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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1753/2024

JTAPI/523/2024 du 29.05.2024 ( LVD ) , REJETE

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;OPPOSITION(PROCÉDURE);PROLONGATION;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1753/2024 et A/1770/2024 LVD

JTAPI/523/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 29 mai 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Valérie SUHAJDA, avocate, avec élection de domicile

contre

Madame B______, représentée par Me Mansour CHEEMA, avocat, avec élection de domicile

COMMISSAIRE DE POLICE

et

Madame B______, représentée par Me Mansour CHEEMA, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur A______, représenté par Me Valérie SUHAJDA, avocate, avec élection de domicile

 

EN FAIT

1.             Le 21 mai 2024, Madame B______ s’est rendue au poste de police de Versoix afin de faire part des violences conjugales dont elle serait victime depuis douze ans de la part de son ex-conjoint, Monsieur A______.

2.             Lors de son interrogatoire par la police, elle a notamment expliqué que dès le début de leur relation en 2012, son conjoint avait été violent physiquement et moralement avec elle. Il la traitait de pute, la dénigrait et critiquait son habillement. En 2019, il était rentré ivre et lui avait fait des réflexions désobligeantes. Elle lui avait mis « une baffe » mais il l’avait alors prise par le cou et emmené jusque dans leur chambre, elle n’arrivait plus à respirer.

Durant 2-3 ans ils avaient vécu chez sa maman et plusieurs fois par mois il l’avait violée : elle lui avait dit non à plusieurs reprises mais il continuait à se frotter contre elle jusqu’à avoir un rapport sexuel. Il y avait aussi eu quelques fois où il avait voulu la prendre « par derrière », elle avait dit « non », mais il avait continué à essayer. Fin 2021 ou début 2022, lors d’un rapport où elle lui avait dit « non » et qu’il avait quand même continué, elle lui avait verbalisé le fait que ce qu’il faisait s’appelait un viol.

Elle subissait tout le temps de la violence psychologique : quoi qu’il arrivait il retournait tout contre elle et la rabaissait régulièrement. C’était un pervers narcissique. Il la critiquait sur tout et sa grossesse avait été un cauchemar, elle avait dû tout faire alors que lui buvait et fumait sans l’aider.

Elle avait peur de lui. Il fumait et buvait beaucoup et regardait des sites de vidéo violente, « the ync » ; une fois, il lui avait montré une vidéo où un couple se faisait tuer car la femme avait trompé son conjoint, il lui avait dit que c’était bien fait et qu’il aurait fait pareil. Il possédait un FASS 90 et une arme de poing.

Il était adorable avec son fils mais continuait sa consommation d’alcool et de cannabis : elle lui avait demandé d’arrêter et l’avait aidé au mieux mais ça n’avait pas fonctionné. Il était déjà allé dans une brasserie avec leur fils pour boire des bières avec des amis.

Ils étaient séparés depuis quelques jours ; elle était venue au poste de police le 18 mai 2024 car son conjoint était tombé sur des échanges de messages avec un ami avec qui il ne s’était rien passé mais son conjoint avait pensé qu’elle l’avait trompé ; il avait l’air très énervé et était parti. Elle s’était alors réfugiée chez ses parents. Le 20 mai 2024, ils s’étaient vu afin que son conjoint voie leur fils : tout s’était bien passé mais il lui avait proposé une garde alternée et elle avait refusé car il buvait et fumait trop, elle avait peur pour la sécurité de leur fils. Elle avait alors constaté que des documents avaient disparu dans leur appartement et que la chambre à coucher était fermée à clé : elle avait appelé la police.

Elle souhaitait rentrer au domicile conjugal avec son fils ; elle avait peur que son conjoint prenne leur fils pour partir en Russie et lui fasse à elle ou lui du mal.

Elle a indiqué déposer plainte pénale.

3.             M. A______ a également été entendu par la police le 21 mai 2024.

Il contestait tout ce qui lui était reproché : il n’avait jamais exercé de violence physique ou morale sur sa conjointe, ne l’avait jamais traitée de pute ni ne l’avait rabaissée ; il la laissait faire du pole dance, preuve qu’il ne critiquait pas ses tenues vestimentaires.

