Skip to main content

Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

1 resultats
A/1890/2023

DCSO/443/2023 du 19.10.2023 ( PLAINT ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : Poursuite abusive
Normes : CC.2.al2; LP.20a.al2.ch2; LP.22
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1890/2023-CS DCSO/443/23

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 19 OCTOBRE 2023

 

Plainte 17 LP (A/1890/2023-CS) formée en date du 5 juin 2023 par A______, B______, C______, D______ et E______.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 19 octobre 2023
à :

-       A______
B______
C______
D______
E______

______

______ [GE].

- F______

______

______ [GE].

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. G______, entreprise individuelle, dont F______ était titulaire, a été inscrite au Registre du commerce genevois du ______ 2007 au ______ 2010.

b. En mars 2021, A______ et B______ ont complété et signé un formulaire d'inscription établi par "H______", marquant leur intérêt à la location d'un appartement en duplex sis chemin 1______ no. ______ à Genève, dès le 1er août (à discuter), à la suite d'une visite du bien en cause du 15 mars 2021.

c. Par courrier électronique du 17 mars 2021, "H______" a transmis à A______ et B______ la réponse donnée par les propriétaires à leur candidature, comportant quelques questions relatives au bien.

d. Par courriel du lendemain, A______ et B______ ont remercié "Madame I______ [nom de famille de F______]" de son envoi et apporté des réponses auxdites questions, proposant de fixer le prix à 5'900 fr. par mois, toutes charges comprises.

e. Cette proposition a été acceptée par les propriétaires le 20 mars 2021.

f. Par courriel du 22 mars 2021, A______ et B______ ont été informés de ce que la procédure de préparation et d'établissement du bail était en cours auprès de la régie J______.

g. Le 31 (recte 30) avril 2021, H______ a adressé à A______ et B______ une facture, mentionnant une commission d'agence de 5'610 fr., ramenée à 5'000 fr.

h. A la requête de "F______, H______", l'Office cantonal des poursuites a notifié le 26 août 2021 à A______ un commandement de payer, poursuite n° 2______, pour la somme de 5'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er mai 2021, alléguée due au titre de "Commission d'agence due conformément au formulaire d'inscription du 16 mars 2021 dûment daté et signé conjointement et solidairement par M. A______ et son épouse, B______; Facture du 31 avril 2021".

Opposition y a été formée.

i. Par jugement JTPI/3370/2022 du 15 mars 2022, le Tribunal de première instance a débouté F______ de sa requête en mainlevée de l'opposition formée par A______ au commandement de payer, poursuite n° 2______, au motif que le poursuivant ne disposait pas d'un titre de mainlevée.

j. Par arrêt du 21 octobre 2022, la Cour de justice a rejeté le recours de F______ contre le jugement refusant de prononcer la mainlevée.

B. a. Le 28 mars 2022, F______ a engagé deux poursuites ordinaires contre A______ et B______, en paiement de 5'000 fr., plus intérêts à 5% dès le 1er mai 2021, allégués dus au titre de "Commission d'agence due conformément au formulaire d'inscription du 16 mars 2021 dûment signé par les parties et selon facture du 31 avril 2021".

Opposition a été formée aux deux commandements de payer, poursuites nos 3______ et 4______, notifiés le 29 avril 2022.

b. Le 22 mai 2023, F______ a déposé cinq réquisitions de poursuite à l'encontre de A______, B______, C______, D______ et E______, en recouvrement de 5'000 fr., plus intérêts à 5% dès le 30 avril 2021, à titre de "selon facture du 30.4.2021 impayée à ce jour (mandat immobilier)", 300 fr. à titre de frais administratifs et 500 fr. à titre d'indemnité selon l'art. 106 CO.

Les cinq commandements de payer, poursuites nos 5______, 6______, 7______, 8______ et 9______ ont été notifiés respectivement à D______, E______, A______, B______ et C______ en dates de 27 et 30 mai 2023. Opposition a été formée aux cinq poursuites.

C. a. Par acte du 5 juin 2023, A______ (ci-après aussi: le plaignant 1), agissant pour son compte et pour celui de son épouse, B______ (ci-après aussi: la plaignante 2), et de ses trois filles C______, D______ et E______ (ci-après aussi: les plaignantes 3 à 5), a formé plainte contre ces cinq commandements de payer. Les poursuites engagées en 2023 par F______ étaient abusives, en particulier en ce qu'elles visaient les enfants, qui n'avaient jamais été impliquées d'une quelconque manière dans le litige. F______ cherchait à faire pression sur les parents en portant préjudice aux enfants.

b. Dans son rapport du 27 juin 2023, l'Office s'en est rapporté à justice s'agissant de l'issue de la plainte.

c. Invité à se déterminer sur la plainte par courrier du 13 juin 2023, F______ ne s'est pas exprimé dans le délai imparti au 4 juillet 2023.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie lésée dans ses intérêts (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable.

