Décisions | Chambre de surveillance
DAS/73/2025 du 14.04.2025 sur DTAE/8783/2024 ( PAE ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
republique et | canton de geneve | |
POUVOIR JUDICIAIRE C/24337/2023-CS DAS/73/2025 DECISION DE LA COUR DE JUSTICE Chambre de surveillance DU LUNDI 14 AVRIL 2025 |
Recours (C/24337/2023-CS) formé en date du 16 décembre 2024 par Madame A______ et Monsieur B______, domiciliés à Genève.
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Décision communiquée par plis recommandés du greffier
du 15 avril 2025 à :
- Madame A______
Monsieur B______
Domiciliés à Genève.
- Monsieur C______
c/o Me Audrey EIGENMANN
Rue François-Bellot 6, 1206 Genève.
- Madame D______
Madame E______
Madame F______
Monsieur G______
SERVICE DE PROTECTION DES MINEURS
Route des Jeunes 1E, case postale 75,1211 Genève 8.
- TRIBUNAL DE PROTECTION DE L'ADULTE
ET DE L'ENFANT.
A. Par ordonnance DTAE/8783/2024 du 27 août 2024, communiquée pour notification aux parties le 29 novembre 2024, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : le Tribunal de protection) a ordonné une expertise génétique aux fins de déterminer si un certain H______, alias C______, est le père du mineur I______ (ch. 1 du dispositif); confié au CURML la mission d'effectuer ladite expertise ADN (ch. 2); mis les frais de l'expertise à la charge de l'Etat et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch.4).
Pour des motifs abscons, le Tribunal de protection a retenu qu'il serait dans l'intérêt de l'enfant de faire procéder à la mesure d'expertise ADN ordonnée aux fins de connaître la véritable identité de son géniteur, la paternité de l'époux de la mère ayant été exclue par un test du même ordre.
B. a) Par acte du 16 décembre 2024, B______ et A______, parents de l'enfant, ont formé recours contre ladite ordonnance, concluant à son annulation.
Ils ont en substance fait grief au Tribunal de protection de ne pas s'être préoccupé du bien de l'enfant en rendant l'ordonnance attaquée. Par ailleurs, l'identité réelle du prétendu père biologique n'est pas connue. Celui-ci est connu pour des faits de trafic de stupéfiants et de violence. La conception de l'enfant aurait eu lieu dans le cadre d'un abus sexuel.
b) Le Tribunal de protection n'a pas souhaité faire usage des facultés prévues par l'art. 450d CC.
c) Par déterminations du 23 décembre 2024, le SPMi s'en est rapporté à justice.
d) Le 30 décembre 2024, le conseil du prétendu C______ a conclu à l'irrecevabilité du recours pour tardiveté, subsidiairement à son rejet, contestant la présentation des faits des recourants.
e) Les recourants ont répliqué persistant dans leur recours, démontrant en outre que le prétendu C______ faisait l'objet à tout le moins de 11 condamnations pénales, notamment.
f) Ce dernier a dupliqué le 12 février 2025, persistant dans ses conclusions antérieures et contestant les nouveaux faits exposés dans la réplique des recourants.
C. Les faits pertinents suivants résultent au surplus de la procédure :
a) Le mineur I______, est né I______ [nom de jeune fille de A______] le ______ 2024 de A______, née A______ [nom de jeune fille], ressortissante italienne.
Le 8 décembre 2023, B______, de nationalité suisse et britannique, a reconnu le nasciturus auprès de l'état civil genevois
Le 12 février 2024, A______ [nom de jeune fille] et B______ ont signé et déposé une déclaration d'autorité parentale conjointe auprès du Tribunal de protection.
Le ______ mars 2024, A______ [nom de jeune fille] et B______ se sont mariés. La première et le mineur ont pris le nom du mari.
b) Par un courrier du 14 novembre 2023 au Tribunal de protection, un individu se présentant sous le nom de C______ a requis dudit tribunal qu'il nomme un curateur à l'enfant, alors à naître, afin d'établir sa filiation.
Le Tribunal de protection a interpellé la mère sur ladite requête, laquelle a, le 14 décembre 2023, exposé qu'elle connaissait ledit C______ sous le nom de H______, concluant au rejet de la requête.
c) Le 27 décembre 2023, les Hôpitaux universitaires de Genève ont signalé la situation de la mère et de B______ au Tribunal de protection et ont demandé l'évaluation des futurs parents, ainsi que l'instauration de toutes mesures nécessaires au bon développement de l'enfant à naître.