En 2019, il ne l’avait pas touchée et surtout n’avait pas mis ses mains sur son cou. Jamais de sa vie il ne l’avait frappée ni touchée, il ne lui avait même jamais mis de gifle ; par contre, elle lui avait donné deux fois une gifle.

Il n’avait jamais abusé d’elle ni fait quoi que ce soit sans son accord ; quand elle disait « non » il arrêtait tout de suite. « Même bourré » il la respectait. Cela faisait deux mois qu’ils n’avaient pas eu de rapports et s’il avait été quelqu’un qui abusait, il se serait passé quelque chose durant cette période.

Il n’avait jamais exercé sur sa conjointe des violences psychologiques, c’était au contraire elle qui mettait toujours la faute sur lui.

Concernant sa consommation d’alcool, il ne buvait jamais quand il était avec son fils, mais uniquement quand il sortait et que son fils était gardé ; il était un bon papa et n’avait jamais mis son fils en danger. Sa conjointe buvait également de l’alcool et fumait du cannabis et du CDB. Il ne consommait pas de cocaïne. Il était tombé par hasard sur les vidéos du site « the ync » et, concernant la vidéo du couple se faisant tuer il ne trouvait pas cela normal. Il avait toutes les autorisations concernant son arme de poing mais il pensait la revendre.

Sa conjointe était dépressive et était suivie par un psychologue. « Toute cette histoire » venait du fait de son état car il n’avait jamais été la personne décrite dans la plainte de sa conjointe. Le 18 mai 2024 il était tombé sur des messages échangés entre sa conjointe et un homme et il avait été terriblement choqué ; il lui avait demandé des explications. Il était ensuite sorti voir des amis et quand il était rentré, sa conjointe était partie chez ses parents avec leur fils. Son beau-père avait refusé qu’il voie son fils, il s’était alors énervé et avait appelé la police.

Concernant leur situation, il était d’accord de quitter le logement mais il fallait attendre le délai de résiliation ; pour leur enfant, il souhaitait une garde 50/50. Il avait filmé leur rencontre du 20 mai 2024 et il en ressortait qu’elle était plus intéressée à une pension qu’au bien être de leur enfant.

Il avait mis de côté des documents car sa conjointe avait pris les papiers d’identité de leur fils et le passeport de leur chien.

4.             Par décision du 21 mai 2024, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement du 21 mai 2024 à 18h10 jusqu’au 31 mai 2024 à 17h00 à l'encontre de M. A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme B______, située, 1______ C______, et de contacter ou de s'approcher de celle-ci et de leur enfant mineur D______.

Selon cette décision, M. A______ était présumé avoir exercé des violences psychologiques sur sa conjointe.

5.             Par acte du 24 mai 2024, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme B______, sous plume de son conseil, a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours en ce qui la concernait, en expliquant que M. A______ était un homme violent et impulsif. Il était également en possession d’armes et de munitions, et était fasciné par la violence, notamment sur internet. Il l’avait violée à plusieurs reprises et elle avait enfin eu le courage d’entreprendre une action pénale à son encontre.

Une prolongation de la mesure pour 30 jours était nécessaire pour empêcher M. A______ de s’en prendre de nouveau à elle, ainsi que de saisir le Tribunal de première instance, respectivement le service de protection des mineurs afin de se voir attribuer la garde de leur enfant.

6.             Vu l'urgence, le tribunal a informé les parties par téléphone du 24 mai 2024 de l'audience qui se tiendrait le 28 mai 2024.

7.             Par courriel du 24 mai 2024 à 15h59, le secrétariat du commissaire de police a informé le tribunal que M. A______ n’avait pas participé à son entretien socio-thérapeutique et a produit le dossier.

8.             Par courrier du 27 mai 2024, M. A______, sous la plume de son conseil, a informé le tribunal faire opposition à la mesure d’éloignement prise à son encontre le 21 mai 2024. Il s’opposait également à toute prolongation de la mesure.

