'instruction.

D. a. Dans son recours, A______ invoque une violation des art. 20 CP, 184, 185 et 186 CPP, reprochant au Ministère public d'avoir révoqué le mandat d'expertise litigieux et renoncé à mettre en œuvre une expertise psychiatrique, alors même que celle-ci avait été jugée nécessaire.

Certes, il ne s'était présenté qu'à un seul rendez-vous sur les huit qui lui avaient été fixés par les experts. Cela étant, sa situation de vie et ses "difficultés" constituaient pour lui un "véritable fardeau". Alors qu'il avait besoin de soutien, "la piste pouvant l'inciter à comprendre ce dont il a[vait] besoin était tarie".

Pourtant, les experts l'avaient reçu en entretien le 21 décembre 2023, de sorte qu'ils pouvaient émettre un avis sur la base des éléments recueillis. Ils avaient également la possibilité de rassembler d'autres informations et/ou procéder eux-mêmes à certaines investigations. Quant au Ministère public, il pouvait "prendre des mesures rapides et efficaces" afin de "l'obliger" à déférer à toute convocation ; ou encore fixer une audience, à laquelle les experts pourraient, le cas échéant, participer.

Il appartenait ainsi à l'autorité précitée de mettre en œuvre l'expertise psychiatrique, "fût-ce en prononçant les mesures qui s'impos[aient]".

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais. Le fait pour le recourant d'avoir manqué six [recte: sept] rendez-vous sur sept [recte : huit] démontrait son refus de se soumettre à l'expertise psychiatrique, les difficultés administratives et personnelles auxquelles il alléguait être confronté ne justifiant pas ses absences. Pour le surplus, les experts avaient exclu la possibilité de réaliser une expertise sur dossier. Dans ces circonstances, il n'avait "d'autre choix" que de révoquer le mandat litigieux.

c. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émane du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a en principe qualité pour agir (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Il sied cependant d'examiner si la décision querellée est susceptible de recours devant la Chambre de céans.

2.1.  À teneur de l'art. 393 al. 1 let. a CPP, le recours est ouvert contre les décisions et les actes de procédure de la police, du ministère public et des autorités pénales compétentes en matière de contraventions. Cependant, les décisions qualifiées de définitives ou de non sujettes à recours par le CPP ne peuvent pas être attaquées par le biais d'un recours (art. 380 en lien avec les art. 379 et 393 CPP ; ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1 p. 84).

Selon l'art. 394 let. b CPP, le recours est irrecevable lorsque le ministère public rejette une réquisition de preuves qui peut être réitérée sans préjudice juridique devant le tribunal de première instance.

En adoptant cette disposition, le législateur a voulu écarter tout recours contre des décisions incidentes en matière de preuve prises avant la clôture de l'instruction parce que, d'une part, la recevabilité de recours à ce stade de la procédure pourrait entraîner d'importants retards dans le déroulement de celle-ci et que, d'autre part, les propositions de preuves écartées peuvent être réitérées dans le cadre des débats (Message du Conseil fédéral relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005 [FF 2006 1057 1254]). La loi réserve toutefois les cas où la réquisition porte sur des preuves qui ne peuvent être répétées ultérieurement sans préjudice juridique. En l'absence de précision sur cette notion dans la loi ou dans les travaux préparatoires, le préjudice juridique évoqué à l'art. 394 let. b CPP ne se différencie pas du préjudice irréparable visé à l'art. 93 al. 1 let. a LTF, lequel s'entend, en droit pénal, d'un dommage juridique à l'exclusion d'un dommage de pur fait tel l'allongement ou le renchérissement de la procédure (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1 ; TF 1B_682/2021 du 30 juin 2022 consid. 3.1). L'existence d'un tel préjudice a ainsi été admise lorsque le refus d'instruire porte sur des moyens de preuve qui risquent de disparaître, tels que l'audition d'un témoin très âgé, gravement malade ou qui s'apprête à partir dans un pays lointain définitivement ou pour une longue durée, ou encore la mise en œuvre d'une expertise en raison des possibles altérations ou modifications de son objet, pour autant qu'ils visent des faits non encore élucidés. La seule crainte abstraite que l'écoulement du temps puisse altérer les moyens de preuve ne suffit pas (arrêts du Tribunal fédéral 1B_682/2021 précité ; 1B_265/2020 du 31 août 2020 consid. 3.1 ; 1B_193/2019 du 23 septembre 2019 consid. 2.1).

