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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1580/2023

JTAPI/550/2024 du 10.06.2024 ( ICCIFD ) , ADMIS

ATTAQUE

Descripteurs : EXONÉRATION FISCALE;BUT D'INTÉRÊT GÉNÉRAL
Normes : LIPM.9.letf; LIFD.56.letg
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1580/2023 ICCIFD

JTAPI/550/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 juin 2024

 

dans la cause

 

A______

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne une demande d’exonération de l’impôt cantonal et communal (ICC) et de l’impôt fédéral direct (IFD) concernant l’A______ (ci-après : l’Association ou la recourante).

2.             Par courrier reçu par l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) le 17 avril 2019, l’Association a demandé son exonération à l’ICC et l’IFD sur formulaire ad hoc daté du 11 avril 2019.

Elle a joint à sa demande ses statuts modifiés le 2 mai 2018, un extrait de ses procès-verbaux d’assemblées générales des années 2015 à 1018, son bilan et son compte de recettes et dépenses des années 2014 à 2015.

3.             Par courrier du 15 juin 2019 adressé à l’AFC-GE, elle a remis en complément à sa demande d’exonération l’extrait du procès-verbal de son assemblée générale du 8 mai 2019 avec son rapport d’activité 2018, ainsi que la version finale des statuts approuvée le 8 mai 2019.

Selon l’art. 2 de ses statuts du 8 mai 2019, « l’Association a pour buts essentiels de défendre la qualité de vie et le développement durable de la commune de B______ et des environs, plus particulièrement dans les domaines de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de la mobilité. Elle veille également à la sauvegarde du caractère villageois de la commune, à la conservation de son patrimoine bâti et environnemental et à la protection du C______ et de D______, valeurs patrimoniales à préserver aux abords de la ville. Elle a qualité pour la défense des intérêts de ses membres et des habitants en général y compris lorsque l’association n’est pas elle-même directement touchée. Son but est d’ordre idéal et non lucratif dans tous les domaines précédemment cités. [L’Association] est apolitique et non confessionnelle ».

Selon l’art. 15 des statuts, « les ressources de l’Association sont constituées par une cotisation dont le montant est fixé d’année en année par l’assemblée générale ordinaire. L’Association peut également bénéficier de dons, legs ou de tout autre apport qui lui serait attribué ».

« Les membres du comité de [l’Association] agissent bénévolement et ne peuvent prétendre qu’à l’indemnisation de leurs frais effectifs et de leurs frais de déplacements » (art. 16 des statuts).

4.             Par décision du 30 juillet 2019, l’AFC-GE a admis l’exonération de l’Association pour les années 2015 à 2021, sous réserve des modifications suivantes de ses statuts, à savoir :

-          à l’art. 20 : « En cas de dissolution de l’Association, l’actif disponible sera entièrement attribué à une institution poursuivant un but d’intérêt public analogue à celui de l’Association et bénéficiant de l’exonération de l’impôt. En aucun cas, les biens ne pourront retourner aux fondateurs physiques ou aux membres, ni être utilisés à leur profit en tout ou partie et de quelque manière que ce soit ».

-          à l’art. 15 : ajout de la phrase suivante : « Les fonds recueillis sont effectivement utilisés conformément à son but social ».

L’AFC-GE se réservait expressément la faculté de revoir en tout temps l’exonération accordée, notamment dès que les conditions qui l’avaient motivées ne seraient plus réalisées. « À cet égard toute modification substantielle portant sur le but statutaire ou les activités effectives de l’institution doit être portée sans délai à [la connaissance de l’AFC-GE] ».

Il était en outre précisé : « À l’échéance de la validité de la présente décision, votre institution pourra nous présenter une demande de renouvellement de celle-ci ».

5.             Par courrier du 20 avril 2021, l’Association a soumis à l’AFC-GE une proposition de révision de ses statuts avant son assemblée générale prévue le 22 septembre 2021, afin de savoir si ses futurs statuts répondaient à tous les critères de reconnaissance d’utilité publique justifiant la prolongation de son exonération à l’ICC et à l’IFD.

