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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13874/2022

ACPR/303/2024 du 25.04.2024 sur OMP/4001/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DROITS DE LA DÉFENSE;CONFRONTATION;AUDITION OU INTERROGATOIRE;VICTIME;MESURE DE PROTECTION;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;DROIT D'ÊTRE PRÉSENT À L'AUDIENCE
Normes : CPP.108; CPP.147; CPP.149; CPP.152

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13874/2022 ACPR/303/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 25 avril 2024

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de restriction du droit d'être entendu rendue le 23 février 2024 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 7 mars 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 février 2024, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a suspendu son droit à participer à l'audition de C______.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance susmentionnée et, en cas de confrontation, à l'utilisation d'une salle LAVI, subsidiairement, de tout autre moyen garantissant sa présence et sa participation personnelle.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. À la suite de la plainte déposée par C______ à son encontre, le 23 juin 2022, une procédure pénale a été ouverte contre A______ des chefs d'acte d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP) et contrainte sexuelle (art. 189 CP) et d'infraction à la LEI.

Il est notamment reproché à A______ d'avoir, entre la fin de l'année 2008 et le début de l'année 2010, alors que C______ était âgée entre 10 et 12 ans, à son domicile :

- touché à plusieurs reprises les fesses et la poitrine de la prénommée par-dessus les habits lorsqu'ils jouaient à cache-cache;

- caressé les fesses et le sexe de la jeune fille par-dessus et par-dessous ses vêtements, à plusieurs reprises, alors qu'elle dormait dans la même chambre et le même lit que sa propre fille et, à certaines occasions, d'avoir mis les doigts dans son vagin;

- sorti son sexe en érection de son pyjama et s'être masturbé devant l'enfant, à plusieurs reprises, alors qu'il lui touchait le sexe durant la nuit.

b. Entendue par la police le 10 novembre 2022, C______ a, en substance, confirmé sa plainte.

c. Entendu par la police le 22 décembre 2022 et, par le Ministère public les 23 décembre 2022 et 19 janvier 2023, A______ a contesté les faits reprochés.

d. Plusieurs audiences, en vue de l'audition de C______ et la confrontation des parties, ont été annulées en raison de l'impossibilité médicale de la prénommée de comparaître.

e.a. Selon les certificats médicaux, l'état de santé psychique de C______ ne lui permettait pas de comparaître à une audience de confrontation, ni d'être entendue, en l'état (Dr D______, médecin-psychiatre, les 12 janvier et 20 avril 2023). Elle souffre d'un trouble post-traumatique complexe. Malgré un traitement psychiatrique et psychothérapeutique intégré, son état mental demeurait instable. Le procès pénal en cours déclenchait des symptômes associés à son psycho-traumatisme, raison pour laquelle il lui était impossible de comparaître au tribunal mais surtout d'être confrontée à l'auteur des violences sexuelles dénoncées (Dr D______ le 25 janvier 2023). À la suite d'une tentative de suicide en juin 2023, elle présentait, en octobre 2023, des signes de désorganisation au niveau cognitif et émotionnel dès qu'il était question de la procédure pénale. Elle restait extrêmement fragile sur le plan émotionnel, manifestant une anxiété qui s'intensifiait rapidement. Son état psychologique ne lui permettait pas de comparaître personnellement. Dans le cas où elle se présenterait à l'audience – appointée le 10 octobre 2023 – et en la présence, soit réelle soit "symbolique", du prévenu ("selon la patiente, le prévenu assistera dans une salle en face avec des vitres teintées"), il existerait un risque important de décompensation psychique. Ses fonctions psychologiques restaient altérées et le risque de récidive suicidaire était considérable. Selon l'évolution de son état, une audition par le Ministère public en présence uniquement des avocats pourrait être envisageable, mais en aucun cas en présence du prévenu, afin de ne pas compromettre gravement sa santé (E______, psychologue, le 9 octobre 2023).

e.b. La teneur de ces attestations a été confirmée par les praticiens lors de leur audition par-devant le Ministère public le 4 mai 2023.

f.a. Par mandats de comparution du 9 octobre 2023, le Ministère public a convoqué les parties, le 23 janvier 2024, afin de procéder à l'audition de C______ et à leur confrontation.

f.b. Par avis de modification d'audience du 13 octobre 2023, le Ministère public les a informés que A______ était finalement simplement avisé de l'audience et ne faisait plus l'objet d'un mandat de comparution.

g. L'audience du 23 janvier 2024 n'a pu avoir lieu.