Il ressort du signalement que la mère avait initialement douté de l'identité du père de son enfant, ne sachant pas s'il s'agissait de son compagnon depuis 3 ans, B______, ou de C______, avec lequel elle avait entretenu des rapports intimes dans un contexte de consommation de stupéfiants.
d) Dans son rapport d'évaluation du 9 février 2024, le Service de protection des mineurs a exposé que la médecin interniste en pédopsychiatrie qui s'occupait de la mère lui avait déclaré que A______ avait été agressée avec un couteau en plein rue par "le dealer de stupéfiant" se prétendant le père de l'enfant, ce qui démontrait la violence et la dangerosité de l'individu. Une plainte pénale avait été déposée à son encontre pour ces faits. Il ressort du rapport que tant la psychiatre de la mère que la pédiatre de l'enfant considèrent la mère comme adéquate. Le SPMi avait rendu visite au couple A______/B______ dans le cadre de l'évaluation. Le couple disposait d'un appartement bien tenu, d'affaires en suffisance, de l'aide des grands-parents. Toutefois des inquiétudes existaient, notamment du fait de la violence potentielle du père biologique putatif, un risque d'enlèvement de l'enfant par celui-ci ne pouvant être exclu, ainsi que du stress provoqué par la situation chez la mère, notamment.
e) Des mesures de protection ont été requises et prises, l'enfant étant pendant un certain temps maintenu en clinique.
f) Le 9 février 2024, le Tribunal de protection a, sur mesures superprovisionnelles, requis de la mère qu'elle réalise un test ADN sur l'enfant dans un délai de dix jours aux fins de déterminer si B______ était le père de l'enfant.
B______, entendu par-devant le Tribunal de protection en date du 5 mars 2024, a expliqué ne pas voir l'intérêt d'un test ADN visant à prouver sa paternité, dont il était convaincu.
Lors de cette audience, les deux parents ont déclaré qu'ils considéraient un test ADN comme contraire à l'intérêt de l'enfant.
Le rapport d'analyse ADN rendu le 10 avril 2024 a établi que B______ n'était pas le père biologique du mineur.
g) Par rapport du 29 avril 2024, le SPMi a proposé, vu l'évolution favorable de la situation, de placer l'enfant chez sa mère, ce que le Tribunal de protection a fait par ordonnance du 7 mai 2024. Les médecins impliqués, les infirmière et la sage-femme ont tous souligné l'adéquation des parents dans la prise en charge de l'enfant.
h) Dans son rapport d'évaluation du 30 mai 2024, le Service de protection des mineurs a souligné à quel point les parents juridiques apparaissaient unis dans l'intérêt du mineur et de sa prise en charge, malgré le fait que B______ n'était pas le père biologique du mineur. Le rapport, qui propose in fine d'ordonner l'expertise finalement ordonnée par le Tribunal de protection et contestée, contient cependant les considérations suivantes : les parents présentent un bon lien d'attachement avec l'enfant; les parents ont su gérer le test ADN démontrant l'absence de paternité biologique du père; l'enfant a acquis la nationalité suisse grâce à la reconnaissance de son père; le père est employé de banque et réalise un revenu annuel de près de 140'000 fr. ; sa situation est stable ; l'enfant a acquis le nom de son père. A l'inverse, H______, alias C______, dont on ignore l'origine, est clandestin en Suisse, sans ressources, violent, susceptible d'enlever l'enfant. Dès lors, "pour les raisons qui précèdent, la section juridique du SPMi considère qu'il n'est pas dans l'intérêt de l'enfant à ce jour de contester la reconnaissance de paternité effectuée par B______."
1. 1.1 Les dispositions de la procédure devant l'autorité de protection de l'adulte sont applicables par analogie aux mesures de protection de l'enfant (art. 314 al. 1 CC).
1.2. La décision qui ordonne une expertise psychiatrique familiale doit être qualifiée d'ordonnance d'instruction. Les ordonnances d'instruction sont susceptibles d'un recours dans les dix jours (DAS/43/2015; art. 31 al. 1 let. c LaCC; 321 al. 2 CPC).