9.             Lors de l’audience du 28 mai 2024, le tribunal a informé les parties que l'audience porterait sur l'opposition à la mesure d'éloignement et sur la demande de prolongation de ladite mesure. Un seul procès-verbal serait tenu.

Le conseil de M. A______ a déposé un chargé de pièces comprenant un certificat médical ainsi qu'une clé USB contenant l'enregistrement d'une discussion entre les parties.

M. A______ a confirmé son opposition à la mesure prononcée à son encontre le 21 mai 2024 pour une durée de dix jours. Il n’avait jamais commis d'actes de violence envers sa conjointe ni même par la parole. Tout ce dont sa conjointe l'accusait était inexact. Il avait pris contact avec l'association E______ et avait rendez-vous le 29 mai 2024 à 10h30. Il souhaitait pouvoir surtout voir son enfant. Il n'avait pas tenté d'entrer en contact avec sa femme depuis le prononcé de la mesure d'éloignement. Il avait appelé la police le 18 mai 2024 du fait qu’il avait été repoussé par son beau-père et qu’il était énervé car il ne pouvait pas voir son fils. Lorsque la police était arrivée il lui avait dit qu’il voulait voir son fils mais comme il était minuit, la police lui avait conseillé de rentrer à la maison. Depuis le prononcé de la mesure d'éloignement, il habitait chez sa maman. Il a confirmé qu’il avait son fusil d'assaut ainsi qu'une arme de poing à la maison que la police avait emmenés lors de son intervention le 21 mai 2024. Il consommait un joint de cannabis chaque soir quand il rentrait du travail. Il ne consommait de l'alcool que lors de soirées ou de fêtes, aucunement régulièrement à la maison. Il n'entendait pas du tout le fait que sa conjointe ait peur de lui, il ne comprenait pas ce qu'elle exprimait. Il la soutenait dans son sport et dans ses études, jamais il ne l'avait rabaissée. Lorsqu’il avait lu les échanges de messages dans le téléphone de sa conjointe le 18 mai dernier, il avait été déçu et il était parti voir des amis et, à minuit trente, il s’était rendu chez ses beaux-parents pour voir son fils, ce qu’il n'avait pas pu faire finalement. Sa conjointe n'était pas rentrée au domicile et il avait été convoqué par la police le 21 mai 2024. Il a précisé qu’il avait vu sa conjointe le 20 mai 2024 pour discuter de la garde de leur fils (c'était le contenu de la clé USB produite) et ils n’étaient pas arrivés à se mettre d'accord. Il était d'accord de se séparer. Il a précisé qu’il n'avait pas la nationalité russe et n’avait aucunement l'envie d'aller s'installer en Russie. Sur questions du conseil de Mme B______, il a confirmé que son FASS90 était sous leur lit avec la culasse et que le magasin se trouvait à la cave. Lorsque la police était intervenue, il savait que son arme de poing était à la cave mais pas exactement dans quel carton. Il était revenu il y a quatre - cinq mois d'un cours de répétition et il ne savait pas où mettre son arme : il avait l'intention de la donner à quelqu'un pour qu'il la garde. Son enfant ne rentrait pas dans leur chambre ni ne rentrait dans la cave. Il ne voyait aucun souci à son retour au domicile, il pouvait tout à fait dormir sur le canapé. Il était le seul à travailler, en cas de séparation, il souhaitait garder l'appartement. Il souhaitait avoir une garde alternée sur leur fils. Mme B______ lui avait demandé le versement d'une pension alimentaire lors de leur entrevue du 20 mai dernier, ce à quoi il s’était opposé vu qu’ils n’étaient pas mariés.

Le conseil de Mme B______ s’est posé la question de la licéité de l'enregistrement déposé par le conseil de M. A______. Il a confirmé que la demande de prolongation de la mesure ne concernait pas l'enfant du couple. Il a indiqué que sa cliente avait déposé plainte pénale pour viol suite à l’audition des parties.

