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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/109/2023

ACPR/847/2023 du 31.10.2023 ( RECUSE ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : AUTORITÉ JUDICIAIRE(TRIBUNAL);RÉCUSATION;DÉLAI
Normes : CPP.58

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/109/2023 ACPR/847/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 31 octobre 2023


Entre


A
______, représentée par Me Romain JORDAN, avocat, Étude MERKT [&] associés, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4,

requérante

et


B
______, C______ et D______, juges au Tribunal correctionnel, rue des
Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3

cités

 


EN FAIT :

A. Par lettre postée le 5 octobre 2023, A______ demande au[x membres du] Tribunal [correctionnel] appelé[s] à la juger de se récuser.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Des membres de la famille A___/E___/F___/G______, composée de E______ (père), F______ (mère), G______ (fils) et A______ (épouse de ce dernier) sont l'objet d'une procédure pénale pour traite d'êtres humains par métier (art. 182 CP), usure par métier (art. 157 ch. 1 et 2 CP) et infractions, cas échéant aggravées, aux lois fédérales sur les étrangers et l'intégration (art. 116 al. 1 et 3 et 117 al. 1 et 2 LÉI) et sur l'assurance vieillesse et survivants (art. 87 LAVS). Il leur est, notamment, reproché d'avoir exploité leur personnel de maison.

b.             Par acte d’accusation du 14 février 2023, ils ont été renvoyés par-devant le Tribunal correctionnel. Après que celui-ci eut demandé, le 6 juin 2023, que cet acte fût complété et corrigé avant le 15 août 2023, le procès (initialement prévu du 2 au 6 octobre 2023, cf. ACPR/700/2023) a été reporté au 20 novembre 2023. Le tribunal serait composé des juges B______, C______ et D______.

c.              Le 4 septembre 2023, A______, par son défenseur, s’est enquise de « contacts informels » qui auraient eu lieu entre le tribunal, le Ministère public et les parties plaignantes et qu’accréditeraient, cumulativement, le renvoi de l’acte d’accusation, « les délais convenus » et « le déroulement de la procédure par ailleurs ».

d.             Bien que la Direction de la procédure lui eût répondu, le 12 septembre 2023, ne pas discerner en quoi d’éventuels contacts entre le Ministère public et le tribunal seraient utiles au jugement à intervenir, A______ a prétendu, le 27 suivant, n’avoir reçu « aucune » réponse. Selon elle, de tels contacts, s’ils avaient existé, eussent dû être documentés au dossier, à peine de récusation. Or, tant le délai « idoine » pour compléter l’acte d’accusation que l’émission, le 15 août 2023, de citations supplémentaires (pour le 3 octobre 2023) en laissaient supposer l’existence, sauf à ce que le tribunal les démentît.

e.              Le 2 octobre 2023, A______ est revenue à la charge, affirmant que l’existence de contacts n’avait jamais été contestée par le tribunal. Or, celui-ci devait « y » répondre de manière exhaustive et « liante », avant l’expiration d’un « ultime » délai fixé au lendemain à 12 heures.

f.              Le 2 octobre 2023 ont été émises des citations pour l’audience de jugement prévue entre les ______ et ______ novembre 2023. Celles destinées à E______ ont été envoyées par courriels à son adresse, à celle de la banque portant son nom et à une société détenue par son groupe, ainsi que par poste à son domicile monégasque ; la police a aussi été requise de notifier l’assignation à sa résidence de H______ [GE] ; il a aussi été assigné par voie édictale.

C. a. Dans sa requête, A______ soutient que le silence embarrassé du tribunal, après sa lettre du 2 octobre 2023, établissait l’existence des échanges qu’elle soupçonnait. Pour n’avoir pas documenté ceux-ci, le tribunal cherchait à cacher des violations du principe de l’égalité des armes, ainsi que son absence d’indépendance et d’impartialité. De même, aucune trace des consultations de fichiers informatiques par les parties au moyen d’un accès sécurisé, ni aucune trace de contacts ou démarches précédant la citation édictale, illégale, d’un prévenu ne se trouvaient au dossier.

b. Les juges de la composition concernée du Tribunal correctionnel, sous la plume de B______, présidente, estiment la requête tardive, subsidiairement infondée. A______ avait obtenu une réponse à ses questions le 12 septembre 2023, soit plus de trois semaines avant d’agir en récusation ; ses suppositions étaient sans fondement ; seuls, des contacts à des fins organisationnelles, que le Code de procédure pénale ne proscrivait pas, avaient eu lieu avec les parties. Les messages électroniques ayant réglé l’accès au logiciel sécurisé n’avaient pas été versés au dossier, sans que cette inadvertance n’entraînât de conséquence pour la procédure. Ils étaient toutefois produits en annexe.

c. En réplique, A______ estime que le Ministère public devrait être interpellé sur ces questions. Elle se demande si la nouvelle date des débats a été fixée après consultation des parties et, le cas échéant, lesquelles, puisqu’elle n’en était pas. Sur ce point, sa « présente demande » en récusation était « recevable », pour suivre de trois jours le refus de répondre de la Direction de la procédure.

