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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/126/2022

ACPR/777/2022 du 08.11.2022 sur ONMMP/2032/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ACTE D'ORDRE SEXUEL AVEC UN ENFANT;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE
Normes : CP.187; CPP.310.al1.leta

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/126/2022 ACPR/777/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 8 novembre 2022

 

Entre

 

A______, représentée par sa curatrice, Me B______, avocate, ______, boulevard ______, Genève,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 16 juin 2022 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 27 juin 2022, la mineure A______, représentée par sa curatrice, recourt contre l'ordonnance du 16 précédent, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la dénonciation pénale de la Fondation D______ (ci-après : D______) contre C______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour instruction.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par acte du 3 janvier 2022, la D______ a déposé une dénonciation pénale contre C______, né le ______ 1970, pour des actes d'ordre sexuel commis sur A______, née le ______ 2008.

En substance, C______ avait effectué, du 23 août au 16 novembre 2021, un stage au foyer "E______", géré par la D______, au sein duquel A______ était placée. Le 2 décembre 2021, celle-ci s'était plainte auprès des éducateurs dudit foyer du comportement de C______ à son égard. Lorsqu'il la saluait chaque matin, celui-ci l'attirait vers lui et lui touchait la poitrine en passant son bras autour d'elle.

b. Entendue le 21 janvier 2022 par la police, selon le protocole NICHD, A______ a déclaré qu'un éducateur, prénommé C______, renvoyé pour avoir levé la main sur un enfant, la saluait chaque matin en lui faisant un câlin, geste qui consistait à passer son bras autour d'elle, en la tenant sous l'aisselle. Ce faisant, il touchait le côté extérieur droit de son sein. Ce comportement avait lieu en présence d'autres éducateurs et le précité ne s'était jamais rendu dans sa chambre. Or, les éducateurs n'avaient en principe pas le droit d'avoir des contacts physiques avec les adolescents, par exemple leur faire des câlins, sans leur demander leur accord. Lorsqu'il la saluait de cette manière, elle tentait de se dégager ou cherchait à partir avant qu'il puisse la saluer. Un soir, il l'avait prise de cette manière dans le salon alors qu'elle n'était vêtue que d'un t-shirt, sans soutien-gorge, en la serrant fort contre lui, ce qui l'avait particulièrement dérangée. Sur le moment, elle ne s'était pas rendu compte du caractère inadmissible du comportement de l'éducateur, car elle considérait sa manière de saluer comme un simple câlin. Elle avait réalisé son caractère anormal après une consultation chez le gynécologue pour une mammographie. Le gynécologue était un homme, ce qui l'avait dérangée, et touchait la même partie du corps que l'éducateur lorsqu'il la saluait. De retour au foyer, elle avait donc relaté la manière dont l'ancien éducateur la saluait. De plus, l'éducateur ne faisait pas spontanément de câlins aux autres enfants et adolescentes du foyer, qui, contrairement à elle, "n'avaient pas de poitrine", ce qui l'avait interpellée.

c. Auditionné le 16 février 2022 par la police, C______ a déclaré avoir effectué un stage au foyer "E______", qui s'était interrompu fin novembre 2021 après qu'il avait été accusé d'avoir donné une gifle à un enfant, ce qu'il avait toujours contesté. Lors de son stage, il travaillait avec le groupe des enfants de 5 à 12 ans. La mineure A______, qui faisait partie du groupe des enfants et adolescents de 12 à 16 ans, avait peu de contact avec lui, hormis lors d'un camp auquel il avait participé. Durant le camp, il avait dû intervenir parce qu'elle avait agressé physiquement une jeune éducatrice. Il avait dû la contenir et la tenir avec fermeté. Il l'avait ceinturée et l'avait conduite sur un banc pour qu'elle se calme. L'épisode s'était déroulé en présence d'une autre éducatrice, prénommée F______. Il n'avait pas senti de rancœur ou d'animosité de la part de la mineure. Il n'avait pas le souvenir qu'A______ venait vers lui. Il s'agissait d'une mineure indépendante. Lorsqu'il la croisait, ils ne se faisaient pas la bise mais un salut de la main. S'il l'avait enlacée, c'est qu'elle était venue vers lui. Il n'allait pas systématiquement vers elle, même s'il était possible qu'il l'ait prise dans ses bras et enlacée. Il n'avait jamais cherché à effleurer son sein et, si cela était arrivé, il s'agissait d'un accident. Il ne s'était jamais isolé avec elle. En proie à d'importantes difficultés de comportement et réfractaire à l'autorité, la mineure avait l'âge de sa fille; il ne s'imaginait pas faire des attouchements à une adolescente. Il tombait des nues devant ces accusations, qui n'avaient jamais été évoquées auparavant. Il ne comprenait pas ce que recherchait l'intéressée, sauf à l'accabler davantage après son exclusion du foyer.

