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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/1183/2022

DCSO/333/2022 du 01.09.2022 ( PLAINT ) , ADMIS

Normes : lp.260.al1
Résumé : Révocation de la cession accordée à l'un des trois créanciers cessionnaires. Caractéristiques de la cession. Rôle de l'Office et des créanciers dans l'invocation de la prétention cédée. Egalité entre les créanciers cessionnaires.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1183/2022-CS DCSO/333/22

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 1ER SEPTEMBRE 2022

 

Plainte 17 LP (A/1183/2022-CS) formée en date du 11 avril 2022 par A______, élisant domicile en l'étude de Me Vadim Negrescu, avocat.

* * * * *

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

-       A______

c/o Me NEGRESCU Vadim

DN Avocats

Robert-Céard 6

1204 Genève.

- B______ SARL

c/o Me MEMBREZ François

WAEBER AVOCATS

Rue Verdaine 12

Case postale 3647

1211 Genève 3.

- C______ LTD

c/o Me Laurent STRAWSON

Rue De-Beaumont 3

Case postale 24

1211 Genève 12.

- Office cantonal des faillites.


EN FAIT

A. a. La faillite de la société D______ SA, déclarée le ______ 2016, est liquidée en la forme sommaire par l'Office cantonal des faillites (ci-après : l'Office).

b. Des prétentions en responsabilité à l'encontre des organes de la société faillie ont été portées à l'inventaire de la faillite, à hauteur du découvert de la faillite. Consultés par voie de circulaire, les créanciers ont renoncé à ce que la masse en faillite fasse valoir ces prétentions litigieuses.

c. Par décision du 13 mai 2019, l'administration de la faillite a autorisé, au sens de l'art. 260 LP, C______ LTD, admise à l'état de collocation en troisième classe pour un montant de 520'071 fr. 67, A______, admis à l'état de collocation à hauteur d'un montant de 5'000'000 fr. correspondant à une créance postposée, et B______ SARL, admise à l'état de collocation en troisième classe pour un montant de 77'803 fr. 20, à faire valoir en leur nom mais pour son compte les prétentions litigieuses inventoriées contre les organes de D______ SA.

Un délai au 30 juin 2020 était imparti aux créanciers cessionnaires pour agir en justice, faute de quoi l'administration de la faillite se réservait le droit d'annuler la cession.

d. Par courrier adressé le 4 mars 2020 à l'Office, le conseil de C______ LTD a invité l'Office à révoquer la cession des prétentions litigieuses octroyée à A______ au motif que ce dernier ne collaborait pas avec les autres créanciers cessionnaires.

L'Office n'a pas donné suite à cette demande.

e. Sur demandes des créanciers cessionnaires, l'Office a prolongé le délai qu'il leur avait imparti pour agir en justice au 31 décembre 2020.

f. Par courriel de son conseil du 14 octobre 2020, C______ LTD s'est derechef plainte auprès de l'Office de l'absence de collaboration de A______, lequel n'entendait pas agir et dont l'inactivité paralysait les démarches que voulaient entreprendre les deux autres créanciers cessionnaires, au vu de la consorité active nécessaire imposée par l'art. 260 LP.

g. Sur demandes des créanciers cessionnaires, l'Office a à nouveau prolongé, en dernier lieu au 31 mars 2022, le délai qu'il leur avait imparti pour agir en justice afin de faire valoir les prétentions litigieuses visées par la décision du 13 mai 2019.

h. Par courriers des 6 mai, 24 juin et 8 juillet 2021 adressés à l'Office, C______ LTD l'a une nouvelle fois invité à révoquer la cession accordée à A______. Ce dernier, selon la "conviction" du conseil de C______ LTD, n'avait pas l'intention d'agir et son inaction empêchait les autres créanciers cessionnaires d'aller de l'avant.

i. Par lettre adressée le 17 février 2022 au conseil de A______, l'Office, relevant que celui-ci "avait déjà plusieurs fois changé de mandataire sans qu'aucun d'eux ne se soit jamais mis en contact avec les autres créanciers cessionnaires", l'a informé que si aucune action "commune" n'était déposée d'ici au 31 mars 2022, la cession octroyée en sa faveur serait révoquée.

Selon le conseil de A______, ce courrier aurait été reçu le 22 février 2022.

j. Par courriel adressé le 14 mars 2022 aux conseils de C______ LTD et de B______ SARL, le conseil de A______, après avoir indiqué avoir tenté en vain de les joindre par téléphone, leur a fait part de la volonté de son mandant de collaborer avec les leurs en vue du dépôt d'une action commune dans le délai imparti par l'Office et les a en conséquence priés de lui faire part de leurs disponibilités afin de fixer une réunion "dans les prochains jours".

