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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/11307/2020

AARP/154/2023 du 09.05.2023 sur JTDP/142/2021 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : DOMICILE;TORT MORAL;COÛT DE LA VIE
Normes : CP.122; LEI.115; LStup.19a; CO.47; CC.23; CC.24
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11307/2020 AARP/154/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 2 mai 2023

 

Entre

A______, sans domicile fixe, comparant par Me B______, avocat,

appelant,

contre le jugement JTDP/142/2021 rendu le 5 février 2021 par le Tribunal de police,

et

C______, sans domicile fixe, comparant par Me D______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

statuant à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_1335/2021 du 21 décembre 2022 admettant le recours de C______ contre l'arrêt AARP/305/2021 rendu le 22 septembre 2021 par la Chambre pénale d'appel et de révision.


EN FAIT :

A. a. Par arrêt du 22 septembre 2021, la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) a déclaré A______ coupable de lésions corporelles graves (art. 122 du code pénal [CP]), de séjour illégal (art. 115 al. 1 litt. b de la loi sur les étrangers et l'intégration [LEI]) et de consommation de stupéfiants (art. 19a al. 1 de la loi fédérale sur les stupéfiants [LStup]) et l’a condamné à une peine privative de liberté de 18 mois, assortie du sursis et d’un délai d'épreuve de trois ans, à une amende de CHF 100.- et a prononcé son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans (art. 66a al. 1 CP) et le signalement de cette mesure dans le système d'information Schengen. Elle a également condamné A______ à payer à C______ CHF 8'000.-, avec intérêts à 5% dès le 9 juin 2020, à titre de réparation du tort moral (art. 47/49 CO).

b. C______ a formé recours à l'encontre de cette décision. Dans son arrêt du 21 décembre 2022, le Tribunal fédéral (TF) l’a admis s'agissant de l'indemnité allouée à titre de réparation du tort moral, a annulé l'arrêt attaqué et renvoyé la cause à la CPAR pour nouvelle décision sur ce point.

La Haute Cour a retenu au sujet de l'adaptation concrète de l'indemnité allouée au recourant (réduite de 73 %) que la CPAR ne décrivait pas la prise en charge médicale, pas plus qu'elle n'exposait la situation personnelle de C______, dont on ignorait l'âge, le lieu de vie, les liens qu'il entretenait avec la Suisse et la situation professionnelle. Il serait d'origine marocaine et non algérienne. En tout état, ce n’était pas son origine mais son domicile qui était déterminant, respectivement ses liens avec la Suisse, pour réduire, dans les conditions fixées par la jurisprudence, l'indemnité pour tort moral. La CPAR avait omis d’examiner les niveaux de vie des pays concernés, respectivement d’établir et de comparer leurs pouvoirs d'achat.

La cause a ainsi été renvoyée à la CPAR pour qu’elle complète l'état de fait et détermine si et dans quelle mesure le montant indicatif déduit de l'annexe 3 de l’ordonnance sur l'assurance-accidents (OLAA), soit CHF 29’640.-, pouvait être réduit en fonction du domicile du recourant, de sa prise en charge médicale et des autres circonstances concrètes du cas d'espèce.

B. Les faits de la cause ne sont plus contestés à ce stade de la procédure et peuvent être résumés comme suit, étant pour le surplus renvoyé à l’arrêt de la CPAR du 22 septembre 2021, incontesté sur la question de la culpabilité (art. 82 al. 4 du code de procédure pénale suisse [CPP]).

a. Le 9 juin 2020 dans un établissement public sis à la rue 1______ no. ______, A______ a frappé une première fois C______ au visage avec son verre, le brisant, puis l'a frappé une seconde fois avec le verre brisé, à nouveau au visage, lui causant ainsi une plaie de 8 cm partant de l'œil gauche jusqu'à la base du nez, une plaie frontale gauche de 6 à 8 cm et une plaie en regard de l'arcade zygomatique gauche avec lambeau, lui laissant de profondes balafres sur le visage.

b. À réception de l’arrêt du TF, la CPAR a imparti à C______ un délai pour lui communiquer toutes les pièces utiles en lien avec sa situation personnelle, notamment une pièce d'identité et un titre de séjour, les détails de sa formation et de son emploi actuel, son dernier certificat de salaire ainsi que les pièces attestant des soins médicaux reçus depuis début 2021 en lien avec la lésion subie.