2. 2.1.1 Sont nulles les poursuites introduites en violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit, tel qu'il résulte de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1). La nullité doit être constatée en tout temps et indépendamment de toute plainte par l'autorité de surveillance (art. 22 al. 1 LP).

La nullité d'une poursuite pour abus de droit (art. 2 al. 2 CC) ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi; une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais requérir la mainlevée de l'opposition, ni la reconnaissance judiciaire de sa prétention, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, ou encore lorsqu'il reconnaît, devant l'office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1; 115 III 18 consid. 3b; arrêts 5A_1020/2018 du 11 février 2019; 5A_317/2015 du 13 octobre 2015 consid. 2.1, in Pra 2016 p. 53 n° 7; 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3).

La procédure de plainte des art. 17 ss LP ne permet pas d'obtenir l'annulation de la poursuite en se prévalant de l'art. 2 al. 2 CC, dans la mesure où le grief pris de l'abus de droit est invoqué à l'encontre de la réclamation litigieuse, la décision à ce sujet étant réservée au juge ordinaire. En effet, c'est une particularité du droit suisse que de permettre l'introduction d'une poursuite sans devoir prouver l'existence de la créance; le titre exécutoire n'est pas la créance elle-même ni le titre qui l'incorpore éventuellement, mais seulement le commandement de payer passé en force (ATF 113 III 2 consid. 2b; cf. ég., parmi plusieurs: arrêts 5A_838/2016 du 13 mars 2017 consid. 2.1).

2.1.2 C’est au regard de l’ensemble des circonstances de la cause qu’il faut examiner si le recours à l’institution du droit de l’exécution forcée est constitutif, dans un cas particulier, d’abus manifeste de droit. Si elle ne dispose pas à cet égard d’une compétence plus étendue que l’Office, l'Autorité de surveillance se trouve généralement dans la situation de pouvoir identifier et élucider les cas d’abus manifeste de droit mieux que lui, car, contrairement à lui, elle n’intervient pas que sur la base d’une simple réquisition (notamment de poursuite) mais dispose des éléments fournis dans le cadre de la plainte et de son instruction ; elle est par ailleurs tenue de prendre en considération les faits ressortant devant elle, en vertu de son devoir d’établir les faits d’office (art. 20a al. 2 ch. 2 LP), les parties pouvant au surplus être requises de collaborer. Il peut donc y avoir abus manifeste de droit sans que l’Office ait été en mesure de le détecter lorsqu’il a donné suite à la réquisition d’établir et notifier un commandement de payer.

Partant, un créancier pourrait être amené à fournir des indications sur la plausibilité de sa créance dans le cadre d'une procédure de plainte devant l'autorité de surveillance engagée par le débiteur, dans la mesure où celles-ci ne ressortent pas déjà du commandement de payer. Dans le cas contraire, la poursuite pourrait, selon les circonstances, être jugée comme manifestement abusive et par conséquent être considérée comme nulle (cf. Engler, Die nichtige Betreibung, ZZZ 2016, p. 44 ss, 49 ; cf. OGer ZH PS170016 du 26 juin 2017, consid. III.6.3). Même si l'autorité de surveillance constate d'office les faits déterminants pour l'appréciation juridique de la nullité et que l'art. 20a al. 2 ch. 2 LP n'est pas applicable, les parties, qui doivent être entendues avant une éventuelle constatation de la nullité d'une décision, ont au moins un fardeau d'allégation de fait pour les circonstances qu'elles seules peuvent connaître et qui sont susceptibles de les disculper. Leur comportement durant la procédure peut être pris en compte dans l'appréciation des preuves (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_588/2011 du 18 novembre 2011, consid. 3.3).

2.2.1 Dans le cas d'espèce, il ne s'agit pas de savoir si les prétentions en paiement invoquées par l'intimé sont ou non bien fondées : il s'agit là, en effet, de questions relevant du droit matériel qui devront être tranchées par le juge ordinaire. Les développements consacrés par les plaignants 1 et 2 à cet égard sont donc dénués de pertinence.