Selon les allégations non contestées de A______, aucune suite n'a été donnée à ce courriel.

k. Par courrier recommandé adressé le 28 mars 2022 à l'Office, le conseil de A______ a contesté tout manque de collaboration de la part de son client, expliquant que, postérieurement à sa constitution en décembre 2020, il avait tenté sans succès de prendre contact avec le conseil de C______ LTD alors que ni ce dernier ni le conseil de B______ SARL ne l'avaient jamais contacté. Son client A______ était toujours désireux de faire valoir les prétentions litigieuses cédées et faisait tout son possible pour agir dans les meilleurs délais. Une nouvelle prolongation du délai pour agir, au 31 mai 2022, était toutefois requise à cet effet.

l. Le 31 mars 2022, le conseil de A______ a adressé au Tribunal de première instance un acte intitulé "Requête en conciliation" mentionnant ce dernier en qualité de demandeur et "Les organes de la société D______ SA, notamment Monsieur E______" en qualité de défendeurs. Seule la page de garde de cet acte ayant été produite, les conclusions prises ne sont pas connues.

Par courrier recommandé adressé le 31 mars 2022 à l'Office, le conseil de A______ l'a informé que, n'ayant pu se coordonner avec les mandataires des autres cessionnaires, il avait agi seul en déposant le 31 mars 2022 une demande en conciliation.

m. Par courrier recommandé adressé le 1er avril 2022 au conseil de A______ et reçu le 4 avril 2022 par ce dernier, l'Office, constatant que ce dernier n'avait pas donné suite à son courrier du 17 février 2022, a révoqué la cession des prétentions litigieuses intervenue le 13 mai 2019.

n. Une demande de reconsidération de la décision de révocation formée par courriel du 1er avril 2022 par le conseil de A______ a été rejetée par l'Office par courriel du même jour.

B. a. Par acte adressé le 11 avril 2022 à la Chambre de surveillance, A______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre la décision de révocation prononcée le 1er avril 2022, concluant à son annulation.

Selon lui, cette décision violait gravement le principe de l'égalité entre les créanciers cessionnaires, l'Office lui ayant imposé des conditions plus strictes qu'aux autres cessionnaires. Cette différence de traitement n'était nullement justifiée par un manque de collaboration, les pièces remises à l'Office avant que la décision litigieuse ne soit prise démontrant au contraire que ces derniers n'avaient pas répondu à ses demandes en vue d'une action conjointe. Enfin, il avait bel et bien agi dans le délai imparti par l'Office, l'exigence d'une action commune ne résultant à cet égard pas de la jurisprudence.

b. Dans ses observations du 17 mai 2022, l'Office s'en est rapporté à justice sur l'issue de la procédure de plainte sans se déterminer sur les griefs invoqués par le plaignant.

c. Par détermination du 5 mai 2022, B______ SARL a conclu au rejet de la plainte. D'une part, une action conjointe n'était pas possible du fait que A______ n'avait été admis à l'état de collocation que pour une créance postposée. D'autre part, ce dernier ne disposait plus d'aucun intérêt à obtenir l'annulation de la décision attaquée puisqu'il avait omis de conclure à une prolongation du délai pour agir, de telle sorte que la cession avait expiré en ce qui le concerne.

d. Par détermination du 5 mai 2022, C______ LTD a elle aussi conclu au rejet de la plainte, soutenant que le plaignant n'avait jamais été "enclin" à collaborer avec elle. Des rencontres avaient certes eu lieu entre lui-même, le conseil de B______ SARL et les divers conseils du plaignant mais celui-ci n'avait jamais donné suite à certains engagements (non précisés) en vue du dépôt d'une action commune. Cette absence de collaboration empêchait les autres créanciers cessionnaires d'agir en justice contre les organes de D______ SA. Par ailleurs, du fait que le plaignant n'avait pas agi dans le délai au 31 mars 2022 qui lui avait été imparti (le simple dépôt d'une page de garde d'une demande en conciliation ne permettant pas de retenir qu'il l'aurait fait) et n'en avait pas demandé la prolongation, la cession était devenue caduque le 1er avril 2022 de telle sorte qu'il n'avait plus d'intérêt juridique à obtenir l'annulation de la décision attaquée.

e. En l'absence de réplique spontanée, la cause a été gardée à juger le 1er juin 2022.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4; 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3). La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).