Elle l’invitait notamment à fournir des précisions sur son origine, dans la mesure où le dossier ne contenait aucune pièce sinon sa demande d'assistance judiciaire permettant de déterminer qu’il était, comme il l’affirmait, d’origine marocaine. Elle attirait son attention sur le fait que, selon la police (pièce B-7), il était démuni de toute pièce d'identité et ce alors que le témoin E______ avait indiqué, en audience au Ministère public (MP) et sans être contredit, que C______ était de la même origine que son agresseur (lui-même algérien ; pièce C-23).

c. C______ n’a fourni aucune pièce relative à sa situation médicale dans le délai imparti, qui a été prolongé à sa demande. En lien avec sa situation personnelle, il produit uniquement une attestation de l’association « F______ », aux termes de laquelle celle-ci, « lieu d’accueil, de soutien et de réinsertion professionnelle pour les personnes en situation de précarité (sans-abrisme, toxicodépendance, isolement, etc.), située au rue 2______, à Genève, certifie que Monsieur C______, né le ______ 1974, participe régulièrement à notre accueil social depuis 2009 ». Il donnait cette association pour adresse dans la plainte qu’il a déposée le 24 juin 2020.

Cette association est inscrite au Registre du Commerce. Son but est de faire de F______ un lieu d'accueil, d'activités, de rencontre et de vie destiné à des personnes rencontrant des difficultés sociales de tous ordres, tout en étant ouvert à tous ; de rappeler et défendre le droit de cité de chacun, la place de F______ au cœur de la rade témoigne de son appartenance à la ville dont il porte le nom, en même temps qu'elle symbolise et réalise l'appartenance à la cité des personnes qui montent à son bord ; les projets développés sur F______ participent à concrétiser cette appartenance, à tisser des liens, à rendre visibles de personnes et une réalité souvent occultée ; restaurer et entretenir régulièrement F______ ; développer et promouvoir les principes de l'économie sociale et solidaire ; gérer l'exploitation du café-restaurant "F______" afin de soutenir [sa] mission de réinsertion socio-professionnelle des personnes en situation de précarité et favoriser la mixité sociale.

Par la plume de son Conseil, C______ expose avoir son domicile à Genève, où il vit depuis 2009 à teneur de l’attestation reproduite ci-dessus, ce qui « créée nécessairement des liens étroits et durables avec la cité et les citoyens ». Il affirme travailler actuellement à temps partiel sans disposer ni de contrat de travail, ni de fiche ou certificat de salaire. Son Conseil précise dans cette écriture être sans nouvelle de son mandant depuis plusieurs jours et avoir sollicité diverses pièces.

d. Selon les renseignements recueillis auprès de l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM), cet office n’avait plus d'informations concernant C______ depuis le 5 juillet 2018, date à laquelle il avait été renvoyé à destination de G______ (Italie) dans le cadre d'une procédure H______. Aucune copie de document d'identité ne figure dans leur dossier ; il n'a jamais été formellement identifié. Selon I______, il avait déposé une demande d'asile à J______ (Italie) le 12 août 2008. Durant sa présence en Suisse, il n'avait jamais bénéficié de permis de séjour. En outre, il a fait l'objet d'une première interdiction d'entrée en Suisse valable du 9 mai 2011 au 8 mai 2014, notifiée le 26 octobre 2012, puis d'une deuxième valable du 27 juin 2014 jusqu'au 26 juin 2017, notifiée le 8 septembre 2014. Aucune adresse en Italie ne figure dans le dossier de l’OCPM.

e. A______ et le MP s’en sont rapportés à justice.

f. C______ a répliqué, son Conseil indiquant avoir eu à nouveau contact avec lui. Il avait l’intention de déposer, dans les deux mois, une demande de régularisation de sa situation auprès de l’OCPM. Sans produire de justificatif, il affirme qu’il aurait rencontré un employeur disposé à l’engager à 100%.

