Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision
AARP/238/2025 du 24.06.2025 sur JTDP/1051/2024 ( PENAL ) , ADMIS
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE P/16339/2024 AARP/238/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale d'appel et de révision Arrêt du 24 juin 2025 |
Entre
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,
appelant,
contre le jugement JTDP/1051/2024 rendu le 2 septembre 2024 par le Tribunal de police,
et
A______, sans domicile connu, comparant par Me B______, avocate,
intimé.
EN FAIT :
A. a. En temps utile, le Ministère public (MP) appelle du jugement JTDP/1051/2024 du 2 septembre 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) a acquitté A______ de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b de la loi sur les étrangers et l'intégration [LEI]), mais l'a reconnu coupable de non-respect d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI) et condamné à une peine pécuniaire d'ensemble, après révocation du sursis octroyé le 22 avril 2024 (90 jours-amende à CHF 30.-, sursis pendant trois ans), de 90 jours-amende à CHF 10.- le jour, sous déduction de 56 jours-amende, cette peine étant partiellement complémentaire à celles prononcées par le MP les 18 mai 2024 et 25 mai 2024. Le TP a en outre ordonné la libération immédiate de A______, ses conclusions en indemnisation étant rejetées, et l'a condamné aux frais de la procédure en CHF 1'456.-.
Le MP entreprend partiellement ce jugement, concluant, sous suite de frais, à l'expulsion de A______ de Suisse au sens de l'art. 66abis du Code pénal (CP) et au signalement de la mesure dans le système d'information Schengen (SIS) (art. 20 de l'ordonnance sur la partie nationale du Système d'information Schengen [N-SIS] et sur le bureau SIRENE du 8 mars 2013 [ordonnance N-SIS ; RS 362.0]).
b.a. Selon l'acte d'accusation du 6 août 2024, il était reproché à A______ ce qui suit :
- il s'est, à Genève, le 10 juillet 2024, trouvé sur le territoire cantonal alors qu'il faisait l'objet d'une interdiction d'y pénétrer pour une durée de 18 mois à partir du 13 avril 2024, décision qui lui avait été notifiée le jour même en présence d'un interprète en langue arabe ;
- il a, depuis le 3 juillet 2024, au lendemain de sa dernière sortie de prison et jusqu'à son interpellation par la police le 10 juillet 2024, persisté à séjourner à Genève alors qu'il n'est pas au bénéfice des autorisations de séjour nécessaires, qu'il est démuni de tout document officiel indiquant sa nationalité et qu'il ne dispose pas des moyens financiers suffisants permettant d'assurer sa subsistance durant son séjour et ses frais de retour, étant précisé qu'il fait l'objet d'une interdiction d'entrée en Suisse, prise par le Secrétariat d'État aux migrations (SEM), valable du 12 avril 2024 au 11 avril 2029, décision qui lui a été notifiée le 13 avril 2024 ; infraction dont il a été acquitté comme mentionné supra.
b.b. Dans ses réquisitions au pied de son acte d'accusation, le MP a conclu à ce que l'expulsion de Suisse de A______ soit ordonnée pour une durée de trois ans (art. 66abis al. 1 CP).
B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :
a. A______ est né le ______ 1978 à C______, au Maroc. Il n'a ni domicile, ni activité professionnelle.
b. Il a déposé une demande d'asile en Suisse le 20 février 2023, radiée par le SEM le 1er novembre 2023 à la suite de sa disparition dans la clandestinité le 1er septembre de la même année.
c. Le 13 avril 2024, il s'est vu notifier une interdiction de pénétrer sur le territoire genevois, au sens de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, décision valable pour une durée de 18 mois.
