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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18934/2022

ACPR/863/2022 du 12.12.2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : PROFIL D'ADN
Normes : CPP.255

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18934/2022 ACPR/863/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 12 décembre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance rendue le 9 septembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le 20 octobre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 9 septembre 2022, dont il a pris connaissance, selon ses dires, au plus tôt le 12 octobre 2022, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil ADN.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à la destruction des échantillons prélevés.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 7 septembre 2022, C______ a déposé plainte contre A______ pour brigandage (art. 140 ch. 1 CP) et injures (art. 177 CP).

En substance, il explique que le jour-même, vers 13h30, à la hauteur [de la] rue 1______no.______, il avait croisé A______ [identifié comme A______], lequel avait placé un couteau de cuisine sous sa gorge et dit: "Je suis capable de t'égorger tout de suite, fils de pute". À plusieurs reprises, le prénommé l'avait traité d'"espèce d'enculé" et de "fils de pute". Puis, A______ avait pris, dans ses poches, deux cartes bancaires, son permis de conduire, CHF 21.-, les clés de son appartement et celles d'une voiture de location. Il était ensuite parti à pied en direction du parc D______. Les personnes ayant assisté à cette altercation ne s'étaient pas interposées. Il n'avait pas appelé la police, n'ayant pas son téléphone sur lui.

Il précisait avoir rencontré A______ dans l'hôtel dans lequel ils avaient résidé. Il avait engagé ce dernier pour un évènement, qui n'avait finalement pas eu lieu. Durant l'altercation, le prénommé lui avait dit qu'il conserverait les biens pris dans ses poches, dans l'attente de la rémunération de CHF 300.- qui lui était due pour le travail fourni. Lui-même n'avait pas été blessé et aucune marque n'avait été laissée par le couteau, dont la lame mesurait environ 10 centimètres et le manche était bleu. Il n'avait pas non plus reçu de coups.

b. Selon le rapport d'arrestation du 7 septembre 2022, à la suite de cette audition, la police s'est rendue au "E______" [hôtel] sis rue 2______ no. ______, où A______ a été interpellé.

L'ensemble des affaires de C______ et un morceau de haschich ont été retrouvés sur A______ et immédiatement restitués au plaignant.

Le couteau n'a pas été retrouvé lors de la perquisition effectuée dans la chambre de A______. Aucun témoin de l'altercation ne s'était en outre manifesté.

c. Entendu par la police, A______ a expliqué que C______ lui avait proposé de l'engager, début août 2022, pour mettre en place du matériel à la place des Nations en vue d'une exposition. Le jour en question, il s'était rendu sur place, conformément à ce qui avait été convenu. Toutefois, C______ n'était pas venu. Il avait déchargé un camion et mis en place des barrières et des affiches. Puis, durant une semaine, il avait "cherché" le prénommé, en vain.

Le 7 septembre 2022, il l'avait croisé par hasard. Il s'était énervé car C______ lui racontait des "histoires". Il l'avait insulté, s'était emparé des affaires que ce dernier avait dans les poches, puis était parti. Il ne l'avait pas menacé de mort ni n'avait utilisé de couteau mais lui avait dit que, s'il voulait récupérer ses biens, il devait le rémunérer pour le travail fourni. Après réflexion, il pensait ne pas l'avoir insulté. Le morceau de stupéfiant retrouvé sur lui avait aussi été pris dans la poche de C______.

d. Le même jour, A______ a accusé réception du mandat pour la saisie, par la police, de ses données signalétiques ainsi que le prélèvement de son ADN par frottis de la muqueuse jugale.

e. Le lendemain, le Ministère a ouvert une instruction contre A______ pour brigandage (art. 140 ch. 1 CP), injures (art. 177 CP) et consommation de stupéfiants (art. 19a LStup).

f. Entendu par le Ministère public, A______ a, en substance, persisté dans ses déclarations.

g. Par ordonnance du 9 septembre 2022, le Tribunal des mesures de contrainte a fait droit à la demande du Ministère public et ordonné la mise en détention provisoire de A______ jusqu'au 7 octobre 2022.

h. Le 15 septembre 2022, le Ministère public a tenu une audience de confrontation, lors de laquelle C______ a fait défaut.

A______ a déposé plainte contre C______ pour escroquerie (art. 146 CP).

À l'issue de l'audience, A______ a été mis en liberté.

i. À la suite d'une demande de A______, le Ministère public a, par ordonnance du 7 octobre 2022, relevé son défenseur d'office de sa mission et désigné, en lieu et place, Me B______.

j. L'extrait du casier judiciaire de A______ est vierge.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a ordonné, le 9 septembre 2022, l'établissement du profil ADN de A______.