Selon la note du procureur, bien que la semaine précédente, il avait été demandé à A______ de ne pas se présenter, il était venu et avait demandé à assister à l'audience afin de poser des questions à la plaignante. Quant à C______, elle s'était présentée mais n'était pas en état de répondre aux questions de la direction de la procédure en présence du prévenu, fût-ce dans une salle LAVI.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère qu'il lui appartenait de protéger la personnalité de C______, dont l'audition ne pouvait avoir lieu en présence du prévenu, sans constituer un risque pour sa santé psychique. Le droit d'être entendu de A______ était pleinement garanti par la présence de son avocat et par l'accès complet au dossier. Il lui serait ainsi loisible, le moment venu, de se déterminer sur les résultats de l'audition de C______ et de soumettre, au préalable, ses éventuelles questions à son conseil.

D. a. Dans son recours, A______ considère que son droit d'être entendu a été violé. Il n'avait toujours pas pu se confronter à son accusatrice alors que les déclarations de cette dernière constituaient le seul élément à charge contre lui. L'ordonnance querellée portait atteinte gravement et irrémédiablement à ses droits de prévenu, dès lors qu'elle le privait définitivement de la possibilité de "rebondir" immédiatement sur les déclarations de C______, d'examiner la crédibilité personnelle de cette dernière et de l'affronter. Dans ces circonstances, la seule présence de son conseil n'était pas suffisante à assurer son droit d'être entendu.

En outre, sans prendre en considération des mesures alternatives, qui tout en permettant de protéger la prénommée ne lésaient pas ses droits de défense, telles que l'utilisation d'une salle LAVI, voire la retransmission audio-visuelle de l'audition dans une salle séparée, le Ministère public avait fait un choix disproportionné et contraire à la loi.

Enfin, la valeur probante des rapports médicaux des 25 janvier et 9 octobre 2023 devait être relativisée. Ils émanaient des médecins traitants de C______ et non d'experts et apparaissaient avoir été rédigés spécialement pour les besoins de la cause.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir suspendu son droit à participer à l'audition, par le Ministère public, de la partie plaignante.

3.1. L'art. 147 al. 1 1ère phrase CPP consacre le principe de l'administration des preuves en présence des parties – notamment le prévenu, art. 104 al. 1 let. a CPP – durant la procédure d'instruction et les débats. Il en ressort que les parties ont le droit d'assister à l'administration des preuves par le ministère public et les tribunaux et de poser des questions aux comparants. Ce droit spécifique de participer et de collaborer découle du droit d'être entendu (art. 107 al. 1 let. b CPP). Il ne peut être restreint qu'aux conditions prévues par la loi (cf. art. 108, 146 al. 4 et 149 al. 2 let. b CPP) et de manière proportionnée (ATF 141 IV 220 consid. 4.4; 139 IV 25 consid. 4.2 et 5.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_321/2017 du 8 mars 2018 consid. 1.5.1).

3.2. L'art. 108 al. 1 let. b CPP autorise expressément les autorités pénales à restreindre le droit d'une partie à être entendue lorsque cela est nécessaire pour assurer la sécurité de personnes ou pour protéger des intérêts publics ou privés au maintien du secret.

3.3. L'art. 149 al. 1 CPP, qui prévaut sur la règle générale prévue à l'art. 108 al. 1 let. b CPP (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 4 ad art. 108), prévoit plus spécifiquement que, s'il y a lieu de craindre qu'une personne appelée à donner des renseignements – comme la partie plaignante (art. 178 let. a CPP) – puisse, en raison de sa participation à la procédure, être exposée à un danger sérieux menaçant sa vie ou son intégrité corporelle ou à un autre inconvénient grave, la direction de la procédure prend, sur demande ou d'office, les mesures de protection appropriées. Dans ce cadre, elle peut limiter de façon appropriée les droits de procédure des parties, notamment en procédant à des auditions en l'absence des parties (al. 2 let. b). La direction de la procédure s’assure en particulier que les droits de la défense du prévenu soient garantis (art. 149 al. 5 CPP).

3.4. L'art. 152 CPP dispose que les droits de la victime sont garantis à tous les stades de la procédure et que les autorités pénales évitent de la confronter avec le prévenu, si elle l'exige, ce qui implique, notamment, la possibilité de procéder à des auditions en l'absence des parties ou à huis clos, de modifier l'apparence et la voix de la personne à protéger ou la masquer à la vue des autres personnes (art. 152 al. 3 cum art. 149 al. 2, let. b et d CPP).

3.5. La confrontation peut être ordonnée lorsque le droit d'être entendu du prévenu ne peut pas être garanti autrement (art. 152 al. 4 let. a CPP).

