Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/816/2024 du 23.08.2024 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 23 août 2024
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dans la cause
Madame A______, représentée par Me Eric HESS, avocat, avec élection de domicile
contre
Monsieur B______, représenté par Me Magda KULIK, avocate, avec élection de domicile
1. Le 18 août 2024, la police est intervenue au domicile de Madame A______ et Monsieur B______, au chemin ______[GE], suite à une dispute entre les époux.
2. Lors de ses auditions par la police du même jour, Mme A______ a indiqué qu’une procédure de divorce était en cours. Elle habitait toujours sous le même toit que son mari mais celui-ci dormait dans la salle de jeux au sous-sol.
Elle était rentrée de voyage le 17 août 2024 à 22h00 et son mari et leurs enfants n’étaient pas présents. Elle avait alors décidé de faire une machine à laver de 30 minutes au sous-sol. Son mari et ses enfants étaient rentrés 20 minutes plus tard. Elle était descendue à deux reprises à la buanderie et avait constaté que son mari avait arrêté la machine, elle l’avait alors rallumée, avait fermé la buanderie à clé et déposé la clé sur une étagère à proximité. Son mari l’avait alors suivie dans l’escalier en lui demandant de rouvrir la buanderie. Voyant qu’elle ne lui répondait pas, il l’avait poussée et tirée et cela l’avait fait tomber au sol. En même temps, il l’avait griffée au niveau du poignet gauche. Une fois au sol, il lui avait arraché le sac à main qu’elle tenait, l’avait ouvert et avait répandu les affaires qui s’y trouvaient dans l’escalier tout en le fouillant.
Elle avait crié, récupéré son téléphone et pu appeler le 117. Son mari s’était alors calmé, était allé chercher leur fils aîné et lui avait dit « Regarde ta mère, elle est folle », « elle a fermé la buanderie ». Pour calmer la situation, elle était allée rouvrir la buanderie.
Son fils avait refusé de remonter dans sa chambre et son mari avait dit à ce dernier de rester pour dire au policier comment était sa mère.
Elle avait des griffures au poignet gauche et au niveau de la paume de la main droite, et une plaie au niveau du tibia droit ; elle allait aller faire un constat médical. Elle avait eu peur, ne savait pas de quoi il était capable et quand il la malmenait cela ressortait de la folie.
Son mari avait toujours été très jaloux ou très collant, il était contrôlant.
Il avait des problèmes d’alcool. Parfois, pendant la nuit, il se rendait dans une pièce aléatoire de la maison et cassait tout à l’intérieur ; le lendemain, il ne se souvenait pas lui-même pourquoi, et mettait la raison de ses agissements sur sa consommation d’alcool. Il n’avait jamais mentionné être en colère par rapport à des choses liées à leur couple ou leur situation familiale. Il lui arrivait de la pousser ou de la faire tomber par terre ; il lui donnait des coups de pied quand elle était au sol. Elle ne pouvait dire quand avaient eu lieu précisément ces événements. Son mari l’insultait régulièrement en anglais de « folle », « pute », de même que sa famille.
Son mari ne contribuait à rien dans leur foyer, ni pour les enfants alors qu’il gagnait sa vie.
Elle reconnaissait avoir envoyé à son mari des messages dans lesquels elle avait écrit qu’il était un « parasite » et un « nettoyeur » car il n’avait aucune éducation et devrait s’élever au rang des mœurs suisses.
3. Egalement entendu par la police le 18 août 2024, M. B______ a contesté la version des faits décrits par sa femme.
La veille au soir, il était rentré vers 23h00 d’un barbecue avec des voisins et sa femme lui avait alors dit qu’il était « con » de rester encore dans leur maison ; elle avait dit cela devant les enfants dans le but de le provoquer. Elle était revenue vers lui peu de temps après en disant à un de leurs fils « Tu sais qui est le problème ici, c’est ce con » en le pointant du doigt. Dans leurs conversations par messages, elle l’injuriait régulièrement : la police pouvait photographier les messages sur son téléphone.
Sa femme était redescendue à la buanderie vers 1h00 du matin pour mettre le sèche-linge en route, pour le provoquer ; elle avait fermé la porte à clé pour l’empêcher d’aller l’éteindre. En voyant qu’il était réveillé, sa femme était montée dans les escaliers et avait chuté dans ces derniers toute seule. Il s’était alors avancé vers elle dans le but de récupérer les clés de la buanderie qui se trouvaient dans son sac. Il admettait avoir essayé de lui arracher le sac pour prendre lesdites clés mais en vain. Le vacarme engendré avait réveillé un de ses fils. Sa femme avait alors appelé la police, après avoir déverrouillé la porte de la buanderie.