Cette dernière se fonde sur un trouble effectif à l'ordre public et la menace que représente A______ pour celui-ci, en particulier en raison du fait qu'il a troublé la tranquillité d'une institution caritative puis injurié et craché sur les forces de l'ordre le 18 décembre 2023, menacé avec une paire de ciseaux et tenté de cracher sur l'employé d'un grand magasin le 9 janvier 2024, sorti son sexe, tout en se masturbant devant une femme dans un tram, dans lequel il a encore craché le 12 janvier 2024 et endommagé un établissement public, vociféré puis refusé de suivre les policiers le 13 janvier 2024, ces faits ayant donné lieu aux condamnations des 19 mars [recte : décembre] 2023 et 13 mars 2024.
d. Le 10 juillet 2024, il a été interpellé à la hauteur de la rue 1______ no. ______, après avoir été aperçu par une patrouille motorisée lorsqu'il cheminait à la rue 2______.
Il était démuni de passeport et de tout autre document d'identité valable, mais a pu être identifié dès lors qu'il faisait l'objet d'un enregistrement dans le Système d'information central sur la migration (SYMIC) en raison de l'interdiction d'entrée susvisée et d'un renvoi du territoire ordonné le 12 avril 2024.
e. Auditionné en espagnol par la police, il a expliqué ne pas savoir qu'il devait quitter le territoire genevois. Il ne se souvenait plus depuis quand et comment il s'était retrouvé en Suisse, mais se rappelait seulement du motif de sa présence, soit "trouver une meilleure vie en Europe". Il ignorait faire l'objet d'une décision de renvoi prise par le SEM. Il n'avait jamais possédé de passeport. Enfin, il n'était pas en mesure de payer les frais de son rapatriement mais souhaitait tout de même rentrer au Maroc.
f. Devant le MP, il s'est livré à des explications fantaisistes, éludant les questions posées, et a indiqué ne pas reconnaître sa signature sur la décision d'interdiction de pénétrer à Genève du 13 avril 2024.
g. Devant le premier juge, A______, par la voix de son conseil, a contesté la mesure d'expulsion requise.
Il a déclaré avoir de la famille au Maroc, sans savoir où celle-ci se trouvait, et ne voulait pas avoir de ses nouvelles.
Il ne se souvenait pas de ses déclarations à la police et devant le MP. Il avait été frappé au poste. Il a admis que la signature sur la décision d'interdiction de pénétrer à Genève était bien la sienne. Il pensait avoir le droit de rester en Suisse après sa première condamnation. Il n'avait pas les moyens financiers de quitter le pays ; si on lui laissait 48 heures, il partirait cependant.
C. a. Aux débats, A______ a confirmé ses déclarations, et réitéré qu'il ne voulait pas retourner dans son pays d'origine, dans lequel il estimait n'avoir aucun avenir.
b. le MP a requis et persisté dans ses conclusions.
c. Par la voix de son conseil, A______ a conclu au rejet de l'appel et, subsidiairement, à ce que son expulsion soit limitée à sa durée minimum légale, sans inscription au SIS.
d. Les arguments plaidés seront discutés, dans la mesure de leur pertinence, au fil des considérants qui suivent.
D. A______, de nationalité marocaine, est célibataire et sans enfant. Il n'a pas d'emploi, et n'a ni dette ni fortune. Il indique avoir quitté le Maroc en 2007 et être arrivé en Suisse en 2023, après avoir passé de nombreuses années en Espagne – plus de 20 ans. Il aurait perdu ses documents d'identité en Allemagne.
À Genève, il a bénéficié d'une aide de l'Hospice général.
Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, il a été condamné :
- le 19 décembre 2023, par le MP à une peine privative de liberté de 140 jours et à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à CHF 10.- le jour, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, pour entrée et séjour illégaux (art. 115 al. 1 let. a et b LEI), violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 ch. 1 al. 1 1re phr. CP) et injure (art. 177 al. 1 CP) ;
- le 13 mars 2024, par le TP à une peine privative de liberté de trois mois, à une peine pécuniaire de 120 jours-amende à CHF 10.- le jour et à une amende de CHF 200.-, avec peine privative de liberté de substitution de deux jours, pour exhibitionnisme (art. 194 al. 1 CP), tentative d'injure (art. 177 al. 1 cum art. 22 al. 1 CP), menaces (art. 180 al. 1 CP), dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP) et consommation de stupéfiants (art. 19a ch. 1 de la loi fédérale sur les stupéfiants [LStup]) ;
- le 22 avril 2024, par le MP à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 30.- le jour, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, pour séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région (art. 119 al. 1 LEI) ;
- le 18 mai 2024, par le MP à une peine pécuniaire de 50 jours-amende à CHF 10.- le jour, pour séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région (art. 119 al. 1 LEI) ;
- le 25 mai 2024, par le MP à une peine pécuniaire de 180 jours-amende à CHF 10.- le jour, pour séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région (art. 119 al. 1 LEI) ;
- le 22 juin 2024, par le MP à une peine privative de liberté d'ensemble de 160 jours, après révocation du sursis accordé le 19 décembre 2023, pour séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région (art. 119 al. 1 LEI) ;
- le 2 juillet 2024, par le MP à une peine privative de 90 jours pour séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région (art. 119 al. 1 LEI).
Selon l'extrait de son casier judiciaire espagnol, il a été condamné :
- le 26 juin 2019, par le Tribunal de première instance et d'instruction de D______ [Espagne], à une peine de 22 jours de travail d'intérêt général pour violence domestique et menaces ;
- le 15 juillet 2022, par le Tribunal pénal de E______ [Espagne], à une peine de trois mois et 15 jours de prison, avec sursis, pour tentative de vol.
E. Me B______, défenseure d'office de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant deux heures d'activité, dont 30 minutes pour "Prise de connaissance de la déclaration d'appel motivée du MP et de la motivation du jugement Tpol", non soumise à la TVA, hors débats d'appel, lesquels ont duré 45 minutes.
Elle a été indemnisée pour moins de 30 heures en première instance.
EN DROIT :
1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).
La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions (art. 391 al. 1 CPP).
2. 2.1. Selon l'art. 119 al. 1 LEI, quiconque enfreint une assignation à un lieu de résidence ou une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 74) est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
2.2.1. Conformément à l'art. 66abis CP, le juge peut expulser un étranger du territoire suisse pour une durée de trois à 15 ans si, pour un crime ou un délit non visé à l'art. 66a, celui-ci a été condamné à une peine ou a fait l'objet d'une mesure au sens des art. 59 à 61 ou 64 CP. Il s'agit d'une norme potestative ; le juge est donc libre, sans autre justification, de renoncer à l'expulsion facultative (AARP/216/2022 du 22 juillet 2022 consid. 3.1.1 ; AARP/197/2022 du 16 juin 2022 consid. 5.1.2 ; AARP/92/2022 du 24 mars 2022 consid. 3.1).
Cette mesure qui, par essence, s'ajoute à la peine proprement dite, fait partie intégrante de la sanction à prononcer (ATF 143 IV 168 consid. 3.2 = SJ 2017 I 433). L'expulsion judiciaire pénale de l'art. 66abis CP – qui ne diffère pas fondamentalement de l'expulsion prescrite en son temps par l'art. 55 al. 1 aCP (ATF 123 IV 107 consid. 1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_607/2018 du 10 octobre 2018 consid. 1.1 ; 6B_770/2018 du 24 septembre 2018 consid. 1.1) – ne contredit pas l'interdiction de la double peine qui découle notamment de l'art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) (AARP/202/2017 du 16 juin 2017 consid. 2.5).