Il s'agit de ménager les droits de la défense du prévenu. Tel sera le cas lorsque les accusations proférées par la victime sont décisives et qu'il est impossible de les confronter à l'aide de témoignages. La direction de la procédure déterminera toutefois s'il n'existe pas des mesures alternatives pour éviter la confrontation. Dans chaque cas particulier, il y a lieu d'envisager les procédés et mesures de substitution à même de garantir au prévenu son droit d'être entendu d'une manière aussi large que possible tout en préservant la victime (arrêt du Tribunal fédéral 6B_446/2012 du 29 novembre 2012 consid. 4.3). On peut par exemple imaginer la possibilité d'enregistrer par vidéo l'audition ou de pouvoir poser des questions complémentaires par écrit à la suite de la lecture du procès-verbal d'audition (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, Bâle 2016, n. 12 ad art. 152).

En matière de garantie du droit à la confrontation, qu'il y a lieu de mettre en balance les intérêts de la défense vis-à-vis de ceux de la victime et d'examiner, dans chaque cas d'espèce, quels procédés et mesures de remplacement sont envisageables afin de garantir autant que possible les droits de la défense de l'accusé et, en même temps, de tenir compte de l'intérêt de la victime. Pour ce faire le tribunal dispose d'une certaine marge d'appréciation (arrêts du Tribunal fédéral 6B_492/2015 du 2 décembre 2015 consid. 1.3 et 6B_681/2012 du 12 mars 2013 consid. 2.4). Ainsi, lorsqu’une confrontation directe ne peut être exigée de la victime et que le prévenu doit quitter la salle pendant l’audition des témoins, il n’est pas obligatoire de retransmettre l’audition par vidéo ; la retransmission par oral dans une autre salle, la possibilité de poser des questions par le biais de son défenseur et finalement prendre position sont suffisants (ATF 143 IV 397 consid. 5.2 JdT 2018 IV 155; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 22a ad art. 149).

3.6. En l'espèce, jusqu'en octobre 2023, la plaignante a présenté des certificats médicaux constatant que son état psychologique ne lui permettait pas de comparaître, que ce soit pour être entendue ou pour une audience de confrontation. Même une présence "symbolique" du prévenu, soit, à bien comprendre, dans une salle séparée, lui engendrerait un risque de décompensation psychique, considéré comme important. Selon l'évolution de son état et afin de ne pas compromettre gravement sa santé, seule la possibilité d'une audience en présence uniquement des avocats a été laissé ouverte par le certificat médical du 9 octobre 2023.

Aucun élément au dossier ne permet de considérer que l'état de la plaignante ne lui permettrait, dorénavant, d'être entendue, en présence du prévenu, même dans une pièce séparée. Bien au contraire, il ressort du procès-verbal de l'audience du 23 janvier 2024 qu'elle n'est toujours pas en état physique et psychique d'être auditionnée dans ces circonstances adaptées.

Il est ainsi évident qu'une audition en présence du prévenu, voire une confrontation avec ce dernier est, en l'état, exclue.

Partant, une restriction des droits du prévenu apparaît raisonnable et adéquate, à cet égard, et la mesure entreprise proportionnée.

En effet, l'ordonnance querellée ordonne une suspension partielle de la participation du recourant à l'audition de la plaignante. Les droits de défense du prévenu restent cependant garantis par la présence de son avocat, avec la possibilité pour celui-là de poser immédiatement des questions. Il bénéficie également de l'accès complet au dossier, y compris au procès-verbal d'audition, de sorte qu'il lui sera possible de poser des questions complémentaires par écrit, par la suite.

Les mesures proposées par le recourant – salle LAVI ou salle séparée avec dispositif de retransmission audio-visuelle – sont, au vu des constatations médicales susmentionnées, inadaptées, voire incompatibles avec la protection prépondérante que nécessite l'état de la plaignante.

Enfin, le fait que les documents médicaux produits émanent de médecins traitants n'apparaît pas problématique, dans la mesure où ce sont lesdits praticiens, qui suivent de manière régulière la patiente, qui peuvent, au mieux, attester de son état. D'ailleurs, le recourant ne remet aucunement en doute les diagnostics et incapacités attestées et n'a pas sollicité d'expertise à cet égard. On ne voit pas non plus en quoi la valeur probante desdits documents pourrait être remise en question par le fait qu'ils auraient été rédigés pour les besoins de la cause, dès lors qu'ils sont pertinents et concernent précisément les actes de procédure envisagés.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 400.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), étant précisé que même lorsque qu'il obtient l'assistance judiciaire, le recourant débouté peut être condamné à prendre à sa charge les frais de la procédure dans la mesure de ses moyens (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 6B_380/2013 du 16 janvier 2014 consid. 5).

6.             À ce stade, il n'y a pas lieu d'indemniser le défenseur d'office (cf. art. 135 al. 2 cum 138 al. 1 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 400.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

La greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13874/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

315.00

Total

CHF

400.00