Il vivait en Suisse depuis de longues années et n’avait aucune attache ailleurs. Il avait bien été renvoyé en Italie en 2018 mais était immédiatement revenu en Suisse où il avait donc son centre de vie et d’intérêts.

C______ se dit né le ______ 1974 à K______ [Maroc]. Il n’a fourni aucune indication sur sa formation professionnelle ou sa situation familiale.

Il conclut à l’octroi d’une indemnité de CHF 30'000.-, correspondant à celle accordée par le premier juge.

C. Me D______, conseil juridique gratuit de C______, dépose un état de frais pour la procédure postérieure à l’arrêt du TF, facturant, sous des libellés divers, trois heures et dix minutes d'activité de chef d'étude.

EN DROIT :

1. 1.1. Un arrêt de renvoi du Tribunal fédéral lie l'autorité cantonale à laquelle la cause est renvoyée, laquelle voit sa cognition limitée par les motifs dudit arrêt, en ce sens qu'elle est liée par ce qui a déjà été définitivement tranché par le Tribunal fédéral (ATF 104 IV 276 consid. 3b et 103 IV 73 consid. 1) et par les constatations de fait qui n'ont pas été attaquées devant lui ou l'ont été sans succès (ATF 131 III 91 consid. 5.2). Il n'est pas possible de remettre en cause ce qui a été admis, même implicitement, par ce dernier. L'examen juridique se limite donc aux questions laissées ouvertes par l'arrêt de renvoi, ainsi qu'aux conséquences qui en découlent ou aux problèmes qui leur sont liés (ATF 135 III 334 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_588/2012 du 11 février 2013 consid. 3.1 et 6B_534/2011 du 5 janvier 2012 consid. 1.2).

La motivation de l'arrêt de renvoi détermine dans quelle mesure la Cour cantonale est liée à la première décision, décision de renvoi qui fixe aussi bien le cadre du nouvel état de fait que celui de la nouvelle motivation juridique (ATF 135 III 334 consid. 2).

1.2. Conformément aux considérants de l'arrêt du TF du 22 décembre 2022, la Cour de céans, statuant à nouveau, doit uniquement établir la situation personnelle de la partie plaignante afin de déterminer si une réduction de l’indemnité s’impose en fonction des critères développés par la jurisprudence.

1.3. En vertu de l'art. 47 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse (CO), le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale. En l’espèce, l’arrêt de la Cour de céans, confirmé sur ce point, retenait que l’atteinte à l’intégrité subie par la partie plaignante justifiait une indemnité. Le montant déterminant a été arrêté en l’espèce à 20 %, ce qui correspond à CHF 29’640.- ; ce montant a été confirmé par le TF (cf. consid. 2.5.1 de son arrêt), qui n’a annulé l’arrêt du 22 septembre 2021 qu’en ce qu’il réduisait ce montant en fonction des circonstances de l’espèce. Seule est encore litigieuse la question de savoir si ce montant peut être réduit, mais pas celle d’une augmentation de cette indemnité de base. C’est donc en vain que l’appelant conclut à l’octroi d’une indemnité plus élevée.

1.4. Il n'y a en principe pas lieu de prendre en considération les frais d'entretien au domicile de l'ayant droit lors de la fixation de l'indemnité pour tort moral. L'indemnité doit ainsi être fixée sans égard au lieu de vie de l'ayant droit et à ce qu'il va faire de l'argent obtenu. Toutefois, dans la mesure où le bénéficiaire domicilié à l'étranger serait exagérément avantagé en raison des conditions économiques et sociales existantes à son lieu de domicile, il convient d'adapter l'indemnité vers le bas (ATF 125 II 554 consid. 4a p. 559 ; ATF 123 III 10 consid. 4 p. 11 ss). L'ampleur de l'indemnité pour tort moral doit être justifiée compte tenu des circonstances particulières, après pondération de tous les intérêts, et ne doit donc pas paraître inéquitable. Cela signifie que, lorsqu'il faut prendre exceptionnellement en considération un coût de la vie plus faible pour calculer une indemnité pour tort moral, on ne peut pas procéder schématiquement selon le rapport du coût de la vie au domicile du demandeur avec celui de la Suisse ou à peu près selon ce rapport. Sinon, l'exception deviendrait la règle.