2.2.1. L'art. 182 CPP – qui figure dans le chiffre 4 du CPP sur les moyens de preuve – prévoit que le ministère public et les tribunaux ont recours à un ou plusieurs experts lorsqu'ils ne disposent pas des connaissances et des capacités nécessaires pour constater ou juger un état de fait.

2.2.2. L'art. 184 al. 5 CPP permet à la direction de la procédure de révoquer le mandat d'expertise en tout temps et de nommer un nouvel expert si l'intérêt de la cause le justifie.

Cette disposition trouve application dans les cas où un motif objectif s’oppose à la poursuite de la collaboration avec l’expert, par exemple si un motif de récusation est découvert après sa nomination ou en cas de conflit d'intérêts (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., 2e éd., Bâle 2019, n. 29a ad art. 184 ; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, Bâle 2016, 2e éd., n. 36 ad art. 184).

2.2.3. Une ordonnance, par laquelle le Ministère public révoque un mandat d'expertise et renonce à mettre en œuvre l'expertise doit être assimilée à une décision de rejet d'une réquisition de preuves, au sens de l'art. 394 let. b CPP (cf. arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois PE17.019538 du 4 juin 2019 consid. 1.2).

2.3.  En l'espèce, le recourant reproche au Ministère public d'avoir révoqué le mandat d'expertise psychiatrique du 24 juillet 2023 et renoncé à cette mesure d'instruction. Or, la Chambre de céans partage l'avis du Tribunal cantonal vaudois, selon lequel l'ordonnance entreprise doit être assimilée à une décision de rejet d'une réquisition de preuves, qui n'est sujette à recours que si elle est susceptible de causer à l'intéressé un dommage irréparable, au sens de l'art. 394 let. b CPP.

Il sied de préciser que, contrairement à ce qu'énonce la décision querellée, on ne se trouve pas dans un cas de figure visé par l'art. 184 al. 5 CPP. En effet, le Ministère public a renoncé à une expertise psychiatrique, en raison du refus de collaborer du recourant et de l'impossibilité pour les experts de se prononcer sur la seule base du dossier, et non pour un motif objectif s'opposant à la collaboration avec eux. En l'espèce, il ne s'agit ainsi pas de remplacer un expert par un autre, mais de renoncer purement et simplement à une mesure d'instruction.

Force est cependant de constater que le recourant n'allègue pas, ni a fortiori ne démontre, que la renonciation du Ministère public à mettre en œuvre une expertise psychiatrique serait, à ce stade de la procédure, susceptible de lui causer un quelconque préjudice juridique.

En effet, il ne prétend pas que l'expertise sollicitée constituerait un moyen de preuve qui ne pourrait plus utilement être mis en œuvre ultérieurement. Le recourant ne soutient ni ne démontre non plus que la preuve qu'il souhaite voir administrée – portant sur son état psychique au moment des faits incriminés – serait éphémère au point qu'il se justifierait de réaliser une expertise psychiatrique sans tarder, et qu'à défaut de procéder immédiatement, ladite preuve serait susceptible de se modifier, de s'altérer ou de disparaître, étant précisé qu'une simple possibilité théorique ne suffit pas. Il apparaît ainsi qu'il pourra sans préjudice juridique renouveler sa requête de mise en œuvre d'une expertise psychiatrique devant l'autorité de jugement (art. 318 al. 2 3ème phrase et 331 al. 2 et 3 CPP), étant précisé que celle-ci sera prochainement saisie, le Ministère public ayant rendu un avis de prochaine clôture le 25 janvier 2024.

3.             Par conséquent, faute de tout préjudice juridique au sens de l'art. 394 let. b CPP, le recours s'avère irrecevable.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, arrêtés à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

5.             L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Déclare le recours irrecevable.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/22816/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

Total

CHF

600.00