2.2.2. Comme toute décision étatique, le prononcé d'une expulsion non obligatoire doit respecter le principe de la proportionnalité ancré aux art. 5 al. 2 et 36 al. 2 et 3 de la Constitution suisse (Cst.). Il convient ainsi d'examiner si l'intérêt public à l'expulsion l'emporte sur l'intérêt privé de la personne à demeurer en Suisse. Le juge doit faire une pesée des intérêts entre celui public à l'éloignement et la situation personnelle du condamné (G. FIOLKA / L. VETTERLI, Landesverweisung nach Art. 66a StGB als strafrechtliche Sanktion, cahier spécial, Plädoyer 5/16, p. 87 ; K. KÜMIN, Darf eine Aufenthaltsbewilligung widerrufen werden, nachdem von einer Landesverweisung abgesehen wurde ?, Jusletter 28 novembre 2016, p. 14). Une telle pesée des intérêts répond également aux exigences découlant de l'art. 8 par. 2 CEDH concernant les ingérences dans la vie privée et familiale (arrêt du Tribunal fédéral 6B_371/2018 du 21 août 2018 consid. 3.2). S'agissant d'un étranger arrivé en Suisse à l'âge adulte, l'examen de la proportionnalité suppose une prise en compte de la nature et de la gravité de la faute, du temps écoulé depuis la commission de l'infraction, du comportement de l'auteur durant cette période, de la durée de son séjour en Suisse, de la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination (ATF 139 I 145 consid. 2.4 p. 149 ; ATF 139 I 31 consid. 2.3.3 p. 34 ss ; ATF 135 II 377 consid. 4.3 p. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_607/2018 du 10 octobre 2018 consid. 1.4.1).
Le juge doit se demander si l'expulsion facultative est de nature à empêcher la commission de nouvelles infractions en Suisse (G. FIOLKA / L. VETTERLI, op. cit., p. 84 ; AARP/179/2017 du 30 mai 2017 consid. 3.1.2). À cette fin, il considérera pour commencer la quotité de la peine : plus lourde sera celle-ci et plus grand sera l'intérêt public à expulser l'étranger. Ce résultat sera renforcé par le type d'infraction commise : si celle-ci atteint la vie, l'intégrité corporelle ou sexuelle, voire la santé d'un grand nombre de personnes en application d'une aggravante à la LStup, l'intérêt public sera plus élevé. Quoiqu'il en soit, l'intérêt privé de l'intéressé à rester en Suisse devra s'analyser sans perdre de vue que les dispositions de la CEDH restent contraignantes, en particulier les art. 3 et 8 CEDH (ATF 139 I 16 consid. 4.2 et 5 ss ; G. MÜNCH / F. DE WECK, Die neue Landesverweisung, in Art. 66a ff. StGB, Revue de l'avocat 2016, p. 166 ; M. BUSSLINGER / P. UEBERSAX, Härtefallklausel und migrationsrechtliche Auswirkungen der Landesverweisung, cahier spécial, Plaidoyer 5/2016, p. 97 et 103 ; K. KÜMIN, op. cit., p. 14 ; AARP/216/22 du 22 juillet 2022 consid. 3.1.2 ; AARP/185/2017 du 2 juin 2017 consid. 2.2).
L'intégration de l'intéressé doit être examinée, indépendamment de la durée du séjour, au regard certes de l'enracinement linguistique, culturel, religieux et personnel en Suisse, mais aussi des obstacles que ce dernier rencontrerait pour sa réintégration, selon les mêmes critères, en cas de retour dans son pays d'origine. D'ordinaire, il faut que la resocialisation dans le pays d'origine paraisse en pratique impossible ou au moins nettement plus difficile qu'en Suisse. Cependant, dans le contexte d'une expulsion facultative d'un étranger pour lequel la clause de rigueur s'appliquerait, le risque de mauvaise resocialisation dans le pays d'origine pèse plus lourd dans l'analyse : des chances de resocialisation plus favorables en Suisse peuvent donc faire la différence (M. BUSSLINGER / P. UEBERSAX, op. cit., p. 98 et 102 ; AARP/216/22 du 22 juillet 2022 consid. 3.1.2).
2.3.1. Depuis le 7 mars 2023, l'inscription de l'expulsion dans le SIS est régie par le règlement (UE) n° 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 (Règlement SIS Frontières ou Règlement SIS II, ci-après : Règlement).
L'ordonnance N-SIS s'applique en conformité avec le Règlement (art. 1 al. 2 et art. 3 al. 2 de l'ordonnance N-SIS).
Selon l'art. 20 de l'ordonnance N-SIS, les ressortissants d’États tiers ne peuvent être signalés aux fins de non-admission et d’interdiction de séjour que sur la base d’une décision prononcée par une autorité administrative ou judiciaire. L’inscription dans le SIS des signalements aux fins d’expulsion pénale est requise par le juge ayant ordonné cette mesure.