Une réduction de l'indemnité pour tort moral est exclue lorsque le bénéficiaire entretient des relations particulières avec la Suisse, par exemple lorsqu'il y travaille, y vit ou lorsqu'il peut y séjourner en tant que proche du lésé (ATF 123 III 10 consid. 4c/bb p. 14). Certaines circonstances, comme la possibilité que l'intéressé puisse un jour essayer de trouver une formation en Suisse, ne suffisent en revanche pas pour exclure une réduction de l'indemnité. Elles doivent toutefois être prises en considération dans le calcul de la réduction à intervenir (ATF 125 II 554 consid. 3b p. 558). Statuant selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 du Code civil suisse [CC]), le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation.

Le Tribunal fédéral a admis une réduction, non schématique, de l'indemnité pour tort moral versée notamment en matière d’indemnisation des victimes d’infractions, lorsque les frais d'entretien au domicile de l'intéressé sont beaucoup plus bas. Ainsi, dans son arrêt ATF 125 II 554 consid. 4a p. 559, concernant des ressortissants de Voïvodine, où le pouvoir d'achat est 18 fois inférieur à la Suisse, la réduction a été fixée à la moitié. Par la suite, dans un arrêt 1A.299/2000 du 30 mai 2001 consid. 5c concernant la Bosnie Herzégovine, où le pouvoir d'achat est six à sept fois inférieur à la Suisse, la Haute Cour a considéré qu’une réduction de l'indemnité de 75%, certes élevée, demeurait néanmoins dans les limites du pouvoir d'appréciation de la Cour cantonale. Concernant un ressortissant algérien, dans un arrêt 6B_242/2019 du 18 mars 2019 consid. 2.2. et 2.3a au sujet de l’indemnité pour tort moral en cas de détention injustifiée et compte tenu d’un coût de la vie environ 20 fois moins élevé qu'en Suisse, la Haute Cour a admis une réduction du montant journalier de 200.- à CHF 70.- soit une réduction de 65%.

1.5. Bien que régi par les art. 122 ss CPP, le procès civil dans le procès pénal demeure soumis à la maxime des débats et à la maxime de disposition. Ainsi, l'art. 8 CC est applicable au lésé qui fait valoir des conclusions civiles déduites de l'infraction par adhésion à la procédure pénale. Le lésé doit donc alléguer et prouver tous les faits constitutifs de l'art. 41 al. 1 CO : l'acte illicite, la faute, le dommage et le rapport de causalité naturelle et adéquate entre l'acte illicite et le dommage. Le lésé supporte le fardeau de la preuve de chacun de ces faits pertinents, ce qui signifie que si le juge ne parvient pas à une conviction, s'il n'est pas à même de déterminer si chacun de ces faits s'est produit ou ne s'est pas produit, il doit statuer au détriment du lésé (ATF 132 III 689 consid. 4.5 p. 701 ; 129 III 18 consid. 2.6 p. 24 ; 126 III 189 consid. 2b p. 191 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_98/2021 du 8 octobre 2021 consid. 2.1.3).

1.6. Selon l'art. 23 al. 1 CC, le domicile d'une personne se trouve au lieu où elle séjourne avec l'intention de s'y établir. Pour fonder un domicile, deux éléments doivent dès lors être réunis: un élément objectif externe, le séjour, et un élément subjectif interne, l'intention de s'y établir. Selon la jurisprudence la volonté interne n'est pas décisive, mais bien l'intention objectivement reconnaissable pour les tiers, permettant de déduire une telle intention (ATF 137 II 122 consid. 3.6). Le centre de vie déterminant correspond normalement au domicile, c'est-à-dire au lieu où la personne dort, passe son temps libre et où se trouvent ses effets personnels ainsi qu'usuellement, un raccordement téléphonique et une adresse postale (arrêt du Tribunal fédéral 4A_695/2011 du 18 janvier 2012 consid. 4.1). Des documents administratifs ou le dépôt de papiers d'identité constituent certes des indices sérieux de l'existence du domicile, propres à faire naître une présomption de fait à cet égard, mais il ne s'agit là que d'indices. La présomption que ces indices créent peut être renversée par des preuves contraires (ATF 136 II 405 consid. 4.3; 125 III 100 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_757/2015 du 15 janvier 2016 consid. 4.2).