d. Par décision DTAE/920/2022 rendue le 2 mars 2022 (C/1______/2020), le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant a désigné l'avocate B______ en qualité de curatrice de représentation, au sens de l'art. 306 al. 2 CC, de la mineure A______ dans le cadre de la présente cause.

e. Le 3 mars 2022, la curatrice de A______ a informé le Ministère public que sa protégée entendait participer à la procédure.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que les déclarations des protagonistes étaient contradictoires, aucun élément objectif ne permettant de corroborer les accusations de la mineure A______. Par ailleurs, aucun élément probant dans la procédure ne laissait penser que l'acte litigieux avait été insistant ou assimilable à un geste allant au-delà d'un acte maladroit. Le fait que les gestes litigieux se déroulaient en présence d'autres éducateurs corroborait cette appréciation. Par ailleurs, compte tenu de l'absence d'actes périphériques (par exemple des baisers) accompagnant les gestes litigieux, ces derniers ne pouvaient être perçus comme tendant à l'excitation ou à la jouissance du mis en cause. Enfin, le Ministère public considère que la condition subjective de l'infraction faisait défaut.

D. a. À l'appui de son recours, la curatrice de la mineure soutient que cette dernière avait déclaré que le mis en cause lui avait caressé le sein. Or, le fait de caresser, même de façon furtive par-dessus les habits, le sein d'une personne mineure constituait un acte d'ordre sexuel et non un simple geste maladroit. Les allégations de la mineure précitée suffisaient, par conséquent, à retenir des soupçons devant amener le Ministère public à instruire les faits.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, avec suite de frais, et à la confirmation de l'ordonnance entreprise. La mineure n'avait pas déclaré que le mis en cause lui avait caressé le sein mais qu'il la saluait en la prenant comme s'il lui faisait un câlin, passant sa main sous son aisselle et lui touchant ainsi le côté extérieur droit du sein. Aucun élément au dossier ne permettait d'y voir autre chose qu'un geste maladroit. Les faits se déroulaient devant les autres éducateurs et n'étaient accompagnés d'aucun acte périphérique susceptible de les interpréter comme visant à l'excitation ou à la jouissance du mis en cause. Aucune mesure d'instruction complémentaire n'était donc utile. Par ailleurs, au vu des circonstances, le mis en cause n'avait pas l'intention de toucher le sein de la mineure.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), à l'encontre d'une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; art. 128 LOJ/GE).

1.2. La qualité pour recourir appartient à toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision (art. 382 al. 1 CPP). Tel est le cas de la partie plaignante qui conteste le principe de la culpabilité du prévenu (art. 382 al. 2 a contrario). On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément – par écrit ou oralement (art. 119 al. 1 CPP) – vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). Il suffit que le récipiendaire de la déclaration puisse déduire de la volonté expresse du lésé de se constituer partie plaignante, sans qu'il ne soit besoin d'émettre d'autres exigences quant à la forme ou à la teneur de la déclaration (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit Commentaire CPP, 2e éd., Bâle 2016, n. 2 ad art. 119 CPP).

1.3. En l'espèce, A______, mineure valablement représentée par sa curatrice (art. 104 al. 1 let. b CPP), a déclaré, par courrier du 3 mars 2022 adressé au Ministère public, entendre "participer à la procédure", sans préciser à quel titre. Malgré le caractère imprécis de cette formulation, la volonté de la mineure précitée de se constituer partie plaignante se déduit des circonstances, en particulier de son statut de lésée directe des actes reprochés au mis en cause.

Par conséquent, elle a qualité pour agir.

2.             La recourante reproche au Ministère public d'avoir refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

2.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore. Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 consid. 2.1). Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

2.2. Se rend coupable d'infraction à l'art. 187 al. 1 CP, notamment, celui qui a commis un acte d'ordre sexuel sur un enfant de moins de 16 ans.