Il ne souhaitait pas être éloigné de ses enfants ; sa future ex-femme pouvait rester dans la maison si elle ne lui adressait plus la parole.
Sa relation avec sa femme était terminée, ils étaient en train de divorcer mais il souhaitait que cela se passe bien pour le bien de leurs enfants.
4. Selon le rapport de renseignement établi par la police le 18 août 2024 toujours, la police était intervenue à cinq reprises pour des conflits verbaux entre les époux, entre le 5 août 2023 et le 12 août 2024. Il indiquait également que les enfants du couple auraient assisté à une partie de l’altercation de leurs parents.
5. Par décision du 18 août 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement du 18 août 2024 à 8h00 au 30 août 2024 à 17h à l'encontre de M. B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme A______, située au ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de Mme A______ ainsi que de leurs enfants C______, né le ______ 2013 et D______, né le ______ 2017.
Selon cette décision, Mme A______ aurait reçu des griffures et son sac aurait été arraché par M. B______ afin d’éviter qu’elle n’appelle la police. De nombreuses injures auraient été prononcées envers Mme A______.
Durant leur relation, M. B______ avait eu des problèmes liés à l’alcool. Lorsqu’il se trouvait en état d’ébriété, il lui arrivait de saccager du mobilier dans l’appartement familial ; la raison de ce problème était leurs problèmes de couple. Il lui arrivait de pousser et frapper son épouse en état de colère. Des injures étaient régulièrement prononcées à Mme A______, cette dernière ne pouvant toutefois pas donner les dates précises de ces événements.
6. M. B______ a fait opposition à cette décision devant le commissaire de police le 18 août 2024, laquelle a été transmise au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) par courriel le 19 août 2024 à 10h15.
7. Le tribunal a tenu une audience de comparution personnelle des parties du 20 août 2024.
La représentante du commissaire de police a confirmé que la police avait été appelée à cinq reprises pour des conflits verbaux du couple selon le rapport de renseignements du 18 août 2024. Elle ignorait ce que signifiait la mention « MC au poste » sur le rapport de renseignement. Elle a indiqué qu'il y avait une erreur de plume dans la mesure d'éloignement, celle-ci ayant été prononcée non pas jusqu'au 30 août 2024 à 17h00 mais jusqu'au 28 août 2024 à 17h00, comme mentionné dans le formulaire d'opposition.
M. B______ a déclaré s'opposer à la mesure d'éloignement qu’il trouvait disproportionnée, en particulier du fait qu'elle visait ses enfants. Il n’avait pas encore pris contact avec une institution habilitée à un entretien thérapeutique, le délai de trois jours n'étant pas encore échu. Contrairement à ce qu’il avait prétendu à la police, il n'avait pas pris le sac à main de sa femme de ses mains mais l'avait ramassé par terre car elle l'avait lâché après être tombée dans les escaliers. Il n’avait en aucune manière touché son épouse. Il pouvait expliquer la blessure à la jambe de sa femme car elle était due à sa chute dans l'escalier ; les deux autres blessures, il ne pouvait pas les expliquer. Les cinq interventions précédentes de la police étaient dues à un appel de sa femme : elle appelait la police dans n'importe quelles circonstances, lorsqu'elle les estimait justifiées pour un tel appel. Depuis la mesure d'éloignement, il logeait chez ses parents sur un canapé du fait que l'appartement était en rénovation : ses parents étaient officiellement domiciliés en Suisse dans cet appartement. Il n’avait pas de problème de consommation d'alcool et cela avait été confirmé par le rapport du service d'évaluation et d'accompagnement de la séparation parentale (ci-après : SEASP). Il n’avait pas du tout bu d'alcool le 17 août 2024 au soir, par contre sa femme en avait bu. Il ne voyait pas de problème à son retour à la maison, il fallait juste que son épouse évite de l'insulter, et il n’était pas nécessaire qu’ils se parlent. Chacun d'entre eux devait être là pour les enfants. Il n'y avait pas de violence au sein de leur couple mais il y avait des insultes que de la part de sa femme, lesquelles s’étaient multipliées et intensifiées depuis l'audience devant le Tribunal de première instance (ci-après : TPI) du 8 juillet dernier. Depuis le début de la procédure en séparation, beaucoup de choses fausses avaient été dites sur lui. Il avait d'excellents contacts tant avec ses voisins, sa famille, ses amis qu'avec ses enfants. Je ne savais pas d'où venait cette haine. Sa femme le décrivait comme une personne alcoolique et violente et qui abusait de ses enfants alors que la police le décrivait comme une personne calme. Il ne savait pas pourquoi sa femme disait qu'elle avait peur de lui.