Contre les ordonnances d'instruction, le recours n'est recevable que lorsque la décision peut causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC, par renvoi de l'art. 450f CC; arrêts du Tribunal fédéral 5A_171/2015 c. 6.1 et 5D_100/2014 c. 1.1; DAS/19/2016).
Selon la jurisprudence, l'ordonnance d'une expertise psychiatrique rendue dans le cadre de l'instruction de mesures de protection est toujours susceptible de provoquer un dommage difficilement réparable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_655/2013 c.2.3).
1.3 Dans la mesure de ce qui précède, l'ordonnance querellé étant susceptible de provoquer un dommage difficilement réparable, le recours direct contre celle-ci est recevable de ce point de vue.
Notifiée le 7 décembre 2024 au recourant, la décision attaquée pouvait être contestée jusqu'au 16 décembre 2024. Le recours, déposé le 16 décembre 2024, a été formé dans le délai légal et conformément aux conditions de l'art. 450 al. 2 CC. Le recours est recevable de ce point de vue également.
1.4. La Chambre de surveillance examine la cause librement, en fait, en droit et sous l'angle de l'opportunité (art. 450a CC). Elle établit les faits d'office et n'est pas liée par les conclusions des parties (art. 446 al. 1 et 3 CC).
2. Les recourants font grief au Tribunal de protection de ne pas avoir tenu compte de l'intérêt de l'enfant de vivre en bonne intelligence avec ses deux parents juridiques, mariés, en le contraignant à subir une expertise ADN aux fins de déterminer son père biologique, dont on ignore même l'identité, ce qui aurait pour effet de déstabiliser la famille et serait, de ce fait également, contraire à son intérêt.
A bien comprendre le but de la procédure menée par le Tribunal de protection, l'action de celui-ci tendrait à désigner à l'enfant un curateur afin de faire établir la paternité biologique de l'enfant, respectivement à contester la reconnaissance de son père juridique. Son ordonnance d'instruction présentement querellée semble s'inscrire dans ce cadre.
2.1 L’autorité de protection prend les mesures nécessaires pour protéger l’enfant si son développement est menacé et que les père et mère n’y remédient pas d’eux-mêmes ou soient hors d’état de la faire (art. 307 al. 1 CC). Lorsque les circonstances l’exigent, elle nomme un curateur qui assiste les père et mère de ses conseils et de son appui dans la prise en charge de l’enfant (art. 308 al. 1 CC). Elle peut conférer au curateur certains pouvoirs, tels que celui de représenter l’enfant pour établir sa filiation paternelle et pour faire valoir sa créance alimentaire et d’autres droits, ainsi que la surveillance des relations personnelles (art. 308 al. 2 CC). L’autorité parentale peut être limitée en conséquence (art. 308 al. 3 CC).
Le Tribunal fédéral a jugé que, en cas de naissance d’un enfant hors mariage, une curatelle tendant à faire établir la filiation paternelle ne devait être instituée que si cette mesure apparaissait nécessaire et qu'il était dans l’intérêt de l’enfant d’établir sa filiation paternelle (arrêt du Tribunal fédéral 5A_220/2016 consid. 3.3).
Selon l'art. 260 al.1 CC lorsque le rapport de filiation n'existe qu'avec la mère, le père peut reconnaitre l'enfant.
Dans une jurisprudence constante relative à l'action en désaveu, mais qui peut être transposée à l'action en contestation de la reconnaissance, le Tribunal fédéral a jugé que l'autorité tutélaire appelée à nommer un curateur à l'enfant doit déterminer si l'ouverture d'une action est ou non conforme à l'intérêt de celui-ci (ATF 121 III 1 consid. 2c p. 4 et les citations; arrêts du Tribunal fédéral 5A_128/2009 du 22 juin 2009 consid. 2.3; 5A_150/2011 du 29 juin 2011 consid. 3.4.). Elle doit d'abord examiner s'il existe des indices permettant de sérieusement douter de la paternité du père légalement inscrit. Dans l'affirmative, elle devra alors procéder à une pesée des intérêts de l'enfant en comparant sa situation avec et sans le désaveu (arrêt du Tribunal fédéral 5A_128/2009 précité consid. 2.3 et la référence). Elle doit tenir compte des conséquences d'ordre tant psycho-social que matériel, par exemple la perte du droit à l'entretien et des expectatives successorales (ATF 121 III 1 consid. 2c p. 5; arrêt du Tribunal fédéral 5A_128/2009 précité consid. 2.3; HEGNAUER, op. cit., n. 74 ad art. 256 CC); il ne sera ainsi pas dans l'intérêt de l'enfant d'introduire une telle action lorsqu'il est incertain que le mineur puisse avoir un autre père légal, lorsque la contribution d'entretien serait notablement moindre, lorsque la relation étroite entre l'enfant et ses frères et sœurs serait sérieusement perturbée et lorsqu'il n'y a pas lieu d'admettre que l'enfant serait en mesure d'entretenir une relation positive sur le plan socio-psychique avec son géniteur (arrêt du Tribunal fédéral 5A_128/2009 précité consid. 2.3 et la référence).