1.2 En l'occurrence, et contrairement à ce que soutiennent les intimées, le plaignant dispose manifestement d'un intérêt juridiquement protégé et de fait à l'annulation de la décision contestée.

En premier lieu, il paraît avoir introduit, dans le délai qui lui avait été fixé à cet effet, une action en justice afin de faire valoir les droits cédés le 13 mai 2019. Or, la révocation de la cession le priverait de la légitimation pour faire valoir lesdits droits en son propre nom et conduirait donc à l'échec de cette action.

En deuxième lieu, et contrairement à ce que prétendent les intimées, le plaignant a sollicité en temps utile (cf. let. A.k ci-dessus) la prolongation du délai dont il disposait pour ouvrir action. A supposer que ce délai n'ait pas déjà été respecté par le dépôt d'une demande en conciliation, l'annulation de la décision attaquée conduirait ainsi l'Office à examiner cette demande et, le cas échéant, à prolonger le délai octroyé au plaignant dans la même mesure qu'il l'aurait par hypothèse fait pour les intimées (cf. consid. 2.1.4 ci-dessous).

En troisième et dernier lieu, et contrairement à ce que retiennent les intimées, l'éventuel non-respect du délai pour agir n'entraîne pas la caducité de plein droit de la cession mais uniquement sa révocabilité, laquelle doit être prononcée par l'Office (ATF 138 III 628 consid. 5.3.2). En cas d'annulation de la décision attaquée, la cession intervenue le 13 mai 2019 resterait ainsi en vigueur sous réserve d'une nouvelle décision de révocation de la part de l'Office.

1.3 La plainte ayant pour le surplus été déposée dans les formes et délai prévus par la loi, elle est recevable.

2. 2.1.1 Dans la faillite, lorsque l'ensemble des créanciers ont renoncé à faire valoir les droits litigieux de la masse, l'administration de la faillite doit en offrir la cession aux créanciers colloqués. Chacun d'eux peut demander la cession (art. 260 al. 1 LP) et celle-ci peut être accordée à plusieurs créanciers simultanément (ATF 138 III 628 consid. 5.3.2). Pour ce faire, l'administration de la faillite doit se servir de la formule LP 7F ou d'une formule établie par elle-même qui corresponde par son contenu à la formule 7F (ATF 138 III 628 consid. 5.3.2). 

2.1.2 Le créancier cessionnaire qui a obtenu la cession des droits de la masse en application de l'art. 260 al. 1 LP a la faculté de conduire le procès en lieu et place de la masse (Prozessstandschaft), en son propre nom, pour son propre compte et à ses risques et périls (ATF 138 III 628 consid. 5.2.3). Il s'agit d'un mandat procédural (ATF 122 III 488 consid. 3b). La prétention litigieuse cédée continue d'appartenir à la masse (ATF 138 III 628 consid. 5.2.3). Le créancier cessionnaire peut toutefois conclure à la condamnation du défendeur de payer directement en ses mains (ATF 139 III 391 consid. 5.1) et peut employer la somme obtenue, après paiement des frais, pour couvrir sa créance, l'excédent éventuel devant être remis à la masse (Formule LP 7F ch. 3).

 

Lorsque plusieurs créanciers ont obtenu la cession des droits de la masse, chacun d'eux se voit véritablement transférer, à titre individuel, la faculté de conduire le procès à la place de la masse, en son propre nom, pour son propre compte et à ses propres risques (ATF 138 III 628 consid. 5.3.2). Chaque créancier cessionnaire a la faculté d'agir: il n'est pas obligé d'intenter action, mais s'il n'ouvre pas action dans le délai qui lui a été fixé, l'administration de la masse peut annuler la cession (Formule 7F ch. 6; ATF 138 III 628 consid. 5.3.2); il n'est pas non plus obligé de continuer le procès jusqu'au jugement (ATF 105 III 135 consid. 3); il peut conclure une transaction extrajudiciaire ou judiciaire (ATF 121 III 488 consid. 2c).