Sur question de son conseil, il s’était opposé à la mesure d'éloignement car il n'avait rien fait du tout. Il n’était pas violent et avait passé une très bonne semaine avec ses enfants, c'était son tour de garde.
Il ne comprenait pas comment sa femme, qui était revenue le 17 août 2024 après avoir consommé de l'alcool, pusse rester avec les enfants alors que lui-même en était éloigné alors qu’il n’avait pas consommé d'alcool. Sa femme était rentrée en voiture avec un taux d'alcool de 0.5 mg/l. Lors de son interpellation, le policier lui avait dit de prendre quelques affaires pour quelques jours et au poste de police, il lui avait dit que c'était en règle générale l'homme qui était éloigné du domicile. Le policier lui avait indiqué qu’il pouvait contacter téléphoniquement ses enfants mais pas les voir physiquement au domicile. Il n’avait pas essayé de contacter sa femme depuis le prononcé de la mesure d'éloignement. C’était le bruit de la chute de sa femme dans les escaliers menant au 1er étage qui avait réveillé son fils, et non lui. Il avait également parlé fort lorsqu’il avait demandé les clés de la buanderie à sa femme à ce moment-là.
Le conseil de M. B______ a souhaité que le tribunal protocole que Mme A______ avait dit dans un premier temps être d'accord que son époux voie ses enfants lors d'un dîner mais en dehors de la maison pour ensuite changer d'avis et s'opposer à tout contact. Son client déposait une lettre écrite par son fils C______ : il avait par ailleurs sollicité l'audition de ce dernier par le TPI avant le prononcé d'une décision. Il a indiqué que Mme A______ avait partagé sur le groupe Whatsapp des voisins la décision d'éloignement. Dans la procédure en séparation son client avait sollicité une garde alternée et l'attribution du domicile conjugal.
Mme A______ a confirmé qu’elle s’opposait totalement à ce que ses enfants aient un contact avec leur père durant la mesure d'éloignement. Elle a confirmé que son mari l'avait poussée dans les escaliers ce qui avait provoqué sa blessure au tibia et à la paume de la main, et l’avait griffée au poignet gauche. Elle a confirmé avoir appelé précédemment cinq fois la police, l’appelant avant que la violence ne s'installe et cet appel calmait les choses. Il y avait de la violence dans leur couple depuis très longtemps mais elle n'avait pas réagi. Son mari n'exerçait pas de violence physique envers leurs enfants mais de la violence psychologique. Il avait des problèmes avec l'alcool mais se trouvait dans le déni. Elle ne voyait pas du tout son retour à la maison, elle avait peur tant pour elle que pour ses enfants. Son mari était foncièrement violent et agressif. Toutefois, depuis le dépôt de la requête en en séparation, il ne buvait plus en cachette et n'avait plus détruit d'objet dans la maison. Elle a confirmé que son époux n’avait pas tenté de la contacter.
Sur question de son conseil, elle a confirmé être partie deux jours en voyage vu les tensions à la maison et afin de laisser son mari avec les enfants puisque c'était sa semaine de garde.
Les deux semaines précédentes, alors qu’elle avait la garde de ses enfants, elle était allée habiter chez des amies car les tensions étaient trop fortes à la maison. Lors de l'événement du 18 août au matin, c'était son mari qui avait réveillé leur fils aîné et non pas le bruit de la dispute. Il avait tenu à ce que son fils reste jusqu'à l'arrivée de la police. Leur fils C______ était dans un conflit de loyauté. Elle a indiqué que son mari était propriétaire d'un appartement vide au E______ dans lequel ses parents logeaient quand ils venaient en Suisse.
Le conseil de Mme A______ a déposé un chargé de pièces. Il avait également déposé pour sa cliente une requête en mesures protectrices de l'union conjugale le 12 décembre 2023 et ils attendent la convocation pour les plaidoiries finales. Le chargé de pièces produit par Mme A______ contient notamment le rapport du SPEASP établi dans le cadre de la procédure de séparation, lequel retient notamment qu’il est conforme à l’intérêt des enfants d’attribuer leur garde de fait à leur mère et un droit de visite à leur père.
