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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/445/2024

JTAPI/1200/2024 du 09.12.2024 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : SÛRETÉS EN MATIÈRE D'IMPÔTS;SÉQUESTRE(LP)
Normes : lifd.169.al1; LPGIP.38.al1
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/445/2024 ICCIFD

JTAPI/1200/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 9 décembre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Antoine BERTHOUD, avocat, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Jusqu'au 31 janvier 2012, Monsieur A______ (ci-après : le contribuable ou le recourant) a été le directeur financier (avec signature individuelle) de la société B______ SA, dont son épouse, Madame C______, était l’actionnaire unique et l'administratrice (également avec signature individuelle) jusqu’au 13 novembre 2023, date à laquelle cette société a été radiée du registre de commerce de Genève. 

2.             Le 20 décembre 2018, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a notifié à B______ SA des bordereaux de rappel d’impôt et d’amende pour les périodes fiscales 2006 à 2014 et des bordereaux de taxation pour l’année 2015.

Ces bordereaux (excepté ceux de rappel des IFD et ICC 2006 annulés pour cause de prescription) ont été confirmés tant par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal ; JTAPI/296/2022 du 25 mars 2022, cause A/4342/2020) que par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative ; ATA/761/2022 du 26 juillet 2022) et le Tribunal fédéral (arrêt 2C_733/2022 du 13 décembre 2022). Au final, la société était débitrice d’un montant total de CHF 665'263,90.

3.             Le même jour, l'AFC-GE a notifié aux époux A______ des bordereaux de rappel des ICC et IFD 2006 à 2014, des bordereaux de taxation ICC et IFD 2015 et des bordereaux d’amende pour la soustraction des ICC et IFD 2008 à 2014 et pour la tentative de soustraction des ICC et IFD 2015, dont la quotité s'élevait aux 4/5 des impôts soustraits, respectivement aux 8/15 des impôts. Les reprises concernaient principalement des distributions dissimulées de bénéfice par B______ SA, ainsi que des comptes bancaires et un immeuble non déclarés. Les rappels des ICC et IFD y relatifs totalisaient CHF 459’601.25. Chacun des époux était condamné à la moitié du montant des amendes.

Les montants des rappels d’impôt et d’amende se répartissaient comme suit :

 

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Amende ICC par contribuable

20’848.-

8’241.-

14’146.-

12’057.-

13’474.-

12’484.-

6’758.-

Rappel d’impôt ICC des époux

52’122.45

20’604.45

35’366.45

30’142.70

33’686.55

31’210.45

16’897.10

Amende IFD par contribuable

8’768.-

2’742.-

6’173.-

4’405.-

5’707.-

5’067.-

2’388.-

Rappel d’impôt IFD des époux

21’921.-

6’857.-

15’434.-

11’013.20

14’268.-

12’668.95

5’970.90

Ces bordereaux ont également fait l’objet d’un contentieux judiciaire (cause A/3197/2022). Par jugement du 2 octobre 2023 (JTAPI/1067/2023), le tribunal a confirmé les bordereaux de rappel d’impôt notifiés aux époux, annulé les bordereaux d’amende notifiés à M. A______ et réformé ceux notifiés à Mme A______, en ce sens qu’elle en était responsable pour l’entier du montant. La chambre administrative a annulé les bordereaux de rappel d'impôt et d’amende 2008, pour cause de prescription, et confirmé ceux des années 2009 à 2015 (ATA/401/2024 du 19 mars 2024). Cet arrêt fait l’objet d’un recours actuellement pendant devant le Tribunal fédéral (cause 9C_251/2024).

4.             Le 12 décembre 2022, l'AFC-GE a notifié à chacun des époux huit amendes de CHF 5'000.- chacune pour participation dans les soustractions fiscales commises (ICC et IFD 2012 à 2014) et tentées (ICC et IFD 2015) par B______ SA.

Ces amendes ont également fait l’objet d’un litige judiciaire (cause A/832/2023). Le tribunal a confirmé les amendes infligées à Mme A______ et annulé celles notifiées à M. A______ (JTAPI/1274/2023 du 13 novembre 2023). La chambre administrative a, sur recours de l'AFC-GE, rétabli les amendes infligées à M. A______ (ATA/402/2024 du 19 mars 2024). Cet arrêt fait également l’objet d’un recours actuellement pendant devant le Tribunal fédéral (cause 9C_251/2024).