2.3.2. L'art. 24 § 1 let. a du Règlement prescrit qu'un État introduit un signalement aux fins de non-admission et d'interdiction de séjour dans le SIS lorsqu'il conclut, sur la base d'une évaluation individuelle comprenant une appréciation de la situation personnelle du ressortissant de pays tiers concerné et des conséquences du refus d'entrée et de séjour, que la présence de ce ressortissant de pays tiers sur son territoire représente une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale et qu'il a, par conséquent, adopté une décision judiciaire de non-admission et d'interdiction de séjour conformément à son droit national et émis un signalement national aux fins de non-admission et d'interdiction de séjour. Selon l'art. 24 § 2 let. a du Règlement, une telle situation existe notamment lorsqu'un ressortissant d'un pays tiers a été condamné pour une infraction passible d'une peine privative de liberté d'au moins un an. La mention d'une peine privative d'au moins un an fait référence à la peine-menace de l'infraction concernée et non à la peine prononcée concrètement dans un cas d'espèce (ATF 147 IV 320 consid. 4.6 et 4.8).
Par ailleurs, l'art. 24 § 2 let. c du Règlement prévoit une obligation de signalement des interdictions de séjour prononcées à l'encontre d'un ressortissant d'un pays tiers qui a contourné ou tenté de contourner les dispositions légales régissant l'entrée et le séjour sur le territoire des états membres (ATF 147 IV 340 consid. 4.7.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_40/2022 du 2 février 2023 consid. 3.2). Lorsque les conditions de l'art. 24 du Règlement sont remplies, un signalement de non-admission doit être réalisé dans le SIS (en ce sens : ATF 147 IV 340 consid. 4.9 ; 146 IV 172 consid. 3.2.2 ; AARP/2/2024 du 13 décembre 2023 consid. 7.1).
2.3.3. L'art. 21 du Règlement prescrit qu'avant d'introduire un signalement, l'État membre signalant vérifie si le cas est suffisamment important pour justifier cette inscription. Il ne faut pas poser d'exigences trop élevées en ce qui concerne l'hypothèse d'une "menace pour l'ordre public et la sécurité publique" car cette condition vise uniquement à écarter l'inscription dans le SIS d'infractions mineures ; il n'est en particulier pas nécessaire que la personne concernée constitue une menace concrète, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société (ATF 147 IV 340 consid. 4.8 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_932/2021 du 7 septembre 2022 consid. 1.8.3 ; 6B_628/2021 du 14 juillet 2022 consid. 2.2.3 ; 6B_834/2021 du 5 mai 2022 consid. 2.2.2). Il suffit que la personne concernée ait été condamnée pour une ou plusieurs infractions qui menacent l'ordre public et la sécurité publique et qui, prises individuellement ou ensemble, présentent une certaine gravité. Ce n'est pas la quotité de la peine qui est décisive mais la nature et la fréquence des infractions, les circonstances concrètes de celles-ci ainsi que l'ensemble du comportement de la personne concernée. Par conséquent, une simple peine prononcée avec sursis ne s'oppose pas au signalement dans le SIS. Le seul fait qu'un risque de récidive ne soit pas établi ne signifie en particulier pas que la condition de la menace à l'ordre public ne soit pas remplie (ATF 147 IV 340 consid. 4.8). Si une expulsion est déjà ordonnée sur la base des conditions précitées, son signalement dans le SIS est en principe proportionné et doit par conséquent être effectué.
2.4.1. En l'espèce, il existe un intérêt public important à l'expulsion de l'intimé, déjà condamné à sept reprises avant la présente affaire et depuis son arrivée en Suisse en 2023, pour des infractions portant atteinte à de multiples biens juridiques. Ces diverses condamnations, dont six qui se sont enchaînées de mars 2024 à juillet 2024, ne l'ont pas empêché de récidiver à chaque fois à bref délai. Il est ainsi resté imperméable à la sanction et à l'effet dissuasif attendu des peines prononcées à son encontre, qui ne l'ont pas incité à adopter un comportement conforme au droit, respectivement à cesser ses comportements illicites, sinon à quitter la Suisse. Au demeurant, seule sa détention a mis un terme à ses agissements.