 

2.1.3 Lorsque plusieurs créanciers cessionnaires ont obtenu la cession de la même prétention de la masse, ils forment une consorité (cf. Formule LP 7F ch. 5) que la jurisprudence qualifie de consorité nécessaire improprement dite dès lors que la prétention - qui demeure celle de la masse - ne peut faire l'objet que d'un seul jugement (ATF 145 III 101 consid. 4.1.2; 144 III 552 consid. 4.1.1). Si les créanciers cessionnaires ne doivent pas nécessairement agir ensemble, le tribunal ne peut toutefois se prononcer sur la demande tant qu'il n'est pas établi qu'aucun autre créancier ne peut agir en justice (ATF 145 III 101 consid. 4.1.2; 144 III 552 consid. 4.1.1; 138 III 628 consid. 5.3.2). Autrement dit, soit les créanciers cessionnaires se concertent et agissent ensemble (art. 70 al. 1 CPC), soit ils ouvrent action séparément et le tribunal procédera à la jonction des différentes causes (art. 125 let. c CPC), soit encore, lorsque l'action peut être introduite à plusieurs fors et que les créanciers cessionnaires n'arrivent pas à s'entendre, l'administration de la faillite leur donne, sur requête de l'un d'eux, des directives afin d'assurer qu'un seul procès soit mené et qu'un seul jugement puisse être rendu (ATF 121 III 488 consid. 2d et 2e). Le créancier cessionnaire n'est pas obligé d'agir en justice. La cession dont il bénéficie ne devient toutefois caduque que pour autant que l'administration de la faillite la révoque (consid. 2.1.2 ci-dessus; ATF 138 III 628 consid. 5.3.2). Il en résulte que le tribunal ne peut statuer sur la demande d'une partie des créanciers cessionnaires que s'il est établi que les autres créanciers cessionnaires ont renoncé à agir dans la présente procédure (ATF
144 III 552 consid. 4.1.2 et 4.2). 

 

La faculté de conduire le procès du créancier cessionnaire est une condition de recevabilité de l'action (ATF 144 III 552 consid. 4.1.1). La consorité nécessaire improprement dite que doivent former les créanciers cessionnaires de l'art. 260 LP, qui est une exigence procédurale (art. 70 CPC), est également une condition de recevabilité de la demande, à la différence de la consorité matérielle nécessaire, qui est une condition de fond de l'action (ATF 140 III 598 consid. 3.2).

 

2.1.4 La formule 7F relative à la cession de droits de la masse à teneur de l'art. 260 LP prévoit notamment que l'administration de la faillite se réserve le droit d'annuler la cession si le créancier cessionnaire n'agit pas en justice dans le délai qui lui aura été fixé. Lorsqu'il y a plusieurs créanciers cessionnaires, l'administration doit fixer un délai unique (ATF 121 III 291 consid. 2a et 3b). Par ailleurs, lorsqu'elle prolonge ce délai, elle doit le faire pour tous les créanciers cessionnaires, non au profit d'un seul (ATF 40 III 431 consid. 2). Cette jurisprudence s'inspire du principe d'égalité entre les créanciers : tous ceux qui ont demandé la cession doivent en principe être traités sur un pied d'égalité, et l'administration ne doit rien entreprendre qui vienne troubler cette égalité (ATF
40 III 431 consid. 2; 121 III 291 consid. 3b).

 

Ce principe d'égalité entre les créanciers ne commande toutefois de traiter également que les situations semblables. Se trouvent ainsi dans une même situation exigeant un traitement égal, tous les créanciers qui ont requis une cession, respectivement tous ceux qui ont sollicité une prolongation du délai pour agir (ATF 121 III 291 consid. 3b). Le cessionnaire qui entend conserver son droit à agir doit requérir personnellement la prolongation du délai, faute de quoi il est réputé y renoncer, la cession devenant alors caduque pour autant que l'administration de la faillite la révoque (ATF 121 III 291 consid. 3c). En conséquence, l'égalité entre les créanciers cessionnaires implique de faire bénéficier du même délai uniquement ceux d'entre eux qui ont manifesté leur volonté, le créancier qui a laissé écouler le délai sans agir ou sans demander de prolongation ne pouvant en revanche plus prétendre à la qualité de cessionnaire (Ibidem). 

2.2 Il résulte de la motivation de la décision contestée que la cession des prétentions litigieuses a été révoquée en raison du fait que le plaignant n'avait pas respecté la condition énoncée par l'Office dans sa lettre du 17 février 2022, à savoir le dépôt d'une action commune aux trois créanciers cessionnaires (art. 70 al. 1 CPC) d'ici au 31 mars 2022. Il n'est à cet égard pas contesté que cette condition n'a effectivement pas été réalisée, la demande apparemment déposée en conciliation le 31 mars 2022 par le plaignant l'ayant été en son seul nom et non de manière commune au sens de l'art. 70 al. 1 CPC.