5.             Le 25 avril 2023, l'AFC-GE a notifié à chacun des époux des demandes de sûretés en garantie des montants qui lui étaient dus sur la base des décisions judiciaires susmentionnées. Le montant des sûretés s’élevait à CHF 533'545,90.

6.             Par acte du 24 mai 2023 (cause A/1788/2023), les époux A______, sous la plume de leur conseil, ont recouru contre ces demandes auprès du tribunal.

La seule reprise de prestations appréciables en argent, dont ils n’avaient pas profité concrètement, et la donation du bien immobilier à leurs enfants en 2018 ne pouvaient justifier une menace concrète des droits du fisc. Le risque de fuite ne reposait sur aucun élément de faits concret.

7.             Le 6 juin 2023, l'AFC-GE a demandé aux époux s'ils souhaitaient proposer une autre mesure de garantie poursuivant le même but que des sûretés, comme des cautions ou des garanties bancaires.

8.             Les époux A______ n'ont pas proposé de mesure de substitution.

9.             Le 31 juillet 2023, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours dans la cause A/1788/2023.

10.         Par réplique du 23 août 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions prises dans cette cause.

11.         Le ______ 2023, les époux A______ ont divorcé.

12.         Le 10 janvier 2024, faisant suite au jugement du tribunal JTAPI/1067/2023 du 2 octobre 2023, l'AFC-GE a notifié à M. A______ des nouvelles demandes de sûretés portant sur les mêmes valeurs patrimoniales que celles visées par les demandes de sûretés du 25 avril 2023. Les sûretés s’élevaient à CHF 285'680,35 (ICC 2008 à 2015) et CHF 116'147,55 (IFD 2008 à 2015).

13.         Le 15 janvier 2024, l’office des poursuites a informé les époux avoir levé les séquestres exécutés le 25 avril 2023, mais que ceux-ci ne pouvaient pas se dessaisir de leurs biens séquestrés, ces derniers faisant l’objet des nouvelles mesures de sûretés du 10 janvier 2024.

14.         Par acte du 25 janvier 2024 (enregistré sous la cause A/445/2024), complété le 15 février suivant, M. A______, sous la plume de son conseil, a recouru contre les demandes de sûretés prononcées le 10 janvier 2024, concluant à leur annulation.

Son divorce de Mme A______ ayant été prononcé le ______ 2023, la solidarité entre les époux avait cessé à cette date. Les décisions de sûretés du 10 janvier 2024 se fondaient donc de manière erronée sur la responsabilité conjointe et solidaire des époux. La prescription absolue étant acquise pour l’année fiscale 2008, les prétentions de l'AFC-GE devaient être réduites à concurrence des rappels d'impôts et amendes afférents à cette période.

15.         Dans sa réponse du 23 février 2024, l'AFC-GE a conclu à l’admission partielle du recours, dans la mesure où ses prétentions pour l’année 2008 étaient atteintes par la prescription, et à son rejet pour le surplus.

Ses droits pour les périodes 2009 à 2015 étaient objectivement menacés. En effet, les époux A______ faisaient l’objet des procédures de rappel, de soustraction et de tentative de soustraction pour ces périodes, ainsi que d’une procédure pénale pour instigation, complicité et participation à la soustraction d'impôt commise par B______ SA. Le 1er mars 2018, ils avaient donné leur bien immobilier en Suisse à leurs enfants, ce après l'ouverture de la procédure en rappel et soustraction d'impôt à leur encontre et durant l'instruction de cette procédure. Ils ne détenaient à ce jour plus aucun bien immobilier en Suisse, ce qui entraînait fondamentalement la mise en danger des droits du fisc. Ils n'avaient pas déclaré des montants de revenu et de fortune importants et s'exposaient à devoir s'acquitter de suppléments d'impôt, d’intérêts et d’amendes élevés. Ils avaient procédé à une dissimulation systématique de leur revenu et de leur fortune durant plusieurs années fiscales, si bien que les droits du fisc étaient menacés. Ils avaient l'âge de la retraite et leurs enfants, âgés de respectivement 38, 35 et 32 ans, avaient quitté la Suisse pour la Tunisie. Ainsi, les époux n'auraient aucune difficulté à vivre à l'étranger, notamment à D______, en Espagne, où ils possédaient un bien immobilier. Par le passé, ils avaient déjà quitté la Suisse pour la Tunisie. Ainsi, il existait un risque de fuite à l'étranger.

