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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3906/2024

JTAPI/1169/2024 du 27.11.2024 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3906/2024 LVD

JTAPI/1169/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 27 novembre 2024

 

dans la cause

 

Madame A______

 

contre

Monsieur B______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 26 novembre 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Madame A______ lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Monsieur B______, située ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celui-ci.

Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et indiquant notamment que Mme A______ devait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec l'une des institutions habilitées, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 ; LVD - F 1 30), était motivée comme suit :

« Description des dernières violences :

Mme A______ a lancé une botte sur le visage de M. B______. Elle lui a donné des gifles au visage et un coup de pied. Elle l'a injurié, l'a menacé de mort et a mimé un geste d'agression en pointant un couteau en direction de la poitrine de M. B______. Après coup, elle a également mis le couteau sous la gorge de la victime. L'intéressée a aussi empêché le lésé de respirer pendant quelques secondes en plaçant son coude sous sa gorge.

Descriptions des violences précédentes :

En juin 2024 Mme A______ aurait donné des gifles et des coups de pied à M. B______. De plus, l'intéressée injurierait M. B______ lors de chaque conflit.

Mme A______ démontre par son comportement violent qu'il est nécessaire de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement administratif, afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes ».

2.             Mme A______ a immédiatement fait opposition à cette mesure auprès du commissaire de police.

3.             Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 26 novembre 2024 que la veille, une patrouille de police était intervenue au domicile de Mme A______ et M. B______ pour un conflit de couple. Sur place, ce dernier avait expliqué avoir été menacé au moyen d’un couteau par sa compagne. Il souhaitait déposer plainte.

4.             Les intéressés été entendus entre les 25 et 26 novembre 2024.

M. B______ a en substance déclaré que durant la soirée du 25 novembre 2024, sa compagne Mme A______, ivre, lui avait dit qu'elle allait le planter avec un couteau. Ensuite, elle s’était mise à califourchon sur lui en le menaçant avec un couteau pointé au cœur puis placé sur sa gorge. Avant cela, elle l’avait injurié de « ramasse crotte », « con » et lui avait dit qu’il servait à rien. Elle lui avait également agrippé le col de son pull, qu’elle avait tourné, l’empêchant de respirer en lui mettant par ailleurs le coude sur la gorge. Elle lui avait de plus jeté une botte au visage et asséné deux ou trois gifles. Elle avait déjà été violente avec lui en juin 2024, l’injuriant et lui donnant plusieurs gifles et coups de pied. Il souhaitait qu'une mesure d'éloignement soit prononcée à son encontre de sa compagne et déposer plainte. Le couteau avec lequel sa compagne l'avait menacé lui appartenait. Sa relation avec Mme A______ était terminée ce jour et il avait récupéré auprès d’elle les clefs de son logement. Mme A______ était adorable lorsqu’elle était sobre. Dès qu’elle était alcoolisée, elle était colérique et brutale.

Mme A______ a quant à elle expliqué qu’elle s'était énervée contre son compagnon, car elle avait découvert qu'il discutait avec une autre femme. Le jour en question, elle avait bu de l’alcool et pris un verre de trop. Elle avait l’alcool mauvais. Elle reconnaissait lui avoir donné des gifles et l’avoir traité de « con » et peut-être traité de « connard ». Elle admettait lui avoir coupé la respiration en lui tournant le col de son pull et en lui appliquant une pression sur la gorge avec son coude. Elle ne l'avait pas menacé avec un couteau, ne lui avait pas jeté d’objet ni donné de coups de pied. C’était lui qui l’avait giflée à une reprise en juin 2024, pour qu’elle se clame lors d’un conflit. Elle souhaitait poursuivre sa relation avec M. B______.