6.             Par courrier du 10 novembre 2021, l’Association a remis à l’AFC-GE une nouvelle demande d’exonération sur formulaire ad hoc, en joignant sa nouvelle version de ses statuts résultant de son assemblée générale du 22 septembre 2022, accompagnée de son bilan et de son compte de recettes et dépenses de l’année 2020, ainsi que d’un extrait du procès-verbal de son assemblée générale précitée.

7.             Selon le nouvel art. 2 de ses statuts, « l’Association a pour buts de :

-       Défendre la qualité de vie et le développement durable de la commune de B______ et environs dans les domaines de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de la mobilité :

-       Veiller à la sauvegarde du caractère villageois de la commune, à la conservation de son patrimoine bâti et environnemental et à la protection des zones boisées et de verdure ;

-       Lutter contre toute forme de pollutions et de nuisances en considérant leur impact sur la santé humaine, la faune et la flore.

L’Association collabore avec d’autres associations sises dans le canton de Genève qui poursuivent des buts similaires à ceux de l’Association. Son but est d’ordre idéal et non lucratif dans tous les domaines précédemment cités. [L’Association] est apolitique et non confessionnelle ».

8.             Par décision du 9 septembre 2022, l’AFC-GE a rejeté la demande de renouvellement de l’exonération fiscale de l’Association, pour les motifs suivants :

« En effet, à l’examen de votre requête, nous comprenons que les activités de l’institution consistent en partie à suivre les projets ou décisions prises en termes d’aménagement du territoire ou par exemple de densification. Dans la mesure où ceux-ci peuvent occasionner des nuisances aux habitants du village de B______ et de ses environs, l’association est amenée à intervenir, par exemple au moyen de pétitions, afin de faire entendre son point de vue et celui d’une partie des habitants sur les différents sujets retenus. Bien que l’Association exerce des fonctions importantes, en assurant notamment le bon fonctionnement de la démocratie directe, elle défend avant tout sa propre conception des activités et projets en lien avec le village de B______ et de ses environs. Son but n’est ainsi pas de servir directement et prioritairement un but d’utilité publique, mais plutôt les propres convictions de ses membres dans ces activités et projets. Ces activités reflètent dès lors l’intérêt avant tout des membres de l’Association et ne correspondent pas aux critères très restrictifs d’intérêt général et de désintérêt au sens de notre législation fiscale ».

9.             Par courrier du 4 octobre 2022, l’Association a élevé réclamation à l’encontre de cette décision.

Après un bref rappel de la procédure ayant conduit à son exonération durant les années 2015 à 2021, elle a soutenu qu’elle n’agissait qu’en vue de la défense du développement durable, de la sauvegarde de l’environnement, de la qualité de vie des habitants et de la lutte contre la pollution, sans agir pour la défense des intérêts de ses membres. Elle a également listé les activités et projets sur lesquels elle s’était engagée et continuait de s’engager en ligne avec ses statuts. En outre, son site internet « www.______.ch » était librement accessible à toute personne sans restriction ni identification. L’Association émettait deux à trois newsletters par année qu’elle distribuait gratuitement à tous les ménages de la commune de B______. Ses membres versaient leur cotisation annuelle, non pas pour que l’Association les défende, mais en reconnaissance du travail qu’elle effectuait en conformité avec ses buts.