De surcroît, les époux A______ avaient radié au registre foncier leurs usufruits sur leur immeuble, ce moins d'un mois après l'arrêt du Tribunal fédéral du 13 décembre 2022 concernant B______ SA (2C _733/2022), ce qui entraînait également la mise en danger des droits du fisc. Ils avaient en outre pris de nombreuses mesures pour mettre à l'abri leur patrimoine, et ce après l'ouverture de la procédure en rappel et soustraction d'impôt à leur encontre et durant l'instruction de cette procédure, dont notamment des contrats de fiducie des 8 et 16 septembre 2020, que M. A______ avait conclus avec Messieurs E______ et F______, portant sur 10 parts du capital-social de la société G______ Sàrl, respectivement sur 20 parts du capital-social de la société H______ Sàrl. Par ailleurs, les 28 décembre 2022 et 23 mars 2023, soit après l'arrêt du Tribunal fédéral du 13 décembre 2022 (2C_733/2022), M. A______ avait conclu avec son fils deux contrats de prêt. Les époux A______ s’étaient par ailleurs dessaisi de leurs véhicules. Ils n’avaient effectué aucun versement pour les impôts dus alors qu'ils reconnaissaient, à tout le moins en partie, certaines des reprises. Ils avaient une attitude dilatoire au cours des procédures.

En outre, pour les périodes 2016 à 2021, pour lesquelles ils avaient déposé leurs déclarations après l'ouverture de la procédure en rappel et en soustraction, mentionnant des revenus et fortune générant des impôts de plus de CHF 130'000.-, les époux A______ avaient versé moins de CHF 5'000.- d'acomptes. Ils n’avaient proposé aucune autre mesure de substitution, telle que la fourniture de cautions ou de garanties bancaires.

Pour le surplus, la créance fiscale concernée par les mesures litigieuses était vraisemblable. Les bordereaux y relatifs n’étaient certes par encore entrés en force, mais des sûretés pouvaient être exigées en tout temps. Toutefois, compte tenu de la prescription de la période fiscale 2008, les montants des sûretés en cause devaient être réduits de CHF 64'407,75 pour l'ICC et de CHF 28'682,60 pour l’IFD, et ramenés ainsi à respectivement CHF 221'272,60 et CHF 87'464,95.

Dans la présente procédure, il n'appartenait pas au juge de se prononcer sur la question de la solidarité des époux pour les dettes fiscales. Tant qu’elle n'avait pas rendu de décision de répartition de la part d'impôt due par chacun des époux, les décisions de taxation constituaient, pour chacun, la base pour demander des sûretés. Partant, le grief relatif à la fin de la solidarité des époux devait être rejeté.

16.         Par réplique du 18 mars 2024, M. A______, sous la plume de son conseil, a maintenu ses conclusions.

Le seul fait que l'AFC-GE ait renoncé volontairement à valider les séquestres exécutés en 2023 démontrait qu’elle avait pris le risque qu’il fasse disparaître les avoirs bloqués par l’office des poursuites. Cela prouvait l’absence de menace concrète sur les droits du fisc. N’ayant pas bénéficié des prestations appréciables en argent de la part de B______ SA, il ne devait aucun montant à titre de rappels d’impôts et d’amendes. Il serait dès lors choquant qu’il puisse toujours être poursuivi alors même que la solidarité entre les époux avait pris fin de par la loi.

Pour le surplus, il renvoyait à ses écritures et pièces produites dans la cause A/1788/2023.

17.         Par duplique du 28 mars 2024, l'AFC-GE a campé sur sa position, relevant notamment que les séquestres exécutés en avril 2023 ayant été levés le 15 janvier 2024, soit postérieurement à ceux exécutés le 10 janvier 2024, les avoirs concernés n’avaient jamais été laissés à la libre disposition du recourant.

18.         Par écriture spontanée de son conseil du 10 avril 2024, le recourant a objecté que selon la loi topique, l’office de poursuite aurait pu lever les séquestres d’avril 2023 avant le 10 janvier 2024.

19.         Par leurs écritures complémentaires des 15 et 23 avril 2024, les parties ont campé sur leurs positions respectives.