Mme B______ a confirmé sa demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours. Elle a confirmé les violences notamment psychologiques qu’elle avait subies de la part de son conjoint. A son souvenir, elle n’avait pas été victime de violence physique depuis les évènements de 2019. Son conjoint n'avait jamais été violent envers leur fils. Elle a confirmé que qu’il n'avait pas tenté d'entrer en contact avec elle depuis le prononcé de la mesure. Elle habitait dans l'appartement avec leur fils. Elle avait peur de son conjoint - depuis plusieurs années -, mais elle ne s'en était pas rendue compte. C’était ses réactions et ses rabaissements psychologiques quotidiens qui lui faisaient peur. Elle avait peur qu'il vienne à la maison malgré la mesure. Du 18 au 21 mai 2024, elle était restée chez ses parents. Elle a précisé qu’ils n’étaient pas mariés. Elle souhaitait effectivement se séparer de son conjoint. Sur questions du conseil de M. A______, elle a indiqué penser vivre sous l'emprise de son conjoint, raison pour laquelle elle n’avait jamais consulté notamment de médecins durant les douze ans de leur relation. Elle était par contre allée voir des psychologues pour se faire aider : tous lui avaient dit que sa relation était problématique mais elle ne les avait pas écoutés. Elle a confirmé ne pas avoir constaté de violence de son conjoint sur leur fils mais elle lui avait toujours dit qu'il était irresponsable de s'occuper d'un enfant sous l'emprise de l'alcool. A plusieurs reprises, il lui avait indiqué qu'il voulait quitter la Suisse pour se rendre en Russie et elle avait peur qu'il parte avec leur enfant. Elle a confirmé que son conjoint regardait des sites extrêmement violents sur internet. Elle a indiqué que depuis que son conjoint avait lu des messages sur son téléphone le 18 mai dernier (elle a précisé ne pas avoir trompé son conjoint), elle avait très peur de ses réactions. Sur questions de son conseil, elle a encore confirmé que son conjoint lui avait montré une vidéo d'un homme tuant sa compagne. A ce moment-là, il lui avait dit que c’était bien fait pour cette femme. Il lui avait montré cette vidéo il y avait quelque temps déjà. Lorsqu'il avait trouvé le message sur son téléphone, elle avait pensé à cette vidéo et à tout ce qu'il lui avait dit précédemment. Son fils avait déjà, à deux reprises, pris le FASS90 pour jouer. Si son conjoint revenait à la maison, elle partirait. Elle était également agente de sécurité et percevait un salaire ; elle était en parallèle étudiante en psychologie. Elle était opposée à une garde alternée sur leur fils, pour le moment. Elle ne voulait pas séparer leur fils de son père mais tant que le problème d'alcool et de violence de son conjoint n'était pas réglé elle ne pouvait pas lui laisser leur fils. Elle a indiqué qu'il arrivait que son conjoint garde leur fils seul mais à plusieurs reprises lorsqu’elle était rentrée, il y avait une odeur de cannabis et son conjoint était alcoolisé.

Les parties ont indiqué qu’il était possible que Mme F______, tante de Mme B______ puisse être l'intermédiaire entre eux afin que M. A______ puisse voir son enfant.

Le tribunal a procédé au visionnement de la vidéo produite par M. A______ et Mme B______ a confirmé qu’elle savait être filmée durant sa rencontre avec M. A______ le 20 mai dernier.

Les conseils des M. A______ et Mme B______ ont plaidé brièvement.

La représentante des commissaires de police a demandé la confirmation de la mesure l’éloignement.

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

Il connait également des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             En l'espèce, Mme B______ a requis la prolongation de la mesure d'éloignement le 24 mai 2024, alors que M. A______ a fait opposition à cette mesure le 27 mai suivant.

3.             Déposées en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition et la demande de prolongation sont recevables au sens de l'art. 11 al. 1 et 2 LVD.

Elles seront toutes le deux traitées dans le présent jugement, après jonction des procédures A/1753/2024 et A/1770/2024 y relatives sous le numéro de procédure A/1753/2024, en application de l'art. 70 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, les déclarations de Mme B______ sont crédibles, notamment concernant les violences psychologiques dont elle indique être victime et l’emprise sous laquelle elle estime vivre. Elle a relevé à réitérées reprises la peur qu’elle a de son mari et notamment de ses réactions. Elle souligne également la consommation régulière de cannabis et d’alcool de ce dernier, lequel reconnait effectivement consommer un joint chaque soir en rentrant du travail. Elle reconnait cependant que son conjoint est un bon père mais a des craintes concernant son fils du fait de la consommation de stupéfiants et d’alcool : elle ne sollicite toutefois pas la prolongation de la mesure à l’encontre de son fils, estimant qu’il doit pouvoir voir son père.