8. Par jugement du 21 août 2024 (JTAPI/796/2024), le tribunal a rejeté l'opposition formée le 18 août 2024 par M. B______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 18 août 2024 pour une durée de dix jours, relevant en substance que les faits tels que décrits par les deux époux correspondaient sans conteste à la notion de violence domestique et que, dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements, la situation conflictuelle et complexe dans laquelle les deux intéressés se trouvaient et la procédure en mesures protectrices de l’union conjugale actuellement pendante, la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaissait inopportune, quand bien même il était évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettrait pas, à elle seule, de régler la situation. Il était au surplus tenu compte de la présence au domicile conjugal de deux enfants de 7 et 11 ans et du rapport du SPEASP, établi dans le cadre de la procédure de séparation, lequel retenait qu’il était conforme d’attribuer leur garde de fait à Mme A______ et que M. B______ avait pu trouver une solution temporaire de logement chez ses parents.
9. Par acte du 22 août 2024, déposé au greffe du tribunal, Mme A______, sous la plume d’un avocat, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours, rappelant la situation prévalant au sein de son couple et les évènements ayant conduit au prononcé de la mesure du 18 août 2024.
Elle vivait actuellement dans la peur d'être confrontée à son époux et qu'il puisse réintégrer le domicile conjugal. En sus de l'atteindre physiquement et psychologiquement dans sa santé, M. B______ était incapable de préserver leurs enfants du conflit parental. Il n’avait en particulier pas tenu compte des recommandations du SEASP et les prenait à parti contre elle. Elle était extrêmement inquiète des répercussions psychologiques sur ses enfants.
Son mari était totalement dans le déni de la situation. Il n’avait pas pris contact avec l'association VIRES, contestait les faits et ne voyait aucun obstacle à son retour au domicile conjugal.
Elle était suivie par une psychologue, en particulier en raison du conflit, et avait également mis en œuvre un suivi psychologique pour ses enfants. Un retour de M. B______ au domicile conjugal et/ou toute forme de contact avec lui viendrait à nouveau placer leurs enfants dans un important conflit de loyauté qu’elle cherchait tant bien que mal à apaiser. M. B______ pouvait enfin continuer de séjourner dans l’appartement de quatre pièces qui lui appartenait, E______.
Elle a joint un bordereau de pièces dont le procès-verbal par-devant le TPI du 8 juillet 2024 et un extrait du registre foncier relatif à l’appartement précité.
10. Par courriel du 22 août 2024, le commissaire de police a transmis au tribunal l’attestation VIRES concernant M. B______. Il ressort de cette dernière que l’intéressé avait participé à un entretien socio-thérapeutique le même jour, suite à un rendez-vous pris la veille.
11. Vu l'urgence, le tribunal a informé les parties, par l’entremise de leurs conseils respectifs, par téléphone du 22 août 2024, de l'audience qui se tiendrait le 23 août 2024.
12. Lors de cette audience, Mme A______ a confirmé sa demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours en tant qu’elle la concernait ainsi que ses enfants, pour les motifs avancés à l’appui de ses écritures du 22 août 2024. Elle serait toutefois disposée à ce que M. B______ puisse avoir certains contacts avec ses enfants, notamment sous la forme de contacts téléphoniques et de rencontres ponctuelles. Elle ne souhaitait toutefois absolument pas que ces rencontres se déroulent au domicile familial ni être mise en contact avec M. B______ dans ce cadre. Elle était consciente que ses enfants avaient besoin de relations personnelles avec leur père et qu’ils étaient déchirés par cette situation.
Le conseil de Mme A______ a relevé que sa cliente faisait preuve d’ouverture mais qu’il faudrait que M. B______ s’engage à ne pas évoquer les problèmes qu’il rencontrait avec son épouse lors de ses contacts avec les enfants, ceux-ci devant être des moments privilégiés entre père et fils.