Le Tribunal fédéral a par ailleurs expressément rappelé que, lors de l'institution d'une curatelle de représentation en vue d'une action en contestation de paternité (art. 392 ch. 2 aCC, actuellement remplacé par l'art. 306 CC en relation avec l'art. 260a CC) ou d'une action en désaveu (art. 392 ch. 2 aCC, actuellement remplacé par l'art. 306 CC en relation avec l'art. 256 CC), de même que lors de l'institution d'une curatelle de paternité (art. 309 al. 1 et 2 CC), l'autorité tutélaire se préoccupe exclusivement de l'intérêt de l'enfant : elle n'a pas à veiller aux intérêts ou aux droits des tiers, qui ne disposent d'aucun droit subjectif dans la procédure de curatelle. L'institution de ces formes de curatelle a en effet pour seul objectif de permettre à l'enfant de rompre le lien de filiation avec le père qui l'a reconnu (art. 260a CC), respectivement avec le père présumé (art. 256 CC), et d'établir cette relation juridique avec le père naturel (arrêt du Tribunal fédéral 5A_593/2011 du 10 février 2012, consid. 3.4.1).
2.2 En l'espèce, en retenant qu'une mesure d'expertise devait être diligentée, dans le but intermédiaire de lui désigner un curateur et dans le but final d'intenter une action en contestation de la paternité du recourant, le Tribunal de protection n'a pas pris en compte les intérêts de l'enfant qu'il est censé protéger et a violé la loi.
Il avait par ailleurs également violé la loi en prononçant une mesure d'urgence superprovisionnelle, sans recours possible, contraignant l'enfant à subir un prélèvement ADN sans avoir la possibilité de s'y opposer.
Cela étant, il ressort de la procédure soumise à la Cour que l'enfant I______, qui dispose de deux parents juridiques investis, fonctionnant en bonne intelligence, collaborant avec les divers intervenants, se développe très favorablement et ne suscite aucune inquiétude, selon les termes de son pédiatre qui le suit régulièrement.
La mise en place de la structure familiale entre l'enfant et ses parents est tout à fait positive selon le dernier rapport du SPMi de septembre 2024.
Il n'existe à ce stade déjà aucun intérêt de l'enfant, au risque de déstabiliser la dynamique familiale mise en œuvre, à introduire une action judiciaire en contestation, de sorte que la désignation d'un curateur pour ce faire, respectivement l'ordonnance de mesures d'instruction préalables, comme celle contestée, entrent frontalement en opposition avec la sauvegarde de son bien-être.
Par ailleurs, l'absence d'intérêt de l'enfant à une modification de la situation juridique relative à sa filiation doit être confirmée au regard de la personne du père biologique putatif, clandestin, dont l'identité réelle est inconnue, sans autorisation de séjour, condamné à de multiples reprises, sous de nombreux alias, pour divers types d'infractions, sans ressources, actif et connu dans le milieu du trafic de stupéfiants.
Quant au père juridique, outre ses qualités relevées ci-dessus, il dispose d'une situation personnelle stable et d'un revenu confortable lui permettant d'assurer le bien-être matériel de l'enfant.
Dans ces circonstances, la décision attaquée doit être annulée purement et simplement.
3. La procédure est gratuite (art. 81 al. 1 LaCC).
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La Chambre de surveillance :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé le 16 décembre 2024 par A______ et B______ contre la décision DTAE/8783/2024 rendue le 27 août 2024 par le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant dans la cause C/24337/2023.
Au fond :
Annule la décision attaquée.
Dit que la procédure est gratuite.
Siégeant :
Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Monsieur Cédric-Laurent MICHEL et Madame Stéphanie MUSY, juges; Madame Jessica QUINODOZ, greffière.
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral - 1000 Lausanne 14.