Ses antécédents attestent de son ancrage dans la délinquance. Il a également été condamné en Espagne pour menaces et violence domestique et tentative de vol. Les infractions émanant de ses casiers judiciaires suisse et espagnol, prises dans leur ensemble, témoignent d'une certaine gravité.
L'interdiction de territoire (art. 119 LEI) prononcée à son encontre pour une durée de 18 mois sur la base de l'art. 74 al. 1 let. a LEI a été violée à plusieurs reprises. Cette mesure n'a pas plus démontré une efficacité suffisante en vue de préserver les intérêts publics de la Suisse.
2.4.2. L'intérêt de l'intimé à ne pas être expulsé est quant à lui très relatif. Il est arrivé à l'âge adulte en Suisse en 2023, soit il y a moins de deux ans. Il ne possède aucun titre de séjour et n'a tissé aucun lien dans le pays. Quand bien même il s'était installé en Espagne et y avait vécu, selon ses dires, pendant une vingtaine d'années, il ne s'y est pas régularisé et ne semble plus vouloir y retourner, ce qui démontre qu'il n'a plus du tout d'attache en Europe. Ici, il dormait dans la rue ; il n'a jamais travaillé et ne possède aucun proche établi sur le territoire national, sa famille se trouvant au Maroc. Il n'a aucun projet professionnel en Suisse ou ailleurs. Il ne parle pas couramment le français, ni une autre langue nationale. Ainsi, la resocialisation dans son pays d'origine ne paraît pas impossible, au contraire, ses chances y sont plus favorables qu'en Suisse.
Sa situation, certes précaire, explique son parcours chaotique, mais ne justifie pas ses actes portant atteinte à la sécurité et à l'ordre public, ce d'autant qu'il bénéficiait d'une aide financière de l'Hospice général.
L'arrêt de la Chambre pénale d'appel et de révision cité par son conseil ne lui est d'aucune aide, la situation dont il se prévaut n'étant en rien comparable : dans l'affaire en question, la Cour avait estimé que les infractions commises, quoique d'une certaine gravité, n'imposaient pas, à elles seules, une expulsion par le juge pénal afin de protéger la sécurité publique, étant rappelé que le casier judiciaire de l'auteur en cause était vierge et que rien ne laissait conclure à l'existence d'un risque de récidive. Dans une telle situation, une expulsion de Suisse ne se justifiait pas (AARP/177/2023 du 12 mai 2023 consid. 5.2).
Certes, le casier de l'intimé montre qu'il n'a pas été condamné concrètement à une peine de plus d'un an. Cependant, il a commis des récidives spécifiques s'agissant de l'infraction à l'art. 119 al. 1 LEI à cinq reprises, non compte tenu de celle visée dans la présente procédure, ce qui démontre son insensibilité à la sanction et le peu de poids que ces condamnations ont représenté à ses yeux quant à l'adoption d'un comportement respectueux de la loi.
Il faut en conclure qu'il représente un danger pour la Suisse, de sorte que son expulsion sera ordonnée. Une durée de trois ans – soit la durée minimale prévue à l'art. 66abis CP – paraît adéquate et proportionnée compte tenu de la gravité des faits en cause.
2.4.3. Seul un lien particulièrement étroit avec un pays européen permettrait de renoncer à l'inscription au SIS. Or, l'intimé n'est pas ressortissant d'un État membre. Comme susindiqué, il n'a apparemment aucune intention de retourner en Espagne ; en tout état, un signalement n'empêcherait pas l'octroi d'une autorisation de séjour en application de la législation européenne (cf. ATF 147 IV 340 consid. 4.6 et 4.8).
Au vu de ce qui précède, les intérêts de la collectivité priment ceux de l'intimé et l'inscription au SIS, justifiée, sera ordonnée.