Par acte d'ordre sexuel, il faut entendre une activité corporelle sur soi-même ou sur autrui qui tend à l'excitation ou à la jouissance sexuelle de l'un des participants au moins (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3e éd., Berne 2010, n. 6 ad art. 187, p. 785). Selon la jurisprudence, il faut d'abord distinguer les actes n'ayant aucune apparence sexuelle, qui ne tombent pas sous le coup de la loi (par exemple des caresses sur les cuisses ou un bras) des actes clairement connotés sexuellement du point de vue de l'observateur neutre, qui remplissent toujours la condition objective de l'infraction, indépendamment des mobiles de l'auteur ou de la signification que le comportement a pour celui-ci ou pour la victime (par exemple le toucher appuyé et prolongé des parties génitales ou de la poitrine). Dans les cas équivoques, qui n'apparaissent extérieurement ni neutres, ni clairement connotés sexuellement, il convient de tenir compte de l'ensemble des éléments d'espèce, notamment de l'âge de la victime ou de sa différence d'âge avec l'auteur, de la durée de l'acte et de son intensité, ainsi que du lieu choisi par l'auteur (ATF 125 IV 58 consid. 2c et 3b p. 60 et 63; arrêt du Tribunal fédéral 6B_103/2011 du 6 juin 2011 consid. 1.1 et les références citées). Le fait, durant une sexothérapie, de masser la poitrine dans une mesure excédant les prescriptions médicales constitue un acte équivoque tombant sous le coup de l'art. 187 CP (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand du Code pénal II, Bâle 2017, n. 12-15 ad art. 187).

La notion d'acte d'ordre sexuel doit être interprétée plus largement lorsque la victime est un enfant; il faut se demander si l'acte est de nature à perturber l'enfant (B. CORBOZ, op. cit., n. 7 ad art. 187). La compréhension qu’a ou non l’enfant de la dimension sexuelle de l’acte ne joue aucun rôle. De plus, dans de telles situations, il convient de prendre en considération des circonstances comme l’âge de la victime, sa différence d’âge avec l’auteur, la durée ainsi que l’intensité de l’acte, le lieu de commission choisi par l’auteur, etc. (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., Bâle 2017, n. 16 ad art. 187). Lorsqu'une victime est un enfant, on tend à admettre l'existence d'un acte sexuel même pour des attouchements furtifs par-dessus les habits, qui entraîneraient plutôt, entre adultes, l'application de l'art. 198 al. 2 CP (désagréments causés par la confrontation à un acte d'ordre sexuel; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Petit Commentaire CP, 2ème éd., Bâle 2017, n. 27 ad art. 187). Ainsi, compte tenu de cette interprétation plus large de l’acte d’ordre sexuel, un baiser lingual comme une caresse marquée sur les fesses d’un enfant sont considérés comme des actes d’ordre sexuel. Il en va de même de brefs attouchements, par-dessus les habits, de la zone génitale, dans un contexte où la maladresse était exclue, au vu de la commission, par le passé, d'autres actes à connotation sexuelle claire sur la victime (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1008/2010 du 8 septembre 2011 consid. 3.3.2; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., Bâle 2017, n. 16 ad art. 187).

2.3. En l'espèce, le mis en cause admet qu'il a pu prendre dans ses bras la recourante, en passant son bras autour de la taille de celle-ci. En revanche, il conteste le caractère intentionnel de son geste, en particulier le caractère sexuel de celui-ci. La recourante explique avoir été la seule adolescente que le mis en cause saluait par des câlins, impliquant de la prendre sous les aisselles et de toucher la partie extérieure du sein.

Un tel geste – même furtif – peut, selon les circonstances, remplir la définition d'un acte d'ordre sexuel visé à l'art. 187 CP. En l'état des éléments au dossier, il subsiste toutefois un doute sur la nature exacte des gestes du mis en cause, la fréquence desdits "câlins" – les deux versions étant diamétralement opposées à cet égard – et leur caractère approprié, compte tenu du contexte dans lequel ceux-ci sont intervenus.

Cela étant, la réalisation de l'infraction dénoncée ne peut, en l'état, être exclue. Compte tenu de la gravité des faits reprochés, à savoir de possibles attouchements sexuels sur une mineure de treize ans par un homme de plus de cinquante ans ayant sur elle une position d'autorité, le prononcé d'une non-entrée en matière paraît, en l'état, prématuré. Les faits reprochés s'étant déroulés en public, l'audition des éducateurs ayant assisté aux interactions entre le mis en cause et la recourante permettrait d'apporter des éclaircissements utiles sur leur nature et leur caractère approprié aux circonstances.

3.             Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la procédure renvoyée au Ministère public pour complément d'enquête ou l'ouverture d'une instruction.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

5.             La procédure se poursuivant, il n’y a pas lieu d’indemniser, à ce stade, la curatrice de la recourante, qui ne l’a, du reste, pas demandé.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______, soit pour elle sa curatrice et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).