10.         Par décision du 11 avril 2023, l’AFC-GE a rejeté la réclamation. Au vu de l’historique - publié sur son site internet - des actions menées par l’Association depuis sa fondation en 1971, il apparaissait qu’une part essentielle de son activité consistait, dans les faits, à défendre les intérêts, les droits et la qualité de vie des habitants de B______ et des environs. Pour ce faire, l’Association effectuait le suivi des décisions prises en termes d’aménagement du territoire ou par exemple de densification. Lorsque celles-ci pouvaient occasionner des nuisances aux habitants du village de B______ et de ses environs, elle était amenée à intervenir, par exemple au moyen de pétitions, afin de faire entendre son point de vue et celui d’une partie des habitants sur les différents sujets retenus. « Bien que [l’Association] exerce des fonctions importantes, en assurant notamment le bon fonctionnement de la démocratie directe, elle défend avant tout sa propre conception des activités et projets de la commune de B______ et de ses environs. Son but n’est ainsi pas de servir directement et prioritairement un but d’utilité publique, mais plutôt les propres convictions de ses membres dans ces activités et projets. Ces activités, pouvant être considérées en grande partie comme de nature principalement politique, reflètent l’intérêt avant tout de ses membres et ne correspondent pas aux critères très restrictifs d’intérêt général et de désintérêt au sens de notre législation fiscale ».

11.         Par acte du 8 mai 2023, l'Association a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à son annulation et à ce qu'elle soit exonérée de l'impôt sur le bénéfice et sur le capital.

Reprenant les arguments développés dans le cadre de sa réclamation et précisant que ses activités profitaient à un nombre indéterminé de bénéficiaires, elle a décrit les activités et projets sur lesquels elle s'était engagée ou continuait à s'engager depuis plusieurs années, conformément à ses buts statutaires, soit :

-       la protection de E______ et de son vallon avec une participation au groupe de travail sur la « Gouvernance de E______ » créée par le département du territoire ;

-       la participation au futur de B______ avec une réflexion sur le plan directeur communal et sur des grands projets d'aménagement du territoire tels que F______, G______ et H______ ;

-       la protection de D______, du coteau I______ et de la zone villa et sa biodiversité ;

-       la demande de prolongement de la couverture de l'autoroute à l'office fédéral des routes et au département des infrastructures lors de l'étude pour la création d'une troisième voie autoroutière ;

-       la lutte contre le bruit dû à la mobilité ou aux incivilités ;

-       la sauvegarde de la forêt urbaine de J______, aujourd'hui en partie sauvée après l'intervention de l'État et de la commune ;

-       la protection du K______ en partenariat avec d'autres associations ;

-       la réflexion concernant la division de la commune par la route L______ et les nuisances occasionnées pour les riverains et la petite faune.

L'AFC-GE appuyait sa position sur le fait que l'association aurait participé au référendum de M______, ce qui était inexact. Par conséquent, elle se vouait bel et bien exclusivement par idéal à l'étude de questions relatives à l'aménagement du territoire, à la protection de l'environnement, à la défense de la qualité de vie des habitants et à la protection des sites, sans agir pour la défense des intérêts de ses membres.

Il fallait encore souligner que son site Internet était totalement libre d'accès pour toute personne, sans restriction ni identification. Elle émettait en outre deux ou trois newsletters par année, en imprimait 2'000 exemplaires, dont 1'850 étaient distribués gratuitement à tous les ménages habitant sur le territoire de la commune. Son activité était totalement désintéressée, tout le travail étant effectué entièrement bénévolement. De plus, elle ne faisait jamais la promotion de ses membres.

12.         Par écritures du 14 juillet 2023, l'AFC-GE a répondu au recours en concluant à son rejet. En substance, il ressortait des diverses activités listées dans la décision litigieuse et dans le recours lui-même qu'elles relevaient de la défense des intérêts de la commune de B______, de ses habitants et des habitants situés aux alentours. En conséquence, l'Association avait pour but de poursuivre ses propres intérêts. Elle ne servait donc pas directement et prioritairement un but d'utilité publique. Les critères relatifs au but d'intérêt général et au désintérêt au sens des normes et de la jurisprudence applicable n'était pas remplis.