20.         Par courrier de son conseil du 16 mai 2024, le recourant a indiqué au tribunal que les époux ayant renoncé à saisir le Tribunal fédéral contre l’ATA/401/2024, confirmant les rappels d’impôt et amendes 2009 à 2015, les taxations concernées étaient en force. En conséquence, plus rien ne s’opposait à ce que l'AFC-GE rende des décisions de scission, si bien qu’elle ne pouvait plus justifier les sûretés fondées sur une solidarité qui n’existait plus.

21.         Le 24 mai 2024, l'AFC-GE a objecté que le recourant avait recouru au Tribunal fédéral contre l’ATA/401/2024, preuve en était l’« avis de réception » que le Tribunal fédéral lui avait adressé le 7 mai 2024 à cet égard, qu’elle produisait.

22.         Le 29 mai 2024, le recourant a précisé avoir recouru au Tribunal fédéral contre l’ATA/402/2024 (amendes pour participation dans les soustractions fiscales), et non contre l’ATA/401/2024 (rappels d’impôt et amendes 2009 à 2015).

23.         Les 3 et 5 juin 2024, l'AFC-GE a notamment réitéré que le recourant avait bien recouru au Tribunal fédéral contre les deux arrêts précités, relevant qu’en tout état, le sort des sûretés litigieuses ne dépendait pas de celui des taxations concernées ni de la solidarité entre les époux.

24.         Par jugement du 7 juin 2024 (JTAPI/547/2024), le tribunal a rayé du rôle la cause A/1788/2023, considérant qu’elle était devenue sans objet suite à la caducité des mesures de sûretés prononcées le 23 avril 2023.

25.         Le 13 juin 2024, le recourant a persisté à indiquer n’avoir pas recouru au Tribunal fédéral contre l’ATA/401/2024 (rappels d’impôt et amendes 2009 à 2015) et que par un courrier qu’elle avait adressé à son épouse le 15 septembre 2023, l'AFC-GE avait déjà pris acte de leur séparation du 1er août 2023.

26.         Le 21 juin 2024, l'AFC-GE a notamment relevé que ce n’était pas les époux qui l’avait informée de leur séparation, mais l'OCPM, d’où son courrier précité du 15 septembre 2023. La scission requise n’impliquait ni l’annulation des sûretés litigieuses ni la réduction de leur montant. En tout état, le recourant demeurerait débiteur des dettes fiscales concernées même après la scission, de sorte que celle-ci ne constituait pas un motif d’annulation des sûretés.

27.         Le 2 juillet 2024, le recourant a indiqué, en substance, que la responsabilité solidaire des époux s’éteignait dès leur séparation, et non depuis leur divorce, et qu’il s’étonnait qu’à ce jour, aucune décision de scission ne lui ait été notifiée.

28.         Le 9 juillet 2024, l'AFC-GE a notamment observé que du point de vue fiscal, la séparation des époux n’impliquait pas nécessairement la fin de leur ménage commun, lequel pouvait subsister en dépit de leurs domiciles séparés. De plus, les taxations concernées n’étant pas entrées en force, aucune décision de scission ne pouvait être prise. La procédure de sûretés suivait son cours devant l’office des poursuites et le TPI, mais était « bloquée » devant le tribunal de céans au motif qu’aucune décision de scission n’était prise, ce qui était absolument exorbitant au présent litige.

29.         Par jugement JTAPI/828/2024 du 26 août 2024, le tribunal a admis très partiellement le recours que Mme A______ avait formé contre les sûretés la concernant, en ce sens que le montant de celles-ci devait être réduit à concurrence des montants des rappels d’impôt et des amendes 2008, et l’a rejeté pour le surplus. Ce faisant, il a en particulier relevé que non seulement il était permis de retenir que les créances fiscales relatives aux années 2009 à 2015 étaient vraisemblables, mais également que les sûretés y relatives était proportionnées. En effet, par ATA/401/2024, la chambre administrative avait confirmé les bordereaux de rappel d’impôt, de taxation et d’amendes relatifs à ces périodes. Il importait peu que cet arrêt n’était pas entré en force en raison d’un recours pendant devant le Tribunal fédéral, car s’agissant d’examiner la validité d’une demande de sûretés, un contrôle prima facie suffisait. Enfin, le fait que depuis leur divorce en novembre 2023 les ex-époux A______ n’étaient plus solidairement responsables des dettes d’impôts nées pendant leur mariage était irrelevant en l’absence de toute décision de scission fixant le montant exact dû par chacun d’entre eux.

Non contesté, ce jugement est entré en force.