EN DROIT :

1.             Partie à la procédure, en tant que prévenue (art. 104 al. 1 let. a CPP), la requérante a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans est compétente pour connaître de sa requête, dirigée contre le Tribunal correctionnel (recte : contre des membres du tribunal de première instance, au sens de l’art. 59 al. 1 let. b CPP). À vrai dire, la requérante n’a eu pour interlocuteur que B______, en qualité de Direction de la procédure du Tribunal correctionnel, de sorte qu’on ne voit pas en quoi les deux autres juges de la composition de jugement seraient concernés. Ils doivent, au contraire, être mis d’emblée hors de cause.

2.             L’objet du litige est délimité strictement par les faits invoqués dans la requête ; il ne s’étend pas à ceux énoncés en réplique seulement, lesquels ne sauraient être considérés comme fondant une requête, nouvelle ou supplémentaire, comme semble le croire la requérante, qui ne l’a au demeurant pas adressée à l’autorité compétente (cf. art. 58 al. 1 CPP).

En effet, le droit de réplique sert à déposer des observations au sujet d'une prise de position ou d'une pièce nouvellement versée au dossier (cf. ATF 137 I 195 consid. 2), mais n'a pas vocation à permettre à la partie qui saisit le juge de pallier une argumentation défaillante ou de compléter son acte (ATF 143 II 283 consid. 1.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 1C_752/2021 du 19 mai 2022 consid. 2.2.), p. ex. par des griefs qui auraient déjà pu être exposés dans le mémoire de recours (arrêt du Tribunal fédéral 1C_575/2019 du 1er mars 2022 consid. 2.4.).

Il y a d’autant moins de raison de s’écarter de ces principes, en l’espèce, que le flux intensif de correspondance soupçonneuse adressé au Tribunal correctionnel ou à sa présidente risquerait de nourrir indéfiniment l’instance en récusation, différant d’autant le prononcé attendu. Or, vu que la personne concernée continue à exercer ses fonctions tant que la décision n'est pas rendue (cf. 59 al. 3 CPP) et que, d'autre part, tous les actes accomplis par une personne récusée sont annulables (art. 60 al. 1 CPP), il est évident qu'une prise de décision rapide s'impose, surtout à l'approche de phases importantes de la procédure, comme les débats (arrêt du Tribunal fédéral 1B_252/2022 du 24 août 2022 consid. 3.1.).

3.             La Direction de la procédure du Tribunal correctionnel objecte que la requête serait tardive.

3.1.       Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3). Il incombe à la partie qui se prévaut d'un motif de récusation de rendre vraisemblable qu'elle a agi en temps utile, en particulier eu égard au moment de la découverte de ce motif (arrêt du Tribunal fédéral 1B_348/2022 du 11 août 2022 consid. 3). Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de garder ce moyen en réserve pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable ou lorsque l'intéressé se serait rendu compte que l'instruction ne suivait pas le cours désiré (ATF 143 V 66 consid. 4.3). En matière pénale, l'autorité qui constate qu'une demande de récusation est tardive n'entre pas en matière et la déclare irrecevable (ACPR/304/2022 du 3 mai 2022 consid. 4 et les références citées). N'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours, soit dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2).

3.2.       En l’occurrence, la requérante soupçonne la citée de lui dissimuler l’existence de contacts indéterminés avec d’autres parties et, même, de les avoir admis, au motif qu’elle ne les aurait (implicitement) pas contestés.

La requérante a formellement soulevé cette question dans sa lettre du 4 septembre 2023, et elle a obtenu une réponse le 12 suivant, à teneur de laquelle le sujet n’était pas utile au jugement de la cause.

Or, on ne voit pas ce que les échanges ultérieurs de correspondance y ont changé, en termes de motif de récusation et de point de départ du délai pour agir. Que la première réponse ne la satisfasse pas, non plus.

La requérante n’a pas découvert après le 4 septembre 2023 les raisons qu’elle donne pour origine de ses soupçons (le renvoi de l’acte d’accusation ; « les délais convenus » ; « le déroulement de la procédure par ailleurs »). Son insistance à revenir sur ces aspects par la suite – qui la conduira à prétendre n’avoir reçu « aucune » réponse, comme si la lettre du 12 septembre 2023 n’existait pas – ne tient qu’à sa volonté d’obtenir la confirmation, par la citée, de sa conviction que de tels contacts auraient eu lieu, à son insu et sans trace au dossier. Preuve en soit que, faute d’avoir rien obtenu dans ce sens, elle en sera réduite à tenir ces contacts pour établis du seul fait qu’ils n’auraient pas été « contestés » par la citée.