M. B______ a indiqué s’opposer à la prolongation de la mesure d‘éloignement. Dans toute cette histoire, le plus important pour lui était de pouvoir continuer de discuter avec ses enfants et de les voir. Ils avaient une très belle relation, même plus belle que celle qu’ils avaient avec leur mère. Chaque fois que la police était venue à la maison, il était très calme et il n’y avait aucun problème. Il voulait s’éloigner de cette guerre avec son épouse et ne supportait plus qu’elle l’insulte devant ses enfants. Ces derniers aimaient bien être avec lui car il était plus calme que son épouse. Il ne voulait plus retourner au domicile familial. Il n’avait jamais impliqué ses enfants dans leurs conflits familiaux et n’entendait pas le faire à l’avenir. Son épouse en revanche l’avait fait. Sa consommation d’alcool était par ailleurs problématique ce qui avait été constaté par la police. Le 17 août 2024, son épouse était rentrée alcoolisée à la maison. Elle avait conduit dans cet état. De son côté, il n’avait aucun problème avec l’alcool comme le démontraient les différents tests qu’il avait effectués. Le jour en question, il avait passé la soirée chez les voisins, dont il était très proche, avec les enfants. Les voisins continuaient d’ailleurs d’avoir des contacts avec lui et il souhaitait pouvoir se rendre chez eux quand il le souhaitait. Il avait une solution de logement, le temps de trouver son propre appartement, comme en attestait la pièce 18 versée ce jour à la procédure.
Son conseil a versé un chargé de pièces à la procédure.
Mme A______ a expliqué qu’elle n’était pas favorable à ce que M. B______ se rende chez les voisins et y voit leurs enfants durant la période d’éloignement. Les maisons étaient mitoyennes et il y avait une trop grande proximité, notamment géographique, ce qui viendrait compliquer la situation déjà fragile. S’il voulait voir les voisins, il pouvait le faire ailleurs. Elle souhaitait pouvoir profiter de la période d’éloignement pour instaurer un peu de calme au sein du foyer familial avec ses enfants. S’agissant des modalités des contacts de M. B______ avec ses enfants, elle proposait qu’il puisse les appeler deux fois par semaine et les rencontrer une fois par semaine le jeudi entre 11h30 et 13h30 (prise en charge à l’école le midi), ce durant la période de trente jours de prolongation requise.
Son conseil a rappelé que la situation au sein du couple était de longue date une cocote minute qui avait fini par exploser le 17 août 2024. Sa mandante n’était pas opposée aux propositions de visites et contacts faites par le SEASP, ce qu’elle avait confirmé devant le juge civil lors de son audition en juillet dernier. Elle estimait toutefois qu’aujourd’hui la situation était encore trop tendue pour des contacts plus importants et qu’une période de calme supplémentaire s’imposait.
M. B______ a expliqué souhaiter que les relations avec ses enfants s’organisent conformément à ce qui avait été prévu à la page 4 de la pièce 16 versée ce jour à la procédure. Il s’agissait d’une proposition faite par son épouse qu’il avait acceptée. Cas échéant, il s‘engageait à ne plus approcher son épouse et à ne plus pénétrer à l’intérieur du domicile familial. Comme déjà dit, il souhaitait toutefois pouvoir continuer à se rendre chez les voisins.
Mme A______ a précisé que cette proposition avait été faite le 6 août 2024, soit avant les événements du 17 août suivant. Aujourd’hui, la mise en place de cette proposition lui apparaissait prématurée.
Le conseil de M. B______ a relevé que le rapport du SEASP ne faisait état d’aucune consommation problématique d’alcool chez M. B______ ni de violences qu’il aurait perpétrées à l’égard de ses enfants ou de son épouse. Au contraire, il préconisait le maintien d’une relation régulière avec leur père. La limitation des contacts tels que proposés par Mme A______ n’était pas justifiée.
Sur question du tribunal, M. B______ a indiqué que l’appartement qu’il occupait actuellement lui permettait de recevoir ses enfants. Il était aménagé de manière à ce qu’ils puissent même y passer la nuit.
Le conseil de Mme A______ a persisté dans la demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, sur la base des motifs et conclusions prises dans la demande du 22 août 2024, avec les aménagements tels qu’évoqués en audience concernant les enfants. La proposition faite par sa cliente pourrait évoluer si les choses se passaient bien.
Le conseil de M. B______, après avoir souligné que son client contestait en bloc les allégués de Mme A______, hormis ceux procéduraux, a conclu au rejet de la demande de prolongation injustifiée et disproportionnée. Cette dernière était par ailleurs aujourd’hui sans objet dès lors que son client ne souhaitait plus retourner au domicile familial.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).
2. Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.
3. La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).
Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).
Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).
Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.
Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de
a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;
b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.
La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).
Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).
En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».
Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).
Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.
4. En l'espèce, le tribunal a pu constater lors de l’audience que la situation n’avait guère évolué entre les parties depuis le prononcé de la mesure litigieuse et la première audition des parties par le tribunal. Les époux sont en pleine procédure de séparation et se crispent autour de leurs revendications dans le cadre de la procédure civile en cours, notamment au sujet de la garde des enfants. Cela étant, il doit être relevé que M. B______ a indiqué en audience qu’il n’entendait plus retourner au domicile familiale ni approcher son épouse, ce dont il lui sera donné acte.