Selon l’art. 24 CC, toute personne conserve son domicile aussi longtemps qu’elle ne s’en est pas créé un nouveau. Le lieu où elle réside est considéré comme son domicile, lorsque l’existence d’un domicile antérieur ne peut être établie ou lorsqu’elle a quitté son domicile à l’étranger et n’en a pas acquis un nouveau en Suisse.

1.7.1. En l’espèce, la partie plaignante a été défigurée à la suite des faits et présente trois cicatrices visibles sur son visage et qui sont, aux dires des médecins, permanentes. Elle a présenté des séquelles psychologiques (état de stress post-traumatique, troubles du sommeil et de l'alimentation, anxiété accrue et épuisement émotionnel et physique généralisé ; cf. consid. B.d. et 3.3 de l’arrêt du 22 septembre 2021). Cela étant, elle n’a produit aucune pièce nouvelle dans la présente procédure, ce qui laisse penser que la prise en charge n’a pas été poursuivie au-delà des débats d’appel, qui se sont tenus environ 15 mois après les faits. La prise en charge médicale a été brève puisqu’elle s’est limitée – à teneur du dossier – à une intervention ambulatoire le jour des faits et une consultation ultérieure pour retirer les points de suture (pièce A-8).

1.7.2. La partie plaignante n’a fourni aucun élément relatif à sa situation personnelle, notamment familiale ou professionnelle ; il ressort uniquement du dossier que, née en septembre 1974, elle est donc âgée aujourd’hui de 48 ans.

Elle se prévaut d’un long séjour en Suisse et affirme y avoir son domicile. Il ressort toutefois de l’ensemble des éléments recueillis que ce séjour en Suisse n’a jamais été sanctionné par le moindre titre de séjour ; au contraire, lorsque les autorités administratives ont été informées de sa présence en Suisse, elles lui ont notifié deux interdictions successives d’entrer dans le pays, et l’ont de surcroît renvoyé vers l’Italie, lui signifiant ainsi clairement qu’il n’avait aucun droit de séjourner sur le territoire de notre pays.

La partie plaignante affirme certes être ce nonobstant demeurée voire revenue en Suisse ; si cela devait être vrai, cela signifierait qu’elle a ainsi fait fi des décisions successives de l’autorité administrative et d’un manque manifeste de respect de l’ordre public suisse. Elle n’a fourni aucune information sur ses moyens de subsistance et se contente de vagues affirmations quant à une possible régularisation, dont il est douteux qu’elle remplisse les conditions : elle est sans domicile connu, sans adresse, sans emploi et fournit, pour unique preuve de son prétendu séjour en Suisse, une attestation d’une association d’aide sociale de quelques lignes.

Cet unique document n’a pas de portée probante, faute de précision. Il ne précise rien quant à l’intensité de la présence de la partie plaignante à Genève (« régulièrement depuis 2009 » pouvant aussi bien signifier une fois par an qu’une fois par mois), étant relevé que l’association citée ne fournit pas un logement mais permet tout au plus à ses bénéficiaires d’utiliser son adresse postale pour leur correspondance.

La présence de la partie plaignante à Genève est attestée sporadiquement par la procédure (à la date des faits en juin 2020, à l’audience de confrontation le 16 octobre 2020 et à celle de première instance le 5 février 2021, étant rappelé qu’elle était représentée par son Conseil aux débats d’appel en septembre 2021 mais y a produit des attestations des HUG du 19 mai 2021 et de son psychologue du 1er septembre 2021). Il semble que la partie plaignante ait été injoignable pendant quelques jours au moins en 2023, ce qui laisse supposer un éloignement de Genève.