Est en revanche déterminante la question de savoir si, en engageant le 22 mai 2023 à l'encontre des cinq plaignants une poursuite en paiement d'un montant de 5'000 fr. au titre de "facture du 30.4.2021 impayée", l'intimé poursuivait un but en rapport avec la procédure de poursuite prévue par la LP ou, au contraire, visait exclusivement à tourmenter et faire du tort aux poursuivis.

A cet égard, il convient de faire la distinction entre les poursuites engagées contre les plaignants 1 et 2 et celles introduites contre leurs filles.

Il résulte des éléments à la procédure que l'intimé, actif dans le domaine de l'immobilier, a réclamé aux plaignants 1 et 2 le paiement d'une commission en lien avec son intervention dans le contexte de la prise à bail d'un appartement. Le rejet de la requête en mainlevée formée par l'intimé dans le cadre de la première poursuite n'est pas un motif suffisant pour considérer toute poursuite successive abusive. Cela est d'autant plus vrai que la somme réclamée en poursuite n'est pas exorbitante et demeure cohérente dans le contexte, étant rappelé qu'elle correspondrait à environ un mois de loyer selon les pièces du dossier.

Aussi, l'on comprend que l'intimé entend obtenir par la voie des poursuites engagées contre les plaignants 1 et 2 le paiement d'une commission qu'il estime, à tort ou à raison, due. Les éléments au dossier ne permettent donc pas de retenir que les poursuites nos 7______ et 8______ poursuivraient des objectifs étrangers au but de la procédure d'exécution forcée, soit le recouvrement de prétentions pécuniaires. En tant qu'elle vise ces deux poursuites, la plainte sera par conséquent rejetée.

2.2.2 Il en va autrement des trois poursuites engagées contre les enfants des plaignants 1 et 2. En effet, aucun élément du dossier ne vient corroborer l'existence d'une quelconque relation entre les plaignantes 3 à 5 et l'intimé. Ce dernier, qui ne s'est pas déterminé devant la Chambre de céans, n'a du reste explicité d'aucune manière à quel titre il estime que les trois filles des plaignants seraient concernées par les prétentions visées par les commandements de payer litigieux, la facture du 30 avril 2021 ne concernant que les parents à teneur du dossier. Or, s'il n'appartient certes pas à l'autorité de surveillance d'examiner le bien-fondé d'une prétention invoquée en poursuite, elle doit en revanche vérifier dans le cadre de l'application de l'art. 22 al. 1 LP que le poursuivant considère de bonne foi être titulaire à l'encontre du poursuivi d'une prétention du montant réclamé, ce qui suppose de sa part qu'il donne un minimum d'explication sur l'origine de ladite prétention. Ces explications doivent intervenir au plus tard dans la procédure de plainte, puisque l'autorité de surveillance doit à cette occasion s'assurer que le recours à la procédure de poursuite n'a pas pour but exclusif de nuire de quelque façon au débiteur, ce qui pourrait être le cas si le poursuivant ne s'estimait pas de bonne foi titulaire à son encontre de la prétention invoquée.

Le fait que l'intimé ait décidé de poursuivre les plaignantes 3 à 5 après avoir précédemment agi, sans succès, à l'encontre des plaignants 1 et 2, est un indice supplémentaire de sa volonté d'utiliser les poursuites contre les enfants pour obtenir des parents qu'ils s'acquittent de la facture qu'il estime due.

Ces divers éléments conduisent la Chambre de céans à retenir que le poursuivant ne s'estime pas de bonne foi titulaire d'une prétention à l'encontre des plaignantes 3 à 5, dont il sait qu'elles ne sont pas ses débitrices. Le but poursuivi par l'intimé, en déposant le 22 mai 2023 les réquisitions de poursuite à l'encontre des plaignantes 3 à 5, n'a aucun rapport avec une procédure normale de poursuite mais constitue un moyen de faire pression sur les parents pour qu'ils règlent la facture. Ces trois poursuites, nos 5______, 6______ et 9______, présentent donc un caractère purement chicanier et consacrent un abus de droit manifeste.

La plainte des plaignantes 3 à 5 sera donc admise et la nullité des poursuites nos 5______, 6______ et 9______ sera constatée.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte déposée le 5 juin 2023 par A______, B______, C______, D______ et E______ contre les commandements de payer, poursuites nos 5______, 6______, 7______, 8______ et 9______.

Au fond :

L'admet partiellement.

Constate la nullité des poursuites nos 5______, 6______ et 9______.

 

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente; Madame Ekaterine BLINOVA et Monsieur Anthony HUGUENIN, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

La présidente : La greffière :

 

Verena PEDRAZZINI RIZZI Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.