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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10827/2021

ACPR/362/2022 du 19.05.2022 sur OMP/4346/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DÉFENSE DE CHOIX;REMPLACEMENT
Normes : CPP.134; CPP.137

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10827/2021 ACPR/362/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 19 mai 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______[GE], comparant en personne,

recourante,

contre l'ordonnance de refus de remplacement du défenseur rendue le 11 mars 2022 par le Ministère public,

et

B______, avocate, ______, Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 17 mars 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 11 précédent, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de relever Me B______ de sa mission de conseil juridique gratuit.

Sans prendre de conclusion formelle, la recourante sollicite l'annulation de l'ordonnance querellée et le remplacement de son avocate.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 25 mai 2021, A______ a porté plainte contre son ex-mari, C______, pour diffamation, injure, menace, contrainte et violation du devoir d'éducation.

En substance, dans le cadre d'une séparation difficile, celui-ci lui avait envoyé plusieurs messages insultants ou menaçants et négligeait ses responsabilités envers leurs deux filles mineures.

b. Le 11 octobre 2021, le Ministère public a accordé l'assistance judiciaire à A______ avec effet au 8 juin 2021, désignant Me D______ au titre de conseil juridique gratuit.

Le jour même, à la demande de l'intéressée qui partait en congé maternité, le Ministère public a révoqué son mandat et désigné en lieu et place Me B______, avec effet au 31 juillet 2021.

c. Le 16 février 2021, A______ a informé le Ministère public que MB______ ne la représentait plus, en raison d'une "rupture de confiance" et du fait qu'il lui était impossible de "collaborer avec cette dernière". Elle était dorénavant représentée par Me E______.

Aucune procuration n'accompagnait le courrier.

d. Dans une lettre du 21 février 2021, adressée à Me B______, le Ministère public a pris acte du souhait de A______ de ne plus être défendue par Me B______. Il lui a rappelé que dans le cadre d'une défense d'office, tout changement d'avocat devait être fondé sur de justes motifs et seul l'avocat d'office était rémunéré par l'État, la consultation de tout autre défenseur étant à sa propre charge à elle. Un délai de dix jours lui était imparti pour donner les raisons pour lesquelles elle ne souhaitait plus que Me B______ assume la défense de ses intérêts.

e. Le même jour, le Ministère public a transmis à Me B______ la lettre de A______ et lui a également imparti un délai pour se déterminer sur son contenu.

f. Le 24 février 2022, Me B______ a répondu au Ministère public. Depuis sa nomination, des dissensions étaient nées avec A______, laquelle refusait tout contact avec elle. Celle-ci refusait également qu'elle agisse en son nom et pour son compte, tant sur le volet civil que pénal. Elle n'était dès lors pas en mesure d'assurer la défense des intérêts de A______ et sollicitait la levée de son mandat.

g. Le 3 mars 2022, dans une lettre signée de sa main, A______ a sollicité la suspension de la procédure et l'annulation d'une audience prévue le 15 suivant. Il n'était fait aucune mention au litige qui l'opposait à Me B______.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que la relation de confiance entre A______ et Me B______ n'était pas, de fait, gravement perturbée.

D. a. Dans son recours, A______ illustre la rupture du lien de confiance par plusieurs évènements où, selon elle, Me B______ n'aurait pas agi avec la diligence requise, lui reprochant notamment l'absence de démarche – et de nouvelles – durant plus de sept mois, même lorsqu'elle lui avait transmis de nouveaux messages reçus de son mari qui lui faisaient craindre pour sa sécurité et celle de ses filles. Me B______ avait également tardé à lui transmettre la lettre du Ministère public du 21 février 2021, l'empêchant de faire valoir ses moyens pour justifier la rupture du lien de confiance.

Des nouvelles pièces sont jointes au recours, dont il ressort notamment que:

- le 24 novembre 2021, A______ a adressé au Greffe de l'assistance juridique une demande "de changement d'avocat", précisant que Me E______ était d'accord de reprendre le dossier, sous le couvert de l'assistance judiciaire;

- le 27 décembre 2021, A______ a fait recours contre la décision de l'Assistance juridique (AJC/6398/2021), rendue dans la cause civile, lui refusant sa demande de changement de conseil juridique au motif que celle-ci reposait sur des considérations subjectives;

- le 9 février 2022, Me B______ a écrit à A______ pour lui rappeler qu'elle tenait son dossier à disposition de son "nouvel avocat" et la priant de confirmer qu'elle avait entrepris toutes les démarches en vue de la levée de l'assistance judiciaire;

- dans un courriel du 16 février 2022, Me B______ expliquait à A______ qu'il appartenait à cette dernière de mettre un terme au mandat et d'aviser le Ministère public qu'elle confiait sa défense à ses "nouveaux avocats" qui devaient l'assister lors d'une audience du 15 mars 2022;

- le 28 février 2022, Me B______ a transmis à A______ la lettre du Ministère public du 21 février 2022.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours et explique, s'agissant de sa lettre du 21 février 2022, que la greffière de la Procureure en charge du dossier avait discuté au téléphone avec A______ avant l'échéance du délai pour s'assurer de la bonne réception de ladite lettre, qui avait par ailleurs été lue à l'intéressée à cette occasion. Il avait interprété le silence de A______ comme une renonciation à s'exprimer sur le sujet et la demande de remplacement d'un avocat avait été rejetée, les conditions objectives n'étant pas réunies.