13.         L'Association a répliqué le 29 août 2023. Il était faux d'affirmer que ses membres étaient les principaux bénéficiaires de ces activités. Ces dernières visaient la préservation de l'environnement et de la biodiversité dans leur ensemble, contribuant ainsi à l'amélioration globale de la qualité de vie sur le territoire. La nature et la biodiversité ne connaissaient pas les frontières des communes et des cantons. Ainsi, tous les efforts de l'association contribuaient au bien général. Son investissement concernant la défense du K______ en était un exemple, puisque c'était un lieu qui attirait des résidents de tout le canton et d'au-delà. Il en allait de même de la protection du C______ et de leur nature à de cette rivière. Le dossier F______ était un autre exemple où il s'agissait de défendre un projet avec moins d'îlots de chaleur, une densité plus raisonnable, etc., ce qui serait au bénéfice des futurs habitants F______, qui n'étaient pas membres de l'association actuellement.

Contrairement à des organisations sportives régionales, qui ne bénéficiait pas d'une exonération, et qui représentaient uniquement leurs membres sportifs, elle-même ne représentait pas ses membres, mais était mandatée par eux pour défendre des causes environnementales et de qualité de vie pour tous dans la région.

Enfin, il fallait rappeler que ses activités, son bénévolat et son engagement n'avaient pas changé depuis la création de l'association en 1971, de sorte que le refus soudain de l'AFC-GE de lui permettre de bénéficier d'une exonération contrevenait à la sécurité juridique.

14.         Par duplique du 21 septembre 2023, l'AFC-GE a indiqué qu'elle persistait dans ses explications précédentes.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             L’art. 9 let. f de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM – D 3 15) dispose que sont exonérées de l’impôt les personnes morales qui poursuivent des buts de service public ou d'utilité publique, sur le bénéfice et le capital exclusivement et irrévocablement affectés à ces buts. Des buts économiques ne peuvent être considérés en principe comme étant d'intérêt public.

L’art. 9 let. f LIPM étant d’une teneur identique à l’art. 56 let. g de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD – RS 642.11), la doctrine et la jurisprudence relatives à l’IFD valent également pour l’ICC.

4.             L'exonération fondée sur un but de service public doit être interprétée de manière restrictive. Une personne morale poursuit des buts de service public si elle accomplit des tâches étroitement liées aux tâches étatiques (cf. ATF 131 II 1 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_740/2018 du 18 juin 2019 consid. 5.3).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'exonération d'une personne morale sur la base de l'art. 56 let. g LIFD suppose la réalisation des trois conditions générales suivantes : l'activité pour laquelle une exonération est demandée doit s'exercer exclusivement au profit de l'utilité publique ou du bien commun (condition de l'exclusivité de l'utilisation des fonds), les fonds consacrés par la personne morale à la poursuite du but justifiant l'exonération doivent l'être pour toujours (condition de l'irrévocabilité de l'affectation des fonds) et, enfin, l'institution doit mener une activité effectivement respectueuse de ses statuts (condition de l'activité effective; cf. ATF 146 II 359 consid. 5.1 et les références citées). En outre, l'exonération fondée sur la poursuite de buts d'utilité publique suppose le respect de deux conditions spécifiques : l'exercice d'une activité d'intérêt général en faveur d'un cercle ouvert de destinataires et le désintéressement (cf. arrêts 2C_166/2020 du 10 mai 2021 consid. 5.2 ; 2C_385/2020 du 25 juin 2020 consid. 4.2.1 ; 2C_147/2019 du 20 août 2019 consid. 4.4).

5.             Dans sa circulaire n. 12 du 8 juillet 1994 relative à l’exonération de l’impôt pour les personnes morales poursuivant des buts de service public ou de pure utilité publique (ci-après : circulaire n. 12), l’administration fédérale des contributions a précisé les conditions à remplir pour pouvoir bénéficier d’une exonération.

La Conférence suisse des impôts a publié en date du 18 janvier 2008 des informations pratiques à l’intention des administrations fiscales cantonales sur l’exonération fiscale des personnes morales qui poursuivent des buts de service public, d’utilité publique ou des buts cultuels, qui complètent la circulaire n. 12 précitée en traitant des thèmes spécifiques en rapport avec cette dernière.