30.         Le 4 septembre 2024, le recourant a informé le tribunal avoir mis en demeure l'AFC-GE, le 28 août 2024, la sommant d’émettre des décisions de scission consécutivement à son divorce.

31.         Le 10 septembre 2024, l'AFC-GE a sollicité que la présente cause soit jugée, d’autant qu’elle était « identique » à celle concernant Mme A______.

32.         Le 16 septembre 2024, le recourant a encore persisté dans sa conclusion tendant à ce que l'AFC-GE rende des décisions de scission.

33.         Le 25 septembre 2024, l'AFC-GE a campé sur sa position, relevant en particulier qu’une éventuelle décision de scission ne pouvait pas mettre fin à la présente procédure.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les demandes de sûretés déposées par l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 38 al. 4 de la loi relative à la perception et aux garanties des impôts des personnes physiques et des personnes morales du 26 juin 2008 - LPGIP - D 3 18 ; art. 169 al. 3 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 38 al. 4 LPGIP et 169 al. 3 LIFD.

3.             Le recourant demande l’annulation des sûretés exigées par l’AFC-GE.

4.             Dans sa réponse, l’AFC-GE s’est engagée à ramener les montants des sûretés à CHF 221'272,60 (ICC) et à CHF 87'464,95 (IFD), pour tenir compte de la prescription des rappels d’impôts pour l’année 2008. Il lui en sera donné acte compte tenu de ce qui suit.

5.             En droit fédéral, l’art. 169 al. 1 LIFD dispose que si le contribuable n'a pas de domicile en Suisse ou que les droits du fisc paraissent menacés, l'administration cantonale de l'impôt fédéral direct peut exiger des sûretés en tout temps, et même avant que le montant d'impôt ne soit fixé par une décision entrée en force. La demande de sûretés indique le montant à garantir; elle est immédiatement exécutoire. Dans la procédure de poursuite, elle produit les mêmes effets qu'un jugement exécutoire.

Le pendant cantonal de cette disposition est, depuis le 1er janvier 2009,
l’art. 38 al. 1 LPGIP, qui prévoit que : si le contribuable n'a pas de domicile en Suisse ou que les droits du fisc paraissent menacés, le département peut exiger des sûretés en tout temps et même avant que le montant de l'impôt ne soit fixé par une décision entrée en force ; la demande de sûretés, sommairement motivée, indique le montant à garantir; elle est immédiatement exécutoire; dans la procédure de poursuite, elle est assimilée à un jugement exécutoire au sens de l’art. 80 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, du 11 avril 1889 (LP - RS 281.1).

6.             L'autorité fiscale est chargée d'encaisser les impôts dus. En cas de besoin, elle peut exiger des garanties de la part du contribuable, sous la forme notamment d'une demande de sûretés, assimilable à une ordonnance de séquestre ; de par sa nature, la demande de sûretés en matière d'impôt constitue une mesure provisionnelle de droit public, qu'elle règle une situation de façon temporaire en attente d'une décision principale ultérieure ou qu'elle intervienne une fois la décision de taxation entrée en force (ATF 134 II 349 consid. 1). Les sûretés au sens de l'art. 169 LIFD ne constituant qu'une mesure provisionnelle, elles n'ont pas d'influence sur l'existence ni sur le montant de la créance fiscale et ne préjugent en rien de celle-ci (arrêts du Tribunal fédéral 2C_689/2019 du 15 août 2019 consid. 2.2.7 ; 2C_669/2016 du 8 décembre 2016 consid. 2.3.2).

7.             Selon la jurisprudence, pour qu'une demande de sûretés au sens de l'art. 169 al. 1 LIFD soit valable, il est nécessaire : 1) que l'un des cas de séquestre mentionnés dans cette disposition soit réalisé, à savoir l'absence de domicile en Suisse ou le fait que les droits du fisc paraissent menacés, 2) que l'existence de la créance fiscale paraisse vraisemblable et 3) que le montant de la garantie exigée ne se révèle pas manifestement exagéré (arrêt du Tribunal fédéral 2C_85/2020 du 6 octobre 2020 consid. 5.1 et références).