Il produit une note allant dans le sens de ce qui précède, signée par la greffière en question.

c. Dans ses déterminations, Me B______ conteste les griefs soulevés par A______, lui imputant l'absence d'avancée de la procédure, mais confirme que de son côté également, le lien de confiance était "irrémédiablement" rompu avec sa cliente, celle-ci ne l'autorisant pas à la représenter. Un changement d'avocat était "indispensable".

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notifiation conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Il en va de même des pièces nouvelles produites devant la Chambre de céans (arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015 consid. 3.1 et 3.2).

2.             La recourante invoque une rupture du lien de confiance avec son conseil juridique gratuit et demande le remplacement de cette dernière.

2.1. Les articles 133 et 134 CPP s'appliquent par analogie à la désignation, la révocation et au remplacement du conseil juridique gratuit.

Si la relation de confiance entre le prévenu et le défenseur d'office est gravement perturbée ou si une défense efficace n'est plus assurée pour d'autres raisons, la direction de la procédure confie la défense d'office à une autre personne (art. 134 al. 2 CPP).

Si cette disposition permet de tenir compte d'une détérioration objective du rapport de confiance entre le prévenu et son défenseur, le simple fait que la partie assistée n'a pas confiance dans son conseil d'office ne lui donne pas le droit d'en demander le remplacement lorsque cette perte de confiance repose sur des motifs purement subjectifs et qu'il n'apparaît pas de manière patente que l'attitude de l'avocat d'office est gravement préjudiciable aux intérêts de la partie (arrêt du Tribunal fédéral 1B_419/2017 du 7 février 2018 consid. 2.2).

2.2. En l'espèce, la recourante a, dans un premier temps, avisé le Ministère public que Me B______ ne la représentait plus en raison d'une rupture du lien de confiance, sans fournir la moindre explication à ce sujet. L'autorité précédente lui a rappelé ses droits et obligations au bénéfice de l'assistance judiciaire, en lui enjoignant de justifier un éventuel remplacement de son conseil juridique gratuit par des motifs objectifs.

La recourante n'a jamais répondu.

Or, l'excuse d'une transmission tardive de la lettre du Ministère public tombe à faux. La note de la greffière, non contestée au demeurant, démontre qu'elle a été informée en temps utile de l'existence et du contenu de celle-ci, tandis que son propre courrier du 3 mars 2022, demandant la suspension de la procédure – adressé dans le délai imparti pour se déterminer sur le remplacement de son conseil –, lui offrait l'occasion de s'exprimer à ce sujet; ce qu'elle n'a pas fait. En tout état, rien ne l'empêchait de demander une prolongation dudit délai pour avoir le temps de s'exprimer, d'autant qu'elle pouvait sans autre s'inspirer – voire réutiliser – ses écritures déposées auprès de l'Assistance judiciaire pour faire valoir ses moyens.

Le Ministère public était ainsi en droit d'interpréter le silence de la recourante comme un refus de s'exprimer. De ce fait, au moment d'être rendue, l'ordonnance querellée ne prêtait pas le flanc à la critique, l'existence de motifs objectifs pour la rupture de confiance n'ayant aucunement été démontrée par la recourante.

Cela étant, force est de constater que la recourante, par son écriture de recours et les pièces produites à l'appui, s'exprime sur les motifs qui la poussent à solliciter le changement de son conseil juridique gratuit. Au bénéfice de ces éléments, le Ministère public était en mesure d'évaluer si la requête de la recourante est fondée ou non. Il ne l'a toutefois pas fait, à teneur de ses observations, dont le contenu se limite à une narration des faits et l'affirmation que le droit d'être entendu n'était pas violé.

La cause lui sera dès lors renvoyée pour qu'il puisse statuer en pleine connaissance de cause. Dans ce but uniquement et sans préjuger du fond, l'ordonnance querellée sera annulée.

À toutes fins utiles, il est rappelé à la recourante, qui semble avoir d'ores et déjà pris contact avec une autre avocate, que la désignation d'un défenseur de son choix entraine la perte du droit à l'assistance judiciaire et que celui-ci est rémunéré à sa charge.

3.             L'ordonnance querellée sera donc annulée.

4.             Par souci de simplicité, il ne sera pas perçu de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             La recourante ayant formé recours en personne, aucune indemnité, qu'elle n'a du reste pas demandée, ne lui sera allouée.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et retourne la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante (en personne), à Me B______ et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).