D. a. Dans son recours, A______ soutient avoir eu connaissance de l'ordonnance litigieuse le 12 octobre 2022, lorsque son nouveau conseil a reçu une copie de la procédure, de sorte que son recours serait recevable.

Il allègue une violation de son droit d'être entendu, les raisons ayant mené à établir son profil ADN ne ressortant pas du dossier.

Au fond, les conditions pour l'établissement dudit profil n'étaient pas réunies. Pareil profil n'était pas utile à l'élucidation des faits. Les objets empruntés à C______ lui avaient été rendus et l'utilisation du couteau, qui n'avait pas été retrouvé par la police, était contestée. En outre, rien ne permettait de considérer que cette mesure serait nécessaire à la résolution d'autres infractions ou qu'il serait susceptible de commettre des infractions graves dans le futur. Enfin, ladite mesure pouvait avoir un impact négatif sur son développement et son intégration sociale, étant précisé qu'il était citoyen français et marocain, titulaire d'un master en électronique et en ingénierie.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

Il était établi qu'un contact corporel avait eu lieu entre A______ et C______, le premier ayant mis sa main dans la poche du second. L'instruction, qui suivait son cours, devait permettre d'établir si la contrainte, notamment physique, avait été utilisée, le cas échéant si A______ avait fait usage d'un couteau. Bien que l'arme n'ait pas encore été retrouvée, il n'était pas possible d'écarter une telle hypothèse laquelle, si elle venait à se réaliser, devrait donner lieu à des prélèvements et des comparaisons avec l'ADN saisi.

c.A______ réplique et maintient ses conclusions. Subsidiairement, il conclut à ce que l'échantillon prélevé soit conservé jusqu'à l'issue de la procédure, étant précisé que l'établissement d'un profil ADN pourrait alors être ordonné en cas de changement de "circonstances", moyennant une nouvelle décision.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public la violation de son droit d'être entendu, faute de motivation de la décision.

2.1. La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu ancré à l'art. 29 al. 2 Cst féd. l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et exercer son droit de recours à bon escient (arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020 consid. 3.1 et les références citées).

2.2. En l'espèce, la décision entreprise ne comprend pas de motivation. Cependant, l'argumentation développée par le recourant démontre qu'il a compris la portée et les raisons de la décision querellée et la Procureure a produit une motivation à l'occasion de ses observations sur recours, auxquelles le recourant a répliqué.

La violation du droit d'être entendu a été ainsi réparée, sans qu'il soit besoin d'annuler pour ce motif l'ordonnance querellée.

3.             3.1. Selon l'art. 255 al. 1 let. a CPP, le prélèvement d'un échantillon et l'établissement d'un profil ADN peuvent être ordonnés sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit. Le prélèvement non invasif d'échantillon (notamment par frottis de la muqueuse jugale) peut être ordonné (et effectué) par la police (art. 255 al. 2 let. b CPP). Toutefois, l'établissement d'un profil ADN, et donc l'analyse de l'échantillon prélevé, doit être ordonné par le ministère public ou le tribunal (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.2; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 26 ad art. 255).

Cette mesure ne se conçoit pas seulement lorsqu'il s'agit d'élucider le délit initial ayant donné lieu à la mesure de prélèvement, ou d'attribuer concrètement des infractions déjà commises et connues des autorités de poursuite pénale. Comme cela ressort clairement de l'art. 1 al. 2 let. a de la loi sur les profils d'ADN – applicable par renvoi de l'art. 259 CPP –, l'élaboration de tels profils doit également permettre d’identifier l'auteur d'infractions qui n'ont pas encore été portées à la connaissance des autorités de poursuite pénale. Il peut s’agir d’infractions passées ou futures. Le profil ADN peut ainsi permettre d'éviter des erreurs d'identification et d'empêcher la mise en cause de personnes innocentes. Il peut également jouer un rôle préventif et participer à la protection de tiers (ATF 145 IV 263 consid. 3.3 et les références citées).