6.             Si les directives, circulaires ou instructions émises par l'administration ne peuvent contenir des règles de droit, elles peuvent cependant apporter des précisions quant à certaines notions contenues dans la loi ou quant à la mise en pratique de celle-ci. Sans être lié par elles, le juge peut néanmoins les prendre en considération en vue d'assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré. Il ne doit cependant en tenir compte que si elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATF 141 II 338 consid. 6.1 ; ATF 133 II 305 consid. 8.1 ; ATF 129 V 205 consid. 3.2 ; 127 V 61 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_91/2015 du 31 mai 2016 consid. 9.1). Émise par l'autorité chargée de l'application concrète d’une loi, l'ordonnance administrative est un mode de gestion : elle rend explicite une ligne de conduite, permet d'unifier et de rationaliser la pratique, assure ce faisant aussi l'égalité de traitement et la prévisibilité administrative et facilite le contrôle juridictionnel, puisqu'elle dote le juge de l'instrument nécessaire pour vérifier que l'administration agit selon des critères rationnels, cohérents et continus, et non pas selon une politique virevoltante du cas par cas (Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3ème éd., 2012, pp. 426-427).

7.             Selon le ch. 2b (p. 2) de la circulaire n. 12, l’exclusivité de l'utilisation des fonds implique que l'activité exonérée de l'impôt s'exerce exclusivement au profit de l'utilité publique ou du bien commun. Le but de la personne morale ne doit pas être lié à des buts lucratifs ou à d'autres intérêts de la personne morale, de ses membres ou de ses associés. La personne morale qui poursuit d'autres buts à côté de ses buts de service public ou de pure utilité publique peut éventuellement bénéficier d'une exonération partielle.

L’irrévocabilité de l'affectation des fonds signifie que les fonds consacrés à la poursuite de buts justifiant l'exonération de l'impôt doivent être affectés pour toujours à ces buts. Un retour au(x) donateur(s) ou fondateur(s) doit être absolument exclu. En cas de dissolution de la personne morale, sa fortune doit revenir à une autre personne morale bénéficiant de l'exonération de l'impôt et poursuivant des buts semblables, ce qui doit figurer dans une clause intangible de l'acte de fondation (circulaire n. 12 p. 2 ch. 2c).

Pour que l’activité soit effective, il faut poursuivre effectivement les buts visés. Le simple fait de prétendre exercer statutairement une activité exonérée de l'impôt n'est pas suffisant (circulaire n. 12 p. 2 ch. 2d).

Les personnes morales à buts de pure utilité publique doivent de surcroît poursuivre un but d’intérêt général. Les activités à caractère caritatif, humanitaire, sanitaire, écologique, éducatif, scientifique et culturel peuvent être considérées comme étant d’intérêt général. Il s’agit par exemple de l’assistance publique, les arts, la science, l’enseignement, la promotion des droits de l’homme, la sauvegarde du patrimoine, la protection de la nature et des animaux ainsi que l’aide au développement (circulaire n. 12 p. 2-3 ch. 3a). Une activité est exercée dans un but d’intérêt général lorsqu’elle mérite d’être encouragée d’après la conception d’une partie importante de la population. Cela ne signifie pas qu’une telle activité doive être poursuivie au bénéfice de la majorité. Il peut être dans l’intérêt général qu’une activité soit exercée au profit d’une minorité (Nicolas URECH, Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2017, p. 1030 n. 60 ad art. 56). D’ordinaire, l’intérêt général n’est admis que si le cercle des destinataires des prestations est ouvert. Il n’y a pas d’intérêt général lorsque ce cercle est trop étroitement limité (p. ex. limitation à un cercle familial, aux membres d’une association ou aux personnes exerçant une profession déterminée) (circulaire n. 12 p. 2-3 ch. 3a).