5.             À l'audience du 27 novembre 2024 devant le tribunal, Mme A______ a indiqué maintenir son opposition car tout le matériel de son entreprise se trouvait dans l'appartement de M. B______. Par ailleurs, la plupart de ses clients se trouvait aux alentours dudit appartement. Elle a confirmé ses déclarations à la police et précisé, s'agissant de l'agression au couteau, qu’elle n’en avait aucun souvenir. Cela ne lui ressemblait pas, mais elle était alcoolisée le jour en question. Elle logeait actuellement chez ses parents, C______(GE), et pourrait y demeurer le temps de la mesure d'éloignement. Elle n’avait pas fait de démarche en vue de l'entretien socio-thérapeutique. Elle comptait le faire cette semaine. Elle avait en revanche déjà pris rendez-vous chez un psychologue. Elle avait contacté M. B______ depuis le 26 novembre 2024, quand bien même elle savait qu’elle n'était pas autorisée à le faire, ceci afin de récupérer ses affaires dans l'appartement. Elle prenait note qu’il lui fallait prendre rendez-vous préalablement avec la police si elle voulait récupérer des affaires dans l'appartement. Elle ne souhaitait pas mettre fin à sa relation avec M. B______.

M. B______ a confirmé les déclarations faites à la police. Une reprise de sa relation avec Mme A______ n'était envisageable que si elle se faisait soigner pour ses problèmes psychologiques et d'alcool. Le 25 novembre 2024, il était resté très calme lorsqu’elle l’avait agressé, mais dans le cas contraire, cela aurait pu dégénérer. Aujourd'hui, il n’envisageait pas la reprise de la cohabitation avec Mme A______ et souhaitait le maintien de la mesure d'éloignement. Cela étant, il ne serait pas opposé à ce qu'elle puisse se rendre à l'appartement entre 07h00 et 17h00 du lundi au vendredi, pour y travailler. Il pourrait remettre les clés de l'appartement à Mme A______ par l'intermédiaire de son père. Il confirmait que Mme A______ l’avait contacté durant la mesure d'éloignement. Le 26 novembre 2024, elle l’avait appelé et il n’avait pas répondu. Elle était ensuite venue frapper à sa porte afin de récupérer des affaires. Il lui avait ouvert et l'avait laissée entrer dans l'appartement, tout en restant éloigné d'elle, dans le salon, le temps qu’elle récupère ses affaires.

Mme A______ a indiqué s’engager à respecter l’aménagement proposé par M. B______, si le tribunal devait le valider. Elle avait conscience de la chance qui lui était donnée et qu’il ne fallait pas la gâcher. Elle avait compris que cet aménagement ne concernait pas le week-end et que tout contact avec M. B______ devait se faire par l'intermédiaire de son père.

La représentante du commissaire de police a conclu à la confirmation de la décision avec les aménagements discutés, auxquels elle n’était pas opposée.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, les faits dont M. B______ se plaint d'avoir été victime, notamment le 25 novembre 2024, correspondent à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. A cet égard, Mme A______ a notamment admis l’avoir insulté, giflé à plusieurs reprises et lui avoir coupé la respiration en lui tournant le col de son pull. Elle a expliqué avoir l’alcool mauvais et avoir trop bu le jour en question. Dans ces circonstances, la perspective que les parties se retrouvent sous le même toit apparaît inopportune en l'état.

Cela étant, M. B______ a indiqué en audience qu’il n’était pas opposé à ce que Mme A______ puisse se rendre à l'appartement entre 07h00 et 17h00 du lundi au vendredi, pour y travailler. Mme A______ s’est engagée à respecter cet arrangement auquel la représentante du commissaire de police n’est par ailleurs pas opposée. Il a ainsi été convenu que M. B______ remettrait les clefs de l’appartement à Mme A______, par l’intermédiaire du père de cette dernière. Il leur en sera donné acte.

Dans ces circonstances et vu l’accord des parties et du commissaire de police, le tribunal confirmera la mesure d'éloignement d'une durée de 10 jours prononcée à l'encontre de Mme A______ en ce qu’elle lui interdit de contacter ou de s'approcher de M. B______ et lèvera ladite mesure en tant qu’elle lui interdit de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de M. B______, située ______[GE] entre 07h00 et 17h00 du lundi au vendredi exclusivement.

6.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

7.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 26 novembre 2024 par Madame A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 26 novembre 2024 pour une durée de dix jours ;

2.             l'admet partiellement au sens des considérants ;

3.             dit qu'il n'est pas perçu d'émoluments ni alloué d'indemnité ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

5.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le 27 novembre 2024

 

Le greffier