Ainsi, si la partie plaignante manifeste et revendique l’élément subjectif de l’art. 23 CC (l'intention de s'établir à Genève), cette volonté n’est pas objectivement reconnaissable pour des tiers ; surtout, elle n’établit pas l’élément objectif exigé par cette disposition, soit le séjour effectif. En effet, même s’il devait être retenu que la partie plaignante a vécu à Genève, en marge de la société, pendant quelques mois en 2020-2021, dans le contexte de la présente procédure, un tel séjour ne peut être qualifié de séjour effectif au sens de cette disposition, en l’absence de tout domicile (ne serait-ce que sous forme d’un pied-à-terre). L’absence complète de pièces (y-compris attestant, par exemple, d’un suivi médical à Genève), alors qu’elles ont été expressément sollicitées par la CPAR, renforce la perception que l’éventuel séjour de la partie plaignante à Genève ne peut pas être considéré comme constitutif d’un domicile au sens de l’art. 23 CC. Contrairement à ce qu’elle affirme, la partie plaignante ne démontre pas avoir tissé le moindre lien avec Genève comme l’exige la loi.

La partie plaignante ne peut pas non plus se prévaloir de la présomption liée à l’ancien domicile au sens de l’art. 24 CC, n’ayant jamais disposé d’un domicile à Genève. Il faut ainsi retenir que la partie plaignante, à qui incombe le fardeau de la preuve (art. 8 CC), n’a pas démontré qu’elle serait légalement et effectivement domiciliée en Suisse, ses affirmations contraires étant dépourvues de toute crédibilité.

Au surplus, si la partie plaignante est réellement demeurée en Suisse, nonobstant les décisions d’interdiction d’entrée, le renvoi en Italie et l’absence de toute autorisation, un tel séjour ne pourrait pas être qualifié de domicile au sens légal, puisqu’elle n’aurait alors vécu qu’en marge de la société, dans la clandestinité, ce qui n’est pas compatible avec la notion de centre de vie et d’intérêts de l’art. 23 CC.

Il faut dès lors examiner si, nonobstant l’absence de domicile en Suisse, la partie plaignante peut revendiquer une indemnité calculée selon les critères du droit suisse, étant rappelé que la réduction de cette indemnité pour tenir compte du niveau de vie en Suisse est une exception à la règle selon laquelle l’indemnité pour tort moral est fixée indépendamment du domicile du bénéficiaire.

1.7.2. La partie plaignante se dit originaire du Maroc, sans fournir aucune pièce justificative et ce, alors que les autorités compétentes n’ont jamais pu établir son identité effective. Il est notoire que les personnes en situation irrégulière entretiennent un flou sur leur origine, notamment afin de rendre plus difficile le renvoi vers leur pays. Les seules personnes entendues au sujet de sa situation l’identifient comme algérien plutôt que marocain (cf. supra B.a.). Cette situation est un élément de plus qui fait douter de la possibilité concrète de la régularisation annoncée, celle-ci ne pouvant intervenir que pour une personne dûment identifiée.

En tout état de cause, comme souligné par l’arrêt du TF, l’élément déterminant pour réduire, dans les conditions fixées par la jurisprudence, l'indemnité pour tort moral est le domicile, respectivement les liens avec la Suisse. Or, comme démontré ci-dessus, la partie plaignante n’a pas développé de lien avec la Suisse, n’y ayant vécu que de manière sporadique et sans y créer de domicile. Elle n’a par ailleurs fourni aucune information, pièce ou témoignage permettant de retenir qu’elle aurait un quelconque lien avec une personne résidant dans le pays et n’a pas non plus fourni de document permettant d’établir sa situation personnelle actuelle.

La seule information vérifiée quant à sa situation émane de l’autorité administrative, qui indique l’avoir refoulée en Italie en 2018, sans toutefois disposer d’information sur son statut dans ce pays. En particulier, la partie plaignante n’allègue ni, a fortiori, ne démontre pas résider dans un autre pays européen. Il faut ainsi considérer que le seul lieu avec lequel la partie plaignante a de réelles attaches est son pays d’origine, qui n’est pas déterminé.