L’absence d’assistance mutuelle est également une condition fondamentale à l’exonération de l’impôt. Il y a assistance mutuelle lorsque la personne morale vise à promouvoir ou assurer les intérêts économiques de ses membres (coopératives agricoles, de construction, d’assurance de cautionnement, etc.). Il y a également assistance mutuelle lorsque des institutions ont pour but la promotion des intérêts de leurs membres, qu’ils soient personnels, scientifiques ou économiques, tels les clubs sportifs, de jeu d’échec, associations d’étudiants, sociétés de musique, associations récréatives, regroupement de personnes partageant le même hobby, etc. Poursuit un but d’assistance mutuelle une coopérative de construction de logement. Certaines institutions d’assistance mutuelle peuvent toutefois éventuellement remplir les conditions d’exonération en raison d’un but de service public (associations de quartier). Lorsque les buts poursuivis sont idéaux, l’assistance mutuelle n’exclut pas le bénéfice de l’exonération. Ainsi, une association internationale de médecins spécialistes peut être exonérée si les intérêts visés sont purement scientifiques et non politiques (Nicolas URECH, op. cit., p. 1034 n. 73 ad art. 56).

La notion d’utilité publique comprend également un élément subjectif, le désintéressement, ce qui exige de la part de l’institution, de son fondateur, de ses membres ou même de tiers un sacrifice en faveur de l’intérêt général primant leurs propres intérêts (circulaire n. 12 p. 3 ch. 3b ; Nicolas URECH, op. cit., p. 1033 n. 67 ad art. 56).

La condition du désintéressement suppose que l'activité de l'institution se fonde sur l'altruisme. En ce sens, il est exigé que la personne morale qui requiert le bénéfice de l'art. 56 let. g LIFD agisse sans but lucratif. De plus, elle ne doit pas poursuivre ses propres intérêts, ce qui exclut l'exonération pour les institutions d'assistance mutuelle et les associations de loisir (cf. arrêt 2C_251/2012 du 17 août 2012 consid. 3.1.1). Les membres dirigeants de la personne morale sont en principe tenus d'exercer leurs fonctions de manière bénévole, sous réserve d'un remboursement de leurs frais effectifs. Les membres d’un conseil de fondation ou d’un comité d’association poursuivent des intérêts personnels en dirigeant la fondation ou l’association et en octroyant à leur étude d’avocats le mandat de s’occuper de la manière la plus large possible du fonctionnement de l’institution sur les plans administratif, comptable et financier (Nicolas URECH, op. cit., p. 1033 n. 67 ad art. 56).

Le désintéressement exige un sacrifice au profit de tiers, dans l'intérêt de la communauté. Ce sacrifice doit revêtir une certaine importance par rapport aux moyens dont dispose la personne morale. Une institution qui thésaurise ses moyens financiers et n'en affecte qu'une très petite partie au but fiscalement privilégié, par exemple les intérêts du capital d'une fondation, ne pourra pas bénéficier de l'exonération (arrêt du Tribunal fédéral 2C_484/2015 du 10 décembre 2015 consid. 5.5.1. et les réf. de doctrine cit.).

8.             Ont ainsi été exonérées :

- une fondation dont le but est de promouvoir le développement de l’économie soleuroise, car elle encourage le bien-être général, le développement économique en faisant partie (arrêt du Tribunal fédéral 2A.42/2007 du 11 juin 2008) ;

- une personne morale encourageant les efforts de la Ville de Bâle pour promouvoir la musique (ATF 63 I 316 = Arch. 7, 11) ;

- l'administration d'un musée d'art (RF 1992, 323) ;

- une fondation qui encourage les échanges culturels entre artistes du tiers monde et de la Suisse (StE 1986 B 71.63. N. 1) ;

- le zoo de Bâle, exploité sous une direction scientifique compétente, même s'il revêt la forme d'une société anonyme (ATF 109 Ia 335; Arch. 55, 80) ;

- les fédérations sportives internationales affiliées au Comité international olympique (CIO), le sport international contribuant à l’entente entre les peuples, constituant un vecteur reconnu de promotion de la paix et véhiculant des messages positifs tels le fair-play, la lutte contre le racisme et la discrimination, ainsi que la promotion de l’intégration sociale et culturelle (RDAF 2011 II 440 consid. 3.3) (Nicolas URECH, op. cit., p. 1030-1031, n. 61-61a ad art. 56.