Dans ces conditions, le tribunal prolongera la mesure d’éloignement en tant qu’elle fait interdiction à M. B______ de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme A______, située au ______[GE]. Il précisera que cette interdiction d’approcher doit être comprise comme visant également la villa des voisins, mitoyenne de celle des époux. Au vu de la proximité des deux villas et en particulier de l’accès commun permettant de s’y rendre, le risque que les époux se retrouvent face à face apparait en effet trop important et un tel contact serait préjudiciable en l’état, la réitération de violences domestiques, dont les injures font parties, ne pouvant être exclue. Si cette prolongation, qui apparaît utile, nécessaire et opportune, comporte à l'évidence des désagréments pour M. B______, l'atteinte à sa liberté personnelle en résultant demeure acceptable, étant observé qu'aucune autre mesure moins incisive ne serait envisageable pour atteindre le but fixé par la LVD et qu’il pourra toujours rencontrer ses voisins ailleurs que chez eux durant la période d’éloignement.
S’agissant en revanche de l’interdiction de contacter ou de s'approcher des enfants, dont la prolongation est également demandée, il doit être relevé que si, certes, les enfants ont été témoins des conflits familiaux qui existent depuis plusieurs années, au sein de leur foyer, les liens forts qu’ils ont avec chacun de leurs parents sont avérés. Ainsi le SEASP, bien que conscient du conflit marqué existant entre les parents et de leur difficulté à collaborer entre eux, a souligné l’importance du maintien d’un contact entre M. B______ et ses enfants, préconisant un droit de visite, des vacances communes ainsi que des contacts téléphoniques réguliers. En date du 6 août 2024, Mme A______ a ainsi fait une proposition à M. B______ d’aménagement de ses relations personnelles avec ses enfants, qu’il a validée. S’il est exact que cette proposition a été adressée à M. B______ avant les évènements du 17 août 2024, il faut aussi relever que l’existence de conflits de même type, déjà bien avant le 6 août 2024, est évoquée par Mme A______, avec plusieurs interventions de la police au domicile. Dans ces conditions et tenant compte de l’importance de favoriser le lien des enfants avec leur père, reconnue tant par les professionnels que par Mme A______, le tribunal n’entend pas prolonger la mesure d’interdiction concernant les enfants. Si leurs parents ne se retrouvent pas sous le même toit, rien ne permet en effet de considérer qu’ils pourraient être victimes indirects de la situation parentale. A toutes fins utiles, il sera rappelé à M. B______ ses déclarations à l’audience de ce jour, à savoir qu’il n’avait jamais impliqué ses enfants dans leurs conflits familiaux et qu’il n’entendait pas le faire à l’avenir.
Partant, même si le tribunal n'est pas compétent ici pour statuer sur les modalités des relations personnelles entre M. B______ et ses enfants, il invite les deux parents à tout mettre en œuvre afin que ces dernières puissent avoir lieu dans le meilleur intérêts d’C______ et D______. Les parties étant toutes deux assistées d'un avocat, elles pourront, au besoin, discuter de ces modalités par leur intermédiaire.
5. Par conséquent, la demande de prolongation sera partiellement admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de 30 jours dans le sens de ce qui précède, sous la menace de l'art. 292 CP, dont la teneur figure ci-dessus, soit jusqu'au 21 septembre 2024 à 17h00.
Pendant cette nouvelle période, il sera toujours interdit à M. B______ de contacter et de s'approcher de son épouse, ainsi que de s'approcher et de pénétrer au domicile familial, la villa mitoyenne des voisins devant être comprise dans cette interdiction, vu sa proximité géographique.
Enfin, il sera rappelé que M. B______ pourra, cas échéant, venir chercher dans l'appartement conjugal, ses effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties et accompagné de la police.
6. Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument ni alloué de dépens (art. 87 al. 1 et 2 LPA).
7. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 22 août 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 18 août 2024 à l’encontre de Monsieur B______ ;
2. l'admet partiellement au sens des considérants ;
3. prolonge la mesure d'éloignement prononcée le 18 août 2024 à l'encontre de Monsieur B______ pour une durée de 30 jours, soit jusqu’au 21 septembre 2024, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants, en tant qu’elle interdit à Monsieur B______ de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame A______, située au ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de Madame A______ ;
4. dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
6. dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Marielle TONOSSI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police et au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.
Genève, le |
| La greffière |