Il n’est toutefois pas nécessaire d’établir de façon définitive si l’appelant est marocain, comme il l’affirme, ou algérien, comme cela semble ressortir de la procédure. En effet, le produit intérieur brut (PIB) ainsi que le PIB par habitant sont des indicateurs de l’activité économique qui permettent de mesurer et de comparer les degrés de développement économique des différents pays. Le PIB par habitant est habituellement utilisé comme indicateur du niveau de vie d’un pays. Or, selon les données de la Banque mondiale, en 2020 le PIB par habitant suisse était de l'ordre de USD 85’656.-, le PIB marocain d’environ USD 3'258.- et celui de l’Algérie d'environ USD 3'337.-. Dans ces circonstances, les deux pays se situent dans la même fourchette de différence par rapport à la Suisse, puisque le PIB par habitant en Suisse est environ 25 fois supérieur à celui de l’un ou de l’autre pays. Dans ces circonstances, allouer à la partie plaignante, quel que soit son pays de domicile effectif, un montant calculé en fonction du coût de la vie en Suisse – et censé représenter 20% du salaire annuel maximum assuré – reviendrait à lui allouer un montant correspondant à plusieurs fois le PIB par habitant annuel de son pays.

Ce dernier élément est essentiel. L’indemnité de base (CHF 29’640.-) correspond, grosso modo, au taux annuel moyen retenu par l’administration fiscale fédérale de 1 USD = 0.93808189 CHF, à un tiers du PIB annuel par habitant en Suisse en 2020 ; elle correspond toutefois à près de dix fois celui du Maroc ou de l’Algérie. L’allocation d’une telle indemnité reviendrait manifestement à enrichir indûment la partie plaignante, au détriment du prévenu.

C’est le lieu de relever que l’octroi d’une indemnité sans tenir compte du lieu effectif de résidence de la partie plaignante serait particulièrement difficile pour le prévenu, qui partage l’origine de la partie plaignante et qui ne serait pas en mesure de s’acquitter d’une somme représentant plusieurs fois le montant du PIB annuel par habitant de son pays d’origine. Si les mécanismes mis en place par la loi sur l’aide aux victimes d’infraction (LAVI) peuvent certes intervenir dans de telles circonstances, il n’y a toutefois pas lieu qu’ils prennent le relais dans une mesure permettant un enrichissement injustifié d’un lésé, au détriment, in fine, de la collectivité publique.

1.6.3. En définitive, la partie plaignante échoue à démontrer qu’elle aurait un domicile en Suisse. Elle n’a par ailleurs fourni aucune indication permettant de reconsidérer le montant retenu dans l’arrêt du 22 septembre 2021, qui se fondait notamment sur la relativement brève prise en charge médicale et l’absence de circonstances particulières.

Dans ces circonstances, la réduction de l’indemnité pour tort moral à CHF 8'000.-, soit un peu plus du quart de la somme considérée comme adéquate pour une victime en Suisse, apparaît déjà généreuse et sera intégralement confirmée.

2. 2.1. Lorsque le Tribunal fédéral admet un recours et renvoie la cause à l'autorité précédente, en l'occurrence à la juridiction d'appel cantonale, pour nouvelle décision, il appartient à cette dernière de statuer sur les frais sur la base de l'art. 428 CPP, aux termes duquel les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1367/2017 du 13 avril 2018 consid. 2.1).

Aux termes de l'art. 426 al. 3 let. a CPP, le prévenu ne supporte pas les frais que la Confédération ou le canton ont occasionnés par des actes de procédure inutiles ou erronés. Tel est notamment le cas lorsque l'autorité judiciaire a violé le droit matériel ou le droit de procédure, en sorte que sa décision doive être corrigée en procédure de recours. Il en va ainsi y compris lorsque l'autorité de recours doit revoir sa décision à la suite d'un arrêt de renvoi du Tribunal fédéral (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1367/2017 du 13 avril 2018 consid. 2.1 et les références ; 6B_602/2014 du 4 décembre 2014 consid. 1.3).

2.2. En l’espèce, compte tenu de la confirmation de l’arrêt du 21 septembre 2021, il n’y a pas lieu de revenir sur la répartition des frais effectuée dans cet arrêt.

Les frais de la procédure d’appel postérieure à l’arrêt du Tribunal fédéral, qui a visé à réparer le défaut de motivation constaté par l'instance supérieure, seront laissés à la charge de l’État.

3. 3.1. Considéré globalement, l'état de frais produit par Me D______, conseil juridique gratuit de C______, satisfait les exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale.