Les échanges épistolaires postérieurs au 12 septembre 2023 ne sauraient donc avoir reporté le moment à partir duquel la requérante aurait encore pu agir « sans délai », au sens de la loi. En particulier, elle ne saurait rien tirer en sa faveur de l’expiration du délai, unilatéral et péremptoire, qu’elle a imparti à la citée pour réagir à sa (troisième) relance.

Partant, sa requête, déposée le 5 octobre 2023, est tardive, donc irrecevable.

4.             Ne le serait-elle pas que les griefs de partialité, ou d’apparence de partialité, et de manque d’indépendance de la citée seraient dénués de tout fondement.

La requérante – qui n’invoque aucune disposition du CPP relative à la récusation, sauf à s’être « réservé », dans ses lettres au tribunal, l’application des art. « 56 ss. CPP » – soulève à vrai dire des griefs qu’elle pourra faire valoir dans la suite de la procédure. Ainsi en va-t-il du principe d’égalité des armes (sur cette notion, cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_314/2023 du 10 juillet 2023 consid. 2.6.2.). En revanche, on ne saurait soutenir qu’exercer la possibilité de renvoyer l’accusation au Ministère public, telle que l’institue l’art. 329 al. 3, 2e phrase, CPP, serait la marque d’une « faveur » concédée à celui-ci ou aux parties plaignantes.

Certes, la requérante soutient, en réplique, que, selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 1B_315/2019 du 24 septembre 2019), ne pas documenter des échanges avec une partie au procès pénal rend l’autorité passible de récusation.

Les faits de la cause ne sont cependant pas transposables.

Les griefs portés au Tribunal fédéral avaient trait, non pas aux modalités de consultation d’un dossier ou d’audiencement d’un procès, mais aux erreurs de procédure répétées d’un Procureur envers des plaignants (contacts téléphoniques, avérés, avec l’avocat d’un prévenu, alors qu’il les refusait aux plaignants ; absence de note écrite consignant un entretien téléphonique précis avec l’avocat d’un prévenu ; non-communication de pièces aux plaignants) ; ces erreurs avaient été constatées, qui plus est, après l’annulation d’une décision de classement pour, déjà, des erreurs de procédure (arrêt susmentionné, consid. 3.2.3.).

Cette situation suggérait, en d’autres termes, un manque d’indépendance par rapport aux prévenus, grief pouvant relever a priori de l’art. 56 let. a CPP (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 31 ad art. 56).

Rien de tel, en l’espèce.

La Direction de la procédure n’a pas été désavouée à ce jour par l’autorité de recours pour des erreurs répétées de procédure, et l’on chercherait en vain dans le dossier en quoi consistaient « les délais convenus » (sous-entendu, avec d’autres parties que la requérante) et, dans l’affirmative, en quoi ils témoigneraient d’un parti pris en faveur de celles-ci.

Quant au « déroulement de la procédure par ailleurs », il n’appartient pas à la Chambre de céans de passer le dossier au peigne fin à partir de la création de la litispendance (art. 328 CPP), d’autant moins qu’il incombe au demandeur en récusation de rendre « plausibles » les griefs qu’il invoque (art. 58 al. 1 CPP), i.e. à présenter une motivation factuelle d’une vraisemblance prépondérante (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 3 ad art. 58).

Or, la requérante n’y satisfait pas.

Pour le peu qui s’en rapprocherait (et qui, pour n’avoir été invoqué que dans la requête, paraît échapper au reproche de tardiveté), on ne voit pas en quoi l’inadvertance consistant à n’avoir pas immédiatement versé au dossier des messages électroniques réglant la consultation de fichiers informatiques par les parties plaignantes aurait porté préjudice à la requérante dans l’exercice de ses droits procéduraux, notamment dans son propre accès aux mêmes pièces que ses parties adverses.

On ne voit pas, non plus, en quoi les préparatifs d’une citation par voie édictale (faute d’illustration par la requérante, on peut penser aux modalités pratiques nécessaires à la publication proprement dite) devraient impérativement être actés au dossier, et encore moins comment la mise en œuvre d’une pareille démarche – prévue par la loi lorsqu’une partie ou son conseil n’a pas désigné de domicile de notification en Suisse (art. 88 al. 1 let. c CPP) – pourrait trahir un défaut d’impartialité, qui plus est en défaveur de la requérante, non concernée par ce mode d’assignation. La requérante stigmatise au demeurant « l’illégalité » du procédé, ce qui revient à admettre que le correctif éventuel ne serait pas à rechercher par la voie de la récusation.

Il en irait de même, si l’autorité avait tardé de manière injustifiée à lui répondre.

5.             La requérante, qui succombe, assumera les frais de la procédure (art. 428 al. 1 CPP), fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 13 al. 1 let. b du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare la requête irrecevable.

Condamne A______ aux frais de l’instance, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la requérante, soit pour elle son conseil, et à B______, C______ et D______.

Le communique pour information au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges ; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/109/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur récusation (let. b)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00