En matière d'identification de personnes, un prélèvement d'ADN, notamment par frottis de la muqueuse, et son analyse constituent des atteintes – certes légères – à la liberté personnelle, à l'intégrité corporelle (art. 10 al. 2 Cst.), respectivement à la sphère privée (art. 13 al. 1 Cst.), ainsi qu'au droit à l'autodétermination en matière de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH). Les limitations des droits constitutionnels doivent être justifiées par un intérêt public et respecter le principe de proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.). L'art. 255 CPP ne permet pas le prélèvement routinier d'échantillons d'ADN et leur analyse, ce que concrétise l'art. 197 al. 1 CPP. Selon cette disposition, des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d). L'établissement d'un profil ADN qui ne sert pas à élucider une infraction faisant l'objet d'une procédure en cours n'est conforme au principe de la proportionnalité que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu puisse être impliqué dans d'autres infractions, cas échéant futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité. Les antécédents doivent également être pris en compte. Cependant, l'absence d'antécédents n'exclut pas en soi l'établissement d'un profil ADN, mais constitue l'un des nombreux critères à prendre en compte dans l'appréciation globale des circonstances (ATF 145 IV 263 consid. 3.4; 144 IV 127 consid. 2.1; 141 IV 87 consid. 1.3.1 et 1.4, tous avec références). L'âge est également un critère pertinent, en ce sens que l'établissement d'un profil ADN est susceptible d'avoir un impact négatif sur le développement et l'intégration dans la société d'une personne encore jeune (arrêts du Tribunal fédéral 1B_111/2015 du 20 août 2015 consid. 3.5 ; 1B_284/2018 du 13 décembre 2018 consid. 2.3).

3.2. En l'espèce, la mesure ordonnée n'apparait pas utile à l'élucidation des infractions objets de la présente procédure, en particulier du brigandage.

Il est reproché au recourant d'avoir menacé le plaignant avec un couteau et de s'être emparé d'objets appartenant à ce dernier. La Chambre de céans peine à voir en quoi l'établissement d'un profil ADN du recourant serait susceptible d'éclairer le déroulement des évènements. En effet, pour que les prélèvements litigieux puissent se voir reconnaître un semblant d'utilité, encore faudrait-il qu'ils soient ensuite comparés avec les traces effectivement relevées sur place. Or, s'il est vrai qu'un prélèvement d'ADN peut être fait avant le relevé de traces (cf. ACPR/728/2019 du 20 septembre 2019 consid. 3.4), il n'en demeure pas moins qu'un tel relevé doit pouvoir être mis en œuvre concrètement (par exemple sur des documents mis en sûreté par la police, comme dans l'ACPR précité), à défaut de quoi le prélèvement n'est plus apte à atteindre le but visé.

En l'occurrence, le prévenu a été interpellé dans le hall de l'hôtel où il logeait, quelques heures après les faits. Sur lui, il avait encore les objets qu'il dit avoir empruntés au plaignant, dans l'attente de percevoir sa rémunération. Lors de la perquisition effectuée dans sa chambre, la police n'a pas trouvé le couteau avec lequel le plaignant dit avoir été menacé. Ledit couteau n'a d'ailleurs, de l'aveu du Ministère public, pas encore été retrouvé. Ainsi, il ne suffit pas de soutenir qu'une comparaison ultérieure avec des traces justifierait l'ordonnance querellée, dès lors qu'une telle comparaison n'est précisément pas réalisable en l'état. Même si le couteau devait être retrouvé, la présence de l'ADN du recourant sur ledit objet ne permettrait pas encore de déterminer si ce dernier en a effectivement fait usage pour contraindre le plaignant lors de l'altercation. Au demeurant, d'autres mesures moins sévères (cf. art. 197 al. 1 let. c CPP) pouvaient également atteindre le but visé; on pense notamment à l'audition des personnes ayant assisté, selon le plaignant, aux évènements.

Il ressort de ce qui précède que l'ordonnance querellée ne peut être justifiée par l'élucidation des infractions initiales.

Enfin, il n'apparait pas que cette ordonnance puisse se justifier par la nécessité d'élucider d'autres infractions, passées ou futures, avec lesquelles le recourant pourrait avoir un lien. Il n'existe, au dossier, aucun autre élément susceptible de constituer des indices sérieux et concrets laissant penser que le recourant pourrait être lié à d'autres infractions, ce d'autant plus qu'il n'a pas d'antécédents.

Prises ensemble, ces circonstances conduisent à retenir que la mesure litigieuse, sans utilité pour l'instruction de la présente cause ou la recherche d'autres infractions, consacrent une atteinte injustifiée – car disproportionnée – aux droits fondamentaux du recourant

4.             Fondé, le recours doit être admis. Partant, l'ordonnance querellée sera annulée et les échantillons d'ADN prélevés devront être détruits, le Ministère public en étant chargé.

5.             L'admission du recours ne donnera pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6.             L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *

 


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours et annule l'ordonnance querellée.

Ordonne la destruction des échantillons d'ADN prélevés sur A______.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).