La rémunération de Me D______ sera partant arrêtée à CHF 750.30 correspondant à 3h10 d'activité au tarif de CHF 200.-/heure plus la majoration forfaitaire de 10% et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% en CHF 53.65.

3.2. Le conseil de l’intimé n’a pas produit de note d’honoraires et s’en est rapporté à justice. Il lui sera alloué une rémunération de CHF 129.25 correspondant à une demi-heure d'activité au tarif de CHF 200.-/heure plus la majoration forfaitaire de 20% et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% en CHF 9.25.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Prend acte de l’arrêt du Tribunal fédéral 6B_1335/2021 du 21 décembre 2022 qui annule partiellement l’arrêt AARP/305/2021 rendu le 22 septembre 2021 par la Chambre pénale d’appel et de révision dans la procédure P/11307/2020.

Constate que l'arrêt AARP/305/2021 rendu le 22 septembre 2021 est entré en force en tant qu'il :

Déclare A______ coupable de lésions corporelles graves (art. 122 CP), de séjour illégal (art. 115 al. 1 litt. b LEI) et de consommation de stupéfiants (art. 19a al. 1 LStup).

Condamne A______ à une peine privative de liberté de 18 mois, sous déduction de 176 jours de détention avant jugement (dont 67 jours en exécution anticipée de peine) (art. 40 CP).

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à trois ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ de ce que, s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Condamne A______ à une amende de CHF 100.- (art. 106 CP).

Prononce une peine privative de liberté de substitution d’un jour.

Dit que la peine privative de liberté de substitution sera mise à exécution si, de manière fautive, l'amende n'est pas payée.

Ordonne l'expulsion de Suisse de A______ pour une durée de cinq ans (art. 66a al. 1 CP).

Dit que la peine prononcée avec sursis n'empêche pas l'exécution de l'expulsion durant le délai d'épreuve.

Ordonne le signalement de l'expulsion dans le système d'information Schengen (SIS) (art. 20 de l'ordonnance N-SIS; RS 362.0).

Ordonne la confiscation et la destruction de la drogue figurant sous chiffre 1 de l'inventaire n° 27981720200816 du 16 août 2020 (art. 69 CP).

Condamne A______ aux frais de la procédure préliminaire et de première instance, ainsi qu’à la moitié de l’émolument complémentaire de jugement, soit CHF 1’776.- (art. 426 al. 1 CPP).

Laisse le solde de l’émolument complémentaire de jugement, par CHF 300.-, à la charge de l’État.

Prend acte de ce que le Tribunal de police a arrêté à CHF 4'484.65 l'indemnité de procédure due à Me B______, défenseur d'office de A______ (art. 135 CPP), et à CHF 7'431.30 l'indemnité de procédure due à Me D______, conseil juridique gratuit de C______ (art. 138 CPP).

Condamne A______ aux deux tiers des frais de la procédure d'appel, qui comprennent un émolument de CHF 1'500.-, soit CHF 1'150.-, et laisse le solde de ces frais, soit CHF 575.-, à la charge de l’État.

Arrête à CHF 1'723.20 TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me B______, défenseur d'office d’A______ pour la première procédure d’appel.

Arrête à CHF 1'588.60, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me D______, conseil juridique gratuit de C______ pour la première procédure d’appel.

Et statuant pour le surplus à nouveau :

Condamne A______ à payer à C______ CHF 8'000.-, avec intérêts à 5% dès le 9 juin 2020, à titre de réparation du tort moral (art. 47/49 CO).

Laisse les frais de la procédure d’appel postérieure à l’arrêt du Tribunal fédéral à la charge de l’État.

Arrête à CHF 129.25, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me B______, défenseur d'office de A______ pour la seconde procédure d’appel.

Arrête à CHF 750.30, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me D______, conseil juridique gratuit de C______ pour la seconde procédure d’appel.


 

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police, au Secrétariat d'État aux migrations et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

La greffière :

Dagmara MORARJEE

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).

https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.PCAP.CD?locations=DZ-MA-CH

cf. https://www.estv.admin.ch/dam/estv/fr/dokumente/wpe/Jahresmittelkurse/jahresmittelkurse2020.pdf