Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1054/2024 du 28.10.2024 ( LVD ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 28 octobre 2024
|
dans la cause
Madame A______, représentée par Me Andreia RIBEIRO, avocate, avec élection de domicile
contre
Monsieur B______
1. Par décision du 18 octobre 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de contacter ou de s'approcher de son épouse, Madame A______ et de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée du couple, sise ______[GE].
La plaignante accusait son époux d'avoir usé de la force contre elle à plusieurs reprises, de l'avoir insultée et menacée. M. B______ démontrait par son comportement violent qu'il était nécessaire de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération des tels actes.
2. Il ressort du rapport de renseignement du 19 octobre 2024 que Mme A______ s'était rendue la veille au poste de police pour déposer plainte pénale à l'encontre de son époux. Auditionnée dans la foulée, elle a déclaré avoir entamé une relation avec M. B______ le 11 novembre 2023 et que le couple avait emménagé ensemble le 3 mars 2024 avant de se marier le ______2024. Son époux souffrait de trouble du déficit de l'attention (ci-après : TDAH) et d'addictions et avait déjà menacé de se suicider. Quant à elle, elle était en burnout et traitée pour dépression et anxiété. Depuis le début de la vie en commun, son époux la rabaissait et la traitait de "pute", "bête", "stupide" et "folle". Il l'empêchait régulièrement de partir en la forçant à rester et lui disait que son attitude méritait des coups.
Fin mars 2024, lors d'une dispute au domicile conjugal, il l'avait saisie par le bras et l'avait assise de force sur une chaise avant de les enfermer, de force, dans le dressing. Elle avait réussi à s'échapper hors de l'habitation mais son époux l'avait suivie. Elle était donc retournée au domicile conjugal et s'était enfermée à l'intérieur avant d'ouvrir la fenêtre pour laisser entrer son époux.
Le 6 juin 2024, il avait lancé une valise dans l'escalier, sans la toucher. Elle avait alors cassé un cadre avant qu'il la saisisse sous les bras en lui maintenant le haut du corps et la tire dans le salon pour la mettre au sol.
Le 2 septembre 2024, lors d'une dispute, il l'avait saisie par le haut du corps par derrière et l'avait directement placée au sol violemment. Lors de sa chute, elle était tombée sur des meubles, ce qui lui avait provoqué des hématomes. Il avait alors voulu l'étreindre pour s'excuser mais elle lui avait mis un coup de genou pour se libérer. La police était intervenue et avait proposé à son époux de dormir ailleurs.
Lors des altercations, ils cassaient des téléphones et tablettes.
Elle a produit des photographies où l'on voit des jambes comportant des hématomes.
3. Entendu le 19 octobre 2024 par la police, M. B______ a expliqué que son épouse était devenue progressivement violente et de façon de plus en plus prononcée. Au début, elle lançait des objets, cassait ses affaires et ensuite, elle avait commencé à le viser avec des assiettes ou des verres. A une reprise, vers mai 2024, elle avait tenté de lui mettre un coup avec le plan de travail de la cuisine. Il avait dû la ceinturer par l'arrière et s'était laissé tomber pour amortir la chute. C'était la première fois qu'il avait utilisé la force avec elle mais il ne l'avait pas frappée. Il n'avait jamais levé la main sur elle. Lorsqu'elle évoquait la contrainte ou la séquestration, c'était car il cherchait désespérément le dialogue en la suivant dans l'appartement pour parler. A une reprise, il avait mis sa main sur la porte d'entrée de l'appartement de ______[GE] pour bloquer la porte d'entrée alors qu'elle voulait sortir car il voulait dialoguer avec elle après une altercation très violente. Cela avait duré environ 30 secondes avant qu'elle ne s'en aille. Un jour, elle lui avait mordu le nez et un autre, elle lui avait cassé le doigt, ce qui avait été constaté médicalement. Lors d'un voyage à C______(Italie) en octobre 2024, elle lui avait donné un coup de poing sur l'oreille gauche, ce qui avait fait siffler son oreille et lui avait mis un doigt dans le nez, provoquant des saignements. Il reconnaissait l'avoir insultée lors de disputes, il le regrettait. Son épouse l'avait également injurié et ce, à de nombreuses reprises. Au surplus, il contestait les faits reprochés. Il ne consommait pas d'alcool ni de stupéfiants. Il prenait du Concerta pour soigner son TDAH diagnostiqué alors qu'il avait dix ans.
Ils vivaient dans un appartement sis dans un immeuble, propriété de son père.