9.             En revanche, n'ont pas été considérés d'intérêt général :

- une association se consacrant statutairement à la protection de la vie humaine (LGVE 2000 II N. 26) ;

- une association de locataires qui vise la diminution des loyers et conseille les locataires (KSGE 2000 N. 12) ;

- une fondation pour le développement de la vie musicale de la Ville de Berne, bien qu'elle remplisse les conditions d'exonération de service public conformément au droit cantonal (JAB 2001, 106) ;

- une fondation qui se consacre à la création de véritables médias éthico-politiques contrôlables, un hôpital privé, une coopérative d'approvisionnement en eau (JAB 1994, 385) ;

- une association qui exploite une école dont l'enseignement est en anglais (NStP 1992, 45) ;

- une association promouvant l'élevage de bovins par l'encouragement de l'exportation et la vente des animaux (Arch. 60, 623 = StE 1992 B 71.63) (Nicolas URECH, op. cit., p. 1031-1032, n. 62 ad art. 56).

10.         L'octroi de l'exonération fiscale ne dépend pas seulement du contenu des statuts de la personne morale, mais encore de son comportement et de ses activités effectives, étant rappelé que le simple fait de prétendre exercer statutairement une activité exonérée de l'impôt n'est pas suffisant (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_740/2018 du 18 juin 2019 consid. 5.1 et les références).

Il appartient à la personne morale qui sollicite l’exonération de prouver que les conditions légales sont réunies (ATF 92 I 253 ss ; Circulaire n. 12 p. 1 ch. II.1).

11.         L'autorité d'application de la loi jouit d'un pouvoir d'appréciation relativement étendu en raison du caractère indéterminé de certains des motifs d'exonération (par ex : but de service public ou de pure utilité publique, but cultuel, etc.) (ATF 128 II 56 consid. 5c ; cf. ég. arrêt du Tribunal fédéral 2C_147/2019 du 20 août 2019 consid. 5.2 et les arrêts cités).

12.         En l’espèce, il n'apparaît pas, à teneur de la décision litigieuse et de l'argumentation développée dans le cadre de la présente procédure par l'autorité intimée, que cette dernière remet en cause les trois conditions générales dégagées par la jurisprudence en matière d'exonération au sens de l'art. 56 let. g LIFD, à savoir le fait que la recourante exerce son activité exclusivement au profit des buts d'utilité qu'elle s'est fixés (condition de l'exclusivité de l'utilisation des fonds), que ses fonds y sont consacrés pour toujours (condition de l'irrévocabilité de l'affectation des fonds) et, enfin, que la recourante mène une activité effectivement respectueuse de ses statuts (condition de l'activité effective).

Le litige porte ainsi uniquement sur les deux conditions spécifiques que sont l'exercice d'une activité d'intérêt général en faveur d'un cercle ouvert de destinataires et le désintéressement.

A cet égard, l'autorité intimée souligne que la recourante effectue le suivi des décisions prises en termes d’aménagement du territoire ou par exemple de densification. Elle réagit lorsque ces décisions sont susceptibles d'occasionner des nuisances aux habitants du village de B______ et de ses environs, intervenant par exemple au moyen de pétitions. Elle défendrait ainsi avant tout sa propre conception des activités et projets de la commune de B______ et de ses environs. Son but ne serait donc pas de servir directement et prioritairement un but d’utilité publique, mais plutôt les propres convictions de ses membres. Ses activités, en grande partie de nature politique, refléteraient l’intérêt avant tout de ses membres et ne correspondraient pas aux critères très restrictifs d’intérêt général et de désintéressement.