Le plaignant fait cela étant valoir que cette condition, qui ne résulte pas du droit matériel, ne pouvait lui être imposée. Il reproche également à l'Office de ne l'avoir imposée qu'à lui, et non aux autres créanciers cessionnaires, violant ainsi le principe de l'égalité entre l'ensemble des créanciers cessionnaires.

2.2.1 Sur le premier moyen, il paraît effectivement douteux que l'Office puisse imposer aux créanciers cessionnaires d'agir par une action conjointe au sens de l'art. 70 al. 1 CPC. Comme rappelé ci-dessus (consid. 2.1.3) en effet, la consorité nécessaire entre les créanciers cessionnaires au sens de l'art. 260 LP a ceci de particulier qu'elle n'exige pas que lesdits créanciers forment une action conjointe, mais uniquement que les prétentions cédées fassent l'objet d'une seule décision. Chaque créancier cessionnaire peut ainsi agir (ou non) de manière individuelle, mais, au moment de statuer – que ce soit au fond ou dans le cadre d'une décision incidente sur la recevabilité de la demande – le juge devra s'assurer qu'aucun autre créancier cessionnaire ne peut agir en justice, autrement dit que l'ensemble des créanciers cessionnaires dont la cession n'a pas été révoquée et qui n'ont pas renoncé à agir sont parties à la procédure (ou aux procédures si celles-ci peuvent être préalablement jointes en application de l'art. 125 let. c CPC) pendante(s) devant lui. Dans ce cadre, le rôle de l'Office devrait se limiter à veiller à ce qu'une décision unique puisse effectivement être prononcée, par exemple en donnant aux créanciers cessionnaires, sur requête, des directives sur le for alternatif devant être utilisé. Dans le même ordre d'idée, l'Office, s'il est informé que l'un des créanciers cessionnaires a agi seul, ne devrait pas sans motif impérieux prolonger indéfiniment le délai pour agir fixé aux autres créanciers cessionnaires dès lors qu'un tel procédé rendrait à terme impossible une jonction des causes au sens de l'art. 125 let. c CPC.

La question peut en tout état demeurer ouverte au vu des considérations qui suivent.

2.2.2 Il résulte du dossier que la condition du dépôt d'une action commune d'ici au 31 mars 2022, et la menace l'accompagnant de la révocation de la cession si cette condition n'était pas respectée, n'ont été signifiées qu'à l'un des trois créanciers cessionnaires, le plaignant. Comme le relève ce dernier, un tel procédé viole toutefois le principe de l'égalité de traitement devant être respectée entre les créanciers cessionnaires, l'Office ne pouvant réserver à certains d'entre eux un traitement plus favorable qu'aux autres dès lors que chaque créancier colloqué dispose d'un droit égal à obtenir la cession. Cette violation est d'autant plus grave en l'espèce que la réalisation de la condition fixée par l'Office ne dépendait pas du seul plaignant mais supposait une collaboration active de la part des autres créanciers cessionnaires, dont l'intérêt à coopérer avec le plaignant paraissait pour le moins ténu. Il résulte du reste du dossier que, deux semaines encore avant l'échéance du délai qui lui avait été fixé pour agir conjointement avec les autres créanciers cessionnaires, le plaignant a tenté de se coordonner avec eux afin de satisfaire aux exigences de l'Office mais n'a reçu aucune réponse, l'une des intimées voyant même dans ces tentatives la démonstration de l'attitude d'obstruction qu'elle impute au plaignant.

Selon le courrier de l'Office du 17 février 2022, la différence de traitement entre les créanciers cessionnaires résultant de ce courrier serait justifiée par la collaboration défectueuse du plaignant avec les deux autres créanciers cessionnaires, ses conseils successifs ne s'étant jamais mis en contact avec ces derniers. Ce raisonnement est toutefois erroné à un double titre.

En premier lieu, aucun élément du dossier ne permet de retenir un défaut de collaboration – et moins encore un défaut de collaboration intentionnel – de la part du plaignant dans les efforts de recouvrement des prétentions cédées. On ne voit en particulier pas en quoi le fait de changer, le cas échéant plusieurs fois, de conseil permettrait d'imputer au plaignant un état d'esprit négatif et obstructionniste. Le fait – admis par l'Office – que les conseils successifs du plaignant ne se seraient jamais mis en contact avec ceux des intimées est quant à lui manifestement erroné, puisqu'il résulte de la détermination du 5 mai 2022 de C______ LTD que le conseil de cette dernière s'est entretenu à plusieurs reprises avec ceux du plaignant et celui de la seconde intimée. En réalité, l'Office paraît essentiellement s'être fondé pour retenir une collaboration défectueuse de la part du plaignant sur les divers courriers que lui a adressés le conseil de l'une des intimées, par lesquels, sans produire aucune pièce ni apporter d'élément concret, celui-ci lui a fait part de sa "conviction" selon laquelle le plaignant n'avait en réalité pas l'intention d'agir contre les organes de la faillie, en déduisant (à tort) que cette attitude empêcherait sa mandante d'agir.

En second lieu, les exigences en matière de collaboration pesant sur les créanciers cessionnaires ne doivent pas être surestimées. Dans la mesure où il ne porte pas préjudice aux autres créanciers cessionnaires, chaque créancier cessionnaire est en effet libre de faire valoir comme il l'entend les prétentions cédées. Il peut en particulier, de manière indépendante, renoncer à ouvrir action, conclure une transaction judiciaire ou extrajudiciaire, retirer une action introduite, se faire représenter par son propre avocat et alléguer des faits propres, même s'ils sont contradictoires avec ceux allégués par les autres créanciers cessionnaires (ATF 145 III 101 consid. 4.1.2). Le simple fait qu'il n'ait pas de contact avec les autres créanciers cessionnaires, qu'il ne leur fournisse pas certaines informations en sa possession, qu'il agisse de manière indépendante, etc., n'est donc pas en soi suffisant pour justifier une révocation de la cession. Comme déjà relevé, les mesures de coordination indispensables à une décision commune, telles le choix du for en cas de fors alternatifs, peuvent en cas de besoin être imposées par l'Office sur requête d'un ou de plusieurs créanciers cessionnaires. En l'occurrence, on voit mal en quoi les reproches adressés et les desseins prêtés par l'une des intimées au plaignant, à supposer même qu'ils soient établis, atteindraient un degré de gravité suffisant pour justifier l'inégalité de traitement imposée à ce dernier.

2.2.3 L'argument invoqué par l'une des intimées selon lequel la décision litigieuse devrait être confirmée au motif que, le plaignant n'ayant été colloqué que pour une créance postposée, le dépôt d'une action conjointe serait d'emblée impossible est inconsistant.

D'une part, ce moyen aurait dû être invoqué dans le cadre d'une plainte contre la décision de cession des prétentions litigieuses.

D'autre part, le fait que la créance invoquée par le plaignant ait été colloquée au titre de créance postposée est sans effet sur les conséquences de la collocation, et en particulier sur la possibilité d'obtenir la cession de prétentions litigieuses en application de l'art. 260 LP. Ce n'est en effet qu'au moment du partage du produit de la réalisation que la postposition est prise en considération (Jeanneret, in CR LP, 2005, N 31 ad art. 219 LP; Stöckli/Possa, in KUKO SchKG, 2ème édition, 2014, N 38a ad art. 219 LP).

2.2.4 Dans la mesure où il ne pouvait imposer au seul plaignant la condition du dépôt dans le délai imparti d'une action conjointe, l'Office ne pouvait révoquer la cession intervenue en sa faveur le 13 mai 2019 au motif que cette condition n'aurait pas été respectée. La plainte est donc bien fondée dans cette mesure.

Le dossier ne permet par ailleurs pas de retenir que cette révocation aurait pu être justifiée par le non-respect du délai au 31 mars 2022 imparti précédemment au plaignant pour agir.

D'une part en effet, l'Office n'a pas vérifié si ce délai avait été respecté, alors que cela paraît avoir été le cas.

D'autre part, une demande de prolongation de délai avait été formée en temps utile par le plaignant et il paraît ressortir de la détermination de l'une des intimées – qui affirme vouloir déposer au plus vite une action – que celles-ci ont requis et obtenu une telle prolongation, dont le plaignant aurait donc lui aussi dû bénéficier.

La décision contestée sera donc annulée.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 lit. a OELP) et il n'est pas alloué de dépens (art. 62 al. 2 OELP).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 11 avril 2022 par A______ contre la décision de révocation de cession des droits de la masse en faillite de D______ SA prononcée le 1er avril 2022 par l'Office cantonal des faillites.

Au fond :

L'admet.

Annule en conséquence la décision de révocation de cession des droits de la masse en faillite de D______ SA prononcée le 1er avril 2022 par l'Office cantonal des faillites.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Natalie OPPATJA et Monsieur Mathieu HOWALD, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.