S’agissant des cas de séquestre, l'art. 169 al. 1 LIFD prévoit deux hypothèses pouvant donner lieu à des sûretés. L'hypothèse générale est celle dans laquelle le paiement de la créance fiscale apparaît menacé. Dans le cadre de l'hypothèse spéciale, la loi admet également la constitution de sûretés dans les cas où le contribuable n'a pas de domicile en Suisse, ce qui se justifie dans la mesure où une créance de droit public de la Confédération, d'un canton ou d'une commune ne peut donner lieu à une exécution forcée hors de Suisse (arrêts du Tribunal fédéral 2C_543/2018 du 30 octobre 2018 consid. 2).

Dans l'hypothèse générale, il suffit que le recouvrement de la créance fiscale paraisse objectivement « menacé » au regard de l'ensemble des circonstances pour que l'une des conditions posées à l'exigence de sûretés par le fisc soit réunie (arrêts du Tribunal fédéral 2C_115/2017 du 30 mai 2017 consid. 6.2).

La seule déclaration incomplète du revenu ou de la fortune imposable, de même que la seule soustraction fiscale ne suffisent pas, en tant que telles, à retenir la mise en danger des droits du fisc. En revanche, la dissimulation systématique par le contribuable de sa situation de revenu et de fortune, en particulier la mise de côté d'argent liquide pour un montant de plusieurs centaines de milliers de francs permet de conclure à une mise en danger objective des droits du fisc. Parle aussi en faveur d'une telle conclusion le fait que le patrimoine du contribuable soit facilement réalisable ou transférable à l'étranger. Si le fait de posséder une nationalité étrangère ne permet pas à lui seul de retenir une mise en danger des droits du fisc, il convient de considérer à cet égard le maintien par le contribuable de relations de famille et d'affaires avec son (autre) pays d'origine (arrêt du Tribunal fédéral 2A.746/2004 du 16 juin 2005 consid. 3.1 et les arrêts cités).

L'art. 169 LIFD n'exige pas que le contribuable ait adopté un comportement ou une manière d'agir spéciale ; il suffit que le paiement de la créance fiscale apparaisse objectivement menacé, sur la base de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. C'est le cas notamment lorsque l'activité soumise à l'impôt permet au contribuable de se soustraire le cas échéant à l'exécution forcée de sa créance par le dessaisissement ou le transfert à l'étranger de valeurs patrimoniales, ou lorsque le contribuable travestit systématiquement sa situation patrimoniale aux autorités de taxation. Pour juger du danger que le contribuable se soustraie à ses obligations fiscales, la facilité de vente et la mobilité des actifs existant revêtent une grande importance. Le comportement passé du contribuable peut aussi constituer un indice de la mise en danger de la créance fiscale, en particulier le dépôt de requêtes dilatoires, la remise de comptes incomplets ou l'absence de transmission des documents requis (arrêt du Tribunal fédéral 2A.237/2006 du 9 janvier 2007 consid. 2.2 et les arrêts cités). La possession de biens immobiliers en Suisse peut conduire à renoncer à des sûretés, pour autant que ceux-ci puissent garantir l'ensemble de la créance présumable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_273/2019 du 16 septembre 2019 consid 3.1.1; ATA/1851/2019 du 20 décembre 2019). La possession d'immeubles en Suisse n'entraîne fondamentalement pas de mise en danger des droits du fisc, car les immeubles ne sont pas immédiatement aliénables (Hans FREY, in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, art. 169, § 29, p. 2706).

Le paiement de la créance apparaît ainsi menacé notamment lorsque le contribuable a l’intention de quitter la Suisse ou prépare son départ, ou encore si un danger de fuite existe (Pierre CURCHOD, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Impôt fédéral direct, Commentaire de la LIFD, 2017, n. 18 ad art. 169 LIFD).

8.             En l’espèce, au cours des diverses procédures de taxation et de rappels d’impôts le concernant, le recourant a omis, de manière répétitive et sur plusieurs années, de déclarer des éléments de fortune et de revenus, afin de les soustraire au fisc suisse. En outre, comme l’a relevé l'AFC-GE, au vu de tous les éléments figurant au dossier, il faut admettre que ses droits pour les périodes 2009 à 2015 sont objectivement menacés. En effet, en 2018, soit postérieurement à l'ouverture à leur encontre de procédures en rappel et en soustraction d'impôt, les époux se sont dessaisis, en faveur de leurs enfants, de leur unique immeuble en Suisse, mettant ainsi concrètement en danger des droits du fisc. Par ailleurs, les 28 décembre 2022 et 23 mars 2023, soit après l'arrêt du Tribunal fédéral du 13 décembre 2022 (2C_733/2022), le recourant a concédé des prêts à son fils. Le recourant a par ailleurs atteint l'âge de la retraite et tous ses enfants ont quitté la Suisse pour la Tunisie, pays qu’il connait pour y avoir déjà vécu. Ainsi, il n'aurait aucune difficulté à y vivre à nouveau, ou ailleurs à l'étranger.