Par contre, les dénégations de M. A______ n’emportent pas conviction, notamment ses propos consistant à dire qu’il n’a rien à se reprocher, qu’il n’a jamais commis d’actes de violences envers Mme B______, même pas en tenant des propos dénigrant ou rabaissant à son égard, et surtout en déclarant ne pas entendre du tout que sa conjointe ait peur de lui. Selon lui, tout ce que sa conjointe lui reproche est inexact, et « toute cette histoire » vient du fait de son état et il ne voit aucun souci à revenir au domicile. Il découle de ce qui précède que M. A______ est incapable d’entendre les difficultés dans lesquelles sa conjointe se trouve, ce qu’elle décrit vivre au quotidien et la peur qui est la sienne, et de prendre conscience de la réelle situation de leur couple.

Il est cependant évident que, ne pouvant se fonder que sur le dossier du commissaire de police et les déclarations recueillies à l'audience, le tribunal n'a qu'une vision très partielle de la situation globale et du fonctionnement du couple, ainsi que des difficultés qu'il a rencontrées jusqu'ici, s'agissant notamment des circonstances et des éléments ayant conduit à la survenance des divers actes de violence domestique relatés.

Il sera en outre rappelé que la mesure d'éloignement a pour objectif d'empêcher la réitération d'actes de violence, mais non de permettre aux personnes concernées de s'organiser pour modifier le cadre et les modalités de leur relation personnelle.

Dès lors, il apparait que les époux vivent une période difficile ayant entrainé leur séparation quelques jours avant le prononcé de la mesure - même s’ils n’ont pas la même vision de la situation - et que cette dernière, qui a été respectée par les deux parties, permet notamment d’apaiser quelque peu les tensions. Par conséquent, étant rappelé, comme précisé plus haut, que les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante des violences et de la personne de leur auteur, le tribunal confirmera, en l'espèce, la mesure d'éloignement prononcée à l'égard de M. A______. Prise pour une durée de dix jours, elle n'apparaît pas disproportionnée.

L'opposition à la mesure sera donc rejetée.

6.             Concernant la demande de prolongation, Mme B______ a répété lors de l'audience qu'elle craignait de nouvelles violences de la part de son mari s'il revenait au domicile conjugal et qu'elle avait très peur de lui. Elle a confirmé qu'elle ne voulait pas reprendre la vie commune et qu'elle souhaitait désormais avoir un domicile séparé. M. A______ indique également vouloir se séparer.

Dès lors, étant donné que chacun des époux se dit prêt à vivre de manière séparée, que Mme B______ a pu expliquer à son mari la crainte dans laquelle elle vit, que M. A______ a respecté la mesure et qu’il appartient maintenant aux deux conjoints d’organiser leur nouvelle vie, notamment concernant la prise en charge de leur fils, le tribunal ne peut retenir un risque concret des réitérations des violences, notamment psychologiques dont Mme B______ a fait état qui justifierait une prolongation de la mesure.

Par conséquent, la demande de prolongation sera rejetée et la mesure d'éloignement prendra fin le 31 mai 2024 à 17h00.

7.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             prononce la jonction des causes A/1753/2024 et A/1770/2024 sous le numéro de cause A/1753/2024 ;

2.             déclare recevable l’opposition formée le 27 mai 2024 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 21 mai 2024 pour une durée de dix jours ;

3.             la rejette ;

4.             déclare recevable la demande formée par Madame B______ le 24 mai 2024 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 21 mai 2024 à l’encontre de Monsieur A______ ;

5.             la rejette;

6.             dit qu’il n’est pas perçu d’émoluments ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

8.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

 

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant pour information.

Genève, le

 

La greffière