4. Par acte du 25 octobre 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours.
Elle a produit une attestation de passage du 19 octobre 2024 des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) faisant état d'une hospitalisation au service des urgences du 18 au 19 octobre 2024 pour un soutien actif durant le week-end, moment où son mari revenait sur Genève après une absence d'une semaine et d'une fragilité liée aux épisodes de violences répétées avec idées suicidaires ainsi qu'un certificat médical des HUG du 23 octobre 2024 indiquant qu'elle était hospitalisée pour des raisons médicales et ne pouvait pas quitter l'hôpital.
5. Vu l'urgence, le tribunal a informé M. B______ par téléphone du 25 octobre 2024, et Mme A______ par courriel du même jour, de l'audience qui se tiendrait le lundi 28 octobre 2024.
6. Bien que régulièrement cité, M. B______ ne s'est pas présenté à l'audience. Il a joint le greffe du tribunal trente minutes avant celle-ci pour expliquer ne pas se sentir bien. Il a transmis un certificat médical daté du 28 octobre 2024 du Dr. D______ attestant qu'il présentait une affection médicale l'empêchant de comparaître.
7. Lors de l'audience, Mme A______ a sollicité la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours. Elle avait été hospitalisée aux HUG jusqu'alors et pouvait rentrer chez elle le jour-même. Elle poursuivait son suivi médicamenteux et auprès des HUG. Elle comptait rentrer au domicile conjugal le soir-même. Elle souhaitait que son époux suive son traitement et qu'ils puissent se parler en vue de rester ensemble. S'il n'avait plus d'addiction, il irait mieux. Elle confirmait ses déclarations à la police. Son époux ne l'avait jamais frappée par des coups. Par contre, il la saisissait ou la repoussait. Lorsqu'ils se disputaient, il voulait immédiatement se réconcilier et la suivait donc dans l'appartement pour lui parler et la câliner. Il se mettait également devant la porte pour l'empêcher de sortir. Elle avait cassé des objets mais c'était toujours lorsqu'il la forçait à la discussion et à rester dans l'appartement. Il était vrai qu'elle lui avait mordu le nez et lui avait cassé un doigt. C'était lorsqu'il contrôlait son téléphone et qu'elle avait voulu le lui reprendre. Elle ne se souvenait pas lui avoir envoyé un coup de poing à l'oreille à C______(Italie), mais c'était possible. Si elle l'avait fait c'était sûrement lorsqu'il avait essayé de rentrer dans sa voiture et qu'elle avait dû faire appel à la police. A ce moment-là, il prenait sa tête et la poussait contre le siège arrière. Elle s'était débattue et lui avait mis le doigt dans le nez, ce qui l'avait fait saigner.
Elle espérait qu'il se soigne et était disposée à suivre une thérapie pour que cela fonctionne entre eux. Si la mesure d'éloignement n'était pas prolongée, elle quitterait l'appartement. Elle ne savait pas où aller mais ferait appel à la LAVI. Elle n'envisageait pas de revivre avec lui sous le même toit sans qu'il ne prenne son traitement. Il était certain sinon qu'il recommencerait.
Ils payaient le loyer de l'appartement appartenant à la famille de son époux, tous les deux.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).
2. Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.
3. La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).
4. Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).
5. Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).
6. Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.
7. Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de
a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;
b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.
8. La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).
9. Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder 90 jours (art. 11 al. 2 LVD).
10. En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».
11. Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).
12. Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.
13. En l'espèce, les faits dont Mme A______ se plaint d'avoir été victime correspondent à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. M. B______ conteste quant à lui frapper son épouse, tout en admettant des insultes réciproques, l'empêcher de se rendre librement où elle le souhaite et de très fréquentes disputes. Par ailleurs, Mme A______ a admis avoir cassé un doigt de son époux, lui avoir mordu le nez et l'avoir fait saigner en lui mettant le doigt dans le nez même si elle explique ses exactions par légitime défense. À partir de là, il est indéniable qu'une très forte tension s'est installée au sein du couple depuis plusieurs mois. En accordant du crédit à ce que déclare chaque partie, il peut être retenu que des violences verbales et physiques ont été régulièrement échangées. A cet égard, la question n'est pas de savoir lequel des intéressés est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir. L'essentiel est de séparer les conjoints en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile conjugal est lui aussi l'auteur de violences. Or, il existe ses soupçons suffisants et concrets que Mme A______ a subi des violences de la part de M. B______. Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements et de la tension qui entache les rapports des parties, la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation.
14. Par conséquent, étant rappelé, comme précisé plus haut, que les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante des violences et de la personne de leur auteur, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 28 novembre 2024 à 17 h 00.
15. Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).
16. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 25 octobre 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 18 octobre 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;
2. l'admet ;
3. prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 28 novembre 2024 à 17 h 00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;
4. dit qu'il n'est pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA) ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
6. dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information. Une copie du jugement est transmise pour information au conseil de Madame A______.
Genève, le |
| Le greffier |