Ces seuls éléments suffisent déjà pour considérer les droits du fisc comme menacés et retenir l’existence d’un cas de séquestre.

9.             S’agissant du caractère vraisemblable de la créance, le niveau de preuve exigé pour la créance fiscale est celui de la simple vraisemblance, sous la forme d’un examen préjudiciel et prima facie de la situation, la détermination de l’obligation fiscale et la fixation de l’impôt effectivement dû demeurant réservées dans le cadre de la procédure ordinaire concernant l’affaire fiscale elle-même (arrêt du Tribunal fédéral 2C_77/2019 du 17 mars 2021 consid. 5.2.2 et les références citées).

La loi prévoit expressément qu’il n’y a pas lieu d’attendre une décision entrée en force pour exiger des sûretés ; dès lors, en cas de rappel d’impôt, il convient d’examiner si les reprises effectuées par le fisc - et éventuellement contestées par le contribuable - doivent être tenues pour plausibles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_815/2021 du 23 décembre 2021 consid. 3.2), étant précisé qu’elles ne doivent pas être manifestement exagérées (Peter LOCHER, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, vol. III, 2015, art. 169, § 37, p. 1010). Ainsi, lorsqu'ils doivent statuer sur un recours portant sur une demande de sûretés, le Tribunal fédéral, tout comme la chambre administrative, limitent leur examen à un contrôle prima facie de la situation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1057/2020 précité consid. 5.2 ; ATA/1238/2021 du 16 novembre 2021 consid. 7).

De même, le montant présumable de l’impôt, lorsque la créance n’est pas définitive, fait l’objet d’un examen sommaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_85/2020 du 6 octobre 2020 consid. 5.1).

10.         En l’espèce, initialement, l’AFC-GE a arrêté le montant des sûretés en se fondant sur les bordereaux de rappel d’impôt confirmés par le tribunal (JTAPI/1067/2023 du 2 octobre 2023), ainsi que sur les intérêts sur rappel d’impôt. Toutefois, par arrêt du 19 mars 2024 (ATA/401/2024), la chambre administrative a annulé les bordereaux de rappel d'impôt 2008, pour cause de prescription. Dès lors, c’est à juste titre que l'AFC-GE a accepté, dans sa réponse, de réduire les suretés en cause à concurrence du montant des rappels des ICC et IFD 2008 (CHF 93'090,35).

Pour le surplus, il faut retenir que les créances fiscales relatives aux années 2009 à 2014 sont vraisemblables et que les sûretés y relatives sont proportionnées. Il importe peu que l’ATA/401/2024 précité ne soit pas entré en force en raison d’un recours pendant devant le Tribunal fédéral, car s’agissant d’examiner la validité d’une demande de sûretés, un contrôle prima facie suffit. A cet égard, le fait que depuis leur divorce en novembre 2023 les ex-époux A______ ne soient plus solidairement responsables des dettes d’impôts nées pendant leur mariage est irrelevant en l’absence de toute décision de scission fixant le montant exact dû par chacun d’entre eux.

Enfin, il sera précisé qu’il n’appartient pas au tribunal, dans le cadre de la présente procédure, de trancher la question de scission, d’autant que les bordereaux concernés ne sont pas encore entrés en force et que, en conséquence, l'AFC-GE n’a pu prendre aucune décision à ce sujet (cf. not. ATA/516/2024 du 23 avril 2024 consid. 5.2 et les références citées).

11.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis (très) partiellement, dans la mesure reconnue par l'AFC-GE, et rejeté pour le surplus. En conséquence, le dossier sera renvoyé à cette dernière pour qu’elle réduise le montant de sûretés dans le sens des considérants.

12.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe dans une très large mesure, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

13.         Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée à titre de dépens, les demandes de sûretés pour l’année 2008 n’ayant pas été annulées du fait de l’activité de son conseil, mais pour cause de prescription (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 25 janvier 2024 par Monsieur A______ contre les décisions de l'administration fiscale cantonale du 10 janvier 2024 ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour qu’elle modifie le montant des sûretés dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

5.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Jean-Marie HAINAUT et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier