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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/78/2022

ACPR/858/2022 du 08.12.2022 ( RECUSE ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;MINISTÈRE PUBLIC
Normes : CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/78/2022 ACPR/858/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 8 décembre 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______, France, comparant par Me Mahault FREI DE ClaviÈre, avocate, RVMH Avocats, rue de Gourgas 5, case postale 31, 1211 Genève 8,

B______, domicilié ______, France, comparant par Mes Arnaud CYWIE et
Céline GAUTIER, avocats, Borel & Barbey, rue de Jargonnant 2, case postale 6045, 1211 Genève 6,

requérants,

 

et

C______, anciennement Procureur, p.a MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565,
1211 Genève 3,

cité.

 


EN FAIT :

A. Par actes des 5 et 6 octobre 2022, A______ et B______ ont demandé au Procureur C______, qui instruisait [jusqu’au 7 novembre 2022] la procédure P/1______/2021 ouverte contre eux, de se récuser.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 20 mai 2021, D______ Sàrl a déposé plainte pénale, notamment, contre A______ et B______ (ci-après, les époux A______/B______), pour abus de confiance (art. 138 CP), détérioration de données (art. 144bis CP) et gestion déloyale (art. 158 CP), commis dans le cadre de leur activité d'associés gérants, respectivement de président.

En substance, il leur est reproché d'avoir mis en place une activité concurrente et débauché les employés de l'entreprise. Pour ce faire, ils auraient notamment demandé conseil auprès de divers avocats, ce qui ressortait de certains documents joints à la plainte.

Cette plainte fait, notamment, état d'un message électronique envoyé, le 26 novembre 2020, depuis la messagerie professionnelle de B______ à l'étude qui le défend actuellement, d'une note d'honoraires d’une autre étude d’avocats et d'un courriel que A______ a adressé le 2 septembre 2020 au conseil mandaté par la société dans le cadre d'un litige annexe.

b. À la suite de leur audition par la police, le 23 novembre 2021, les époux A______/B______ ont requis, le même jour, la mise sous scellés du courriel du 26 novembre 2020, au motif que le contenu de ce document était couvert par le secret professionnel de l'avocat. Le Ministère public s’est exécuté et a requis du Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) la levée de la mesure.

c. Après avoir pris connaissance de la plainte pénale, et pour le même motif que ci-dessus, les époux A______/B______ ont requis que deux pièces supplémentaires fussent aussi scellées. Derechef, le Ministère public s’est exécuté, puis tourné vers le TMC.

d. Les époux A______/B______ ont par ailleurs demandé que tout passage de la plainte se référant à des échanges couverts par le secret professionnel de l'avocat soient caviardés, subsidiairement que l’intégralité de la plainte fût scellée. Le Ministère public a refusé. La Chambre de céans a confirmé cette décision le 24 février 2022 (ACPR/127/2022).

e. Le 15 février 2022, D______ Sàrl a versé au dossier un arrêt de la Cour de justice du 17 janvier 2022 (ACJC/148/2022) faisant droit à sa demande de mesures provisionnelles urgentes contre les époux A______/B______, à savoir l’interdiction d’utiliser, directement ou indirectement, tout logiciel, original ou dérivé, qu’elle avait développé.

f. De nombreuses pièces, désormais caviardées, de la procédure – y compris des passages de la plainte pénale et de l’arrêt susmentionné – montrent que les demandes des époux A______/B______ ont été agréées par le TMC. Selon une lettre des époux A______/B______ au Ministère public, du 6 mai 2022, la décision de cette autorité emportait suppression ou caviardage du message électronique du 26 novembre 2020, de la facture d’avocats et du « courrier » du 2 septembre 2020, ainsi que de toute référence ou citation de l’un d’eux.

g. Le 30 septembre 2022, l’avocat de A______ s’est vu accorder l’accès au dossier et, le 3 octobre suivant, la copie de pièces non spécifiées de la procédure.

C. a. Dans leurs requêtes, largement similaires, les époux A______/B______ affirment avoir découvert dans le dossier, le 3 octobre 2022, un feuillet dactylographié intitulé « Notes personnelles non consultables !!! » comportant la question suivante : « est-il possible d’ordonner l’apport de la cause C/2______/2021, en particulier l’arrêt ACJC/148/2022 du 17.01.22 (où le courriel du 26.11.2021 [recte : 2020] n’a pas été écarté, afin de contourner l’ordonnance du TMC [refusant de lever les scellés] ? »

Ils soutiennent que ce texte ne laissait planer aucune ambiguïté sur la partialité de C______, dont le comportement relevait de l’abus de droit et contrevenait à la bonne foi.

b. C______ fait valoir que la note litigieuse était strictement interne, qu’il n’y avait pris aucune précaution rédactionnelle et qu’elle était restée au dossier par inadvertance. Il s’était simplement posé la question de savoir si, en cas de demande dans ce sens de D______ Sàrl, l’apport de la procédure civile concernée eût été licite, car cette procédure comportait le courriel du 26 novembre 2020, que la Cour de justice n’avait pas tenu pour illicite.

c. Les époux A______/B______ répliquent, là encore chacun en des termes similaires, que la note litigieuse suffisait à créer l’apparence, à tout le moins, d’une prévention contre eux.


 

EN DROIT :

1.             Parties à la procédure, en tant que prévenus (art. 104 al. 1 let. a CPP), les requérants ont qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans est compétente pour connaître de leur requête, dirigée contre un membre du ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ).

2.             Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF
140 I 271 consid. 8.4.3 p. 275 et les arrêts cités). En matière pénale, est irrecevable pour cause de tardiveté la demande de récusation déposée trois mois, deux mois ou même vingt jours après avoir pris connaissance du motif de récusation. En revanche, n'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours, soit dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2 et les arrêts cités). En l’occurrence, il est établi que les requérants n’ont pas consulté le dossier après la décision du TMC, le 28 avril 2022, et qu’ils n’ont pas obtenu copie de certaines pièces avant le 3 octobre 2022. Leurs requêtes respectives, des 5 et 6 octobre 2022, ne sont donc pas tardives.

3.             Dans la mesure où elles visent la même pièce et se fondent sur le même complexe de faits, il y a lieu de joindre les requêtes – dont le contenu est similaire – et de statuer sur leur sort dans un seul et même arrêt.

4.             Que le cité ait quitté ses fonctions au Ministère public dans l’intervalle ne fait pas perdre d’intérêt juridique actuel au litige (ACPR/666/2019 du 2 septembre 2019 ; ACPR/183/2019 du 6 mars 2019).

5. Les requérants estiment que la partialité du cité contre eux serait démontrée par la note qu’ils ont découverte au dossier.

5.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs que ceux évoqués aux lettres a à e de cette disposition, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention. Cette disposition correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 Cst. et 6 CEDH. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles de l'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 143 IV 69 consid. 3.2).

L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011; ATF 136 III 605 consid. 3.2.1, p. 609; arrêt de la CourEDH Lindon, § 76). Il y a prévention lorsque le magistrat donne l'apparence que l'issue du litige est d'ores et déjà scellée, sans possibilité de revoir sa position et de reprendre la cause en faisant abstraction de l'opinion précédemment exprimée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_425/2017 du 24 octobre 2017 consid. 3.4). Un seul comportement litigieux peut suffire à démontrer une apparence de prévention, ce qu'il faut apprécier en fonction des circonstances (cf. l'arrêt 1C_425/2017 précité, consid. 3.3).

5.2. Selon l'art. 61 CPP, le ministère public est l'autorité investie de la direction de la procédure jusqu'à la mise en accusation. À ce titre, il doit veiller au bon déroulement et à la légalité de la procédure (art. 62 al. 1 CPP). Durant l'instruction il doit établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art. 6 CPP); il doit statuer sur les réquisitions de preuves et peut prendre des décisions quant à la suite de la procédure (classement ou mise en accusation), voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction juridictionnelle. Dans ce cadre, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2 p. 179; 138 IV 142 consid. 2.2.1 p. 145).

5.3. Des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que la personne en cause est prévenue ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. Il appartient en outre aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre. La procédure de récusation n'a donc pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74 s.).

5.4. En l'espèce, la note rédigée par le cité n’est pas datée, mais nécessairement postérieure à la décision du TMC, puisqu’elle s’y réfère. Or, le cité s’est plié à cette décision, puisque le dossier remis à la Chambre de céans comporte nombre de pièces dont des passages ont été occultés au liquide correcteur blanc. Que le mot « contourner » apparaisse malencontreux, dans le sens où il pourrait dénoter une volonté de ne pas se plier à la décision rendue, ne saurait faire oublier que le passage litigieux de la note est, en réalité, une question que le cité se posait à lui-même. Rien ne laisse supposer qu’il aurait effectivement cherché à mettre la main sur le message du 26 novembre 2020 en formulant une demande d’entraide auprès de la justice civile (art. 194 CPP). Y serait-il parvenu que le contenu de l’e-mail resterait couvert par l’interdiction de l’exploiter contre les requérants, pour cause de protection du secret professionnel d’avocat, et se verrait donc, à nouveau, occulté dans le dossier, voire retiré de la procédure.

La décision du Tribunal pénal fédéral sur laquelle se fondent les requérants (BV.2019.2 du 15 avril 2019) ne leur est d’aucun secours. Les faits examinés avaient trait au comportement d’un enquêteur qui était parvenu, pendant l’instance en levée de scellés, à prendre connaissance par d’autres voies du document convoité. En la présente espèce, le cité n’a rien entrepris pour circonvenir l’instance de levée de scellés, ni pendant qu’elle se déroulait ni après qu’elle fut terminée, et la procédure par-devant le TMC ne portait pas sur les pièces produites à l’attention de la justice civile, mais sur des documents versés par la partie plaignante au dossier de la procédure pénale. Il importe donc peu que, dans leur arrêt du 17 janvier 2022, les juges des mesures provisionnelles aient considéré, jurisprudence du Tribunal fédéral à l’appui (arrêt 4A_633/2020 du 24 juin 2021 consid. 2), que l’e-mail en question, notamment, n’avait pas été obtenu de manière illicite, puisque le TMC devait s’attacher non pas à la provenance, mais au contenu de la pièce.

Pour le surplus, le cité a quitté ses fonctions au Ministère public. Il ne pourra donc pas mettre à exécution les velléités que lui prêtent les requérants.

Les requêtes seront ainsi rejetées.

6. Les requérants, qui succombent, supporteront, solidairement (art. 418 al. 2 CPP), les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les requêtes.

Les rejette.

Condamne A______ et B______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux requérants (soit, pour eux, leurs avocats) et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/78/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'405.00

-

CHF

     

Total

CHF

1'500.00