13.         Cette argumentation n'apparaît pas réellement convaincante.

Tout d'abord, le fait qu'une partie plus ou moins importante de l'activité de la recourante s'inscrive dans le champ politique ne diminue en rien la portée d'utilité publique de ses buts statutaires. Au contraire, la politique est par excellence le champ de l'intérêt public et certains domaines y sont constamment traités, comme c'est le cas de la protection de la nature et de l'environnement, de sorte qu'il est pour ainsi dire impossible de déployer une réelle activité dans de tels domaines sans qu'il y ait interférence avec la sphère politique. Dans cette mesure, les interventions d'une personne morale auprès des institutions politiques ou des administrations, avec qui elle peut d'ailleurs être occasionnellement en opposition, ne relèvent que des moyens d'action qu'elle choisit de mettre en œuvre, mais ne remet pas en cause le fait que les buts qu'elle poursuit soient d'utilité publique, comme c'est typiquement le cas de la protection de la nature et de l'environnement.

Ensuite, lorsque l'autorité intimée relève que la recourante défend sa propre conception des activités et projets de la commune et des environs, ou encore défend les propres conceptions de ses membres, elle semble, sans que cela soit tout à fait clair, mais en toute hypothèse à tort, vouloir en faire la démonstration que le cercle des bénéficiaires serait trop petit ou qu'il y aurait en réalité assistance mutuelle des membres, prohibée par la jurisprudence. Le fait de prétendre que la recourante défend les conceptions de ses membres est une façon quelque peu biaisée de décrire le fait qu'en règle générale, les membres d'une association y adhèrent en raison du fait qu'ils partagent les buts qu'elle se fixe. En d'autres termes, on peut aussi dire que les membres de la recourante défendent les conceptions de cette dernière. En réalité, la question est simplement de savoir si le champ dans lequel la recourante déploie ses activités est suffisamment étendu pour que l'on puisse exclure la défense d'intérêts privés, comme ce serait par exemple le cas d'une association de quartier qui, sous couvert de protection de la nature, chercherait simplement à empêcher la densification dudit quartier. Or, en l'occurrence, la recourante fait la démonstration, par les différents exemples qu'elle cite, de l'étendue géographique relativement importante de ses activités, toujours déployées dans une optique conforme à ses buts statutaires. C'est de manière pertinente que la recourante souligne que certains des objets dans lesquels elle s'est investie, comme la protection du C______ et la renaturation de ce cours d'eau, ou encore la protection du K______, bénéficient à un cercle de personnes qui excède très largement celui des habitants de la commune dont la recourante est issue. Il faut aussi relever que l'ensemble des activités mentionnées par la recourante ne sauraient concerner prioritairement le cercle relativement restreint de ses membres, mais bénéficient à l'ensemble de la population communale, ainsi qu'à une partie de la population des environs de la commune. De manière tout aussi pertinente, la recourante relève que son activité au sujet du futur quartier F______, dont elle cherche à garantir une meilleure habitabilité en termes environnementaux, se déploie en faveur de personnes qui n'y viendront que dans le futur et dont la plupart ne seront peut-être pas d'actuels résidents de la commune, et encore moins d'actuels membres de l'association.

Il apparaît ainsi que la recourante répond entièrement aux conditions rappelées ci-dessus pour bénéficier de l'exonération prévue par les art. 9 let. f LIPM et 56 let. g LIFD.

14.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, la décision sur réclamation annulée et la cause renvoyée à l'autorité intimée pour nouvelle décision conforme au présent jugement.

15.         Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 - et art. 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). L’avance de frais de CHF 700.- versée à la suite du dépôt du recours lui sera restituée. Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, la recourante n'y ayant pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 9 mai 2023 par l’A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 11 avril 2023 ;

2.             l'admet ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision conforme au présent jugement ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

5.             ordonne la restitution à la recourante de son avance de frais de CHF 700.- ;

6.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Laurence DEMATRAZ et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière