Skip to main content

Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

1 resultats
A/1102/2023

DCSO/396/2023 du 21.09.2023 ( PLAINT ) , REJETE

Descripteurs : Poursuite abusive; interruption de prescription
Normes : CC.2.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1102/2023-CS DCSO/396/23

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 21 SEPTEMBRE 2023

Plainte 17 LP (A/1102/2023-CS) formée en date du 27 mars 2023 par A______, élisant domicile en l'étude de Me Antoine BERTHOUD, avocat.

* * * * *

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 21 septembre 2023 à :

-       A______

c/o Me BERTHOUD Antoine

Rue de la Corraterie 14

1204 Genève.

- B______

c/o Me DA SILVA Gustavo

gdsavocats

Rue de la Fontaine 13

Case postale 3186

1211 Genève 3.

- C______

c/o Me DA SILVA Gustavo

gdsavocats

Rue de la Fontaine 13

Case postale 3186

1211 Genève 3.

- Office cantonal des poursuites.


EN FAIT

A. a. Un litige oppose B______ et C______, d'une part, à A______, d'autre part, ce dernier ayant instrumenté en mars 2015, en sa qualité de notaire, l'acte notarié relatif à l'achat par les deux premiers d'un immeuble sis à D______ [GE].

B______ et C______ estiment que A______ a engagé sa responsabilité de notaire en fournissant des renseignements erronés dans le cadre de cette transaction et allèguent avoir subi un dommage.

b. Par courriers des 20 mars, 27 mars, 29 mars et 9 avril 2019, B______ et C______ ont notamment invité A______ à faire savoir s'il était d'accord de renoncer à se prévaloir de la prescription.

c. Par réquisition datée du 9 avril 2019, B______ et C______ ont requis la poursuite de A______ pour des montants de 17'782 fr., 7'513 fr. 80 et 5'000 fr., plus intérêts, à titre de "Casatax" et de "dommage supplémentaire selon l'art. 106 CO", avec l'indication "acte interruptif de prescription".

Sur la base de cette réquisition de poursuite, l'Office cantonal des poursuites (ci-après l'Office) a fait notifier le 21 mai 2019 à A______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, auquel il a fait opposition totale.

d. En date des 6 avril 2020, 22 mars 2021 et 16 mars 2022, B______ et C______ ont déposé de nouvelles réquisitions de poursuite contre A______, en recouvrement des mêmes montants et avec l'indication "acte interruptif de prescription".

Les commandements de payer correspondants, poursuites nos 2______, 3______ et 4______ ont été notifiés à A______, qui a formé à chaque fois opposition.

e. Par courrier du 6 avril 2022, A______ a rappelé à B______ et C______ que leur seule action dans ce dossier avait été d'engager des poursuites, lesquelles étaient de nature à lui causer un préjudice. B______ et C______ étaient invités à saisir le Président de la Chambre des notaires et le Bâtonnier de l'ordre des avocats pour une médiation conjointe.

f. Le 10 mars 2023, B______ et C______ ont requis de nouveau la poursuite de A______ pour des montants de 17'782 fr., 7'513 fr. 80 et 5'000 fr., plus intérêts, à titre de "Casatax" et de "dommage supplémentaire selon l'art. 106 CO", avec l'indication "acte interruptif de prescription".

g. Le commandement de payer, poursuite n° 5______, a été notifié le 18 mars 2023 à A______, qui a formé opposition totale à la poursuite.

B. a. Par acte posté le 27 mars 2023, A______ a porté plainte à la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites contre la notification du commandement de payer, poursuite n° 5______, au motif qu'elle est abusive et donc nulle.

Il expose que depuis mai 2019, cinq commandements de payer lui ont été notifiés pour les mêmes montants et les mêmes causes, sans qu'aucune procédure de mainlevée ou autre action ne soit entreprise par les poursuivants. Ces derniers n'ont pas non plus donné suite à la suggestion d'engager une procédure de médiation conjointe. Il était donc manifeste que les poursuites n'avaient d'autre but que de nuire à sa réputation ou constituaient un moyen de pression abusif.

b. Dans son rapport, l'Office a rappelé que l'annulation d'une poursuite pour abus de droit n'était admise que de manière très restrictive, dans le cas où cet abus ne faisait aucun doute. Il s'en est pour le surplus rapporté à justice.

c. B______ et C______ contestent en substance agir par pure chicane et affirment qu'ils ont introduit les poursuites successives, dès lors que A______ a refusé de renoncer à se prévaloir de la prescription. Ils avaient finalement saisi le Bâtonnier de l'ordre des avocats et le Président de la Chambre des Notaires.

d. Par courrier du 15 mai 2023, A______ a persisté dans les termes de sa plainte et relevé pour le surplus que B______ et C______ n'avaient pas justifié de leur démarche en vue d'engager une médiation.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie lésée dans ses intérêts (ATF
138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable.

Pour le surplus, et dans la mesure où le grief invoqué par le plaignant est susceptible d'entraîner la nullité de la poursuite, il devrait être examiné même en l'absence de plainte recevable (art. 22 al. 1 LP, deuxième phrase).

2. 2.1.1 Le droit suisse en matière de poursuites se caractérise par le fait que toute personne peut engager une poursuite ordinaire ou en réalisation de gage immobilier, même s'il n'est pas créancier, et que l'office des poursuites n'a pas à vérifier l'existence et l'exigibilité au jour du dépôt de la réquisition de poursuite de la créance alléguée par le poursuivant (ATF 144 III 277 consid. 3.3.4 ; ATF 102 III 1 consid. 1 b, JdT 1977 II 112 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_277/2015 du 5 juin 2015 consid. 3.2).

En principe, le poursuivant peut requérir l'introduction de plusieurs poursuites pour la même prétention, et il appartient au poursuivi de sauvegarder ses droits dans chacune d'elles. Selon le Tribunal fédéral, une seconde poursuite pour la même réclamation n'est inadmissible que si, dans une première poursuite, le poursuivant a déjà requis la continuation de la poursuite ou est en droit de le faire, car c'est dans cette hypothèse qu'il existe un risque sérieux que le patrimoine du poursuivi soit mis à contribution à plusieurs reprises; en revanche, si la première poursuite a été arrêtée par une opposition ou est devenue caduque ensuite d'une renonciation du poursuivant, il n'y a aucun motif d'empêcher ce dernier d'introduire une nouvelle poursuite pour la même créance (ATF 139 III 444, consid. 4.1.2 ; ATF 136 III 583, consid. 2.3 ; ATF 128 III 383 ; TF 5A_896/2017 du 7 février 2018 consid. 3.2).

2.1.2 Chacun est tenu d’exercer ses droits et d’exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC). L’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi (art. 2 al. 2 CC). Le principe de la bonne foi s’applique aussi dans le droit de l’exécution forcée (ATF 113 III 2 consid. 2a, JdT 1989 II 120; TF 5A_563/2018 du 12 août 2019 consid. 3.5.1).

L'emploi dans le texte légal du qualificatif « manifeste » démontre que l'abus de droit doit être admis restrictivement. Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF 143 III 279 consid. 3.1 ; ATF 135 III 162 consid. 3.3.1 et les arrêts cités).

2.1.3 Selon la jurisprudence, la nullité d'une poursuite pour abus de droit ne doit être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1, JdT 2015 II 298 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_563/2018 consid. 3.5.1 précité) ; cette éventualité est, par exemple, réalisée lorsqu'il fait notifier plusieurs commandements de payer reposant sur la même cause et pour des sommes importantes, mais sans jamais requérir la mainlevée, ni la reconnaissance judiciaire de sa créance, qu'il procède par voie de poursuite dans l'unique but de détruire la bonne réputation du poursuivi, ou encore qu'il reconnaît, devant l'office des poursuites, voire le poursuivi lui-même, ne pas s'en prendre au véritable débiteur (ATF 115 III 18 consid. 3b, JdT 1991 II 76). Dans ce dernier arrêt, le Tribunal fédéral a ainsi relevé que le procédé consistant à notifier quatre commandements de payer en quinze mois, fondés sur la même cause et pour une somme totale de 775’000 fr., sans jamais demander la mainlevée de l’opposition ni la reconnaissance judiciaire de la créance, pouvait constituer un abus de droit manifeste ; le Tribunal fédéral a aussi admis le caractère abusif de la poursuite en raison de son montant, qui était manifestement exorbitant (trois cent milliards de francs) et, par conséquent, à l'évidence de nature à porter atteinte au crédit et à la réputation de la partie poursuivie (arrêt du Tribunal fédéral 7B.118/2005 du 11 août 2005 consid. 3 in fine). Selon le Tribunal fédéral, une poursuite peut également être abusive lorsqu’elle consacre une attitude contradictoire (venire contra factum proprium): notre Haute Cour a ainsi jugé qu’une réquisition de poursuite, déposée trois jours avant des pourparlers transactionnels que le poursuivant avait lui-même initiés et qui avaient pour objet le retrait d’une précédente poursuite, était abusive (ATF 140 III 481 consid. 2.3.2 et 2.3.3, JdT 2015 II 298).

En revanche, celui qui poursuit son débiteur dans le seul but d'interrompre la prescription ne commet en principe pas d'abus de droit, la notification d'un commandement de payer représentant un moyen légal pour ce faire (art. 135 ch. 2 CO; arrêt du Tribunal fédéral 5A_250/2015 du 10 septembre 2015 consid. 4.2 in fine; Peter, Interrompre la prescription par une poursuite, in BlSchK 2018 p. 175 ss, 179 in fine).

2.2 En l'espèce, il est vrai que les poursuivants ont introduit à ce jour cinq poursuites successives contre le plaignant pour les mêmes montants et pour les mêmes motifs, sans jamais agir en annulation des oppositions, ce qui peut apparaître comme un indice d'une volonté des intimés d'utiliser la procédure de poursuite à des fins étrangères à son but, afin de nuire à la bonne réputation du plaignant, qui exerce l'activité de notaire. Les intimés n'ont par ailleurs pas établi qu'ils auraient engagé une procédure de médiation, pourtant annoncée dans leur réponse à la plainte, ce qui est également de nature à susciter des doutes sur leurs intentions réelles.

Ces indices ne sont toutefois pas suffisants pour considérer que la dernière poursuite engagée serait abusive. En effet, les montants réclamés dans les poursuites, bien qu'élevés, ne sont pas exorbitants et demeurent plausibles dans le contexte d'un litige ayant pour origine l'exécution d'un mandat de notaire dans le cadre d'une opération immobilière. De plus, les cinq poursuites ont été engagées à chaque fois à une année d'intervalle et avec l'indication expresse qu'elles étaient destinées à interrompre la prescription, ce qui est en soi admissible. Les intimés ont par ailleurs allégué avoir proposé au plaignant d'effectuer une déclaration de renonciation à se prévaloir de la prescription, afin d'éviter toute poursuite. Le plaignant ne l'a pas contesté et n'a pas pris position sur cet aspect, dans sa réplique du 15 mai 2023.

Aussi, il ne peut être tenu pour établi que les intimés ont engagé la poursuite litigieuse dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou dans l'unique but de tourmenter le plaignant. Partant, les circonstances exceptionnelles permettant de conclure à l’existence d’une poursuite abusive ne sont pas établies, de sorte que la plainte doit être rejetée.

3 La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :


A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 27 mars 2023 par A______ contre le commandement de payer, poursuite n° 5______.

Au fond :

La rejette.

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente; Messieurs Luca MINOTTI et Anthony HUGUENIN, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

La présidente : La greffière :

 

Verena PEDRAZZINI RIZZI Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.