2.5. L'appel du MP sera ainsi admis en tous points.
Au demeurant, le dispositif sera corrigé d'office (cf. art. 404 al. 2 CPP), la peine prononcée par le TP n'ayant pas à être déclarée "partiellement complémentaire à celles prononcées par le Ministère public du canton de Genève les 18 mai 2024 et 25 mai 2024 (art. 49 al. 2 CP)", les faits de la présente cause étant postérieurs aux condamnations en force précitées.
3. L'intimé, qui succombe, supportera les frais de la procédure envers l'État, comprenant un émolument de CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et art. 14 al. 1 let. e du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP]).
4. Considéré globalement, l'état de frais produit par Me B______, défenseure d'office de l'intimé, satisfait les exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale, sous réserve des 30 minutes consacrées à la lecture du jugement motivé du TP et de la déclaration d'appel, activité englobée dans le forfait pour activités diverses.
Sa rémunération sera partant arrêtée à CHF 640.-, correspondant à 2h15 d'activité, non soumise à la TVA, au tarif de CHF 200.-/heure plus la majoration forfaitaire de 20% et une vacation aux débats d'appel de CHF 100.-.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Reçoit l'appel formé par le Ministère public contre le jugement JTDP/1051/2024 rendu le 2 septembre 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/16339/2024.
L'admet.
Rectifie d'office le dispositif du jugement précité en ce sens que la peine pécuniaire d'ensemble prononcée n'est pas "partiellement complémentaire à celles prononcées par le Ministère public du canton de Genève les 18 mai 2024 et 25 mai 2024 (art. 49 al. 2 CP)" (art. 404 al. 2 CPP).
Ordonne l'expulsion de Suisse de A______ pour une durée de trois ans (art. 66abis CP).
Ordonne le signalement de l'expulsion dans le système d'information Schengen (SIS) (art. 20 de l'ordonnance N-SIS).
Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'015.-, lesquels comprennent un émolument de décision de CHF 800.-, et les met à la charge de A______.
Arrête à CHF 640.- le montant des frais et honoraires de Me B______, défenseure d'office de A______, pour la procédure d'appel.
Confirme pour le surplus le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :
"Déclare A______ coupable de non-respect d’une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI).
Acquitte A______ du chef de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI).
Révoque le sursis octroyé le 22 avril 2024 par le Ministère public du canton de Genève à la peine pécuniaire de 90 jours-amende sous déduction d'un jour de détention avant jugement (art. 46 al. 1 CP).
Condamne A______ à une peine pécuniaire d'ensemble de 90 jours-amende, sous déduction de 56 jours-amende, correspondant à 56 jours de détention avant jugement, étant précisé que cette peine d'ensemble inclut la peine dont le sursis a été révoqué et les jours de détention y relatifs (art. 46 al. 1 CP).
Fixe le montant du jour-amende à CHF 10.00.
(…)
Ordonne la libération immédiate de A______.
Rejette les conclusions en indemnisation de A______ (art. 429 CPP).
Condamne A______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 1'456.00 (art. 426 al. 1 CPP).
Fixe à CHF 2'310.00 l'indemnité de procédure due à Me B______, défenseur d'office de A______ (art. 135 CPP)."
Notifie le présent arrêt aux parties.
Le communique, pour information, au Tribunal de police, au Service de la réinsertion et du suivi pénal, au Secrétariat d'État aux migrations ainsi qu'à l'Office cantonal de la population et des migrations.
La greffière : Ana RIESEN |
| Le président : Vincent FOURNIER |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète
(art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.
| ETAT DE FRAIS |
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| COUR DE JUSTICE |
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Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).
Total des frais de procédure du Tribunal de police : | CHF | 1'456.00 |
Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision |
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Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c) | CHF | 00.00 |
Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i) | CHF | 80.00 |
Procès-verbal (let. f) | CHF | 60.00 |
Etat de frais | CHF | 75.00 |
Emolument de décision | CHF | 800.00 |
Total des frais de la procédure d'appel : | CHF | 1'015.00 |
Total général (première instance + appel) : | CHF | 2'471.00 |